« Migrants, réfugiés « politiques », réfugiés «économiques» : ces mots sont-ils piégés ? » – l’Humanité, 29 septembre 2015

Pour éviter les pièges

de la rigueur avant toute chose

Chacun est libre d’utiliser les mots qu’il veut, mais à condition de les définir pour qu’ils soient compris. C’est aussi une protection contre les manipulations. Le droit peut alors être utile, il est privilégié ici.

Il convient tout d’abord de ne pas confondre le demandeur d’asile et le réfugié. L’asile correspond à une situation de fait en même temps qu’il est un terme générique couvrant toute la matière. La qualité de réfugié est un statut juridique. Le droit d’asile permet de distinguer : l’asile constitutionnel, l’asile des réfugiés relevant du mandat du Haut commissariat des réfugiés des Nations Unies (HCR), l’asile des réfugiés au sens de la Convention de Genève, l’asile au titre de l’unité de famille, la protection subsidiaire, la protection temporaire, les asiles discrétionnaire et de fait. Le mot migrant, lui, n’a pas de signification juridique particulière.

Ce n’est pas sans raison que la France a, tout au long du XIXe et au début du XXe siècle, été regardée comme « terre d’asile ». Malgré les régressions ultérieures, nombre de demandeurs d’asile évoquent cette tradition. La constitution de 1793 proclame magnifiquement : « Le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres » (art. 118) « il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans » (art. 120). Le Préambule de la constitution de 1946, s’en fait l’écho : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Enfin, cet asile dit « constitutionnel » est rappelé par l’article 53-1 de l’actuelle constitution aux termes duquel la France est libre d’accorder l’asile pour tout autre motif. Ces rappels mesurent la défaillance actuelle du Président de la République.

Le texte fondamental en matière d’asile est la Convention de Genève du 28 juillet 1951 ratifiée par plus de 150 pays. Elle donne dès son article 1er la définition du réfugié : « Le terme de “réfugié” s’applique à toute personne qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». La qualité de réfugié n’est pas octroyée, elle est reconnue et a donc un effet rétroactif. On remarquera aussi que la reconnaissance de la qualité de réfugié repose sur deux appréciations, l’une subjective (craignant), l’autre objective (avec raison). De son côté, l’article 33 de la convention pose le principe du non-refoulement du réfugié.

La reconnaissance de la qualité de réfugié donne droit à un titre de séjour de dix ans. Depuis 2003 existe une protection dite « subsidiaire » qui concerne les personnes risquant dans leur pays la peine de mort, menacées de traitements inhumains ou dégradants, ou encore qui se trouvent dans une situation de violence généralisée (ce qui rend sans objet la proposition d’ « asile de guerre » de Nicolas Sarkozy). Il s’agit d’une protection plus faible car elle ne donne droit aux « bénéficiaires » qu’à un titre séjour d’un an renouvelable.

Ces dispositions ont été reprises en mars 2005 par le Code de l’entrée du séjour des étrangers et du droit d’asile.

La pratique de l’asile montre qu’il est erroné de distinguer radicalement les demandeurs d’asile et les migrants économiques. Tous les demandeurs d’asile au titre de l’un des critères énoncés précédemment ont aussi des raisons économiques : comment imaginer qu’un étranger persécuté dans son pays puisse y obtenir un emploi et y mener une vie normale ? Et il existe des exploitations économiques qui relèvent de la persécution ; l’esclavage existe toujours en Mauritanie, par exempe.

 

Pour éviter les pièges, pratiquer la rigueur des mots.

 

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« La fin du statut, c’est la fin du modèle social français » – NVO Nouvelle Vie Ouvrière, 25 septembre 2015

 Suite à la dernière déclaration du ministre Macron, contre le statut de la fonction publique qui « ne se justifieraient plus », la NVO a souhaité revenir sur la conception républicaine du statut général de la fonction publique. Avec Anicet Le Pors, considéré comme le père fondateur du Statut Général des fonctionnaires en 1983.

 NVO : Pouvez-vous nous rappeler la genèse et le sens qui a présidé à l’élaboration du statut actuel de la fonction publique ?

