La fonction publique territoriale en questions – Palaiseau, assemblée des personnels territoriaux, 27 janvier 2009

La « contre révolution sarkoziste » et la fonction publique territoriale

Au lendemain du 25ème anniversaire du statut de la fonction publique territoriale (voir de dossier de La Gazette des communes du 26 janvier 2009 « L’histoire d’une réussite ») et à l’avant-veille de la journée interprofessionnelle d’action du 29 janvier, cette réunion est l’occasion d’une réflexion sur la situation actuelle de la fonction publique territoriale (FPT) ce qui invite à revenir sur ses origines (on ne parle véritablement de fonction publique territoriale que depuis 1983-1984), les principes sur lesquels elle a été fondée, de manière à éclairer sa situation présente, son rôle actuel et son avenir.

1. Les origines de la FPT

C’est la loi de décentralisation discutée à l’Assemblée nationale dès le 27 juillet 1981 qui a posé la question des garanties statutaires des agents des collectivités territoriales qu’elle annonçait dès son article 1er (loi du 2 mars 1982).

La réforme a opposé deux conceptions défendues par moi-même (fonction publique de carrière) et Gaston Deferre (fonction publique d’emploi). Les conditions en ont été exposées par Olivier Schrameck, alors conseiller technique au cabinet du ministre de l’Intérieur (La fonction publique territoriale, Dalloz, 1995) qui montre comment c’est la première conception qui l’a emporté grâce à un arbitrage très politique de Pierre Mauroy.

François Mitterrand exprimera son désaccord avec la solution retenue beaucoup plus tard, à l’occasion du passage en conseil des ministres de la loi relative à la fonction publique hospitalière (FPH, loi du 9 janvier 1986). Mais en 1981-1984 il ne s’intéressait guère à la fonction publique.

2. La fonction publique « à trois versants »

Dès lors que la conception avait été arrêtée, restait à  lui donner consistance. Concernant la FPT, on aurait pu se limiter à une amélioration des dispositions  du livre IV du code des communes, étendues aux départements et aux régions (même chose pour le Livre IX du code de la santé publique pour la FPH).

Pour établir une combinaison équilibrée du nouvel ensemble statutaire a été imaginée une fonction publique « à trois versants », l’unité étant fondée sur trois principes se référant à l’histoire : principe d’égalité (art. 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) ; principe d’indépendance (loi de 1834 sur l’état des officiers) ; principe de responsabilité (art. 15 de la Déclaration des droits), le tout affirmant la conception du fonctionnaire citoyen.

L’architecture s’est organisée en quatre titres respectant les spécificités dans l’unité. S’y est rattachée également la loi du 15 juillet 1982 sur les personnels des établissements publics hospitaliers de recherche. Le statut de la FPT est constitué des titres 1er et III.

3. L’évolution de la FPT de 1983 à aujourd’hui

Pourquoi n’avoir pas fait une seule et même loi ? Il y a à cela trois raisons : tout le monde (élus, syndicats) ne marchait pas du même pas ; l’article 72 de la Constitution sur la libre administration des collectivités territoriale a des conséquences sur le partage loi-décret ; l’ensemble législatif marque bien son unité. Aujourd’hui c’est le gouvernement qui souhaiterait une telle unification mais tirée vers le bas et prenant la FPT comme référence pour se rapprocher du modèle européen dominant. La loi sur la modernisation du 2 février 2007 a d’ailleurs prévu l’élaboration d’un Code de la Fonction publique qui donnera une présentation unifiée du Statut général à droit constant (voir à ce sujet l’interview d’Olivier Schrameck, ancien conseiller technique de Gaston Defferre dans le numéro de la Gazette des communes précité).

Différentes étapes peuvent être repérées dans l’évolution depuis la création de la FPT de l’ensemble législatif ainsi conçu : la lenteur de la poursuite dans l’élaboration de 1984-1986 ; la loi Galland du 13 juillet 1987 (avec remise en cause de la réglementation du droit de grève et la 3° voie d’accès à l’ENA) ; promotion de la notion de métier en 1989 et amorce de privatisation (La Poste et France Télécom) ; la loi Haëffel du 27 décembre 1994 : le rapport 2003 du Conseil d’État ; la loi sur la modernisation du 2 février 2007 et le projet en discussion à l’Assemblée nationale sur la mobilité. À quoi il convient d’ajouter : la LOLF, la RGPP, le livre blanc Silicani, etc.

