LES POLITIQUES PUBLIQUES DE L’IMMIGRATION ET DE L’ASILE DEPUIS 1945

Le droit d’asile ne saurait être banalisé au sein du droit des étrangers. Toutefois, les gouvernements successifs ont réglementé dans une même démarche immigration et asile. Il s’ensuit que, si l’on peut comprendre que les flux migratoires, pour raisons économiques, soient sensibles aux variations de la conjoncture, la politique de l’asile en est indépendante et ne doit être définie qu’au regard des principes républicains. On constate, au contraire, que politique de l’immigration et politique de l’asile ont connu les mêmes vicissitudes.

 

 

1945-1970 : des références juridiques majeures dans un contexte de croissance économique soutenue et d’évènements politiques aux conséquences limitées sur l’accueil des étrangers

 

L’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, plusieurs fois modifiée, a été pendant soixante ans la référence de la législation sur l’immigration. En matière d’asile, le dispositif a été complété par la signature le 28 juillet 1951 de la Convention de Genève et la loi du 25 juillet 1952 créant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Commission de recours des réfugiés (CRR).

 

La période est marquée par des évènements politiques importants dans le monde et en France : guerre froide, guerres de décolonisation, naissance de la Ve République, évènements de 1968. Mais la croissance économique soutenue et le maintien de liens avec les anciens pays colonisés permettent une gestion de l’immigration et de l’asile sans tension excessive n’appelant pas de bouleversement des politiques correspondantes et des systèmes juridiques associés.

 

Mais la situation va changer dans les années 1970. Dès 1968,  un accord franco-algérien réglemente de façon particulière la présence en France des Algériens et de leur famille

 

 

1970-1981 : une régression de l’accueil des étrangers déterminée par le ralentissement de l’économie

 

Une politique de contrôle des flux migratoires se met en place avec la circulaire Marcelin-Fontanet du 22 février  1972 subordonnant la délivrance d’une carte de séjour à l’obtention d’un contrat de travail et d’un logement décent . Le Conseil des ministres du 3 juillet 1974, sous la présidence de Jacques Chirac, met fin à l’introduction de travailleurs immigrés ; la suppression en septembre de la même année de l’immigration familiale sera annulée plus tard par le Conseil d’État.

 

Un décret du 21 novembre 1975 fait obligation aux administrations de vérifier, avant la délivrance d’une autorisation de travail, « la situation de l’emploi, présente et à venir, dans la profession demandée et dans la région ». Un autre décret du 29 avril 1976 fixe les conditions du regroupement familial qui seront encore restreintes l’année suivante. Mais sur recours du GISTI, de la CFDT  et de la CGT le Conseil d’État annule ces mesures, rappelant que le regroupement familial relève d’un principe général du droit.

 

La loi Bonnet du 10 janvier 1980 fait de l’entrée ou du séjour irréguliers des étrangers des motifs d’expulsion au même titre que la menace pour l’ordre public. La place des immigrés dans la société et l’économie françaises donne lieu à des débats très vifs ; un rapport interministériel Immigration et développement économique et social établit, en 1976, que les immigrés constituent un facteur de compétitivité pour l’économie française et qu’ils sont contributeurs nets au budget social de la nation.

 

 

1981-1993 : des tentatives de régularisation contrariées et un certain retour aux principes. Engagement de la coopération intergouvernementale européenne.

 

L’alternance consécutive à l’élection de François Mitterrand le 10 mai 1981 est marquée par la régularisation de 132 000 étrangers sur 150 000 demandes. La loi Deferre du 29 octobre 1981 définit des catégories d’étrangers protégées des expulsion, mais cette loi légalise aussi le « rétention administrative » d’étrangers en instance d’expulsion.

