« Comment faire évoluer le statut de la fonction publique territoriale ? » – Congrès de la Fédération nationale des centres départementaux de gestion (FNCDG) La Baule, 6, 7, 8 juin 2018

 

Introduction à la table-ronde sur ce thème

 

La question de savoir s’il faut faire évoluer le statut général des fonctionnaires, et donc celui de la fonction publique territoriale (FPT) ne se pose pas : un tel texte législatifs qui n’évoluerait pas en fonction de besoins sociaux, des technologies et du contexte national et international serait voué à se scléroser et à disparaître. Comment doit-il évoluer ? est la bonne question.

 

  1. Le point de départ en 1981

Avant, c’était 800 000 agents publics (1 800 000 aujourd’hui), essentiellement des communaux, gérés par référence à 130 emplois-type et des centaines d’indéterminés, peu de mobilité, beaucoup de désordre et des agents en sentiment d’humiliation par rapport à leurs homologues de l’État. Une fonction publique d’emploi, précaire.

Aujourd’hui, vous écrivez que « La fonction publique est réputée être de qualité, professionnelle et intègre », ce qui est vrai et nous permettrait de nous arrêter là. Mais vous ajoutez qu’il y a encore des « dysfonctionnements », ce qui est tout aussi vrai, et nous invite à aller plus loin, mais en veillant à ne pas confondre les problèmes statutaires et les problèmes de gestion, confusion qui conduit souvent à des erreurs de raisonnement.

L’élaboration du statut a été le résultat de quatre choix.

Premier choix : le fonctionnaire est dans une position statutaire et non contractuelle. Il ne peut donc pas y avoir, d’une part des fonctionnaires à part entière, les fonctionnaires de l’État, et, d’autre part des « assimilé fonctionnaires » comme on le disait avant 1983 en parlant des agents des collectivités locales. C’est ce que j’ai exprimé le 27 juillet 1981 à l ‘Assemblée nationale, contre l’avis du ministre de I’ntérieur d’alors, Gaston Defferre maire de Marseille, qui, dans le projet de loi de décentralisation qu’il proposait (loi du 2 mars 1982) n’envisageait qu’un simple renforcement des garanties contenues dans le livre IV du code des communes. Donc le premier choix du fonctionnaire-citoyen garanti par un statut législatif, opposé à la conception du fonctionnaire-sujet qui avait prévalu pendant tout le XIXe siècle et le XXe jusqu’en 1946.

Deuxième choix : celui du système de la carrière pour tous contre le système de l’emploi lié à la notion de métier, plus précaire de ce fait, qui avait prévalu jusque-là dans la FPT. Il s’agit pour l’administration de prendre en responsabilité la gestion de l’ensemble de la vie professionnelle du fonctionnaire.

Troisième choix : celui de l’équilibre délicat à retenir entre l’unité de l’architecture statutaire qui fait sa force (article 1er de la constitution sur l’unité et l’indivisibilité de la République) et la diversité qui en fait sa richesse (principe de libre administration des collectivités territoriales de l’article 72 de la constitution). Principes contradictoires certes, équilibre discrétionnaire, c’est-à-dire politique. D’où une fonction publique « à trois versants », le titre I pour affirmer l’unité, les 3 autres, respectivement consacrés à la FPE, la FPT et la FPH, pour exprimer les diversités.

Quatrième choix : celui de principes solidement encrés dans l’histoire. Trois principes : le principe d’égalité fondé sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui fait du mérite le critère d’accès aux emplois publics et d’où nous avons déduit que c’est par concours que l’on entre dans la fonction publique ; le principe d’indépendance sur la base de la loi sur l’état des officiers de 1834 par laquelle le grade appartient à l’officier et l’emploi est à la disposition de l’administration ; le principe de responsabilité dont dispose l’article 15 de la Déclaration des droits selon lequel l’agent public doit rendre compte à la société de l’exercice de sa mission.

Et c’est à la fois la cohérence juridique du statut général (l’articulation des 4 titres) et le fait qu’il soit fondé sur des principes constitutifs du pacte républicain, qui explique la durabilité de ce statut et sa capacité à faire échec aux multiples attaques dont il a été l’objet et qui balisent son évolution et spécifiquement celle de la FPT au cours des 35 dernières années.

 

  1. L’évolution du statut en 35 ans

La contestation du statut général des fonctionnaires est une constante de la vie du statut. Elle est tout d’abord marquée par une succession d’attaques frontales.

C’est dès la première cohabitation la loi du 13 juillet 1987, dite loi Galland. Elle s’en prend à la FPT regardée comme le « maillon faible » de la construction. Pour le symbole elle change les corps en cadres, remplace les classements par ordre de mérite dans les concours par un classement alphabétique, le fameux système des « reçus-collés », système opaque qui contrarie la comparabilité des fonctions publiques et, par là ; nuit à la mobilité promue dans le statut (art. 14 du titre I) au rang de « garantie fondamentale » des fonctionnaires. Les mêmes déploreront ensuite la mobilité insuffisante entre fonctions publiques. J’ai vu que c’était une de vis préoccupations. Il est aisé d’y remédier : il suffit de supprimer les dispositions de la loi Galland.