4. la remise en cause sarkoziste

Sarkozy a parlé de révolution culturelle. J’ai répliqué contre-révolution et forfaiture (Le Monde 26 septembre 2007). Il y a eu le discours de Sarkozy à Nantes fin septembre 2007 et le Livre blanc Silicani qui en suit les orientations. Le problème est l’existence en France de 5,2 millions de fonctionnaires qui, avec les autres agents sous statuts, représentent plus du quart de la population active. Cet ensemble joue un rôle d’amortisseur social dans la crise actuelle et échappe largement à la loi du marché. Sa réduction est l’objectif poursuivi par le pouvoir.

Ces réformes s’accompagnent d’une régression méthodologique et d’une réduction de l’administration rationalisante.

Les caractéristiques de la contre révolution peuvent ainsi être résumées : le contrat contre la loi ; le métier contre la fonction ; la performance individuelle contre l’efficacité sociale.

5. La responsabilité des élus et des fonctionnaires territoriaux

D’abord, poursuivre la défense d’une fonction publique républicaine fondée sur les principes rappelés. Lier cette défense à celle du service public et des organismes d’évaluation et de rationalisation. Défendre la loi, expression de la volonté générale, contre une contractualisation croissante et une marchandisation des rapports sociaux. L’idéologie managériale ne saurait supplanter l’esprit de service public et le sens de l’État et des collectivités publiques.

Ensuite, concevoir et promouvoir des réformes démocratiques, car il n’y a pas de texte sacré et un texte qui n’évolue pas (besoins, technologies, société nationale et internationale) se sclérose : reclassements indiciaires, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (double carrière) ; réforme des conditions de mobilité effective (garantie fondamentale des fonctionnaires, art. 14 du titre I), résorption de la précarité ; nouvelles formes de dialogue social, etc.

Enfin, se persuader que nous entrons dans une époque où, à tous niveaux jusqu’au niveau mondial, la nécessité de services publics étendus va se renforcer (eau, ressources du sol et du sous-sol, services, cultures, etc). La France qui a une longue expérience en la matière et dont la fonction publique est regardée dans le monde comme une référence d’efficacité et d’intégrité a une contribution importante à apporter en la matière. Le XXI° siècle peut et doit être l’ « âge d’or » du service public.

Défense et promotion des services publics – PS – PCF – CCM – PG, Montreuil 22 janvier 2008

 

Intérêt général, service public, appropriation sociale, fonction publique

La défense des services publics aujourd’hui durement attaqués est une nécessité. Mais leur promotion dans les conditions nouvelles créées par la crise l’est tout autant.

Les services publics, vecteurs de l’intérêt général

La crise pose avec encore plus de force la notion d’intérêt général. Elle nous montre que la recherche des intérêts particuliers ne conduit pas au bien commun. En France l’intérêt général a toujours été une notion éminente incarnée par de grandes figures. Cette conception a donné naissance à la fin du XIX° à une école du service public permettant d’identifier les activités qui en font partie : mission d’intérêt général – personne morale de droit public – droit et juge administratif ; couverture par l’impôt ; prérogatives de droit public.

Son succès même a fait que cette notion simple est devenue complexe, que le contrat a concurrencé la loi en son sein. Au niveau de la nation tout entière, les services publics appellent l’existence d’un secteur public étendu qui pose, au plan politique la nécessité d’une large appropriation sociale. La fonction publique en est le cœur car fondée sur des principes républicains et alliant unité et diversité.

Aujourd’hui, l’option d’une « économie de marché ouverte où la concurrence est libre et non faussée » qui domine l’Union européenne tend à leur remise en cause par leur réduction et leur dénaturation sous forme de « services d’intérêt économiques généraux ». Le poids des services publics est, en France, un obstacle au libéralisme que le pouvoir entend lever.

L’offensive sans précédent de la politique sarkoziste

Ne perdons pas de vue cependant que cette offensive a débuté il y a longtemps : on a pu dire que le gouvernement de la gauche a privatisé plus que les gouvernement de droite précédents. Datent de cette période les changements intervenus à La Poste, France-Télécom, Air France, etc. Revenus au pouvoir (1986-88, 1997-2002) ils ne sont jamais revenus sur les atteintes portées précédemment par la droite au statut général des fonctionnaires.