SGF-recto3-207x300Anicet Le Pors: Le statut actuel résulte de quatre choix successifs, élaborés durant les années 1983, 1984 et 1986. Premier choix, celui de la conception du fonctionnaire citoyen – qui a comme justification centrale de servir l’intérêt général et d’assumer les responsabilités qui lui sont confiées – contre le choix du fonctionnaire sujet, c’est à dire soumis à un principe hiérarchique, qui avait prévalu au 19ème siècle et pendant la première moitié du 20ème siècle. Deuxième choix, celui du système de la carrière contre celui de l’emploi. Il s’agissait là d’assurer la neutralité du service public, et donc de placer le fonctionnaire à l’abri de l’arbitraire administratif et des pressions économiques ou politiques, d’où l’indispensable garantie d’emploi du fonctionnaire sur l’ensemble de sa vie professionnelle. Troisième choix, celui d’assurer le délicat équilibre entre l’unité de la fonction publique et la diversité de ses composantes. D’où une fonction publique « à trois versants » (d’État, territoriale et hospitalière). Quatrième choix: celui des principes sur lesquels fonder la conception française de la fonction publique: le premier, l’égalité, est tiré de l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Le deuxième, l’indépendance, prévoit la séparation du grade et de l’emploi, caractéristique du système dit « de la carrière » et qui protège le fonctionnaire, propriétaire de son grade, des pressions politiques et économiques. Troisième principe, la responsabilité (article 15 de la Droits des Droits) qui signifie que tout agent de la fonction publique doit rendre compte de son administration. C’est donc sur des principes enracinés dans notre histoire qu’a été fondée notre conception de la fonction et des services publics.

Parmi ces principes, quel est selon vous la cible du ministre Macron ?

Anicet Le Pors: Il me paraît évident que c’est la conception d’intérêt général qui est visée, alors même qu’elle est aujourd’hui encore plus importante, plus nécessaire que jamais du point de vue de la société. Le ministre Macron comme d’autres avant lui, notamment sous le précédent quinquennat, tente là d’imposer une vision dictée par l’économie libérale où le service public est une exception à la règle de la concurrence et où l’intérêt général se définit comme la somme des intérêts particuliers. Où c’est donc le marché qui gère ces intérêts et non plus le fonctionnaire qui en est le garant. Or, le marché peut-il répondre à la nécessité de servir l’intérêt général suivant le principe de l’égalité ? Évidemment non, et c’est donc bien à ce principe que le ministre comme ses prédécesseurs veut s’attaquer aujourd’hui.

Le statut peut-ils et doit il évoluer? Quelles modifications préconiseriez-vous?

SGF-verso-1-207x300Anicet Le Pors: Un texte qui n’évolue pas est un texte appelé à se scléroser et à disparaître. Et d’ailleurs, le statuts élaborés en 1983 n’a cessé d’évoluer avec la société. En 30 ans, il a connu 225 modifications législatives et plus de 300 modifications réglementaires dont certaines étaient pertinentes et d’autres, des dénaturations. On ne peut donc pas dire que le statuts soit figés.. Le ministre reprend de vieilles attaques réactionnaires contre le statut sans les justifier. Pour ma part, je considère qu’aucun texte n’est sacré. Il y a aurait d’importantes réformes à mener. D’abord, assainir la situation en épurant le statut des dénaturations apportées par la droite, notamment dans la fonction publique territoriale, afin que l’on ne puisse pas énoncer dans l’avenir, comme pour le code du travail un statut trop complexe. Ensuite, engager ou mettre en perspective des chantiers de réformes structurelles. Par exemple, instaurer une véritable gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences; donner à la garantie fondamentale de mobilité une traduction juridique plus satisfaisante ; mettre en place un système de b-i ou multi-carrières la durée de la vie professionnelle augmentant, ce qui suppose un système de formation continue particulièrement ambitieux ; promouvoir l’égalité des femmes et des hommes dans l’accès aux emplois supérieurs des fonctions publiques : mieux circonscrire le recours aux contractuels, etc. Enfin, j’attache une importance particulière à l’organisation de la convergence des intérêts entre salariés du public et du privé. À l’inverse de la solution prônée par les libéraux qui consisterait à généraliser le contrat à la fois individuellement et collectivement (ce que proposait Sarkozy en 2007 et ce que suggère Macron aujourd’hui) il faut faire progresser la situation d’ensemble des salariés dans le respect de la spécificité de l’intérêt général servi par les fonctionnaires. C’est pourquoi, au-delà des améliorations à apporter au statut général, il faut à mon avis, renforcer la base législative de la situation des salariés du secteur privé.Médaille FP copie[1]

