afja-la lettre n°4

Association française des juges de l’asile (AFJA)

Un an après sa création, il est possible de considérer que l’AFJA a mis en place les instruments de son action. En dernier lieu, le site de l’association a été créé le 1er juin, il sera mis à jour périodiquement. Lors de sa dernière réunion, tenant compte notamment des mouvements sociaux qui ont eu lieu à la Cour dans la dernière période, le bureau a considéré que le moment était venu de préciser les orientations de l’association. À cette fin un texte sera préparé au cours des prochaines semaines, adopté par le bureau, communiqué aux adhérents de l’association et, après avoir été amendé, soumis pour approbation à une assemblée statutaire de l’AFJA qui sera convoquée à la mi-janvier à une date précisée ultérieurement.

*** Rencontres internationales 22-25 mai 2012 à Londres et Paris

Le 22 mai, Joseph Krulic, vice-président de l’AFJA, s’est rendu à Londres comme membre du groupe de travail de l’IARLJ (International Refugee Law Judges) sur l’information géopolitique appliquée au droit d’asile international, qui comprend des magistrats spécialisés dont l’objectif est d’améliorer la liste de 9 recommandations (Check-list), qui date de 2006, sur l’usage de la géopolitique par le juge de l’asile. Un diner a réuni, le 24 mai, les magistrats étrangers de L’IARLJ, Joseph Krulic et Anne Devauchhelle, adhérente de L’AFJA. Le 25 mai 2012, le matin, des juges de l’IARLJ ont participé, à la CNDA, au groupe de travail « Credo » sur les critères de la crédibilité du récit des demandeurs d’asile, dont la première séance s’était tenue, le 22 février 2012, à Londres. International association of refugee law judge (IARLJ)Bulletin d’adhésion à l’IARLJ

*** Ouverture du site de l’AFJA

Après plusieurs mois de mise au point, le site de l’AFJA, hébergé par les services du Conseil d’État a été ouvert le 1er juin. Il pourra être affecté à court terme par quelques dysfonctionnements dus à d’ultimes mises au point. On peut y accéder à l’adresse suivante http://www.juge-asile.fr . Le site ne fonctionne pas en interactivité et il sera mis à jour régulièrement. Toute suggestion concernant le site est la bienvenue

*** Audition par le groupe de travail de la Commission des lois du Sénat

Anicet Le Pors a été entendu par un groupe de travail de la Commission des lois du Sénat chargé d’un rapport sur le fonctionnement de la CNDA http://www.senat.fr/presse/cp20120203.html . Les questions qui intéressent le groupe de travail sont les suivantes : spécificité de la procédure, moyens d’information géopolitique en relation avec l’OFPRA, différences d’appréciation entre l’établissement public et la juridiction, caractère non suspensif du recours en procédure prioritaire, conditions du huis clos, pertinence du plein contentieux, intervention de l’OFPRA devant la CNDA, justification des ordonnances « nouvelles », enrôlements, différences de positions statutaires et d’appréciation entre présidents permanents et vacataires, aide aux demandeurs d’asile et aux personnes qui les assistent, spécialisation des avocats, importance du pourvoi en cassation, statistiques relatives aux demandeurs d’asile.

*** Réunion du bureau de l’AFJA du 8 juin 2012

Le bureau a pris acte de la mise en place des moyens de fonctionnement de l’association (site, page Wikipédia, fichiers, lettre d’information, etc.). Il a discuté des projets de prochaines conférences. Les comptes rendus des contacts pris, de l’audition au Sénat et de participations à des réunions ont été donnés. Le bureau a principalement discuté de l’élaboration d’un texte d’orientation de l’association qui rappellerait les principes auxquels l’AFJA est attachée et se prononcerait sur un certain nombre de points concernant principalement la procédure ainsi que sur les questions en débat dans la dernière période. Après son adoption par le bureau, ce texte serait soumis à une assemblée générale statutaire prévue pour la mi-janvier. Joseph Krulic a été chargé de conduire l’élaboration du projet.

La date de la prochaine réunion du bureau a été fixée au 7 septembre à 10 h.

*** Rencontre de l’AFJA et de l’association des avocats ELENA

Dans le contexte du mouvement revendicatif des avocats devant la CNDA, le bureau, à la majorité, a décidé le report de la rencontre de présentation mutuelle des deux associations, primitivement prévue le 8 juin. La réunion a eu lieu le vendredi 15 juin. Représentaient l’AFJA : Anicet Le Pors, Jacques Chabrun, Laure Ginesty, Pierre Bégault et Joseph Krulic. Représentaient ELENA : M° Gilles Piquois et M° Vanessa Koszczanski. Nous avons rappelé les raisons de la création de notre association, ses premières activités et son projet d’établir un texte d’orientation, base d’expression de l’AFJA vis-à-vis de ses différents partenaires. Les représentants d’ELENA ont précisé qu’ELENA France, créée en 1997 par un groupe de personnalités issues de France Terre d’asile, se situe dans l’ensemble d’ELENA Europe regroupant 29 États. Elle centre son activité sur la formation, notamment par l’organisation de deux conférences annuelles sur les dispositions de la Convention de Genève auxquelles sont associés des juges étrangers. Nos interlocuteurs ont souligné l’importance du juge dans l’exercice de leur fonction. Ils ont soulevé l’intérêt qu’il y aurait à développer une réflexion commune sur des questions comme celle des pays d’origine sûr, la situation du Caucase, etc. Ils s’attachent à développer réseau et forum des avocats concernés par le droit d’asile et se soucient particulièrement de l’information et de la formation des avocats intervenant au titre de l’aide juridictionnelle devant la CNDA.