Les privatisations se sont poursuivies depuis : EDF, GDF, etc. Aujourd’hui, c’est le cœur du service public, la fonction publique, qui est touché avec la RGPP (précédemment la LOLF) dont le but est de peser sur la dépense publique entraînant une baisse des effectifs, des moyens de fonctionnement, des investissements publics. On note simultanément une régression méthodologique, notamment des méthodes d’évaluation des politiques publiques.

Cette régression s’accompagne du démantèlement de l’administration rationalisante, c’est-à-dire de tous les outils qui existaient dans un but d’efficacité sociale : suppression du CGP, du CNE, du CECRSP, etc.

Le service public notre richesse

Au plan mondial, se produit une montée de l’ « en-commun », une prise de conscience du patrimoine commun de l’humanité et de l’unité de destin du genre humain qui appelle l’existence de services publics importants à ce niveau. Le XXI° siècle pourrait être l’ « âge d’or » des services publics et de l’appropriation sociale.

Dans la crise, de nombreux observateurs se sont plus à reconnaître le rôle d’amortisseur de crise du service public et plus précisément de la fonction publique en matière de : pouvoir d’achat, emploi, protection sociale, retraites, affairisme. Pour autant les réformes néo-libérales se poursuivent. Il y a renforcement de l’interventionnisme étatique mais recul de l’État social et de la maîtrise économique.

La situation n’est plus la même qu’il y a six mois. Les atouts démocratiques ont progressé. Ils permettent une attitude non pas seulement de défense des services publics mais une démarche offensive : « Le service public notre richesse », pétition lancée par plusieurs dizaines de personnalités importantes et qui a déjà recueilli plus de 70 000 signatures.

Et vous, vous les voyez comment les services publics ? – PCF Livry-Gargan, 15 janvier 2008

 

Le service public c’est l’avenir !

(schéma)

Les témoignages exprimés au cours de cette soirée sur quelques services publics qui suscitent l’inquiétude dans cette partie de la région parisienne, et les sketches s’interrogeant sur « Où va la vie sans services publics ? », montrent bien à quel point les services publics sont intimement liés à la vie sociale en même temps qu’à la culture, à quel point ces questions participent du pacte républicain en ce qu’elles en appellent à la définition de l’intérêt général, au principe d’égalité, à la coopération internationale et à la place des services publics en France et dans le monde. C’est à une offensive sans précédent contre ces services publics « à la française » que nous avons affaire avec la politique sarkoziste et il nous faut y répondre vigoureusement, la crise elle-même en souligne l’opportunité et la possibilité.

1. Au cœur du pacte républicain : l’intérêt général et les services publics

1.1. La crise pose avec encore plus de force la notion d’intérêt général. Elle nous montre que la recherche des intérêts particuliers ne conduit pas au bien commun. En France l’intérêt général a toujours été une notion éminente incarnée par de grandes figures.

1.2. Cette conception a donné naissance à la fin du XIX° à une école du service public permettant d’identifier les activités qui en font partie : mission d’intérêt général – personne morale de droit public – droit et juge administratif ; couverture par l’impôt ; prérogatives de droit public. Son succès même a fait que cette notion simple devenue complexe, que le contrat a concurrencé la loi en son sein. Au niveau de la nation tout entière, les services publics appellent l’existence d’un secteur public étendu. La fonction publique en est le cœur.

1.3. Aujourd’hui, l’option d’une « économie de marché ouverte où la concurrence est libre et non faussée » qui domine l’Union européenne tend à leur remise en cause par leur réduction et leur dénaturation sous forme de « services d’intérêt économiques généraux ».

2. Une offensive sans précédent de la politique sarkozienne contre les services publics

2.1. Ne perdons pas de vue cependant que cette offensive a débuté il y a longtemps : on a pu dire que le gouvernement de la gauche a privatisé plus que les gouvernement de droite précédents. Datent de cette période les changements intervenus à La Poste, France-Télécom, Air France, etc.

2.2. Les privatisations se sont poursuivies depuis : EDF, GDF, etc. Aujourd’hui, c’est le cœur du service public, la fonction publique, qui est touché avec la RGPP dont le but est de peser sur la dépense publique entraînant une baisse des effectifs, des moyens de fonctionnement, des investissements publics.

