4 questions à Anicet Le Pors – La Revue de la Mutualité Fonction publique, mars 2009, n° 167

Les services publics sont mis à mal depuis ces dernières années. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

La France a forgé, au cours de son histoire une conception originale des services publics. Très tôt la monarchie a considéré que les affaires du royaume ne pouvaient être traitées par les tribunaux ordinaires. La Révolution française a donné corps à l’idée d’utilité commune. Une école du service public a formalisé la notion à la fin du XIX° siècle. Cela fait partie de notre culture et les Français y sont très attachés. Cette conception est contredite aujourd’hui par les politiques ultralibérales que s’efforce de mettre en oeuvre le gouvernement français à l’instar de la plupart des gouvernements des pays développés. Le fait qu’il y ait en France 5,2 millions de fonctionnaires régis par un statut et non par des contrats, et que plus de 7 millions de salariés exercent leur activité dans le cadre de missions de service public (soit plus du quart de la population active) est contraire à l’option fondamentale des libéraux : « une économie de marché ouverte où la concurrence et libre et non faussée ». Il s’agit donc pour eux de réduire et de dénaturer cette exception française, pièce maîtresse de notre pacte républicain.

Les politiques de l’Union européenne permettent-elles la reconnaissance des services publics ou sont-elles des obstacles à leur développement ?

Un rapport du Conseil d’État constatait, il y a quelques années, que l’Union européenne faisait pire que d’être hostile à l’idée de service public : elle l’ignorait. De fait, les mots « service public » ne figurent qu’une fois dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et encore à propos de la compensation de servitudes de service public (article 93). L’Union européenne a retenu la notion restrictive de « service économique d’intérêt général » (SIEG) qui comme leur nom l’indique, répondent à des critères économiques et considèrent les missions d’intérêt général comme subsidiaires par rapport au respect des règles du marché et de la concurrence. Il y a donc là une contradiction majeure. Cela ne doit pas pour autant nous conduire à négliger les points d’appui dont nous disposons pour promouvoir notre conception du service public : la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes a, dans plusieurs décisions, reconnu la place des missions d’intérêt général, et les traités eux-mêmes contiennent quelques dispositions qui peuvent être utilisées. J’ajoute que la propriété publique, le secteur public qui est la base matérielle des principaux services publics, n’est pas, dans son principe, condamné par l’Union européenne puisque l’article 345 du traité précité dispose que : « Les traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les États membres ». Rien n’interdit donc, a priori, l’extension du secteur public.

Compte tenu de la crise économique et sociale actuelle, pensez-vous que des mesures spécifiques en faveur des services publics devraient être prises ?

Il faudrait d’abord et surtout arrêter la politique de démantèlement dont ils sont l’objet avec, en particulier, la Révision générale des politiques publiques  (RGPP) qui n’a qu’un véritable objectif : la réduction des dépenses publiques, ce qui est un non-sens dans la situation de crise financière et économique dans laquelle nous nous trouvons. Cette politique est d’autant moins justifiée que, par exemple, le poids des dépenses de la fonction publique de l’État dans le produit intérieur brut a baissé depuis 2000 et que son poids dans le budget de l’État est stable. On manque en France d’infirmières, d’enseignants, d’aides à la petite enfance comme aux personnes dépendantes ; nombre d’administrations ne disposent pas de moyens suffisants pour accomplir correctement leurs missions (la poste, les transports, la justice, etc.). Une gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences devrait donc être mise en place au lieu de cette stupide règle infondée de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Il conviendrait aussi de respecter les principes républicains sur la base desquels sont fondés les statuts des fonctionnaires et des salariés des services publics.

De votre point de vue, en quoi les services publics constituent-ils une pierre angulaire de l’intérêt général ?

En France, l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers. Nous nous distinguons en cela des économistes libéraux dont la pensée domine les pays anglo-saxons. C’est une notion éminente qui doit être définie politiquement dans le cadre d’un débat démocratique. Les services publics en sont le principal vecteur. La notion était simple à l’origine, le service public était défini par une mission d’intérêt général, servie par une personne morale de droit public et disposant spécifiquement d’un juge et d’un droit administratifs. Leur financement devait être assuré par l’impôt et non par les prix comme sur le marché. Les choses sont devenues plus complexes en raison même du succès des services publics qui se sont étendus à des fonctions économiques et sociales toujours plus nombreuses, à la faveur des crises et des guerres notamment. L’une des conséquences principales est que le contrat a gagné du terrain au détriment de la loi et les contradictions ont été poussées à leur paroxysme, comme je l’ai dit précédemment, dans le cadre de l’Union européenne. Mais nous sommes aujourd’hui, et la crise y contribue, à un moment de l’histoire où s’affirme la communauté de destin du genre humain avec la protection de l’écosystème mondial, la multiplication des échanges de toute nature, qui appellent à la fois une appropriation sociale des problèmes et le développement de services publics à tous niveaux : national, continental, mondial. Le XXI° siècle devrait être l’ « âge d’or » du service public. La France, en raison de son histoire et de son expérience pourrait apporter une contribution essentielle à cet avènement dans une perspective universaliste.

3 commentaires sur “4 questions à Anicet Le Pors – La Revue de la Mutualité Fonction publique, mars 2009, n° 167

  1. Bonjour,

    Lecteur attentif de votre blog,

    je souhaiterais, s’il été possible, pouvoir échanger avec vous ( dans le cadre d’un mémoire ) sur les dispositions relative à la loi 86-33 DE JANVIER 86 sur la FPH notamment sur le volet reclassement et gestion des inaptitude.

    Voici mon adresse mail : mounir.nancy@live.fr

    Dans l’attente, veuillez agréer mes sincères salutations et mes amitiés.

    Mounir El harradi

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  2. Bonjour,
    Nous sommes un collectif (UGICT, FSU, SUD, CGT et non-syndiqués) constitué au sein de la mairie de Fontenay-sous-Bois et nous voulons réagir vivement à la casse du service public. pour cela nous comptons organiser une semaine de sensibilisation en direction de la population dont le thème générique serait « Que serait notre vie sans le Service public? » Cette semaine sera ponctuée d’initiatives avec une exposition, un jeu, un pique nique…
    Dans ce cadre je vous sollicite pour une réunion débat publique que nous comptons organiser après les vacances de la Toussaint, en soirée. Vous serait-il possible de vous déplacer à Fontenay-sous-Bois (94120) début novembre 2009?
    Par avance, je vous remercie pour votre réponse que j’espère rapide.
    Cordialement

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