 

François Mitterrand reçoit le 3 décembre1981 les participants à la « marche pour l’égalité » et s’engage à inscrire dans la loi une carte de résident de dix ans. Cette carte est créée par la loi Joxe du 17 juillet 1984 ; elle est attribuée de plein droit à plusieurs catégories d’étrangers disposant d’attaches personnelles et familiales fortes en France. Toutefois, le regroupement familial « sur place » est interdit par un décret du 4 décembre 1984. Une circulaire du 17 mai 1985 sur l’asile décrit les dispositions qui permettent de refuser le séjour  et la procédure d’admission. Les demandeurs d’asile sont autorisés à travailler

*** Conclusion des accords de Schengen le 14 juin 1985. Ils seront complétés par une convention d’application du 19 juin 1990. La convention de Dublin du 15 juin 1990 entrera en vigueur en 1997.

 

Dans le cadre de la première cohabitation (1984-1986), la loi Pasqua du 9 septembre 1986 restreint les conditions d’obtention de la carte de résident. Les possibilités données aux préfets de procéder à des reconduites à la frontière sont élargies,  les procédures d’expulsion renforcées. D’octobre 1986 à janvier 1987, 6 500 étrangers en situation irrégulière sont renvoyés par charters.

 

À la fin de la période de cohabitation, changement d’orientation avec la nouvelle loi Joxe du 2 août 1989 qui ne revient que partiellement sur la loi Pasqua concernant la carte de résident. Le Premier ministre Michel Rocard crée, en 1990, le Haut Conseil à l’intégration.

 

Les accords de Schengen qui créent un visa d’entrée unique pour un certain nombre de pays européens sont ratifiés le 4 juin 1991 ; ils établissent également un fichier d’information unique pour les étrangers recherchés ou expulsables et renforcent la coopération policière et juridique.

 

Le 8 juillet 1991, la nouvelle Première ministre, Edith Cresson, annonce une politique de renvoi par charters des étrangers en situation irrégulière. Dans le même temps est engagée une régularisation sous conditions des déboutés du droit d’asile : 15 000 demandes seront acceptées sur 50 000 déposées. Simultanément, une circulaire du 26 septembre met fin au droit au travail des demandeurs d’asile, tandis que le Conseil d’État fait du droit au séjour des demandeurs d’asile un principe général du droit par un arrêt du 13 décembre 1991. La loi Sapin du 31 décembre 1991 sur la double peine instaure la protection des étrangers contre l’éloignement pour les étrangers en France depuis plus de 15 ans.

 

Une loi du 6 juillet 1992  légalise les zones d’attente dans les ports et les aéroports.

 

 

1993-1997 : développement d’une politique coercitive d’immigration avec engagement d’un transfert des compétences en matière d’asile au niveau européen

 

Après le changement de majorité parlementaire, de nombreuses lois sont adoptées concernant les étrangers. La loi du 22 juillet 1993 réforme les conditions d’accès à la nationalité française, elle revient notamment sur l’accès à la nationalité française des enfants étrangers nés en France. Une seconde loi Pasqua du 24 août 1993 met en place un important arsenal répressif  : limitation de l’accès au séjour des familles, durcissement des conditions de rétention et d’expulsion, de contrôles d’identité, d’admission au séjour des demandeurs d’asile (Schengen, Dublin, pays sûrs, troubles à l’ordre public, recours abusif).

 

Les accords de Schengen entrent en application le 25 mars 1995. Cette politique provoque des réactions sociales : grève de la faim de parents d’enfants français en avril-mai 1995, grève de la faim de sans-papiers de l’Église Saint-Bernard en juillet-août 1996 suivie d’expulsion, manifestation à Paris le 27 janvier 1997.

 

La loi Debré du 24 avril 1997 est marquée par ces conflits. D’une part, elle renforce les possibilités de contrôles d’identité dans les zones frontalières, la prise d’empreintes digitales, les procédures de rétention administrative. D’autre part, elle ouvre l’accès à la carte de séjour temporaire aux étrangers dont les attaches personnelles et familiales sont en France, et elle instaure une protection contre l’éloignement des étrangers malades.

 

*** Le 2 octobre 1997, signature du Traité d’Amsterdam qui entrera en vigueur le 1er mai 1999. Il introduit dans le Traité instituant la Communauté européenne un article 63 prévoyant, d’une part des mesures relatives à l’asile, d’autre part des mesures relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées.