« 1984-1988 » vu par Anicet Le Pors – Séminaire de l’ Institut François Mitterrand; 24 septembre 2015

La période considérée 1984-1988 se situe dans la première phase d’un cycle trentenaire de libéralisme qui débouchera sur la crise actuelle, succédant à un cycle trentenaire d’économie administrée d’inspiration keynésienne. Le parti socialiste (PS) s’y installe, la droite y prospère tandis que le parti communiste (PCF) voit son déclin s’accentuer brutalement, les années qui suivront montreront qu’il s’agit d’un échec de système plutôt que d’une expérience nationale.

Je laisse à votre dispositions deux livres témoignages qui abordent la période examinée : le premier Contradictions publié par les Éditions sociales en juin 1984, soit un mois avant le départ des quatre ministres communistes du gouvernement ; le second Pendant la mue le serpent est aveugle (une expression empruntée à Ernst Jünger) publié chez Albin Michel en décembre 1993, soit après ma démission du comité central du PCF en juin 1993 puis du parti en mars 1994.

PCF : un processus de déclin brutal

images-1Il convient néanmoins tout d’abord d’analyser le processus national, tout en sachant qu’il est aussi l’expression d’un mouvement plus général.

Le PCF était entré au gouvernement après un affaiblissement électoral traumatisant. Sa participation devra faire face à des contradictions de plus en plus difficiles à surmonter. J’attache une importance particulière à l’accord conclu le 16 mai 1983 à Bruxelles par Jacques Delors, ministre de l’Économie et des Finances qui, en échange d’un prêt de 4 milliards d’écus, a accepté la désindexation des salaires par rapport aux prix, ce qui a ruiné la politique de négociation salariale, notamment dans la fonction publique que j’avais la charge de conduire. Le mouvement syndical ne réagit pas. C’est cette date qui, selon moi, marque ce qu’on appellera le « tournant libéral » du septennat : 1984 est l’année e la fin de la politique salariale de concertation dans la fonction publique, le service public et bien au delà. Pour autant cela ne se traduit pas par une rupture franche : d’une part le processus était engagé dès le blocage des salaires et des prix de juin 1982 ; d’autre part de nombreuses réformes progressistes n’interviendront ou n’aboutiront qu’après le printemps 1983.

es évènements rythment le mal être du PCF dans la majorité présidentielle et au gouvernement : si la direction du PCF avait choisi d’ignorer le discours de François Mitterrand au Bundestag sur l’équilibre des forces en Europe occidentale en janvier 1983, le 28 juin 1983 le groupe communiste à l’Assemblée nationales vote contre la loi de programmation militaire 1984-1988. Toutefois, en avril 1984 il vote la confiance dans l’opération de « clarification » exigée par le Premier ministre Pierre Mauroy. La situation est extrêmement complexe pour les communistes : des manifestations nombreuses ont lieu contre la détérioration de la politique économique et sociale, celle des sidérurgistes notamment, avec à leur tête Georges Marchais. Dans le même temps, des mesures progressistes continuent d’intervenir dans le fil des politiques sectorielles antérieures. Au sein de contradictions qui s’aiguisent, Charles Fiterman envisage de se retirer du gouvernement en avril 1984.

