Hommage à Françoise Milewski – OFCE , SCIENCES PO Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre, 25 septembre 2017

Je me suis demandé, jusqu’à cet instant quelle était ma légitimité pour introduire cette rencontre d’hommage à Françoise Milewski. Nous nous connaissons depuis une quarantaine d’années, et cette ancienneté est sans doute la raison la plus évidente.

Cela nous ramène au tournant des années 1960-1970. Et pour éclairer aujourd’hui il n’est sans doute pas inutile de faire ce détour par le passé. Françoise travaillait au ministère de l’Industrie et moi à la direction de la Prévision au ministère de l’Économie et des Finances. C’était encore – mais plus pour longtemps – l’époque de la planification à la française, ardente obligation du général de Gaulle, qui laissera place, sous l’impulsion de Giscard d’Estaing, à une démarche plus stratégique au plan international sous le thème de « l’impératif industriel ». Les politiques publiques s’exprimaient dans le cadre de la Rationalisation des choix budgétaires, la RCB qui se voulait à forte assise scientifique. Et c’est dans ce cadre intellectuel qui nous a formé que Françoise et moi même avons été appelés à nous connaître, notre collaboration au sein d’un groupe de travail portait sur un sujet très sensible alors : les transferts État-industrie.

Dans ce contexte la vie professionnelle et l’action politique étaient souvent mêlées. C’&tait notre cas à tous deux, même si nous n’étions pas dans les mêmes chapelles. C’était aussi l’époque de la contestation du modèle de société avec le mouvement de 1968, de la montée en puissance du Programme commun de la gauche dans les années 1970. Selon nos démarches propres et nos slogans nous participions à cette effervescence. Ainsi à la DP nous avions rebaptisé la RCB en « Révolution Cubaine au Budget ». Si j’évoque ces contextes professionnel et politiques c’est qu’ils ne faisaient qu’un à base de rationalité, de modélisation, de statistiques, de volontarisme, d’engagement dans une société où nous pensions que la main visible devait tordre le bras de la main invisible. Françoise dirait peut être les choses autrement, mais je pense que c’est alors que nous avons forgé nos caractéristiques de base qui expliquent, au moins partiellement, la suite.

Nos chemins ensuite se sont séparés, mais nous n’avons jamais perdu le contact. Ils devaient se croiser à nouveau lorsque Michel Sapin fin 1999 m’a demandé de présider un Comité de pilotage pour l’égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques. La première question que l’on se pose dans ces circonstances c’est de trouver la personne qui sera la cheville ouvrière de l’opération. Assez vite j’ai pensé à Françoise et je lui ai téléphoné pour lui proposer d’être la rapporteure du comité. Elle m’a alors appris qu’elle connaissait un moment particulièrement douloureux de sa vie avec la disparition brutale récente de son mari. Cela ne l’a pas empêchée de me rappeler rapidement pour me donner son accord. Cette fermeté de caractère que chacun lui reconnaît est une caractéristique de sa personnalité.

Nous avons alors entrepris ensemble de constituer le comité. Nous le voulions diversifié pour disposer d’un large champ d’expériences. Nous voulions aussi respecter la parité en son sein, mais nous avons constaté très vite que beaucoup d’hommes étaient réticents à s’engager dans cette réflexion. Deux exemples. Le directeur de l’École de la Santé de Rennes pressenti nous a déclaré «  Votre proposition m’intéresse mais je connais une femme qui travaille sur ces questions et qui vous sera plus utile » : il avait raison puisqu’il s’agissait d’Annie Junter, mais il était quand même parvenu à s’éclipser. Deuxième exemple : Richard Descoings avait accepté de faire partie du comité, nous nous connaissions bien car nous avions travaillé dans la même sous-section du contentieux au Conseil d’État, mais dès la première réunion il nous a dit que, selon lui, il s’agissait d’un problème de volonté politique et qu’il suffisait de décider de la parité pour l’installer ; il nous a délégué une personne de son entourage que nous avons vue une seule fois. Cela dit le comité a été bien constitué de personnes compétentes et chaleureuses et il a travaillé sérieusement, dans le meilleur esprit. Je suis heureux que plusieurs de ces membres soient présentes aujourd’hui à l’occasion de cet hommage à Françoise et des liens d’amitiés qui nous unissent douze années plus tard. C’est à Françoise que nous devons cette fidélité collective.