¨¨¨ Conférence de Catherine Teitgen-Colly du 12 juin 2012

Catherine Teitgen-Colly, professeure de droit public à Paris I et longtemps juge a la CRR est une juriste reconnue en matière de droit d’asile, auteure notamment avec Denis Alland du Traité du droit de l’asile. Sur le thème « Le droit d’asile sous le prisme de l’Union européenne », elle a rappelé les sources du droit asile en France avant de montrer l’émergence de sa problématique au sein des instances européennes, d’abord à partir de la création de l’espace Schengen en 1985, sous forme de coopération intergouvernementale, puis d’harmonisation des normes et enfin, à partir du traité d’Amsterdam, en 1997, dans la perspective d’un régime d’asile européen commun. Elle a souligné la contradiction existant entre le motif de protection du réfugié qui présidait à l’origine à la conception d’une politique européenne commune en matière d’asile et le fait que les dispositifs mis en place avaient au contraire un caractère sécuritaire et tendaient davantage au contrôle des flux qu’à la protection du réfugié. Catherine Teitgen-Colly a pris comme exemple de ce caractère ambivalent la directive dite « qualification » du 29 avril 2004 refondée par une nouvelle directive du 13 décembre 2011 quelle a longuement analysée.

La conférence a été suivie par un public nombreux qui a pu débattre avec l’intervenante.

¨¨¨Conférence de Smaïn Laacher

Cette nouvelle conférence organisée par l’AFJA aura lieu le mercredi 26 septembre à 10 heures à l’Auditorium sur le thème « Penser l’étranger ».

Smaïn Laacher a dirigé la rédaction du Dictionnaire de l’immigration en France (collection Larousse à présent), Paris, avril 2012.

Cette conférence est ouverte à toutes les personnes en activité à la CNDA. Dictionnaire de l’immigration en France – Les Éditions Larousse

*** Réunions – Publications

– Wikipédia AFJA : voir le site et complétez-le selon les règles prescrites.

– Anicet Le Pors est intervenu à St Renan (Finistère) sur « L’asile en France, miroir de la citoyenneté ». Intervention sur le même thème à à Aubenas le 28 septembre et à Quimper le 25 octobre. http://anicetlepors.blog.lemonde.fr

 

L’asile en France, miroir de la citoyenneté

Université du Temps Libre – Saint- Renan, 5 juin 201

Il s’agit d’une question d’actualité : Lampedusa, boat people, famille expulsée, succession de lois, ministère de l’immigration et de l’identité nationale, le nombre des étrangers en France évoqué lors de la dernière présidentielle, etc.. Mais aussi d’un thème politique et philosophique : attitude du citoyen d’ici vis-à-vis du citoyen d’ailleurs, ce qui ne doit entrainer ni xénophobie ni démagogie.

Présentation générale

 L’asile et les politiques migratoires

 – 1945-1970 : des références juridiques majeures dans un contexte de croissance économique soutenue et d’évènements politiques aux conséquences limitées sur l’accueil des étrangers. L’ordonnance du 2 novembre 1945.

– 1970-1981 : une régression de l’accueil des étrangers déterminée par le ralentissement de l’économie. Rapport « Immigration et développement économique et social ».

– 1981-1993 : des tentatives de régularisation contrariées et un certain retour aux principes. Engagement de la coopération intergouvernementale européenne. Le Haut Conseil à l’intégration est créé en 1990, j’en démissionnerai en 1993 pour me désolidariser des lois Pasqua.

– 1993-1997 : développement d’une politique coercitive d’immigration (lois Pasqua) avec engagement d’un transfert des compétences en matière d’asile au niveau européen. Accords de Scnengen du 14 juin 1995.

– 1997-2002 : des retours partiels sur la réglementation sécuritaire antérieure (loi Chevènement de 1998). Traité d’Amsterdam le 2 octobre 1997. Charte des droits fondamentaux adoptée au sommet de Nice le 27 décembre 2000

– 2002-2012 : développement d’une politique sécuritaire de caractère essentiellement politique sous influence croissante de l’Union européenne dans la perspective d’un régime d’asile européen commun (lois de novembre-décembre 2003). Adoption du règlement de Dublin II Ie 18 février 2003. Adoption de la directive du Conseil dite « qualification » le 29 avril 2004, elle sera refondée le 13 décembre 2011. Adoption les 4 et 5 novembre 2004, de l’instauration en 2012 d’un « régime d’asile européen commun ». Adoption de la directive du Conseil dite « procédure » le 1er décembre 2005. Ratification du traité de Lisbonne le 8 février 2008. Directive du Parlement du 18 juin 2008 dite « retour ». Adoption le 7 mai 2009 par le Parlement d’un « paquet asile ».

On peut ainsi dégager trois causalités des flux migratoires : l’activité économique, les politiques étatiques, la réglementation européenne.

L’asile et les flux migratoires

Le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) évalue entre 10 et 12 millions dans le monde le nombre de réfugiés sous sa protection au cours des dernières années, 10,6 en 2010. Cette même année, 77 % des réfugiés sont en Asie et en Afrique, seulement 15 % en Europe. La France en protège 200 687 – demandeurs d’asile en attente inclus – soit à peine plus que son poids démographique relatif dans le monde. C’est moins que le Royaume Uni, 238 150, et beaucoup moins que l’Allemagne, 594 269[1]. Ces chiffres doivent néanmoins être nuancés car la France naturalise plus que ses deux voisins précités ce qui diminue d’autant le nombre d’étrangers protégés. Cela dit, la France est donc loin d’accueillir « toute la misère du monde ». Et si elle en prend une part, celle-ci reste modeste pour un pays hautement développé[2].

 Il convient de ne pas confondre les demandeurs d’asile et les réfugiés avec les autres flux d’immigration (travailleurs, regroupement familial, étudiants …), mais ces flux ne sont pas pour autant indépendants.

