Quelle visée communiste pour le XXI° siècle ? – 90ème anniversaire du PCF – espace Oscar Niemeyer – 11 décembre 2010

L’hypothèse socialiste nécessaire à la visée communiste

Le point de départ d’une telle interrogation est nécessairement de porter un jugement sur ce qu’a été la visée communiste du siècle précédent. Je veux simplement rappeler que, selon l’analyse marxiste classique, le communisme était le stade suprême d’un processus historique qui faisaient se succéder des modes de production par dépassement de leurs contradictions et qu’ainsi le communisme était le dépassement du socialisme principalement caractérisé par trois fondamentaux : la propriété collective des grands moyens de production, le pouvoir de la classe ouvrière et de sas alliés, l’émergence d’un « homme nouveau » à la fois acteur et conséquence des transformations structurelles précédentes. Le communisme était alors le stade où étaient surmontées les contradictions qui subsistaient sous le socialisme par : la disparition de classes antagoniques, le dépérissement de l’État, la création des meilleures conditions d’épanouissement de l’homme et de la société tout entière. Dans ce siècle « prométhéen » – l’expression est de René Rémond – ce schéma ne s’est pas accompli. La propriété collective a été accaparée par l’État, le pouvoir de la classe ouvrière s’est fourvoyé en nomenklatura, l’ « homme nouveau » n’a pas émergé. La visée communiste du XXe siècle a donc échoué. Pour ma part, je donne à cet échec un caractère expérimental, dans l’esprit où j’ai écrit il y a une quinzaine d’années Pendant la mue le serpent est aveugle, puis Éloge de l’échec et j’ai intitulé le chapitre central d’un dernier livre Éloge de la décomposition.

Mais on peut aussi partir de l’analyse directe du monde du notre époque. Celle-ci me semble pouvoir être caractérisée comme celle de l’avènement – sans précédent dans l’histoire – d’un « monde commun ». Et ce n’est pas le moindre paradoxe que ce monde commun s’affirme après que se soit effondré le mouvement communiste qui s’en réclamait. Monde commun par l’affirmation de valeurs universelles (la paix, la sûreté, le respect de la dignité humaine, etc.). Monde commun par l’ampleur des processus de globalisation (à commencer par la mondialisation du capital, mais aussi la prise en considération de la nécessité de la protection de l’écosystème mondial, l’organisation de la communication, de la circulation aérienne, etc). Monde commun par l’interdépendance des moyens mis en place (juridiques, politiques, culturels). Monde commun qui transparaît dans le vocabulaire (« Terre patrie » d’Edgar Morin, « Biens à destination universelle » de Vatican II, « Patrimoine commun de l’humanité », ou encore « Manifeste des biens de haute nécessité » des écrivains et poêtes Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant. Simultanément, avec cette révélation d’un exaordinaire potentiel d’humanisation, s’affirme la conscience de l’unité de destin du genre humain. Mais pour autant ce mouvement n’est assorti d’aucune théorisation ni d’aucune stratégie de conduite et de maîtrise.

Ainsi, l’échec conclut la première approche (la visée communiste du XXe siècle) et l’indétermination le seconde (celle de l’émergence du monde commun en ce début du XXIe siècle). Alors « Que faire ? » comme aurait dit un grand ancêtre.

Trois démarches peuvent être observées.

La première s’en tient à la visée communiste XXe siècle sur laquelle il n’y aurait pas lieu de revenir. Cette voie m’apparaît sans issue.

La deuxième est celle de la fuite en avant vers une idée du communisme non identifié, bannissant le moment du socialisme pour cause d’hérédité soviétique. Cette démarche entend fonder sa légitimité sur la célèbre phrase de Marx : « Le communisme, c’est le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses ». Je veux à ce propos rappeler que cette phrase est tirée d’une lettre circulaire de 1879 dans laquelle Marx met justement en garde contre une interprétation dogmatique des modes de production. Sortie de ce contexte, elle-même dogmatisée, cette phrase ne veut rien dire puisqu’elle est applicable à tout gouvernement. Le reproche majeur que l’on peut faire aux partisans de cette démarche c’est qu’elle les dispense de toute proposition sérieuse de transformation structurelle ; c’est donc une facilité.

Entre impasse et fuite en avant je choisis pour ma part de remettre sur le chantier le travail sur le processus, non pas de dépassement mais plutôt de remplacement du capitalisme en crise systémique par un socialisme identifié dans la perspective de cette visée communiste qu’il faut continuer de protéger, même si elle demeure aujourd’hui incertaine quant à son contenu. Reprenons les trois fondamentaux du socialisme précédemment évoqués pour, tirant les enseignements de l’expérience leur donnée sens dans les conditions de notre époque.