2.3. Cette régression s’accompagne du démantèlement de l’administration rationalisante, c’est-à-dire de tous les outils qui existaient dans le but de rationaliser l’action publique : suppression du CGP, du CNE, du CECRSP, etc.

3. Le service public, c’est l’avenir !

3.1. Au plan mondial, se produit une montée de l’ « en-commun », une prise de conscience du patrimoine commun de l’humanité et de l’unité de destin du genre humain qui appelle l’existence de services publics importants à ce niveau.

3.2. Dans la crise, de nombreux observateurs se sont plus à reconnaître le rôle d’amortisseur de crise du service public et plus précisément de la fonction publique en matière de : pouvoir d’achat, emploi, protection sociale, retraites, affairisme. Pour autant les réformes néo-libérales se poursuivent. Il y a renforcement de l’interventionnisme étatique mais recul de l’État social et de la maîtrise.

3.3. La situation n’est plus la même qu’il y a six mois. Les atouts démocratiques ont progressé. Ils permettent une attitude non pas seulement de défense des services publics mais une démarche offensive : « Le service public notre richesse »

La RGPP et les cadres supérieurs de la Fonction publique – UGFF-CGT, ministère de la Santé, salle Pierre Laroque, 14 janvier 2009

Avec le retour de l’État dans la crise, quelle perspective pour la fonction publique ?

Je remercie l’UGFF-CGT d’avoir organisé cette réunion. Je veux aussi saluer la présence de M. Philippe Caïla, directeur de cabinet du secrétaire d’État à la fonction publique et de M. Didier Lallement secrétaire général du ministère de l’Équipement ; c’est de leur part un geste courageux.

Le contexte a bien changé depuis le conseil de modernisation des politiques publiques du 12 décembre 2007 (CMPP, 96 mesures), du 4 avril 2008 (116 mesures) du 11 juin (73 mesures)., soit 285 mesures (selon Eric Woerth, 374). Depuis, plus rien … Essoufflement ou révision de la révision ? Le discours de M. Santini du 3 décembre 2008 au Forum des Échos ne m’a pas éclairé.

1. La « contre-révolution » sarkoziste

Le discours de Nantes du 19 septembre 2007 a prétendu introduire une « révolution culturelle » dans la fonction publique. Son élection ne l’avait pas mandaté à cette fin, c’est pourquoi j’ai parlé de « forfaiture » sans avoir été contredit. Il s’agit en réalité d’une « contre-révolution » qui peut être caractérisée par la triple opposition :

– du contrat à la loi ;
– du métier à la fonction ;
– de la performance individuelle à l’efficacité sociale.

C’est d’une tout autre fonction publique qu’il s’agit, alignée sur le modèle européen dominant et prenant comme référence de l’ensemble, non plus la fonction publique de l’État mais la fonction publique territoriale.

Les moyens de remise en cause de la conception républicaine de la fonction publique sont la loi de modernisation du 2 février 2007 qui participait de cette tendance, le projet sur la mobilité en discussion au Parlement, le livre blanc Silicani qui pourrait donner lieu à une refonte du statut actuel.

2. Le « retour de l’État » dans la crise

La crise a dramatiquement marqué la nocivité d’une orientation fondée sur « une économie de marché ouverte où la concurrence est libre et non faussée ». Les remèdes apportés dans l’urgence : nationalisation, conférences des chefs d’État, plans de relance, nouvelles réglementations, etc., ont permis de parler d’un « retour de l’État », ce qui n’est pas contesté sous forme d’interventionnisme étatique.

Dans cette situation, la plupart des observateurs se sont plus à souligner le rôle d’ « amortisseeur social » des services publics et de ce qui en est le cœur : la fonction publique :

– amortisseur en termes de pouvoir d’achat global ;
– amortisseur d’emploi et de limitation du chômage ;
– amortisseur quant à la protection sociale fondée sur la solidarité ;
– amortisseur en matière de préservation des droits à la retraite de notre système de répartition ;
– amortisseur des manifestations d’affairisme, voire de corruption.

Beaucoup en on déduit qu’il fallait voir là l’explication selon laquelle la France s’en tirait plutôt mieux que ses voisins.