Premiers titres de séjour délivrés par motifs en 2010

– Economique : 17 197 dont 12 655 salariés

–  Familial : 83 177 dont 49 833 familles de Français

– Etudiants : 59 455

– Humanitaire : 18 220 dont 10 073 réfugiés et apatrides et 1 759 protections subsidiaires

– Divers ; 11 311 dont 5 891 visiteurs

Total : 189 371

Source : ministère chargé de l’immigration

L’asile représente donc environ 7 % de la délivrance des  premiers titres de séjour.

 

I. LA CONCEPTION DE L’ASILE

1.1.        L’histoire de l’asile

* Les origines anciennes

Les Égyptiens et les Grecs ont pratiqué l’asile. Les Romains y étaient peu enclins. Les Hébreux en ont associé la pratique à la loi du talion. L’Église catholique en a le monopole au Moyen Âge : elle frappe d’excommunication les souverains qui l’enfreignent ; elle étend le champ des lieux jusqu’à l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 qui exclut l’asile en matière civile. L’Ancien Régime n’y est pas très favorable (révocation de l’Édit de Nantes en 1685).

La Révolution française l’évoque à l’article 2 de la Déclaration des droits de 1789 (résistance à l’oppression). La constitution de I793 pose le droit à l’insurrection et affirme que le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres « il donne l’asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans » (art. 120). Le 4e alinéa du Préambule de la constitution :de 1946 énonce : « Tout homme persécuté en raison de son action pour la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». La France est plutôt accueillante au XIXe  siècle (Frédéric Chopin, Heinrich Heine, Marie Curie …).

*Les origines récentes

Intervient progressivement l’émergence d’une réglementation internationale. Le XXe  siècle apparaît comme celui des réfugiés (guerres, colonies) : Russes, Arméniens, puis Allemands Espagnols et Juifs à partir de 1935. Création du HCR par la Société des nations en 1921. L’article14 de la Déclaration universelle des droits de  1948 le prévoit. L’UNHCR est créé en 1950. La Convention de Genève est adoptée le 28 juillet 1951 et le Protocole de New York le 31 juillet 1967 (145 États ont adhéré).

La genèse du système français est marquée par les étapes suivantes : à la fin des années 1930, la France « patrie des droits de l’homme » compte 1 million de réfugiés (500 000 Espagnols, Italiens, Allemands) pour 38 millions d’habitants. La xénophobie croit dans la crise des années 1930, les gouvernements suivent l’opinion publique ( internements avec livraison aux forces d’occupation). Elle adopte ensuite une position stricte dans les discussions sur la Convention de Genève. Puis intervient la création de l’Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA, loi du 25 juillet 1952) et de la Commission de recours des réfugiés (CRR).

On est passé ainsi de la sanctuarisation du lieu d’asile à la protection de la personne ; de la protection discrétionnaire à une perspective universaliste à bases juridiques nationale et internationale.

 

1.2.         Les dispositifs de l’asile

*La phase administrative

La France respecte les dispositions de la Convention de Genève en matière de non refoulement, ainsi que les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Le point de départ est donc la demande d’admission au séjour dont l’octroi est de la compétence du préfet (la procédure est progressivement régionalisée) qui fait remettre un document provisoire de séjour au demandeur d’asile afin qu’il puisse faire sa demande d’asile à l’OFPRA.

Après cela il reçoit un nouveau document de séjour renouvelable. Il peut être alors hébergé dans un centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) ou reçoit une allocation temporaire d’attente (ATA), bénéficie de l’aide sociale globale (ASG), peut bénéficier de la Couverture médicale universelle (CMU) ou de l’Aide médicale de l’Etat (AME) pour les étrangers en situation irrégulière. Mais il n’a pas accès au marché du travail qui lui est opposable, sauf exceptions. Depuis la loi du 24 juillet 2006 (confirmée par une circulaire du 3 mai 2007) sur l’admission en CADA, un refus d’offre de prise en charge en CADA entraîne automatiquement la perte du bénéfice de l’ATA. L’effectivité de la liberté de choix entre hébergement en CADA et solution individuelle n’existe donc plus.

L’OFPRA, est un établissement public placé auprès du ministère de l’Intérieur. Il a la personnalité civile ainsi que l’autonomie financière et administrative. Il est dirigé par un conseil d’administration. Il assure la protection juridique et administrative des réfugiés et des apatrides ainsi que des bénéficiaires de la protection subsidiaire.

*Phase juridictionnelle

La Cour nationale du droit d’asile (CNDA, antérieurement CRR), examine les recours dirigés contre les décisions de rejet de l’OFPRA ainsi que directement les requêtes dirigées contre certaines mesures prévues par la Convention de Genève. Dirigées par un président et trois vice-présidents, les formations de jugement sont organisées en douze divisions. Les présidents des formations de jugement proviennent des juridictions administratives et  judiciaires ainsi que de la Cour des comptes. Le président est assisté d’un assesseur nommé par le HCR sur avis conforme du Vice-Président de Conseil d’Etat et d’un assesseur nommé par le Vice-Président du Conseil d’Etat. Les rapporteurs et les secrétaires de séance sont des fonctionnaires ou des contractuels. Certaines décisions particulièrement significatives sont prises en formations de sections réunies.

Le Conseil d’État est juge de cassation. Le code de l’entrée, du séjour et du droit d’asile (CESEDA) réglemente le dispositif depuis le 1er mars 2005.

Dans tous les pays étrangers on distingue les quatre niveaux précités : accueil, examen de la demande, recours, cassation.

1.3. Le statut de l’asile

* Différentes catégories d’asile

L’asile constitutionnel.

D’origine révolutionnaire, elle fonde la tradition de la France terre d’asile.

L’asile des réfugiés relevant du mandat du HCR

Il est de la compétence liée du HCR et de l’OFPRA.

L’asile conventionnel de la Convention de Genève

C’est aujourd’hui le texte majeur servant de base à la reconnaissance de la qualité de réfugié.

La protection subsidiaire

D’origine européenne elle a remplacé l’asile territorial qui  avait un caractère discrétionnaires dans la compétence du ministère de l’Intérieur.