 

 

1997-2002 : des retours partiels sur la réglementation sécuritaire antérieure

 

Le gouvernement constitué après le changement de majorité parlementaire de juin 1997 engage une vaste opération de régularisation de sans-papiers. Sur la base d’une circulaire Chevènement, 80 000 personnes seront régularisées sur 140 000 demandes.

 

La loi Guigou du 16 mars 1998 sur la nationalité revient en partie sur la loi Pasqua de 1993. La loi Chevènement du 11 mai1998 ne revient pas non plus sur l’ensemble des lois précédentes, mais contient des mesures essentielles : droit au séjour permanent pour les ressortissants de l’Union européenne, mise en place d’une commission consultative du séjour dans chaque département, élargissement d’accès aux titres de séjour en faveur des malades, allongement à 12 jours de la rétention administrative, valorisation de l’asile constitutionnel et création de l’asile territorial géré par le ministère de l’intérieur.

 

La cohabitation 1997-2002 ne permet pas de promouvoir, au-delà de ce qui précède, la réglementation de l’immigration et de l’asile.

 

*** Le 27 décembre 2000, adoption au sommet de Nice de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle sera reprise par le Traité de Lisbonne en 2008.

 

 

2002-2012 : développement d’une politique sécuritaire de caractère essentiellement politique sous influence croissante de l’Union européenne dans la perspective d’un régime d’asile européen commun

 

Alors que le contexte économique était largement déterminant des politiques migratoires au cours des décennies suivant la deuxième guerre mondiale, les motivations politiques ont pris le relais. Deux lois marquent la relance d’une politique qui distingue clairement immigration et asile.

 

*** Le règlement Dublin II sur l’Etat responsable est adopté le 18 février 2003.

 

La loi Sarkozy du 20 novembre 2003 durcit les conditions d’accès aux cartes de résident et de séjour, porte de 12 à 32 jours la durée maximale de rétention administrative, renforce le contrôle des maires sur les conditions d’hébergement, mais établit aussi des protections contre l’expulsion des étrangers ayant de fortes attaches en France. Le délai au b out duquel un conjoint de Français peut demander une carte de résident passe de un à deux ans. Institution du délit de « mariage de complaisance ». Création d’un fichier d’empreintes digitales et de photographies des demandeurs de visas.

 

La loi Villepin du 10 décembre 2003 sur l’asile remplace l’asile territorial par la protection subsidiaire ; anticipant sur la transposition de directives européennes, elle introduit les notions de pays d’origine sûrs, d’asile interne ; elle rend plus sévères les conditions d’admission au séjour et l’examen des demandes en procédure prioritaire. Des décrets sur l’asile sont publiés le 14 août 2003 qui décident la création de l’agrément des associations de domiciliation et de justificatif de résidence au bout de quatre mois ; des délais raccourcis sont fixés pour délivrer une première autorisation, pour déposer une demande d’asile et pour  l’examen par l’OFPRA.

 

*** Directive du Conseil de l’Union européenne du 29 avril 2004, dite « qualification », elle a fait l’objet d’une refonte par la directive du Parlement du 13 décembre 2011. Cette directive retient un ensemble minimal de garanties pour la reconnaissance de la qualité de réfugié ou l’octroi de la protection subsidiaire.

 

*** Les 4 et 5 novembre 2004 : adoption par les Etats membres de l’Union européenne d’un programme visant, à l’horizon 2012, l’instauration d’un « régime d’asile européen commun ».

 

*** Directive du Conseil de l’Union européenne du 1er décembre 2005 dite « procédure ». Elle assure aux demandeurs d’asile les mêmes garanties minimales en première instance.