Avec 11% des suffrages aux élections européennes du 17 juin 1984, le PCF enregistre un nouveau recul alors que Georges Marchais avait dit les grands mérites de la participation durant la campagne. Pour l’avoir reçu à déjeuner au ministère le 21 je peux témoigner qu’il était sensiblement ébranlé, mais nous n’envisagions pas pour autant un départ immédiat du gouvernement, plutôt à l’automne au moment de la discussion budgétaire. Il reprendra vite ses esprits. Le comité central réuni les 26 et 27 juin sur la base d’un rapport plusieurs fois remanié de Claude Poperen, cible la cause de l’échec sur la politique conduite par le PS. Pour autant nous restons au gouvernement et Georges Marchais part en vacances en Roumanie.images

Mais les évènements vont se précipiter et la situation se dégrader rapidement au sein du PCF. Le projet Savary sur le service public de l’Éducation nationale est retiré le 12 juillet. Le 13 je fais avec Pierre Mauroy le voyage d’inauguration de l’Institut régional d’administration de Lille. Au cours de celui-ci il me donne son avis : pendant les trois dernières années il a conduit une politique de gauche et ’il faut maintenant laisser la place à d’autres. Mauroy « tombant à gauche » les ministres communistes ne pouvaient que suivre, ce qui sera décidé par le comité central dans la nuit du 18 au 19, Georges Marchais ayant été retrouvé et ramené de Roumanie. Les dirigeants communistes continueront cependant à se réclamer de la majorité présidentielle pendant quelques jours.

Dès lors, à l’intérieur du parti, la question vise à désigner les responsables de l’échec ce qui alimente un processus de désagrégation. Le soupçon pèse sur ceux qui étaient les plus proches du pouvoir socialiste. Mais le 29 juin à Rome Marcel Rigout qualifie Georges Marchais d’« homme de l’échec ». Le bureau politique du 3 août évoque les « liquidateurs ». Claude Poperen demande alors à Georges Marchais de retirer la mention, sans succès. Pierre Juquin prend ses distances. Dans un esprit de réprobation et de culpabilisation, la direction déplore la faiblesse politique de certains membres du comité central. A la suite d’un article de Libération on évoque au comité central un « complot de l’Élysée » impliquant Guy Braibant et Jean Kahn mais visant en réalité les anciens ministres communistes suspects de collaboration

PS : le choix e la voie libérale

Numériser 45Après leur départ du gouvernement les ministres communistes ont évidemment continué à s’intéresser aux suites et compléments apportés aux réformes auxquelles ils avaient contribué, à contrecourant des analyses officielles du PCF, mais pour autant sans complaisance vis-à-vis des orientations nouvelles du PS. Dans un article du Monde du 27 février 1986   sont rapportés des propos que j’ai tenus à Longwy dans lesquels je valorise le travail qu’ils ont réalisé. Mais je suis évidemment particulièrement attentif à ce qui est poursuivi dans le service public et la fonction publique, sous le gouvernement de Laurent Fabius tout d’abord puis pendant la période de cohabitation du gouvernement Chirac. On assiste tout d’abord à un fort ralentissement de la mise en œuvre des réformes avant la cohabitation. Puis la droite entreprend de revenir sur certaines d’entre elles. Dans le domaine du service public dont je peux rendre compte ce sont des atteintes portées au statut général des fonctionnaires, notamment dans la fonction publique territoriale avec la loi Galland du 13 juillet 1987. C’est aussi l’abrogation dans le service public de la loi du 19 octobre 1982 qui, par référence au code du travail applicable au secteur privé, appliquait en cas de grève une retenue sur rémunération plus proportionnelle à la durée de l’arrêt de travail. C’est l’abandon de la 3° voie d’accès à l’ENA réservée sous conditions de niveau et de durée aux syndicalistes, dirigeants d’associatifs, élus. Et je rappelle la fin de la politique salariale fondée sur la négociation après le tournant libéral du printemps 1983. Au demeurant, autant Pierre Mauroy aimait les fonctionnaires, autant      François Mitterrand s’intéressait peu à la fonction publique. Il regrettera même en Conseil des ministres du 29 mai 1985 l’élaboration des lois, à ses yeux trop lourdes, constitutives du statut général des fonctionnaires. Il leur prédit une courte vie ; erreur de jugement.

