Débat Jacques Fournier – Anicet Le Pors sur le discours des « gilets jaunes »

Jacques Fournier est un ami. Nous avons été dès 1971 candidats aux élections municipales à St-Cloud. Au premier tour comme têtes de listes, lui du Parti socialiste, moi du Parti communiste français ; au second tour il conduisait la liste d’Union de la gauche, mais c’est Jean-Pierre Fourcade qui a été élu. Jacques Fournie a été depuis PDG de GDF, de la SNCF et secrétaire général du gouvernement. Il a écrit un livre intéressant et courageux Itinéraire d’un fonctionnaire engagé (Dalloz, 2008). Il est conseiller d’État honoraire. Il a continué à analyser sur son blog la situation politique française et notamment l’état de la gauche. En dernier lieu, il vient de publier sur son blog un texte dont je ne partage pas l’analyse et à laquelle j’ai cru devoir apporter une critique sur le fond.

On trouvera ci-dessous le texte de Jacques Fournier suivi de ma réponse qui consiste, pour l’essentiel, en un article publié dans l’Huunanité du 11 décembre 2018. Ce texte figure ci-dessous en 5e position sur ce blog, suivi de ma prise de position sur l’élection présidentielle de 2017.

 

Le texte de Jacques Fournier

 

« Halte à la dictature des réseaux sociaux

Le renoncement de Chantal Jouanno  à conduire le grand débat lancé par les pouvoirs public est un nouvel exemple des effets néfastes de la dictature des réseaux.

Que son salaire mensuel soit élevé, c’est évident. Trop élevé ? On peut légitimement en discuter. Je pense qu’il excède le plafond souhaitable des rémunérations publiques. Pour autant son montant est infinitésimal par rapport à celui des sommes versées à certains dirigeants du secteur privé. Et, dès lors qu’il lui est régulièrement acquis, je ne vois pas en quoi cette circonstance la disqualifierait pour conduire le « grand débat » lancé par le Président de la République.

Nous touchons là à un phénomène inquiétant : le rôle que jouent désormais ce qu’il est convenu d’appeler les « réseaux » dans la conduite des affaires publiques.

N’utilisant personnellement ni Face book ni Twitter et ayant rapidement mis fin à un essai de Linkedin, je ne suis peut-être pas le mieux placé pour évoquer ces questions. Que l’on m’autorise cependant quelques réflexions.

Le numérique constitue une étape majeure du développement, dont la réalité s’impose, mais qu’il faut savoir orienter et maitriser. Il offre à une très large part de la population (ne pas oublier cependant qu’il y a, là aussi, des exclus), des possibilités nouvelles et considérables de contacts, d’information et d’expression. Les « réseaux » ouvrent sur le monde. Ils enrichissent ceux qui en font partie. Ils nourrissent le débat public. Ils offrent aux observateurs comme aux décideurs un panorama utile des idées et des instincts de la masse de la population. Ils ne permettent pas pour autant de faire l’économie des procédures dont le déroulement est nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie.

Grande est en ce domaine la responsabilité des pouvoirs publics, des forces politiques et syndicales, de la presse et des médias. En ont-ils suffisamment conscience ?

Qu’un Président puisse à l’occasion s’exprimer sur twitter, montrant ainsi qu’il est « dans le vent », passe encore. Mais qu’il en fasse son journal officiel ne saurait devenir la règle. La parole du chef de l’Etat, de son gouvernement, de ses ministres, doit rester au-dessus de la mêlée.

Partis et syndicats sont les instances au sein desquelles le débat doit se construire et entre lesquelles il doit se dérouler. Les uns et les autres sont aujourd’hui affaiblis. On ne les entend plus. Que des forces nouvelles viennent enrichir leur concert, on ne peut que le souhaiter. Mais la pauvreté du discours des gilets jaunes me laisse malheureusement fort sceptique à cet égard.

La presse, les médias, cherchent à remplir du mieux possible leur devoir d’information. Mais la priorité qu’ils donnent au spectaculaire et à l’insolite, si elle peut renforcer leur audience, ne leur permet que bien trop rarement d’aborder les questions essentielles.

Tout devient possible dans ce contexte et le pire n’est pas exclu. La montée de l’extrême droite, seule force politique à avoir tiré parti des évènements récents, est pour moi particulièrement préoccupante.

Comment sortir de ce cercle vicieux ?

Par la recherche, sur le thème majeur du rapport entre le numérique et la démocratie. La réflexion, sur ce point crucial, est encore embryonnaires. A nos organisations de s’en saisir.

Par le débat. Que donnera, avec ou sans Chantal Jouanneau, la grande consultation des prochaines semaines ? Nous allons voir. Je reste sceptique, mais il me semble que notre devoir est d’y contribuer.