Il y a pluralité d’autres conceptions de l’asile : unité de famille (attaché au demandeur principal et qui ne s’applique pas à la protection subsidiaire), protection temporaire, discrétionnaire (Bokassa, Duvallier, Komeyni), de fait.

*Protection du réfugié

Pour l’essentiel elle s’applique aussi bénéficiaire de la protection subsidiaire.Le dispositif international et national de protection des réfugiés n’est que substitutif à une protection nationale étatique défaillante, d’où l’élément d’appréciation préalable à tout examen de demande d’asile quant à l’incapacité de l’Etat d’origine à assurer la protection.

Les droits prévus par la Convention de Genève  : ce sont les même droits que ceux reconnus aux nationaux (liberté religieuse, propriété intellectuelle, action en justice, etc.), ou non moins favorables que ceux accordés aux autres étrangers (professions non salariées, logement, enseignement au-delà du primaire, droit syndical, etc.).

L’application en droit interne comporte des spécificités : protection administrative et juridique par l’OFPRA (carte de résident de 10 ans, un an pour la protection subsidiaire, etc.) ; libertés publiques (liberté de circulation, liberté d’opinion et d’expression, pas d’obligation de réserve, liberté religieuse, syndicale et d’association, etc.) ; les droits économiques et sociaux (doits au travail, protection sociale, etc.).

Des garanties sont prévues en cas de renvoi : exigence d’une décision rendue selon une procédure prévue par la loi, décision motivée, respect de l’art. 3 de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), pas de renvoi durant la procédure de demande d’asile.

On doit encore souligner le caractère substitutif de la protection et recognitif de la qualité de réfugié.

 

II.   L’OCTROI DE L’ASILE

2.1. Les motifs de persécution

Selon l’article L 711-1 du CESEDA, la qualité de réfugié est reconnue à toute personne « craignant avec raison » d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité, de son appartenance à une certain groupe social et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. La protection cesse avec la crainte, sauf cas d’exceptionnelle gravité. Le transfert de la protection d’un pays à l’autre est possible sous conditions.

Il faut d’abord préciser la notion de persécution : avoir quitté le pays et ne pouvoir se réclamer de sa protection ; la qualité de réfugié se reconnaît et ne s’octroie pas ; elle a un caractère personnel (la situation générale grave ne suffit pas) et d’une certaine gravité. Les craintes doivent être actuelles comme les  risques encourus.

* L’action en faveur de la liberté de l’asile constitutionnel

Il est d’origine révolutionnaire (Anacharsis Cloots, Thomas Peine, députés à la Convention). a Constitution de l’An I le prévoit, comme le 4e  alinéa du Préambule de la constitution de 1946 et l’article 53-1 de la constitution (avec passage du droit de la personne au droit de l’État). Il traduit une conception solennelle et politique extensive du droit d’asile quand bien même l’application de la Convention de Genève reste dominante.

Il a été reconnu à un militant algérien du RDC, à un peintre bangladais, à un réalisateur de télévision algérienne, à une Afghane transgressive ; il a été refusé à un membre du comité central du PKK.

* Les motifs de crainte de persécution au sens de la convention de Genève

Les critères de la reconnaissance sont les suivants.

les opinions politiques contestées par les autorités qu’il y ait manifestation ou non, réelles ou supposées (elles peuvent être seulement imputées, CE Beltaïfa). Les formes militantes peuvent être diverses ; les motifs de conscience peuvent être pris en compte.

– l’appartenance à une minorité nationale ou ethnique. Elles peuvent se traduire par le bannissement, la purification ethnique, la spoliation des terres des Soninké par les Maures en Mauritanie, les mariages mixtes. Mais la simple ’appartenance à une minorité ne suffit pas (Tchétchènes en Russie, roms en Hongrie).

la confession religieuse, y compris l’appartenance à une  secte, l’athéisme et la laïcité « militante » : intellectuels ou femmes en Algérie ou en Afghanistan, musulmane ayant épousé un bouddhiste en Mongolie, Falun Gong en Chine, Témoins de Jéhovah en Afrique.

l’appartenance à un certain groupe social, c’est-à-dire présentant des caractéristiques communes identifiables socialement : femmes maliennes entendant se soustraire à l’excision, transsexuels algériens, homosexuels en Éthiopie, femmes entendant se soustraire à un mariage forcé dans certains pays. Mais la reconnaissance n’est pas reconnue pour les parents chinois contrevenant à la règle du un enfant, ni pour les victimes de Tchernobyl.

* La protection subsidiaire

Elle est accordée à toute personne exposée dans son pays à l’une des menaces graves suivantes : peine de mort, torture ou peine ou traitements inhumains ou dégradants, menace grave directe et individuelle pour un civil en situation de violence généralisée.. Ses motifs ne doivent pas se situer sur le terrain conventionnel. Les cas les plus fréquents sont : les victimes du proxénétisme, les personnes sous les menaces de mafias, menacées de mutilations génitales, de crimes d’honneur, de lapidations lorsque les autorités sont impuissantes à les éviter.

2.2. Les auteurs de persécution

* Les autorités étatiques

L’origine des craintes est l’État du pays de nationalité ou de résidence habituelle. Mais une demande a été refusée dans le cas d’un Russe d’origine tchétchène qui avait reçu la protection des autorités publiques russes.

La menace peut être étatique tout en étant indirecte de la part d’organisations ou de partis qui contrôlent l’État ou une partie substantielle de celui-ci,. Le demandeur doit cependant avoir fait les démarches nécessaires : difficulté pour un Algérien maltraité par des islamistes pour s’être converti au catholicisme.

* Les acteurs non étatiques

Il s’agit d’autorités de fait : administration de fait par des forces rebelles sur un territoire comme les milices en Bosnie et en Croatie, les Talibans en Afghanistan, les forces autonomes du Sud-Liban. Cela suppose un minimum d’organisation cohérente et de stabilité.