3. La RGPP : un non-sens

Devant ce constat peu contesté, on aurait pu s’attendre à ce que le gouvernement en tire les conséquences et revoie sa copie écrite avant la crise et devenue obsolète, je veux parler de la RGPP. Il semble qu’il n’en soit rien, ce qui me conduit à revenir sur sa critique :

– Il ne s’agit pas de révision, mais d’une vulgaire politique de réduction comptable des dépenses publiques comme il y en a eu dans le passé : commissions de la Hache, de la Guillotine, etc. qui avaient au moins le mérite d’annoncer la couleur .
– La version de politique régressive qui nous est proposée, l’est aussi en raison de sa méthodologie particulièrement déficiente qui ne se compare pas, par exemple, avec ce que l’on a pu connaître du temps de l’opération de Rationalisation de choix budgétaires (RCB) de la fin des années 1960 et du début des années 1970.
– En fait il s’agit de faire disparaître dans notre pays cette anomalie que constitue aux yeux du pouvoir actuel la présence de 5,2 millions de fonctionnaires ( plus de 7 millions de salariés occupant un emploi de service public), môle de résistance à la loi du marché.
– D’où les trois caractéristiques précédemment évoquées : le contrat contre la loi, le métier contre la fonction, la performance individuelle (dite le mérite) contre la recherche de l’efficacité sociale.
– Dans le même temps, cette RGPP s’inscrit dans des mouvements plus généraux : celui débuté en 1983 de réduction de la part des salaires dans le PIB (dix points perdus soit quelque 150 à 200 milliards d’euros) ; celui de la régression de l’ « administration rationalisante ».

4. Que s’élève la voix des esprits vigiles !

– Il n’y a pas de texte sacré, la fonction publique et son statut général doivent évoluer, ce n’est pas la question en débat. M. Caïlaz me disait tout à l’heure qu’il était naturel de changer de dispositif tous les 25 ans ; non, c’est de manière continue qu’il faut réformer en fonction de l’évolution des besoins, des techniques, de l’ouverture internationale.

Je veux aussi relever, pour la contester, son affirmation selon laquelle le statut de 1946 aurait été conçu par Maurice Thorez comme un contrat. Je n’ai jamais rencontré Maurice Thorez, mais je ne vois pas comment on peut confondre la loi du 19 octobre 1946, acte unilatéral, avec un contrat, sauf à évoquer le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau… Ce qui est vrai en revanche, c’est que le premier texte statutaire a été pris sous Vichy en application de la Charte du travail de 1941 et qu’avant la seconde guerre mondiale les organisations syndicales parlaient de statut-carcan car c’était les gouvernements qui se prononçaient pour un statut conçu comme instrument d’exercice du pouvoir hiérarchique. Il a donc fallu du courage et de l’audace pour les syndicats pour renverser leur position traditionnelle.

– des réformes sont nécessaires : elles pourraient concerner, par exemple : une véritable gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences ; la mise en œuvre de la double carrière (sur la base, par exemple, du rapport de Serge Vallemont) ce qui nécessiterait une politique de formation sans commune mesure avec ce qui existe ; les conditions d’affectation, de détachement et plus généralement de mobilité (dont j’avais fait une garantie fondamentale (art. 14, titre 1er du SGF, ce n’est pas un « droit nouveau » contrairement à ce que soutient le gouvernement) ; l’amélioration de l’égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs de la fonction publique ; la remise en ordre des classements indiciaires et statutaires ; la résorption de la précarité et la titularisation des contractuels indûment recrutés sur des emplois permanents ; l’instauration de modalités sérieuses de négociation et de dialogue social ; le développement de l’évaluation des politiques publiques, etc.

– En passant, permettez-moi, pour avoir dénoncé devant les promotions de l’ENA entre 1981 et 1984 le « snobisme managérial », de regretter le recours de la CGT elle-même aux termes de « management », « gouvernance » ou encore de « mainstreaming », etc. Le vocabulaire est important. De même, je ne pense pas qu’il faille accréditer l’idée d’une « bonne RGPP » ; la CGT doit quand même être capable de forger son propre vocabulaire ! Je crois que c’est Victor Hugo qui disait : « La forme, c’est du fond qui remonte à la surface ! ».