 

La réponse d’Anicet Le Pors

 

Tu ne vois que pauvreté dans le discours des gilets jaunes. Il est vrai que la plupart d’entre eux n’ont probablement pas connu l’initiation de Science po et de l’ENA. Comme c’est aussi mon cas, peut être suis-je mieux à même d’interpréter ce discours. C’est ce que j’ai eu l’occasion de tenter il y a plus d’un mois, le 11 décembre 2018, dans un article demandé par l’Humanité sur le thème proposé : « Le mouvement des gilets jaunes bouscule-t-il le néolibéralisme de Macron ?». J’en reproduis le texte ci-dessous. C’est pourquoi je ne serai pas complice de l’opération de diversion que constitue le débat évoqué.

 

« La devise de la République

 

Emmanuel Macron a été promu à la tête de l’État par les puissants du néolibéralisme usant d’un suffrage universel sous influence : la finance internationale dont il émane, les cercles dirigeants de l’Union européenne, le patronat, la technocratie administrative et la quasi-totalité des médias. Son mandat était de mettre au pas un peuple rétif ayant conquis des garanties sociales importantes au fil de son histoire. Aujourd’hui comme hier, le peuple ne l’accepte pas. Il soutient massivement la révolte des plus déshérités. Les gilets jaunes assument cette mission. Si l’on néglige les arguties complotistes, ils honorent, contre l’ultralibéralisme, la devise de la République : liberté, égalité, fraternité.

La liberté. Les gilets jaunes participent activement à l’affirmation de la souveraineté nationale et populaire. Ils méprisent les injonctions de Bruxelles imposant une concurrence sauvage des travailleurs, les critères de réduction de la dépense sociale, une subsidiarité autoritaire. Car il n’y a de souveraineté que nationale. Il n’y a pas de souveraineté européenne. C’est dans le cadre de la nation que s’exerce notre responsabilité. Par là, ils posent les questions de l’ de l’exercice de la démocratie et de la verticalité des institutions d’une manière originale. C’est dans le cadre de la nation que se forge la citoyenneté ; citoyenneté qu’ils manifestent en mettant en cause frontalement ceux qui nous gouvernent et les organismes de représentation qui ne les représentent pas.

L’égalité. Au-delà de la suppression des taxes sur les carburants nécessaires à leur vie, ils réclament une réforme fiscale juste, conforme à la Déclaration des droits de 1789 posant le principe d’une contribution à l’impôt selon les facultés contributives. Ils demandent des services publics capables de répondre aux besoins fondamentaux de la population. Par là, se trouve impliquée la question de la propriété sociale car « là ou est la propriété, là est le pouvoir »  comme le proclamait la gauche au tournant des années 1970-1980, question qu’elle a totalement désertée aujourd’hui, tandis que les capitalistes, eux, sont convaincu du bien fondé de la formule et se repaissent des privatisations. Après l’action des cheminots, l’action des gilets jaunes contribue à l’action des agents publics et des fonctionnaires pour la défense et la promotion de leurs statuts.

La fraternité. Faisant suite à la reconnaissance récente par le Conseil constitutionnel de la fraternité comme principe fondamental de la République, les gilets jaunes en ont donné de multiples témoignages. On a ainsi pu parler de la « fraternité des ronds-points ». J’ai été frappé par nombre de leurs prestations dans les médias, calmes, de bon sens, intelligentes et fermes, face à des professionnels de la politique médusés. Parce qu’elles étaient sincères et authentiques, le peuple les comprend et les soutient.

La violence condamnable des casseurs est utile au pouvoir macronien. Elle sert à masquer cette autre violence, bien plus coûteuse et néfaste pour la démocratie : celle qui prend sa source à l’Élysée, à Matignon et à Bercy. Quelques jours avant le second tour de l’élection présidentielle, j’ai écrit un article pour dire mes raisons de ne pas voter pour Macron (Mediapart, 5 mai 2017, republié sur mon blog) sous le titre « Emmanuel Macron, cet homme est dangereux ». Nous y sommes.

 

Anicet Le Pors

Ancien ministre PCF, Conseiller d’État honoraire »

 

2 commentaires sur “Débat Jacques Fournier – Anicet Le Pors sur le discours des « gilets jaunes »

  1. Monsieur le ministre,

    Je vous remercie vivement pour le point de vue argumenté qui nourrit votre blog concernant le mouvement des Gilets juanes, le néolibéralisme, le rôle de M.Macron… Il appelle à regarder l’actualité avec vigilance sans écarter l’espérance, dans le combat qui a toujours animé votre vie. Merci.

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  2. Monsieur Le Ministre et cher camarade,
    Merci de cette contribution qui donne tout son sens à l’action de ces personnes qui luttent depuis des mois pour rétablir les valeurs de la République.

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