Ensuite, le rapport annuel du Conseil d’État de 2003 à la faveur de la fin de la deuxième cohabitation en 2002, souligne la « particularité » du statut et propose de faire du contrat « une source autonome du droit de la fonction publique ». Vous trouverez aujourd’hui peu de conseillers d’État de l’époque pour se réclamer de ce rapport. Texte idéologiquement important cependant car il a donné le ton de toutes les offensives ultérieures jusqu’à aujourd’hui.

Ainsi, le 19 septembre 2007, cinq mois seulement après son élection, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, à l’Institut régional d’administration de Nantes, en appelle à une « révolution culturelle » dans la fonction publique et reprend à son compte d’idée du contrat sous la forme d’un « contrat de droit privé négocié de gré à gré ». Il diligente la rédaction d’un Livre blanc, dit rapport Silicani, qui lui est remis en avril 2008 et … il échoue. Car en pleine crise financière, les journalistes exprimant l’opinion publique, admettent que la France disposa, avec un service public étendu d’une efficace amortisseur social. Le projet est abandonné et, comme l’a dit un de mes collègues du Conseil d’État, « Le grand soir statutaire n’a pas eu lieu ».

Enfin, sous le quinquennat de20rançois Hollande, il n’y a pas eu d’attaque frontale du statut, à vrai dire il ne s’est pas passé grand chose sinon le rapport Pêcheur qui a dit son attachement aux principes du statut et s’est situé parfois dans une optique à moyen terme, la loi Lebranchu du 20 avril 2016 sur la déontologie, et l’opération Modernisation de l’action publique (MAP) dont on peinerai à faire le bilan. Ajoutons-y la demande d’avis au Conseil économique social et environnemental (CESE) du premier ministre Manuel Valls sur l’avenir de la fonction publique, avis sollicité en juillet 2016 moins d’un ans avant la fin du mandat présidentiel.

L’attaque frontale a donc échoué, mais simultanément une démarche plus sournoise s’est développée fondée, d’une part sur le recours au paradigme de l’entreprise privée sous la forme du New public management (NMP), d’autre part, par un « mitage » du statut général consistant en la multiplication, au-delà des modifications pertinentes appelées par l’évolution de la société, de « transformations souterraines », véritables dénaturations. Au cours des trente années qui ont suivi l’adoption de statut on a compté 225 modifications législatives et plus de 300 modifications réglementaires du statut. Il est intéressant d’examiner leur répartition selon les quatre titres du statut général : 30 pour le titre I, 50 pour le titre II, 84 pour le titre III, 61 pour le titre IV. Il est clair que c’est la FPT qui est la cible principale.

Mais globalement, le statut généra, en dépit des offensives et des transformations souterraines a fait la preuve de sa solidité et de son adaptabilité.

Quant à la politique de l’actuel gouvernement, il n’y a eu pour le moment que des déclarations. On pourrait considérer qu’elle est hors du mandat qui a été retenu pour cette introduction. Mais elle est évidemment partie de l’ évolution jusqu’à ce jour et elle fait partie de la réflexion sur l’évolution à venir. C’est une offensive anti-statutaire qui s’inscrit clairement dans la filiation des précédentes : il s’agit de faire du contrat l’instrument d’une « mise en extinction du statut » faute de pouvoir l’attaquer frontalement. C’est pourquoi, l’assurance de M. Dussopt tendant à faire croire que le gouvernement ne supprimerait pas le statut général des fonctionnaires n’est qu’une manouvre. Les soi-disant conclusions des soi-disant experts du CAP 22 étaient prêtes avant même sa première réunion. La seule différence avec l’offensive de Nicolas Sarkozy en 2007 est que le Président de la République a tiré l’enseignement de l’imprudence de son prédécesseur en 2008 et que le gouvernement avance masqué et que tout le monde le voit. Il a échoué et il échouera aussi Il n’y a pas de consensus sur la nécessité de réduire la dépense publique dans le contexte économique et social actuel et, d’autre part, l’ensemble des organisations syndicales rejette cette politique statutaire.

 

  1. Réponses aux questions posées

Sur la base de cette analyse, je veux répondre directement aux quatre questions que vous m’avez proposées mais qui, je crois ont déjà reçu au moins une réponse partielle dans ce q1ui précède.