– Un manifeste a été lancé au printemps : « Le service public est notre richesse » qui s’oppose à la RGPP synthétise cette démarche. Lancé par une soixantaine de personnalités de divers horizons : responsables syndicaux, anciens ministres, intellectuels et personnalités culturelles, parlementaires, dirigeants d’associations, etc.

– Ce texte a déjà recueilli plus de 70 000 signatures , parmi lesquelles celles de Nicole Questiaux ancien ministre d’État, de Jacques Fournier, ancien secrétaire général de l’Élysée, ancien pdg de la SNCF, d’Hubert Prévot, ancien commissaire général au Plan, de Jean-Pierre Dubois, secrétaire général de la LDH, de Patrick Peloux, urgentiste connu, de Jean Labrousse, ancien directeur de la Météorologie nationale, de Bernard Derosier, président du CNFPT, de l’écrivain Didier Denaenincks, etc. Dans le passé de hauts fonctionnaires ont élevé la voix quand il le fallait, je pense à des hommes comme Pierre Laroque, François Bloch Laîné ou Bernard Tricot. Cette réunion est la bienvenue : il est temps que s’élève, plus fort que jamais, la voix des esprits vigiles.

Histoire récente de l’immigration et de l’asile – France Culture – La fabrique de l’histoire, 12 janvier 2009

 

 

Une émission d’Emmanuel Laurentin de 9 heures à 10 heures

Invité : Anicet Le Pors, auteur du Que sais-je ? « Le droit d’asile », PUF, 2008

Mon expérience de la politique d’immigration et du droit d’asile

Les questions relatives à l’immigration et à l’asile ont pour moi leur source dans le processus de décolonisation que j’ai tout d’abord vécu au Maroc de 1953-1957 comme météorologiste. Je m’inscrivait alors dans le courant du christianisme social (Le Sillon, Esprit, Témoignage chrétien). Je me suis inscrit dans le mouvement décolonisateur Conscience française contre le mouvement précurseur de l’OAS Présence française.

Mon expérience concernant les questions d’immigration et d’asile s’est articulée autour de trois moments.

1. 1974-1977

– Contexte : suspension de l’immigration des travailleurs et des familles au plan national ; hausse du chômage – succession d’évènements au plan international (1973-1989) : coup d’État Pinochet au Chili et renforcement des dictatures d’Amérique du Sud ; exode des boat people d’Extrème-Orient ; conflits religieux et ethnique en Inde et au Moyen-Orient ; troubles dans la corne de l’Afrique ; invasion de l’Afghanistan par l’URSS ; révolution islamique en Iran ; chute du mur de Berlin.

– Personnellement : économiste à la direction de la Prévision au ministère de l’Economie et des Finances – exclu pour raison politique du Centre de hautes études de l’armement, mon ministre Jean-Pierre Fourcade (et concurrent politique à St-Cloud) me confie en « compensation » une étude interministérielle qui sera publiée en 1977 par la Documentation française sous le titre Immigration et développement économique et social dont les principales conclusions seront : les immigrés sont un facteur de compétitivité de l’appareil productif – Ils sont contributeurs nets du budget social de la nation – Leur renvoi d’économies n’est pas un facteur déterminant de déséquilibre de la balance des paiements. Elu au Sénat en septembre 1977 je poursuivrai le débat avec Stoléru sur sa création de « prime de retour » de 10 000 F.

2. 1990-1993

– Contexte : forte hausse du chômage – Le nombre de demandeurs d’asile culmine à 18 millions dans le monde en 1992 (autour de 10-12 aujourd’hui) ; 60 000 en France en 1989 (éclatement de l’URSS, crise des Balkans, troubles en Afrique, RDC notamment).

– Personnellement : Création du Haut Conseil à l’intégration de neuf membres par le Premier ministre Michel Rocard dont il me propose de faire partie avec Marceau Long, Stéphane Hessel, André Diligent, Marie-Thérèse Join-Lambert, etc. J’y suis chargé d’un groupe de travail sur la statistique des migrations. Publication en 1993 des premiers travaux du HCI sous forme de compilation des rapports annuels L’intégration à la française (collection 10/18).

Travail intéressant sur le fond : outre l’amélioration de la connaissance statistique, une réflexion sur le modèle français d’intégration (droit du sol et principe d’égalité contre droit du sang et logique des minorités ; insertion-intégration-assimilation ; critères d’intégration), confrontation de la culture et du droit d’origine des immigrés avec ceux de la France (problèmes de l’excision, de la polygamie).

