Réforme territoriale : continuité plutôt que rupture
Si la réforme territoriale modifie l’organisation traditionnelle en créant la « métropole », en donnant du poids à la région, à l’intercommunalité et en retirant aux communes et aux départements, la pression financière sur les collectivités s’intensifie et la modernisation de l’action publique tarde à se concrétiser.
Anicet LE PORS, conseiller d’Etat honoraire, ministre de la Fonction publique et des Réformes administratives (1981-1984)
Les débats autour des thèmes de l’aménagement du territoire ou des réformes territoriales ont toujours été éminemment politiques. On se souvient que c’est l’échec du référendum sur la création des régions qui entraîna la démission du général de Gaulle, le 28 avril 1969. Depuis, la réforme territoriale a été rythmée par trois actes, dont le dernier a été initié par Nicolas Sarkozy, avec la loi du 16 décembre 2010. Il est poursuivi par François Hollande par le moyen de plusieurs lois, ce qui rend particulièrement difficile une vue d’ensemble des réformes.
Le président de la République Nicolas Sarkozy disait, en 2009 (1), vouloir privilégier « les pôles et les réseaux » plutôt que « les frontières et les circonscriptions ». Pour remettre en cause l’organisation traditionnelle, il évoquait l’image du « mille-feuilles ». Cette démarche met en cause l’organisation qui se structure sur la base de six niveaux ayant une influence déterminante sur l’aménagement du territoire : la commune, la communauté de communes (ou intercommunalité), le département, la région, la nation et l’Europe. Or, trois de ces niveaux sont à dominante politique (la commune, le département et la nation), les autres sont à dominante économique. En démocratie, le choix qui s’impose est celui de la supériorité du politique sur l’économique. C’est ce choix qui est contesté par la réforme en cours.
La métropole en est l’instrument principal, c’est le « pôle » annoncé. Quatorze métropoles seront en place au 1er janvier 2016. La loi du 27 janvier 2014 les a dotées de compétences très larges. Elles reçoivent les compétences jusque-là dévolues aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Elles récupèrent également les compétences des communes membres : développement économique, aménagement de l’espace, politiques locales de l’habitat et de la ville, gestion de services d’intérêt collectif et de protection de l’environnement. Mais c’est sans doute la vocation, qui leur est assignée, de promotion internationale du territoire dans le « réseau » européen qui caractérise le mieux la spécificité de cette nouvelle entité.
organisation bouleversée par la réforme
La loi du 15 janvier 2015 a délimité treize nouvelles régions par agrégation de quinze des vingt-deux anciennes régions. La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRE) en a précisé les compétences. La clause générale de compétence des départements et des régions est supprimée. La région affirme son rôle important en matière de développement économique, notamment de soutien aux PME. Il revient à la région d’élaborer un Schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII), fixant les orientations régionales pour cinq ans. Elle est également chargée de rédiger un Schéma régional d’aménagement durable du territoire (SRADDT), portant en particulier sur des orientations d’aménagement, la mobilité, la lutte contre la pollution de l’air, la valorisation de l’énergie, le logement et la gestion des déchets. Les compétences des départements en matière de transport doivent être transférées aux régions dans les dix-huit mois, le département restant responsable de la voirie. La loi tend également à renforcer les intercommunalités, témoignant ainsi de l’affinité région/intercommunalité. La Corse deviendra collectivité, avec statut particulier, en 2018.
La complémentarité métropole-région-intercommunalité est évidente, elle conduit à un profond bouleversement des structures existantes, notamment des communes, spécialement les communes rurales. Les foyers de démocratie que représentent les trente-six mille communes sont affaiblis au profit d’un pouvoir technocratique siégeant dans les métropoles en liaison avec le préfet de région, qui devient un véritable gouverneur. On peut craindre, avec un recul de la démocratie locale, un accroissement de la bureaucratie. Le maintien des compétences des communes apparaît ainsi comme une condition de la démocratie locale. Si la nécessité d’une juste et efficace répartition des compétences entre les niveaux d’administration est souhaitable, cela n’entraîne pas nécessairement la suppression de la clause de compétence générale, la solution pouvant être recherchée dans l’application d’une subsidiarité démocratique respectueuse tout à la fois des principes constitutionnels de libre administration des collectivités territoriales et celui d’unité et d’indivisibilité de la République.
Les collectivités face à l’austérité financière
es collectivités territoriales jouent un rôle important dans les investissements publics et le fonctionnement des services publics de proximité. Elles assurent 73 % de l’investissement public et n’émargent que pour 10 % dans l’endettement public. Les gouvernements n’ont eu de cesse de transférer des compétences de l’Etat aux collectivités territoriales, en s’engageant à transférer également les financements correspondants, au nom de leur autonomie financière. Ce qui a été rarement le cas, les collectivités étant, de ce fait, appelées à supporter une part croissante des politiques d’austérité.
La situation est aggravée par le projet de réduire de onze milliards d’euros les dotations de l’Etat aux collectivités, de 2015 à 2017. Les élus de toutes tendances ont protesté et manifesté mais ils doivent se résoudre à restreindre leurs dépenses, principalement celles d’investissement, puis celles de fonctionnement ; beaucoup envisageant également une hausse de la fiscalité locale. La suppression de la taxe professionnelle en 2010 et son remplacement par la contribution économique territoriale (CET), dont une partie est basée sur le foncier des entreprises et une autre sur leur valeur ajoutée, ne garantit pas pour autant un financement pérenne des collectivités. La réforme peut s’analyser comme un transfert global favorable aux entreprises, au détriment des ménages. Le système de financement des collectivités territoriales est devenu si complexe qu’il manque de visibilité, ce qui contribue à accentuer les inégalités entre les collectivités. On peut également s’inquiéter pour la fonction sociale du département, affaibli par les politiques engagées. Ainsi, le financement du revenu de solidarité active (RSA) n’est que très partiellement couvert par l’Etat, alors que le nombre de bénéficiaires croît ; l’Etat devra financer les déficits avant, vraisemblablement, de recentraliser son financement.