La loi ne précise pas la nature des acteurs non étatiques, les cas d’exceptionnelle gravité, les cas d’ineffectivité de la protection.

* L’asile interne

C’est la possibilité donnée à une personne de trouver refuge dans une partie de son pays avant de solliciter l’asile auprès d’un pays d’accueil. C’est une notion forgée non par la Convention de Genève mais par le HCR. Le caractère raisonnable de l’installation dans la partie protégée doit être établi : cas du Kurdistan irakien ; solution inverse pour la Côte d’Ivoire, le Sri Lanka lors des conflits dans ces pays.

Sa mise en œuvre est délicate : il faut qu’il y ait accessibilité à la zone refuge (DC du 4 décembre 2003) ; le requérant doit pouvoir trouver dans la zone refuge des conditions normales (à la limite y trouver un logement et un emploi)  L’autorité de protection interne est prise en compte, elle doit être suffisamment sûre. Une appréciation au cas par cas doit être effectuée, la charge de la preuve incombe à l’OFPRA, mais ce n’est pas une obligation pour l’OFPRA ou la CNDA de l’invoquer.

La mise en œuvre est en tout état de cause délicate, les États ne reconnaissant que les relations d’État à État.

  • Les pays d’origine sûrs

Cette notion a été introduite en droit interne en 2003. Elle présume que le demandeur d’asile peut être protégé dans le pays dont il a la nationalité. L’OFPRA met en œuvre la procédure prioritaire, mais la CNDA n’est pas liée par cette reconnaissance.

La liste de ces pays de pays d’origine sûrs (POS) devait être établie au niveau de l’Union européenne mais elle a buté sur les contradictions des pays membres. La liste établie par l’OFPRA fait fréquemment l’objet de corrections par le Conseil d’Etat (récemment, retrait de l’Albanie et du Kosovo) qui permettent de douter de la validité du concept.

2.3. Le refus de l’asile

* L’exclusion

Les demandeurs frappés d’exclusion de la CG sont néanmoins protégés de l’éloignement (assignation à résidence ou autre). Les  critères sont les suivants.

– un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité (crimes jugés à Nuremberg, en ex-Yougoslavie ; journaliste de radio au Rwanda, officier russe en Afghanistan et en Tchétchénie)

– un crime grave de droit commun commis dans le pays d’origine ; exclusion aussi des activités terroristes (détournement d’avion par un Black Panthers, Robert Hatem au Liban, un dirigeant du PKK en Turquie).

– des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies : en général des dirigeants ayant eu des responsabilités dans des violations des droits de l’homme, mais aussi des exécutants : Duvalier, un responsable du régime des Khmers rouges, un garde du corps de Mobutu.

* La cessation

Elle ne remet pas en cause automatiquement  le droit au séjour. Elle se produit dans un certain nombre de cas.

– l’allégeance au pays d’origine qui résulte du caractère subsidiaire de la protection du pays d’accueil par rapport au pays d’origine. Ce n’est pas le cas pour une simple escale d’avion ou la participation à l’enterrement d’un proche. Mais il peut y avoir cessation dans le cas d’un mariage ou de la délivrance d’un passeport à l’ambassade. C’est a fortiori le cas lorsqu’il y a recouvrement volontaire de nationalité ou retour volontaire, acquisition d’une nouvelle nationalité avec protection du nouveau pays : Juifs ayant regagné Israël après la seconde guerre mondiale, Bulgare ayant obtenu la nationalité turque.

La cessation peut encore intervenir après changements des circonstances, qui doivent être durables et fondamentaux : accession à l’indépendance ou fin de dictatures (Espagne, Chili), sauf « raisons impérieuses » (Cambodge).

* La remise en cause prétorienne

C’est le cas d’un retrait pour fraude selon le principe de retrait des actes administratifs. La fraude doit avoir été intentionnelle et porter sur un élément essentiel intention et élément essentiel (Turc faisant état de persécution à une date où il était en France).

La cessation peut aussi intervenir pour changement de la situation individuelle. La reconnaissance au titre de l’unité de famille se perd avec celle du bénéficiaire principal. Elle est conservée par les mineurs à la majorité, mais pas pour les personnes sous tutelle. Elle est perdue en cas de divorce s’il n’y a pas de moyen propre.

La cessation pour motif de police est écartée dans le cadre de la réglementation de l’asile, mais il est possible pour l’autorité de police, sous le contrôle du juge administratif, après retrait du titre de séjour. Ces solutions découlent du système de l’octroi de l’asile lui-même et de l’affirmation de la souveraineté nationale.

 

III. LA REALITE DE L4ASILE

3.1. Le parcours éprouvant du demandeur

* Accès difficile à la juridiction de l’asile 

Ill s’agit d’un parcours éprouvant : placement en zone d’attente à la frontière et appréciation « non manifestement infondée » de la demande (maximum 26 jours), visa provisoire pour aller en préfecture (sous 8 jours), dépôt de la demande à l’OFPRA (dans les 21 jours) et délivrance de l’autorisation provisoire de séjour (APS valable 3 mois renouvelable), entretien sans avocat, décision de l’OFPRA (environ 3 mois en moyenne), recours devant la CNDA (dans le mois suivant la notification du rejet). Après la décision de la CNDA (en moyenne au bout de 9 mois) en moyenne, la cassation devant le Conseil d’État est possible en cas de rejet dans des conditions de droit commun.

La procédure est souvent longue, les délais à respecter très courts, les pièces à fournir et les documents à remplir nombreux et traduits en français, le coût global élevé, les relations avec l’administration laborieuses…

*Une évolution structurelle plutôt positive

On est passé de la Commission des recours des réfugiés (CRR) à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) au 1er janvier 2008 avec gestion du Conseil d’État au 1er janvier 2009. La juridiction échappe ainsi à la tutelle de l’établissement qu’elle contrôlait. Depuis le 1er décembre 2008 la condition de régularité d’accès n’est plus exigée pour l’aide juridictionnelle (AJ) mais, depuis le 1er janvier 2011, la demande doit être faite dans le mois suivant la notification du dépôt du recours devant la CNDA.