Plus généralement je relèverai que le secteur des entreprises publiques, considérablement élargi par les nationalisations de la loi du 11 février 1982 ne constituent plus le moyen d’une politique industrielle et financière volontariste ce qui avait provoqué, dès mars 1983, la démission de Jean-Pierre Chevènement. François Mitterrand lui-même assure la promotion de l’économie mixte, promotion que je critiquerai publiquement, notamment dans Contradictions. On sait que plus tard ; dans le même sens, on pourra soutenir sans pouvoir être contredit que Jospin aura privatisé plus que Jupé et Balladur. Dans le domaine des institutions, la présidentialisation du régime est accentuée en raison de la tension entre exécutifs contraires de la première cohabitation sous la V° République. On sait qu’elle sera ultérieurement consacrée par la réforme Chirac-Jospin instituant le quinquennat. Quant au PCF qui avait été la formation la plus résolue contre la V° République et l’élection du Président de la République au suffrage universel, il n’occupera plus guère ce terrain à partir de son 27° congrès en 1990.

Sur ces bases, celles qui me concernent le plus directement comme celles plus générales relatives, par exemple, à la propriété publique et aux institutions, j’avance l’hypothèse suivante. Lorsqu’un gouvernement de droite succède à un gouvernement de gauche, il n’hésite pas à mettre en cause les réformes introduites par la gauche. Mais lorsqu’un gouvernement de gauche – en fait un gouvernement à direction socialiste – succède à un gouvernement de droite, il hésite à revenir sur les atteintes portées aux réformes et, par là, il consacre ces atteintes et la dénaturation des avancées réalisées. C’est une hypothèse qu’il est aisé de vérifier sur les gouvernements Rocard, Cresson et Bérégovoy de 1988 à 1993, le gouvernement Jospin de 1997 à 2002 et les gouvernements depuis 2012. Sans doute ne faut-il pas pousser l’idée jusqu’à la caricature, il y a là néanmoins un sujet de méditation sur le passé et le présent.

Vers la fin du « siècle prométhéen »

Le grand intellectuel catholique René Rémond dans un petit livre Regard sur le siècle (Presses de Science Po – 2007) a considéré que ce siècle commençait en réalité avec la Première guerre mondiale et s’achevait avec la dislocation de l’URSS en 1991. « Siècle prométhéen » en ce que s’était puissamment manifestée une volonté de se dégager de toute transcendance, de toute prédétermination, l’épopée communiste en étant le témoignage principal. La période 1984-1988 que nous analysons est donc à ce titre particulièrement intéressante en ce qu’elle révèle les potentialités et les prémices d’une crise idéologique et politique dont nous ne nous sommes pas dégagés aujourd’hui. On s’engage alors dans une période de décomposition sociale dans laquelle nous vivons (Pendant la mue …, la « métamorphose » d’Edgar Morin). L’expression qu’en donne le PCF durant la période étudiée pour singulière qu’elle soit n’en est pas moins significative du mouvement d’ensemble. Elle concerne le PCF mais aussi toutes les formations politiques face à un un ensemble de références idéologiques et politiques qui vont disparaître.

Le PCF poursuit sa dégénérescence. Les 25° congrès (6-10 février1985) et 26° congrès (2-6 décembre 1987) affirment l’autorité dé la direction sur le parti. Au fil des scrutins elle maintient la thèse de la progression du parti, puis de la remontée de son influence contre toute évidence puisque le PC recueille : 9,7% aux législatives de 1986, (mais 11,3% à celles de 1988), 6,8% aux présidentielles de 1988 (Lajoinie), 7,7% aux européennes de 1989 (Herzog). A partir de 1985 Pierre Juquin regroupe autour de lui ceux que l’on appelle les « rénovateurs » ; se portant candidat à l’élection présidentielle de 1988 il est exclu. En 1987, autour de Marcel Rigout et de Claude Poperen se constituent les « reconstructeurs ». Accompagnant l’évolution de Gorbatchev en URSS s’organisent les « refondateurs » sur une base relativement large et diverse avec non seulement des dirigeants communistes, tels Charles Fiterman et Guy Hermier, mais aussi des socialistes comme Max Gallo et bien d’autres personnalités du monde syndical et associatif. A ce moment l’histoire semble hésiter. En octobre 1987 une délégation de trois cents personnes de la société civile et de nombreux politiques réunies à l’initiative de l’association France-URSS est conduite par Roland Leroy et Pierre Mauroy pour prendre connaissance de la nouvelle réalité soviétique et rencontrer le promoteur de la Glasnost et de la Pérestroïka, Mikkaïl Gorbatchev. L’ambiance est fraternelle et pleine d’espoir et on n’imagine pas que la fin est toute proche. Mais les confrontations souterraines ou publiques se poursuivent au sein du PCF. Une seule initiative mérite d’être relevée : l’élaboration d’un Projet constitutionnel complet en 1988 qui sera adopté par le comité central de décembre 1989 pour marquer le bicentenaire de la Révolution française. Moins d’un an plus tard, le mur de Berlin tombe ; le 9 novembre 1989.images