Des mesures qui ajoutent à la confusion
Les restrictions financières locales portent également sur les crédits des services déconcentrés soumis aux politiques publiques de l’Etat. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et la révision générale des politiques publiques (RGPP), ou le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, ont eu des conséquences négatives sur la satisfaction des besoins sociaux et le fonctionnement des services publics locaux. Les collectivités territoriales ont ainsi subi la pression combinée des réductions de crédits décentralisés et déconcentrés. Dans ces circonstances, elles ont pu constituer des contrepouvoirs pour contenir les politiques d’austérité qui ont permis, par exemple, de ne pas subir les suppressions d’emplois à l’instar de celles enregistrées dans les services de l’Etat.
A partir de 2012, sous le thème de la modernisation de l’action publique, de nouveaux instruments ont été mis en place, sans résultats convaincants. Ses objectifs sont classiques : réforme de l’Etat, réduction de la dépense publique, motivation des agents, simplification des relations avec les usagers, etc. Dans ce contexte assez confus, on voit mal comment pourrait être mise en œuvre une politique de péréquation verticale (de l’Etat vers les collectivités locales) et horizontale (des collectivités entre elles), afin de résoudre les inégalités territoriales, faute, également, d’une véritable politique d’aménagement du territoire, la logique de développement des métropoles se référant à un espace plus européen que national.
Un service public affaibli
La multiplicité des réformes intervenues depuis une trentaine d’années a eu des conséquences sur l’organisation des services et les conditions de travail et de vie des personnels. La création des métropoles, la définition de nouvelles régions, les incertitudes sur l’avenir des départements, les réaménagements incessants entre communes et intercommunalités vont entretenir un contexte défavorable tant à l’efficacité du service public qu’à la sérénité et la satisfaction des fonctionnaires, dans l’accomplissement de leurs missions.
L’évolution statutaire des fonctionnaires des services extérieurs des ministères et des collectivités territoriales fait partie de la réforme territoriale. Le statut des fonctionnaires de 1983 a intégré les agents publics territoriaux et hospitaliers dans une fonction publique unifiée à « trois versants ». En trente ans, ce statut a fait l’objet de deux cent vingt-cinq modifications législatives, la fonction publique territoriale ayant été la plus réformée, quatre-vingt fois, apparaissant ainsi comme le « maillon faible » d’une architecture juridique qui, cependant, n’a pas été remise en cause dans son ensemble. Mais elle a pu, dans le même temps, être considérée comme « l’avant-garde » de la fonction publique à venir, à la fois en raison de ses qualités propres que de la part de ceux qui souhaitent revenir à un système d’emploi fondé sur la notion de métier. Le gouvernement actuel, acquis à la conception française de la fonction publique, répugne néanmoins à revenir sur les dénaturations apportées au statut, et refuse, pour des raisons d’austérité, de s’engager dans des chantiers de transformations structurelles qui seraient de nature à ouvrir des perspectives à une fonction publique du XXIe siècle (2).
Une rationalisation encore en projet
D’une manière générale, l’influence croissante des règles du marché et de l’idéologie managériale, traduite dans le service public par la promotion du « new public management », a eu pour conséquence de priver les collectivités publiques des outils de rationalisation qui avaient accompagné les décennies d’économie administrée de l’après-guerre. Après la suppression du Commissariat général du plan (CGP) et de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar) dans sa vocation originelle, la RGPP a supprimé la plupart des organismes de prévision et d’expertise publics (3). Dans la réforme en cours, il a été annoncé que les directions locales des ministères seraient réduites à huit, dans les régions, et à trois, dans les départements. Il va de soi que les restrictions des dotations affecteront en priorité les crédits d’étude. La création du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP, rebaptisé France stratégie), et l’instance de modernisation de l’action publique (MAP) ont pu laisser envisager une réorientation en faveur de la rationalisation de l’action publique. Elle n’a pas été suivie, pour le moment, de résultats probants.
Le risque encouru par l’évolution actuelle de la réforme territoriale est celui d’une régression de la démocratie et d’un affaiblissement des services publics, dont les segments les plus rentables pourraient être convoités par le secteur privé à l’occasion de la mise en place des métropoles, ce qui constituera également un terrain favorable à la contractualisation des personnels, dans la perspective de la mise en extinction du statut général des fonctionnaires. Seule la convergence des actions des usagers, des fonctionnaires et des élus peut empêcher cette dérive.
(1) Discours prononcé à Saint-Dizier, le 20 octobre.
(2) A. Le Pors et G. Aschieri, La Fonction publique du XXIe siècle, Editions de l’atelier, 2015.
(3) Conseil national d’évaluation, Haut conseil du secteur public, de la coopération internationale, réintégration de la direction de la Prévision au sein de la direction du Trésor, etc.
Entre le fort et le faible , c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit…à condition que la loi soit appliquée. Aujourd’hui, très souvent la loi aggrave les malheurs.
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