  1. Sur les évolutions les plus fondamentales de la FPT depuis 1984. Je pense m’être suffisamment étendu sur ce point : loi Galland, mesures souterraines. Mais on peut évoquer d’autres évolutions de la période. La consolidation de l’attachement au statut des organisations syndicales de la FPT dont certaines avait été un peu hésitantes au départ. Mais surtout l’évolution de l’a position des élus et de leurs associations, réservées voire hostiles au statut de la FPT au départ, craignant un encadrement excessif de leurs prérogatives. Je pense que ce n’est plus majoritairement le cas aujourd’hui. En témoigne, pour ce qui me concerne, la large communauté de vues que j’ai avec M. Philippe Laurent, président du CSFPT.2.
  2. Sur la compatibilité entre les principes d’unité et de libre administration. La contradiction des principes est courante en droit (entre la liberté d’entreprendre et le respect de la dignité de la personne humaine, par exemple), il n’y a pas lieu de s’en plaindre. L’art de la politique est de leur trouver une bonne réponse. La construction d’une fonction publique « à trois versants » est-elle la bonne ? Je le pense : l’unité est dans le titre I, le respect des diversités dans les trois autres. Deux autres solutions (outre la suppression du statut) ont été avancées : des lois distinctes pour chaque fonction publique, mais la FPT à tout à y perdre, ou bien une loi unique pour les trois qui n’apporterait rien de plus que la consolidation des quatre titres actuels et apparaitrait vite comme un carcan.
  3. Sur la conciliation entre système de la carrière et l’allongement des carrières, la professionnalisation, la mobilité, l’agilité ( !?), l’évolution des besoins des populations… C’est une une préoccupation majeure. Parce que le système de la carrière ne lie pas l’emploi au métier cela implique que plusieurs métiers puissent être exercé s au cours d’une même carrière de fonctionnaire. Il y a déjà une vingtaine d’années un ingénieur des Ponts et Chaussées, M. Serge Valmont avait fait un rapport sur les bi et multi-carrières souhaitables dans la fonction publique. La conséquence est qu’il importerait à l’administration de prévoir les besoins à long terme et d’en tirer les conséquences en matière de formation permanente, droit statutaire reconnu aux fonctionnaires en 1983 en même temps que la mobilité. Tout cela est donc cohérent, le travail statutaire a été fait reste celui des gestionnaires. Dans le même esprit j’ai fait à l’automne 2016 dix propositions de chantiers structurels lors de min audition au CESE sur la demande d’avis de manuel Valls.
  4. Enfin, dialogue social ou confrontation employeurs-représentants du personnel ? Le problème ne s’est jamais posé pour moi entre 1081 et 1984, pou une raison très simple : la refondation de l’ensemble des textes statutaires (à l’exception d’un seul : le décret du 14 février 1959 sur la notation) a donné lieu à une concertation qui était une véritable négociation. Personne n’a jamais contesté ce fait, nous aurions même peut être pêché par excès de discussion. Je veux aussi rappeler que jusqu’au « tournant libéral » du printemps 1983, il y avait chaque année une succession de séances de négociations sur la politique de rémunération des fonctionnaires dont l’impact dépassait de loin la fonction publique. Depuis, elles ont disparu. En fait, on discute d’autant plus du dialogue social qu’on ne donne aucun « grain à moudre ». Il ne reste plus alors qu’à dialoguer sur le dialogue. Comment s’étonner dans ces conditions qu’il y ait confrontation ?

Pour conclure, je voudrais, restant sur le terrain de l’évolution du service public et de la fonction publique, livrer deux réflexions sur le très long terme que l’on doit, à mon avis, avoir à l’esprit sur la question de l’avenir de la fonction publique, y compris, bien sûr, la FPT.

 

La première concerne l’histoire longue qui permet d’identifier deux tendances lourdes pluriséculaires. Il s’agit depuis la fin du Moyen Âge de la sécularisation du pouvoir politique qui, s’affranchissant de toute détermination transcendantale entraine une autonomisation de l’appareil d’État et une expansion continue de l’administration. La deuxième tendance lourde est la socialisation des financements publics pour assurer la cohésion sociale et la couverture de besoins sociaux fondamentaux. S’ensuit une croissance continue de la dépense publique et des prélèvements obligatoires (de 10-15% du PIB avant la première guerre mondiale à 45% aujourd’hui), ainsi que des effectifs agents publics en nombre croissant dans la population (France stratégie 89/1 000 habitants en France, en moyenne haute mais non atypique). Il n’est au pouvoir d’aucun gouvernement d’inverser significativement ces tendances lourdes.

 

La seconde a trait à l’avenir long,, disons à la dimension du XXIe siècle. Nous sommes aujourd’hui après un XXe siècle « prométhéen » dans une période de décomposition sociale qu’Edgard Morin analyse comme une « métamorphose ». Certains en déduisent que le système néolibéral l’a emporté définitivement sur l’ensemble du globe, qu’il y a là un horizon indépassable, que ce serait la fin de l’Histoire. Or, le monde tel qu’il va dès aujourd’hui montre plutôt qu’e nous sommes dans le temps des interconnections, des interdépendances, des coopérations, des solidarités, toutes formules qui se condensent en France dans le concept de service public. C’est pourquoi je pense qu’en dépit des proclamations thuriféraires de l’économie de marché et de la « main invisible », le XXIe siècle pourrait bien être en définitive l’ « âge d’or » du service public. Il ne me reste plus qu’à en convaincre les usagers, les élus et les fonctionnaires.

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