3.2. Une précarisation croissante

*Des chiffres contrastés

La France est la première destinataire des demandes  en Europe : 57 300 en 2011. La procédure prioritaire a représenté 26 % de la demande globale. Le taux global d’accords est de 25,3 % % (10,9 % OFPRA). La part de la protection subsidiaire, en hausse, a représenté  22,8% des accords. La part des POS diminue dans les demandes et les protections accordée ; leur liste  reste instable : retrait par le Conseil d’État récemment de l’Albanie et du Kosovo). 21, 9 % des décisions de la CNDA ont été prises par voie d’ordonnances (13,6 % pour les ordonnances « nouvelles » correspondant à une absence de réponse jugée sérieuse aux motifs de rejet de l’OFPRA).

Au niveau de la décision administrative en Union européenne (OFPRA en France) : la reconnaissance du statut de réfugié était, en 2010,  à 12 %, de la PS : 9 % (au total 21 % contre 27 % en France). La PS représente 42 % des protections accordées contre 20 % en France (mais la protection subsidiaire est un droit au séjour faible en France).

*Une évolution jurisprudentielle restrictiv

Le droit d’asile est aujourd’hui fortement déterminé par l’évolution d’un droit européen qui évolue vers un droit d’asile européen commun avec un caractère sécuritaire accentué. Sont d’origine européenne : la protection subsidiaire, la procédure Dublin II (pays responsable de l’instruction de la demande), l’asile interne,  la liste des POS, l’allongement des durées de rétention, de la durée d’interdiction de séjour, le développement de  l’externalisation, etc. Le gouvernement français a souvent anticipé ces décisions : loi de 2003 (anticipant sur les directives procédure et qualification)[3].

À l’inverse, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) tend à se donner des compétences en matière d’asile en se prononçant sur des requêtes en interprétation. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) veille au respect des droits de l’homme dans le traitement de l’asile. Les directives donnent parfois des points d’appui pour préciser certaines définitions de manière constructive.

Les décisions de la CNDA les plus caractéristiques au cours des dernières années ont porté sur  le champ et la qualification de la protection subsidiaire, les conditions d’exclusion, le rattachement à une nationalité, l’exercice de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Rappel de principes constitutionnels : affirmation de la souveraineté nationale, respect des droits de la défense, plénitude des garanties légales, indépendance de la juridiction administrative, encadrement strict des notions d’asile interne et de pays d’origine sûrs.

Malgré quelques exemples constructifs et le rappel des principes constitutionnels, on assiste à une dérive en faveur de la protection subsidiaire révélée également par les statistiques, moins protectrice : durée de séjour réduite, même si elle est en général reconduite, avec comme conséquences de plus grandes difficultés en matière d’emploi et de logement notamment.

3.3. La formation de l’intime conviction du juge

*Nécessite de la preuve ou intime conviction ?

Aucun texte juridique relatif au droit d’asile n’évoque la nécessité de la preuve. Nombre de juges de l’asile admettent difficilement qu’ils forment leur intime conviction sous l’éclairage de ce que la vie les a faits, quelle que soit leur volonté d’indépendance et le souci d’honnêteté qui peuvent présider à leurs décisions. En prendre conscience est encore le meilleur moyen de faire la part de ce qui relève du subjectif dans l’appréciation des faits qui pèsent lourd en matière d’asile et d’en tirer les conséquences dans le jugement de la cause. Les convictions philosophiques, religieuses, politiques, voire les préjugés du juge jouent évidemment un rôle dans l’interprétation des cultures, des motifs et des faits eux-mêmes rapportés par le citoyen venu d’ailleurs.

*Appliquer le droit ou rendre la justice ?

L’intime conviction n’est pas non plus indépendante de la situation politique générale du pays d’accueil et des campagnes qui y sont menées à un moment donné, comme celle sur l’ « identité nationale » lancée par le ministre chargé de l’immigration et de l’asile à l’automne 2009. La pratique du droit d’asile est évidemment un domaine où le poids des cultures, des mentalités, des a priori est important. Car il ne s’agit pas seulement d’appliquer le droit existant mais de rendre la justice « Au nom du peuple français », le droit positif n’en étant que l’instrument[4].

*Le mensonge est-il indispensable 

De fait, on observe une forte dispersion statistique des décisions des formations de  jugement. Les explications en sont multiples. Certaines études ont caractérisé un « mythe du réfugié menteur », justifié du côté du demandeur d’asile par la difficulté à franchir des obstacles sécuritaires et juridiques de plus en plus élevés et, du côté du juge, par le confort que lui permet l’idée qu’il est détenteur d’une prérogative de souveraineté nationale et que, face au mensonge, fut-il présumé, occasionnel ou appelé par la pression des circonstances, il juge à bon droit. C’est, symétrique du précédent, le « mythe du juge bien pensant »[5]. Par ailleurs, il existe des écarts notables persistants entre les taux d’accord de l’OFPRA et de la CNDA pour quelques pays (Serbie, Turquie, Angola, Bangladesh, récemment). En ce domaine des mentalités, étroitement dépendantes du contexte social et politique dans lequel elles se forment et s’expriment, l’évolution ne peut se développer qu’à l’échelle de l’histoire.

 

(film)

 

 

En conclusion, il convient donc de prendre la mesure des atteintes ou des dérives, mais ne pas ignorer pour autant les points d’appui : une réforme de la juridiction de l’asile positive, mais avec des inquiétudes sur la séparation des politiques d’asile et d’immigration ; des chiffres qui caractérisent un dispositif sélectif, mais des résultats contrastés ; une évolution du droit vers plus de précarité, mais une tradition qui existe et qui résiste.