Le comité, sous la plume de Françoise, a produit trois rapports publiés à la Documentation française. Ils s’intitulent, selon un crescendo volontariste : en 2002 Piloter l’accès des femmes aux emplois supérieurs, en 2003 Promouvoir la logique paritaire, et en 2005 Vouloir l’égalité. Je n’en ferai pas évidemment l’analyse complète mais j’en résumerai ainsi les caractéristiques principales, au-delà de s développements plus classiques comme ceux sure les stéréotypes de sexe, les plafonds de verre ministériels, l’intériorisation de certaines inégalités, etc. « Seul le chiffre fait preuve » nous avait dit Geneviève Fraisse que nous avions auditionnée ; de fait ces rapports contiennent beaucoup de statistiques que nous avons pu établir avec le soutien de la cellule statistique de la Direction générale l’administration et de la fonction publique (DGAFP) et plus particullièrement de l’un de ses membres, Roger Martinez. Cette base a conduit à l’élaboration de tableaux de bord mettant en évidence des catégories utiles à la décision comme celles de potentiels promouvables ou de viviers de proximité. Préconisant la contrainte dans une culture du résultat, le comité a formulé une quinzaine de propositions ou actions positives. Chargé de l’analyse des inégalités hommes-femmes dans la haute fonction publique le comité n’avait pas à traiter les inégalités, plus dramatiques encore car marquées par la précarité, dans la catégorie C de la fonction publique, analyses largement traitées depuis par Françoise.

Depuis les échanges entre membres du comité se sont poursuivis avec une forte présence de Françoise. Nous en avons parlé mais sans vraiment en débattre au fond. Je ne suis pas compétent aujourd’hui pour en débattre sérieusement, mais cette distance qui est celle d’un simple citoyen peut néanmoins être utile aux expertes et aux experts. Et je me sens protégé par le fait que Françoise intervient après moi qui redressera ce qui doit l’être. Je voudrais livrer trois interrogations et lui donner ainsi « du grain à moudre ».

La première concerne l’inclusion, qui est survenue vers la fin des travaux du comité en 2005, de la question de l’égalité femmes-hommes dans la problématique de la diversité. J’ai été reçu par Dominique Versini qui avait été chargée de mission sur la diversité. Je lui ai dit ma réserve. Ses réponses ne m’ont pas convaincu. Depuis cette approche a prospéré un peu partout. La question de l’égalité homme-femme ne doit pas être, à mon avis, noyée dans l’ensemble indifférencié de spécificités de toute nature.

La deuxième concerne aux bouffées idéologiques en provenance des États Unis qui impose, à partir de bases culturelles qui ne sont pas les nôtres des concepts et des postures tels que ceux de droit souple ou de lanceurs d’alerte, la délation n’étant pas encore en France une vertu civique. Je ne vois pas non plus ce qu’apporte la notion de genre au débat sur l’égalité femme-homme s’il peut être utile dans des approches spécifiques, psychologiques, sociologiques ou philosophiques. D’ailleurs, je ne me souviens pas que nous en ayons jamais parlé au sein du comité et nous n’en avons pas eu besoin entre 2000 et 2005. Je pense que le mot ne figure dans aucun de nos rapports.

Enfin, troisième interrogation, il s’agit d’une expérience personnelle récente. J’ai été auditionné – comme Françoise d’ailleurs – par le Conseil économique social et environnemental (CESE) à l’occasion d’une demande d’avis du Premier ministre Manuel Valls sur l’avenir de la fonction publique. Pour correction avant publication le texte de mon intervention m’a été communiqué et j’ai été surpris de constater que nombre de mots, adjectifs ou participes passés étaient truffés de points ou de tirets. J’en ai demandé la raison et on m’a répondu que c’était dorénavant une règle résultant d’un accord passé entre le CESE et je ne sais quelle autorité. J’ai eu beau faire valoir que je n’avais pu prononcer les mots réécrits au demeurant imprononçable, rien n’y a fait. Je ne pense pas que l’on puisse faire progresser l’égalité femme-homme par des atteintes à la langue française.

L’hommage a Françoise voulu par les organisatrices et les organisateurs est naturellement centré sur l’égalité femmes-hommes comme en témoigne le programme prévu. Il ne saurait cependant occulter d’autres dimensions de la personnalité de Françoise que je ne veux mentionner que pour témoigner de sa richesse. Trois rencontres me le permettent .

La première, il y a une dizaine d’années, où elle a été honorée pour ses travaux sur l’histoire de sa famille replacée dans la grande histoire dramatique du XX° siècle, contribution confirmée plus tard par Simone Veil.
La deuxième, lorsque le directeur de l’OFCE lui a remis les insignes de la Légion d’honneur par lesquels la République lui reconnaissait ses « mérites éminents ».

La troisième quand ses collègues et ses amis ont tenu à lui dire leur affection et considération pour l’ensemble de son œuvre. C’est ici et maintenant.

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