Plus tard, reprenant l’analyse de Georges Lavau qui caractérisait le PCF par ses deux fonctions consulaire et tribunitienne auxquelles j’avais ajouté une fonction théoricienne, je publierai une tribune dans Le Monde du 19 mai 1999 sous le titre « A quoi sert le PCF ? ». Je montrerai la régression du parti sur chacune de ces trois fonctions au cours des trois périodes où le parti les exprimait avec le plus de signification : les trois séquences de sa participation au gouvernement : 1944-1947, 1981-1984, 1997-2002. La courte période aujourd’hui sous examen, qui réunit participation communiste, cohabitation gauche-droite et hégémonie gouvernementale du PS m’apparaît constituer un condensé particulièrement instructif du temps long.

« La fonction publique du XXI° siècle » – Bercy, Place des Arts -15 septembre 2015

Pourquoi ce livre maintenant ?

 Parce que dans une situation de « pertes de repères », de métamorphose, de crise, d’affaissement du débat d’idées, il convient de stimuler la discussion sur l’intérêt général, le service public, la fonction publique.

A l’inverse du « ici et maintenant » auquel invite le libéralisme et du repli sur soi, il faut placer cette réflexion dans une perspective historique.

C’est aussi l’occasion de revenir sur les choix qui ont présidé à l’élaboration du statut et de s’interroger sur la validité de ces choix 30 ans plus tard.

Photos Philippe Ricard

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« La République peut accorder l’asile à qui elle veut ! C’est une question politique », par Anicet Le Pors – TELERAMA en ligne, 3 septembre 2015 et publication papier du 19 au 25 septembre 2015

Entretien réalisé par Juliette Benabent

 

Devant l’afflux de réfugiés aux portes de l’Europe, la notion de droit d’asile est violemment questionnée. D’où vient-elle ? Comment s’applique-t-elle ? Pourquoi l’Allemagne est-elle la seule à tenir un discours d’ouverture ? Quel avenir pour ce droit d’asile ? Les réponses d’Anicet Le Pors, juge à la Cour nationale du droit d’asile de 2001 à 2014 et président fondateur de l’Association française des juges de l’asile (AFJA).

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Rappelez-nous les grands principes et fondements du droit d’asile?

 L’asile est accordé sur la base de l’article 1 de la Convention de Genève du 25 juillet 1951, « le terme  »réfugié » s’appliquera à toute personne (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » Cette protection comporte un élément subjectif (craignant) et un élément objectif (avec raison), et donne droit à un titre de séjour de 10 ans.

Nous avons aussi un texte purement français : notre Constitution, dans son article 53-1, stipule que «  La République peut conclure avec les États européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d’asile (…), des accords déterminant leurs compétences respectives pour l’examen des demandes d’asile qui leur sont présentées. (…) Les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif. »

C’est donc très clair : la République peut accorder l’asile à qui elle veut. Il s’agit d’une pure question politique. Quand les autorités françaises ont accueilli Khomeiny ou Jean-Claude Duvalier (ancien président d’Haïti), elles ne s’en sont pas justifiées …

Certains (comme Alain Juppé mardi sur France Inter…), soutiennent que de nombreux demandeurs d’asile sont en réalité des migrants économiques déguisés…

ette assertion n’a pas lieu d’’être. Qui peut penser qu’un demandeur politique n’est pas, en même temps, privé de ressources et d’une vie normale ? Et dans un pays soumis à un despote, la privation de droits économiques et la violence de l’exploitation peuvent bien aussi s’apparenter à une persécution. Il existe encore des situations d’esclavage dans le monde. Il est donc tout à fait hasardeux de faire à ce sujet une distinction radicale.

