Une référence d’avenir
L’abord de Pierre Duharcourt était souvent ombrageux, ce qui pouvait, selon le cas, intimider, rebuter ou irriter. Mais pour qui le connaissait mieux, c’était avant tout la marque du sérieux avec lequel il abordait les problèmes de la vie.
Nous nous sommes connus dans les réunions de travail de la section économique du parti communiste français dans la période d’élaboration puis d’actualisation du Programme commun de gouvernement. En arrière plan avaient lieu des discussions sur la notion de capitalisme monopoliste d’État qui donnaient lieu à des affrontements idéologiques parfois très vifs mais généralement intéressants. Pierre se faisait remarquer dans ces débats par son refus de se laisser enfermer dans des constructions trop mécanistes. Ses interventions, souvent dérangeantes, reflétaient avant tout les interrogations d’un esprit libre.
Dans la période de participation de ministres communistes au gouvernement, entre 1981 et 1984, dans le cadre de l’accession de François Mitterrand au pouvoir, les contradictions se sont développées entre les objectifs de transformation sociale et une orientation libérale de plus en plus marquée des pays capitalistes développés, entre une démarche de souveraineté nationale et la construction européenne essentiellement fondée sur l’économie de marché, entre la défense et la promotion des services publics et des comportements managériaux que la mode développait. C’est pourquoi j’ai alors pensé l’associer, au sein du cabinet, à un travail de rationalisation de l’action publique en raison de son non-conformisme que je connaissais et sa rigueur intellectuelle que j’avais pu apprécier antérieurement. Nos préoccupations étaient notamment de fonder une politique de l’emploi dans la fonction publique sur des bases scientifiques comportant notamment une prévision des besoins en matière de services publics (une modélisation du raisonnement a même été amorcée). Il s’agissait aussi de s’interroger sur la différence des positions statutaires des salariés du secteur public et du secteur privé dans la perspective d’organiser leur convergence dans le respect des missions d’intérêt général. Pierre a apporté à cette entreprise tout le sérieux qui le caractérisait.
Je veux aussi témoigner de la modestie et de l’intégrité de Pierre Duharcourt dans une époque où nombre d’économistes se permettent des jugements péremptoires et une agitation médiatique qui lui étaient étrangers. C’est un grand intellectuel militant qui est disparu, mais il reste une référence incontestable pour la refondation à venir.