 

 

« Hospitalité signifie le droit qu’a un étranger arrivant sur le sol d’un autre de ne pas être traité en ennemi par ce dernier […], le droit qui revient à tout être humain de se proposer comme membre d’une société en vertu du droit à la commune possession de la surface de la Terre, laquelle étant une sphère, ne permet pas aux hommes de se disperser à l’infini, mais les contraint à supporter malgré tout leur propre coexistence, personne, à l’origine, n’ayant plus qu’un autre le droit de se trouver en un endroit quelconque de la Terre. Cependant, ce droit à l’hospitalité, c’est-à-dire le droit accordé aux nouveaux arrivants étrangers, ne s’étend pas au-delà des conditions de la possibilité d’essayer d’établir des relations avec les premiers habitants. C’est de cette manière que les continents éloignés peuvent établir entre eux des relations pacifiques, qui peuvent finir par être légalisées. »

 

Emmanuel Kant

Pour la paix perpétuelle, 1795


[1] UNHCR, Tendances mondiales 2010, juin 2011.

[2] Le nombre de demandeurs d’asile en direction des 44 pays développés industriels est en baisse de 5 % en 2010 par rapport à 2009  : 358 800, en provenance d’Asie (45 %), d’Afrique (25 %), d’Europe (19 %). La diminution est de moitié depuis 2001. Les principaux pays de provenance sont : la Serbie-Kosovo, l’Afghanistan, la Chine, l’Irak et la Russie. La France est au deuxième rang derrière les États Unis. De nombreux pays en développement comme la Tunisie, le Libéria et l’Égypte sont aussi des pays d’accueil importants.

 

[3] – Directive du Conseil du 29 avril 2004, dite « qualification », elle a fait l’objet d’une refonte par la directive du 13 décembre 2011.

– Directive du Conseil du 1er décembre 2005 dite « procédure ». Elle fait l’objet d’un refonte.

– Directive du Parlement dite « retour » du 18 juin 2008.

[4] Sur les relations entre citoyenneté et droit d’asile on pourra se reporter aux deux « Que sais-je ? » aux PUF : Anicet Le Pors, La citoyenneté , (4ème éd.) et  Le droit d’asile, (4ème éd.), 2011.

[5] Cécile Rousseau et Patria Foxen, « Le mythe du réfugié menteur : un mensonge indispensable ? », L’évolution psychiatrique, août 2006.

FRANCOIS LE PORS ET GABRIELLE CROGUENNEC

Regards sur la vie

« Tout en sachant la recherche handicapée dès le départ, j’ai commencé mes investigations généalogiques par ma mère, née Gabrielle Croguennec, portant le nom de sa mère car née « enfant naturelle » de Louise Croguennec. J’y reviendrai. Aussi loin que l’on pousse la recherche, on ne sort qu’exceptionnellement du canton de Lannilis qui comprend aussi Plouguerneau, Landéda, Kernilis, Guissény et nombre de lieux dits comme Tréménech ou Brouennou qui semblaient avoir beaucoup plus d’importance au début du XXème siècle qu’aujourd’hui. Le millier d’ancêtres inventoriés est né presque exclusivement dans ce canton, exceptionnellement dans ceux, contigus, de Lesneven ou de Ploudalmézeau, plus rarement encore dans celui de Plabennec.

Les « Le Pors » sont de Plouguerneau comme en atteste la naissance de mon grand père et de son ascendance, mais surtout l’étude faite par le Centre généalogique du Finistère (le plus important de France) qui a établi des cartes de densité de racines (Pors, Port, Portz, Porz, Porzic) identifiant la principale concentration à Plouguerneau ; le plus ancien que j’aie recensé est Pierre Le Portz décédé en 1689 à Plouguerneau. Je n’ai pas l’équivalent pour « Croguennec » dont le plus ancien est Yves Croguennec, décédé au début du XVIIIème siècle, vraisemblablement à Lannilis. C’est dire que les mariages se faisaient dans un rayon de quelques kilomètres et que le « saut » social, véritable mutation, a été réalisé par mes parents émigrant en région parisienne en 1929. La recherche généalogique convainc rapidement que ce n’est que par convention que l’on porte le nom que l’état civil vous a attribué. En réalité, en une dizaine de générations, on réunit la quasi totalité des patronymes existant dans cette société peu mobile.

Ce caractère statique se retrouve dans les activités exercées. Presque tous les hommes se déclarent cultivateurs, ce qui recouvre des réalités sociales sans doute très diverses, mais il s’agit vraisemblablement de petits paysans. De même les femmes sont le plus souvent cultivatrices mais aussi quelquefois journalières, plus souvent que les hommes sont journaliers, ce qui est révélateur et du niveau général et de la condition féminine. Il y a quand même ici ou là un boulanger, un tisserand, un meunier, mais aussi un mendiant ; pas de pêcheur ni de marin alors que la mer est toute proche mais la côte inhospitalière. Les familles sont nombreuses ; la mortalité très élevée (surtout en bas âge) fait que rarement les familles de l’état civil se trouvent réunies au complet. Toutefois, les personnes qui ont beaucoup procréé ayant été de celles qui ont survécu, on trouve fréquemment des personnes atteignant quatre-vingt ans et plus. »

« Regards sur la vie » n’est pas commercialisé. On peut en prendre connaissance en téléchargeant le fichier dont le lien est situé sous le titre du fichier du même nom ci-après.