 

Le 1er mars 2005 entre en vigueur le Code de l’entrée, du séjour, des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) ; l’ordonnance du 2 novembre 1945 est abrogée ainsi que la loi relative au droit d’asile du 25 juillet 1952. Le 24 mai 2005 est créé le Comité interministériel de contrôle de l’immigration (CICI). Le 24 juillet 2006 est promulguée la loi sur l’immigration et l’intégration. Elle prévoit : réglementation plus stricte du regroupement familial, carte de séjour pour un conjoint de Français différée à 3 ans, carte de séjour subordonnée à l’obtention préalable d’un visa de long séjour, nécessité de validation de son projet par son pays d’un étudiant demandant un titre de séjour, possibilité d’assortir un refus de séjour d’une OQTF, critères professionnels et régionaux pour l’immigration « choisie ».

 

Le 18 mai 2007, à l’occasion de la formation d’un nouveau gouvernement, est créé le ministère de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement. Le 20 novembre 2007, la loi Hortefeux relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile prévoit que la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) remplace la Commission des recours des réfugiés (CRR) ; l’OFPRA passe  sous le contrôle du ministère de l’Intérieur. Un décret du 30 décembre 2008 modifie sensiblement l’organisation de la CNDA. La condition d’entrée régulière pour bénéficier de l’aide juridictionnelle est supprimée à compter du 1er décembre.

 

*** Ratification le 8 février 2008 du traité de Lisbonne par le Parlement français après le rejet du projet de Constitution européenne par référendum le 26 mai 2005. Il remanie l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pour prévoir « une politique commune en matière d’asile ».

 

*** Directive du Parlement de l’Union européenne dite « retour » du 18 juin 2008. Elle prévoit notamment : l’allongement des durées de rétention, de la durée d’interdiction de séjour, le développement de  l’externalisation.

 

*** Le 7 mai 2009, adoption par le Parlement européen d’un « paquet asile ».

 

Le 1er janvier 2009, la CNDA passe sous la tutelle du Conseil d’État. Le 2 novembre 2009 est lancé le débat sur l’identité nationale. Suite au discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy du 30 juillet 2010, une circulaire du 5 août 2010 du ministre de l’Intérieur est prise contre les campements illicites de Roms, circulaire annulée par le Conseil d’État le 7 avril 2011.

 

Depuis le 1er janvier 2011, l’aide juridictionnelle devant la CNDA doit être demandée dans le mois suivant la notification du dépôt du recours. La loi Besson du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration  et à la nationalité procède à plusieurs réformes conséquences pour plusieurs d’entre elles de la transposition de directives européennes (retour, carte bleue, sanctions d’employeurs) : création d’une « charte des droits et des devoirs du citoyen » à laquelle doivent souscrire les personnes naturalisées, création d’une carte bleue pour faciliter l’accès au travail de travailleurs étrangers très qualifiés, extension de la durée maximale de rétention administrative de 32 à 45 jours (exception de prolongement en cas de menace terroriste), sanctions contre les employeurs de travailleurs étrangers sans titres de séjour, atténuation des menaces concernant les associations protectrices, restriction au séjour des étrangers malades. En matière de droit d’asile, la loi prévoit, en particulier, l’élargissement des zones d’attente hors des contrôles frontaliers en cas d’arrivée en nombre d’étrangers, extension du refus du séjour en cas de fraude à l’entrée, recours accru aux moyens audiovisuels en audience.

 

*** Refondation de la directive « qualification »  du 29 avril 2004 par la directive du Parlement du 13 décembre 2011. Elle prévoit notamment : des définitions plus précises  des notions d’acteur de persécution, d’asile interne, l(élargissement du champ des bénéficiaires de la protection, et surtout le principe d’alignement du statut  de réfugié et de la protection subsidiaire.

La directive du 1er décembre 2005 dite ‘procédure » fait l’objet d’un projet de refonte.

 

 

 

Si cette rétrospective ne permet pas de théoriser l’évolution des politiques d’immigration et d’asile, on peut néanmoins identifier les principaux facteurs ayant pesé sur cette les changements intervenus sur la période  : le niveau de l’activité économique, les orientations de l’État de droit, l’influence de l’Union européenne.

 

 

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