Estimez-vous que le droit d’asile devrait faire l’objet d’une mise en œuvre massive pour les migrants qui se pressent aux portes de l’Europe?

Oui, et le droit positif existant ne s’oppose en rien à un tel accueil puisque c’est avant tout une question de volonté politique.

La globalisation, la mondialisation impliquent l’interdépendance, la coopération, la solidarité. La politique d’asile correspondante doit être celle d’un large accueil. Les pays développés en ont la possibilité : répétons que ces flux, malgré leur importance, ne représentent qu’une très faible proportion des populations des pays d’accueil (moins de 0,1% des 500 millions d’habitants que compte l’Union, NDLR).

N’oublions pas non plus que plus des trois-quarts des réfugiés dans le monde se trouvent en Afrique ou en Asie et que jusqu’à présent l’Europe n’en protège que 15%…

Comment expliquer les disparités de l’application du droit d’asile dans les différents pays de l’UE ?

D’abord, parce que les pays européens se sont révélés incapables de mettre en place un régime d’asile européen commun, comme ils l’avaient pourtant prévu et annoncé en 2004. Par exemple, ils ne parviennent même pas à se mettre d’accord sur une liste de « pays d’origine sûrs », où l’on peut renvoyer les personnes dont la demande est rejetée. Ce concept est au demeurant très discutable dans un monde aussi instable.

Ensuite, parce que l’Union européenne est en crise comme en attestent de nombreux dossiers d’actualité (Grèce, Ukraine …).

Enfin, parce que les différents pays de l’Union n’ont ni les mêmes intérêts, ni les mêmes histoires, ni les mêmes cultures. Cela conduit à des attitudes d’opportunisme, à des réactions nationalistes, à des comportements lâches face à des drames humains de masse.

 La Hongrie, en érigeant un mur de barbelés, se met elle en contradiction avec le droit international?

omme je l’ai souligné, la question est avant tout politique et humaine, plus que purement juridique. Cela dit, l’attitude du gouvernement hongrois est en contradiction avec le principe de non-refoulement du demandeur d’asile à la frontière, principe posé par l’article 33 de la Convention de Genève de 1951. Elle contrevient aussi aux différentes déclarations des droits de l’homme existantes et à la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

Que vous inspire le discours volontariste d’Angela Merkel?

a chancelière allemande est dans une position économique dominante, qu’elle semble aujourd’hui en mesure de traduire sur le terrain politique – on a pu le constater à l’occasion de la crise grecque. L’Allemagne a longtemps fait prévaloir le droit du sang sur le droit du sol, les immigrés accueillis n’ayant pas réellement vocation à « s’intégrer » dans la population native, en particulier par des mariages « mixtes ». On le voit avec l’importante population turque… Le discours d’Angela Merkel est probablement empreint de compassion, mais aussi d’intérêt puisque l’Allemagne dispose d’une population nombreuse mais d’une démographie déclinante…

Copie de Droit-d-asile2-CouvertureEt la France ?

A l’inverse, l’immigration y a toujours été vue comme devant mener à l’intégration, voire à l’assimilation, c’est-à-dire la fusion complète des populations présentes sur le territoire, quelles que soient leurs origines. Un tel langage d’ouverture est donc sans doute plus difficile à tenir politiquement. Pourtant, c’était à la France de le faire. C’est une véritable occasion manquée. François Hollande et Manuel Valls auraient pu et dû être à l’avant-garde d’un discours compassionnel sous-tendu par un puissant contenu politique, dicté par la tradition française de l’asile, depuis la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et la Constitution de 1793 qui stipulait que « le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres (…). Il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans » Oui, l’opinion est réticente, mais c’est cela la politique : être capable au besoin d’agir contre l’opinion. Avec courage.