« REGARDS SUR LA VIE »

Regard sur la vie4bis[1]

de François Le Pors et de Gabrielle Croguennec

Le texte qui suit répond à un souci de mémoire. Dans la succession des générations, les personnes les plus importantes ne sont pas nécessairement les plus visibles. Lorsque François Le Pors et Gabrielle Croguennec décident, après leur mariage à Lannilis le 5 novembre 1929, de quitter les lieux qui les avaient vu naître et débuter dans la vie, peut être n’ont-ils pas conscience eux-mêmes de la rupture dont ils sont les acteurs : depuis au moins quatre siècles leurs familles ne se sont pas éloignées de plus de quelques kilomètres de Plouguerneau, Lannilis, Plouvien dans cette dernière marche occidentale du bas Léon. D’un coup ils franchissent six cent kilomètres pour affronter la grande ville, décidés à passer d’une pauvreté à l’autre mais avec l’espoir d’une nouvelle vie, éventuellement meilleure pour eux à terme, plus prometteuse, pensent-ils sans doute, pour les enfants à venir…

Cette publication n’est pas commercialisée, mais elle peut être téléchargée à partir du lien figurant sous le titre du présent fichier.

Par ailleurs la préface du livre et sa couverture figurent sur le blog dans le fichier au-dessus de celui-ci sous le titre
FRANCOIS LE PORS ET GABRIELLE CROGUENNEC

Obligation de réserve : « Les fonctionnaires, citoyens de plein droit » – Le Monde, 1er février 2008

Leur statut accorde la liberté d’opinion aux agents publics. Il ne leur impose pas d’obligation de réserve

Deux hauts fonctionnaires viennent d’être sanctionnés de manière hypocrite en étant démis de leurs fonctions pour s’être exprimés en tant que citoyens sur certains aspect du fonctionnement du service public. Le premier, Yannick Blanc, directeur de la police générale à Paris, pour une déclaration jugée inopportune sur l’opération de juillet 2006 de régularisation des parents étrangers d’enfants scolarisés. Le second, Jean-François Percept pour des appréciations générales sur sa condition de fonctionnaire

La question n’est pas ici de porter un jugement sur le fond de ces déclarations, mais de savoir si ces deux fonctionnaires, et plus généralement le fonctionnaire, ont le droit d’émettre publiquement une opinion et jusqu’à quel point. De savoir si le fonctionnaire est un citoyen comme un autre. Pour avoir conduit l’élaboration du statut général des fonctionnaires entre 1981 et 1984, je crois pouvoir témoigner utilement sur le sens des dispositions en vigueur. C’est à tort que l’on évoque à ce propos l’article 26 du statut général des fonctionnaires qui traite du secret professionnel et de la discrétion professionnelle. Les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel, soit que les faits qu’ils apprennent dans l’exercice de leurs fonctions leur aient été confiés par des particuliers, soit que leur connaissance provienne de l’exercice d’activités auxquelles la loi, dans un intérêt général et d’ordre public, a imprimé le caractère confidentiel et secret. Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tout ce dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Dans les deux cas considérés, ce n’est pas du tout de cela qu’il s’agit.

Même si ce n’est pas sans rapport, on ne saurait non plus se référer principalement à l’article 28 qui pose le principe hiérarchique dans les termes suivants :  » Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.  » Le fonctionnaire garde donc une marge d’appréciation des ordres qu’il reçoit. On ne saurait sans méconnaître la loi contester au fonctionnaire cette liberté qui, avec la bonne exécution des tâches qui lui sont confiées, participe de sa responsabilité propre. Mais les deux cas évoqués relèvent d’autant moins de cette règle que le premier a fait ses déclarations alors que son supérieur hiérarchique, le préfet de police, était parfaitement informé, et que le second n’évoquait aucunement ses propres activités.

Reste donc le principe posé dès l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983, qui s’exprime de manière on ne peut plus simple :  » La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires. «  La première conséquence est d’entraîner un autre principe : celui de non-discrimination des fonctionnaires ; toute discrimination entre les fonctionnaires fondée sur leurs opinions politiques, religieuses ou philosophiques, sur leur état de santé, leur handicap, leur orientation sexuelle, leur origine ou leur appartenance ethnique est interdite.

La deuxième conséquence est de permettre au fonctionnaire de penser librement, principe posé dès l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui vaut pour les fonctionnaires comme pour tout citoyen :  » Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. « 

Ce principe a été repris dans la loi de 1983 et un large débat s’est ouvert aussi bien avec les organisations syndicales qu’au Parlement sur la portée et les limites de la liberté d’opinion qu’il convenait éventuellement de faire figurer dans le statut lui-même, sous la forme, d’une part, de la liberté d’expression et, d’autre part, de l’obligation de réserve. J’ai rejeté à l’Assemblée nationale le 3 mai 1983 un amendement tendant à l’inscription de l’obligation de réserve dans la loi en observant que cette dernière  » est une construction jurisprudentielle extrêmement complexe qui fait dépendre la nature et l’étendue de l’obligation de réserve de divers critères dont le plus important est la place du fonctionnaire dans la hiérarchie  » et qu’il revenait au juge administratif d’apprécier au cas par cas. Ainsi, l’obligation de réserve ne figure pas dans le statut général et, à ma connaissance, dans aucun statut particulier de fonctionnaire, sinon celui des membres du Conseil d’Etat qui invite chaque membre à  » la réserve que lui imposent ses fonctions « .

En définitive, la question est plus politique que juridique et dépend de la réponse à la question simple : le fonctionnaire est-il un citoyen comme un autre ? Dans notre construction sociale, est-il un sujet ou un citoyen ? Dans les années 1950, Michel Debré donnait sa définition :  » Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait « , c’était la conception du fonctionnaire-sujet. Nous avons choisi en 1983 la conception du fonctionnaire-citoyen en lui reconnaissant, en raison même de sa vocation à servir l’intérêt général et de la responsabilité qui lui incombe à ce titre, la plénitude des droits du citoyen.

C’est cette conception qui est en cause dans les mesures d’intimidation précédemment évoquées prises au plus haut niveau de l’Etat, préliminaires d’une vaste entreprise de démolition du statut général des fonctionnaires programmée pour 2008. Il est grand temps que s’élève la voix des esprits vigiles.

Anicet Le Pors

Ancien ministre de la fonction publique

© Le Monde