Je démissionne du HCI le 12 juin 1993 pour ne pas cautionner les lois Pasqua et Méhaignerie de restriction de l’accueil des étrangers et sur la nationalité (je démissionne le même jour du comité central du PCF mais pour de tout autres raisons …).

3. 2000-2009

– Contexte : aggravation des crises politiques, économiques et sociales – développement du chômage et affaiblissement de la part des salaires dans le PIB – En 2007, création du ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire – Thèmes de l’ « immigration choisie », des « quotas » …Le nombre des demandeurs d’asile culmine à 52000 en 2003 et redescend à 24 000 en 2007. Inflation de textes législatifs et réglementaires (4 de 2003 à 2007) et de directives européennes : accueil (2003), qualification (2004), procédure (2005), retour (2008).

– Personnellement : Nommé président de section (de formation de jugement, de tribunal) à la Commission des recours des réfugiés, devenue en novembre 2007 : la Cour nationale du droit d’asile, ou je siège chaque semaine pour juger les recours des demandeurs d’asile contre les décisions de rejet de l’OFPRA.

Publications : un Que sais-je sur Le droit d’asile (2° édition en 2008) et un autre sur La citoyenneté (3° édition en 2005) – Article récent Immigration et asile entre principes et rationalité (Migrations et Société – mai-août 2008)
Par ailleurs : membre du Comité de soutien de l’association Primo Levi (aide psychologique et psychique aux violences de torture ou politiques) – membre du Comité scientifique du Service social d’aide aux émigrants (SSAÉ).

*

– l’asile est accordé « au nom du peuple français » – nous sommes là pour l’accorder et non le refuser.

– ne pas confondre asile et immigration (logique de police administrative dominante).

– en 2007, 11 millions de réfugiés dans le monde selon le HCR (plus des 2/3 en Asie et en Afrique) dont environ 140 000 en France, deux fois plus au RU, quatre fois plus en Allemagne. Faibles en Grèce, au Japon.

– l’OFPRA en 2007 a reçu 23 800 primodemandes + 6 100 demandes de réexamen + 5 600 mineurs, soit au total environ 36 000 personnes concernées.

– selon l’ANAEM : le nombre de travailleurs et le regroupement familial représentaient 390 000 entrées en 1970, 192 000 en 1981, 62 000 en 2007.

– taux d’attribution de l’asile en 2007 : OFPRA 11,6 % + CNDA 18,3 % = 29,9 %
sur les 9 premiers mois de 2008 : 16, 9 % + 21, 1 % = 38 %, sans précédent depuis 1986 !

– premières nationalités demandeurs : Sri Lanka, Turquie, Russie, Mali, RDC, Arménie, Bangladesh, Guinée, Haïti, Kosovo

– décision concernant les Palestiniens (Assfour, 18 mai 2008)

– nouvelles catégories discutables : asile interne, pays d’origine surs, protection subsidiaire.

– principes républicains et rationalité progressent de pair. Aujourd’hui, la gestion des flux l’emporte sur la mesure de l’intégration.

– Amatya Sen : Identité et violence (2007). La pensée communautaire enferme. Le « multiculturalisme dans une acception communautariste n’est qu’un « multiculturalisme pluriel ».

– François Héran (directeur général de l’INED dans Le temps des immigrés (2007) montre la France ne pourra croître démographiquement que par la migration (diminution du solde naturel par disparition progressive des baby-boomers) ; d’où selon lui la nécessité du brassage ne perdant pas de vue les valeurs.

– propositions d’amélioration des condition d’exercice du droit d’asile dans le rapport de la CNCDH de juin 2006.

– citation de Kant (conclusion QSJ ?), les réflexions sur la citoyenneté et l’asile ne font qu’une pensée. Droit de cité et droit d’asile concourent conjointement à la formation de la citoyenneté française.