Diriez-vous comme Bernard Cazeneuve dans Libération du 2 septembre, que « la France n’a pas failli« 

En 2012, la France était la première destination des demandeurs d’asile en Europe, seulement derrière les États-Unis dans l’ensemble des pays développés. En 2014, elle n’était plus qu’en sixième position, loin derrière l’Allemagne, les États Unis, la Turquie, la Suède et l’Italie. Le nombre des demandeurs a baissé en France, à l’inverse du mouvement général de croissance des demandes. Il conviendrait que le ministre de l’Intérieur d’un gouvernement se réclamant de la gauche s’explique sur l’évolution observée jusqu’ici au cours de ce quinquennat !

En tant que juge de l’asile, j’ai constaté à quel point la France garde néanmoins aux yeux de nombre de demandeurs d’asile une réputation de « terre d’asile » et de « pays des droits de l’homme ». Il est dramatique de voir cette tradition se brouiller. Cela devrait interdire en tout cas toute expression de bonne conscience satisfaite.

a réforme en cours du droit d’asile en France est elle de nature à apporter des améliorations ?

Elle comporte des aspects positifs (présence d’une personne pouvant conseiller le demandeur lors de son entretien à l’OFPRA, attente réduite de la décision finale, augmentation annoncée du nombre de place d’accueil en CADA etc). Mais il y a aussi des côtés inquiétants : la réduction des délais paraît impossible dans le respect d’une enquête scrupuleuse ; cette réduction pousse à l’augmentation des décisions prises par un juge unique, ce qui prive le demandeur d’une audition devant une formation de jugement collégiale, il est questions de pouvoir répartitir arbitrairement des demandeurs sur le territoire sous peine de suppression de protections sociales, etc.

Au total, cette réforme n’est ni suffisante ni satisfaisante.

Le droit d’asile doit-il être redéfini ? Comment voir son avenir ?

on expérience est pluriséculaire, et résulte d’évolutions. On est ainsi passé de l’identification d’un lieu d’asile à la protection d’une personne, d’un acte discrétionnaire à une protection juridique internationale. Sans doute faut-il aujourd’hui envisager de nouvelles dispositions juridiques, mais elles n’auront d’effet que si elles sont le fruit de changements de politiques et d’évolution des mentalités. Il faudrait passer, par exemple, d’une politique de sécurisation et de contrôle des flux au droit à l’hospitalité et à la protection de la personne. Revivifier la tradition humaniste de la France. Changer aussi la mentalité des décisionnaires, fonctionnaires et juges, en rappelant des idées simples : en matière d’asile, la preuve de la persécution n’est exigée par aucun texte, ce qui compte c’est l’intime conviction du juge ; la décision finalement prise « au nom du Peuple français » doit être une décision de justice, sérieuse et humaine, et pas seulement une application sèche et conformiste du droit. Enfin, des contradictions dans le récit des demandeurs ne doivent pas invalider automatiquement leur demande vu le parcours du combattant qui est le leur. C’est la crédibilité du récit dans son ensemble qu’il faut considérer et le doute devrait, au final, bénéficier au demandeur.

Cette crise signifie-t-elle la fin de l’espace Schengen? La fin de l’Europe?

L’espace Schengen n’est pas porteur de vertus par lui même vu l’hétérogénéité de sa composition et certaines règles qui y sont appliquées, comme celle qui oblige à déposer la demande d’asile dans le premier pays d’entrée. C’est sans aucune signification au regard du parcours aléatoire de l’intéressé !

Au cours des vingt dernières années, l’Union européenne a été la source des mesures les plus coercitives en matière de droit d’asile (cette obligation de demande dans le premier pays d’entrée, la notion de pays d’origine sûrs, la longue durée de rétention …) Cette crise a le mérite de poser clairement la responsabilité de chaque pays devant cet aspect de la mondialisation. L’Union européenne, qui a démontré son incapacité à mettre en place une politique commune et ne semble pas près d’y parvenir, ne me paraît pas le bon niveau d’analyse et de décision. Il y a aujourd’hui bien plus de raisons qu’en 1951 avec la convention de Genève de poser le problème au niveau mondial. C’est là sans doute l’un des grands défis du XXI° siècle.