La propriété collective des grands moyens de production, d’échange et de financement
est tout aussi importante aujourd’hui que dans les années 1970 où nous proclamions : « Là où est la propriété, là est le pouvoir ! ». Les capitalistes en sont toujours convaincus, mais la proposition a pratiquement disparu ou n’erst formulée que dans une généralité inutile à gauche. Certes, il faut tirer les leçons des expériences en la matière, celle des nationalisations de 1982 notamment, correctement réalisées juridiquement par la loi du 11 février 1982, mais privées de finalités par le tournant libéral amorcé dès 1982, consacré en mai 1983, et coupées de l’intervention des travailleurs puisque la loi de démocratisation du secteur public n’est intervenue qu’en juillet 1983 (soit après le tournant libéral) tandis que les lois Auroux se sont étalées de 19821984. On doit donc en tirer la leçon qu’une appropriation sociale effective – formulation que j’utilise de préférence à la propriété publique – doit nécessairement être articulée à une économie des besoins effective et faire corps avec l’intervention des travailleurs dans la maîtrise de l’outil.

Le pouvoir de la classe ouvrière et de ses alliés
: cette formulation ne peut, à mon avis, être conservée en l’état. Elle était associée aux notions d’ « avant-garde » voire de « dictature du prolétariat » les premières abandonnées. Elle supposait que des moyens de droit soient conférés spécifiquement à la classe ouvrière pour asseoir son pouvoir à l’instar du pouvoir d’État de la bourgeoisie. Une telle conception est indéfendable aujourd’hui. À l’instar de Gramsci qui professait qu’une classe est révolutionnaire si elle est capable de prendre en charge les intérêts de la société tout entière, l État, comme l’intérêt général ou le service public sont des lieux de contradictions qu’il faut savoir investir. Ce qu’appellent les conditions actuelles, c’est que l’on dise quelle est la démocratie institutionnelle que l’on propose. La France dispose d’une riche expérience en la matière (quinze constitutions en deux siècles). Il ne s’agit pas d’élaborer un « projet constitutionnel » complet comme celui qu’avait adopté le parti communiste en décembre 1989 pour marquer le bicentenaire de la Révolution française. Il convient prioritairement de prendre position sur des questions institutionnelles essentielles : quelle démocratie directe (en précisant notamment la place du référendum, généralement de caractère plébiscitaire dans notre pays) ? quelle démocratie représentative (mode de scrutin, parité, cumul des mandats) ? quel exécutif (ce qui suppose aujourd’hui une position très claire sur l’élection du précisent de la République, en en tirant les conséquences). Resterait encore à traiter la question de la subsidiarité entre infra et supranational.

L’homme nouveau n’a pas émergé car il a surtout été considéré comme la conséquence des transformations structurelles et superstructurelles et non comme un objectif en soi. C’est pourquoi il convient de mettre la citoyenneté (plutôt que l’ « homme ») au cœur de la visée communiste. Là également nous avons en France un riche héritage. Des valeurs éprouvées par les luttes : une conception éminente de l’intérêt général, une notion de service public très élaborée, la laïcité à vocation universelle (et qu’il n’est nul besoin de qualifier), le modèle d’intégration fondé sur le droit du sol et l’égalité individuelle des citoyens et des citoyennes qui ne sauraient être enfermés dans des communautés. Nous disposons aussi de moyens de droit et des pratiques : un statut du citoyen avant tout politique (« Ici on s’honore du titre de citoyen et on se tutoie » proclamait-on pendant la Révolution) mais aux dimensions économique set sociales fortes, une démocratie locale active fondée sur de nombreux foyers d’intervention populaire, les références institutionnelles diversifiées que j’ai évoquées. La crise a un effet qui doit être mis a profit : elle renvoie la responsabilité de la recomposition vers le citoyen plutôt qu’il s’en remette par délégation au créateur de génie ou aux appareils. C’est dans cet esprit que j’ai parlé de « génome de citoyenneté ».

Appropriation sociale, démocratie institutionnelle, citoyenneté, tels me semblent être les fondamentaux d’une « hypothèse socialiste » ouvrant la voie d’une « visée communiste pour le XXIe siècle »,

Un commentaire sur “Quelle visée communiste pour le XXI° siècle ? – 90ème anniversaire du PCF – espace Oscar Niemeyer – 11 décembre 2010

  1. Cher Mr Le Pors,
    je suis journaliste et cherche à entrer en contact avec vous pour vous faire part d’un documentaire qui sera diffusé en juin prochain et dont je souhaiterais vous parler; vous excuserez cette requête quelque peu cavalière sur votre blog (et peu détaillée sur ce lieu « public »)et j’ose espérer que vous aurez la gentillesse d’y répondre sur ma boite mail…
    mes « racines » sont bretonnes -et plus prosaïquement chez DreamWay Productions (c)!- et je « rêverais » assez,oui, de pouvoir entrer en contact avec vous!
    bien cordialement,
    marie Brunerie

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