Quel rôle pour l’État ? – l’HD , 8 janvier 2008

Se souvient-on du slogan de campagne de Nicolas Sarkozy « moins d’État ! moins d’impôts ! » ? Le même dramatise à Toulon fin septembre : « C’est la fin d’un monde ! ». C’est encore celui qui peinait à dégager 1, 3 milliard d’euros pour financer le revenu de solidarité active qui se fend d’un plan de relance de 26 milliards et trouve 360 milliards pour sauver les banques. « Retour de l’État ! », a-t-on soutenu de toute part. La droite libérale, surprise un moment, se reprend vite au nom du pragmatisme. Le parti socialiste est pris à contre-pied, alors qu’il s’apprêtait à confirmer en congrès son allégeance aux critères d’une « économie de marché ouverte où la concurrence est libre et non faussée » au nom d’un modernisme dévoyé. Le parti communiste reste paralysé dans une repentance antiétatique sans fin, par crainte d’être accusé de nostalgie soviétique. L’événement cependant est de taille et peut être mis à profit pour réaliser une avancée idéologique significative sur la question de l’État.

Car s’il y a en apparence un retour de l’interventionnisme étatique, il y a en fait une régression de l’État social. Les sommes énoncées sont pour une bonne part des fictions, lorsqu’il s’agit notamment de cautions publiques de fonds bancaires. La recapitalisation des banques ne s’accompagne pas de représentation publique dans les organes de direction. Les financements publics directs effectifs bénéficient principalement aux entreprises et à l’investissement et non au pouvoir d’achat des consommateurs et aux plus pauvres. L’autoritarisme et l’activisme national, européen et international du président de la République peuvent abuser, mais n’ajoutent rien en volonté d’action effective sur la crise systémique du capitalisme : le plan de relance européen de 200 milliards d’euros n’est que la somme des plans de relance nationaux dont les caractéristiques ne s’éloignent guère de celles relevées pour la France. Les groupes de pression industriels ont déterminé les conclusions du plan environnemental européen.

Il est même permis de parler de supercherie tant la contradiction est totale entre la communication présidentielle sur son volontarisme d’État et son action permanente en matière de politiques publiques. La révision générale des politiques publiques engagée tend avant tout à une réduction du poids des services publics dans la société française, notamment par la réduction drastique du nombre des fonctionnaires, à commencer dans l’éducation nationale. Le poids des dépenses de la fonction publique d’État dans l’ensemble des richesses produites en France n’a cessé de baisser au cours des dernières années, accompagnant la régression de la part des salaires dans le produit intérieur.

Mais on assiste, au surplus, à une vaste entreprise de démantèlement des organismes chargés de la rationalisation des politiques publiques. Ainsi, le Conseil de modernisation du 12 décembre 2007 a, parmi les 96 mesures de réforme de l’État retenues, prévu en tête de celles-ci : la suppression du Haut conseil du secteur public, du Comité d’enquête sur les coûts et les rendements des services publics, du Conseil national de l’évaluation, du Haut Conseil à la coopération internationale. Ces suppressions viennent après l’emblématique disparition du Commissariat général du Plan créé au lendemain de la Libération. Ajoutons-y aujourd’hui la délocalisation de l’INSEE à Metz, la suppression des centres départementaux de Météo France, l’intégration des Archives de France dans une direction générale des patrimoines, etc.

Quelles qu’en soient les raisons, la gauche peut nourrir des regrets de ne pas s’être exprimée avec plus de lucidité et de courage sur l’État et d’avoir si peu fondé théoriquement cette affirmation. Certes, il y a des raisons historiques à ce relatif désintérêt, et le recours à aux théorisations antérieures – y compris la conception marxiste de l’État – est de faible secours. Nous disposons cependant, en France, d’acquis importants sur la base desquels il serait possible de lancer une refondation identitaire sérieuse. En premier lieu, une expérimentation institutionnelle considérable (quinze constitutions en deux siècles) dont les enseignements pourraient aisément faire échec au sarkozysme en voie de constitutionnalisation et promouvoir une véritable souveraineté nationale et populaire. En deuxième lieu, un vaste secteur public, malgré les privatisations, ainsi qu’une école du service public, spécificité française appelant une nouvelle appropriation sociale nationale et internationale et le développement de services publics au niveau mondial. En troisième lieu, une fonction publique (État, collectivités territoriales, établissements publics hospitaliers et de recherche) de plus de cinq millions de fonctionnaires (soit près d’un quart de la population active du pays) qui échappent à la loi du marché en raison de leur position statutaire définie par la loi et dont le statut général pourrait inspirer, plus largement, un statut législatif du travail salarié.