« du Sénat » – Laurence Cohen et Pascal Savoldelli, sénatrice et sénateur du Val-de-Marne, juillet 2019
D’après vous, quelles sont les
motivations du gouvernement avec son projet de loi ‘’Transformation de la
fonction publique’’ ?
Sa démarche générale est l’alignement du service public sur le privé. Pendant sa campagne des élections présidentielles Emmanuel Macron avait jugé le statut général des fonctionnaires « inapproprié » en ce que, consacré à l’intérêt général il faisait obstacle à la marchandisation de la société voulue par les puissances financières qui le soutiennent. Il a achevé la réforme du code du travail pour faire du contrat individuel de droit privé la référence sociale majeure, valable pour le public comme pour le privé. Puis il s’est attaqué au statut des cheminots et maintenant à celui des fonctionnaires concernant 5,5 millions de salariés, 20% de la population active du pays.
En quoi, ce texte est une attaque contre les 3 versants de la Fonction Publique et les grands principes qui la fondent (égalité, indépendance, responsabilité) ?
Ce projet concerne quatre réformes principales : le recrutement massif de contractuel, l’affaiblissement des organismes consultatifs, des plans de départ collectifs lors de l’abandon de services publics, la rémunération dite au mérite. Par là sont mis en cause la conception du fonctionnaire-citoyen instauré par le statut de 1946 au lendemain de la Libération, le système du recrutement par concours selon les capacités, l’équilibre entre unité de la République et libre administration des collectivités territoriale et les principes historiques que vous rappelez. Autant de conditions pour garantir le fonctionnaire contre les pressions économique et politiques, et par là assurer une administration intègre, démocratique et efficace. Ce projet de loi introduit la confusion entre intérêt général et intérêts particuliers, accroit le risque de conflits d’intérêts et opère une véritable captation de l’action publique par le privé.
Qu’est-ce que, pour vous, une Fonction Publique du XXIème siècle pour reprendre le titre de l’un de vos livres ?
C’est une fonction publique qui s’engage dans de grands chantiers de modernisation des structures : gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences, organisation de multi-carrières avec un système de formation continue correspondant, l’égalité femmes-hommes à tous niveaux, le développement d’une informatisation à visage humain, des instances de participation active des fonctionnaires à la gestion administrative, le développement des relations administratives internationales, etc. C’est une fonction publique qui voit loin, qui se libère du carcan de l’annualité budgétaire (sortir de Bercy !), qui approfondit la notion d’efficacité sociale contre celle de la rentabilité, qui appelle une propriété publique solide comme base des services, qui est attentive à la solidarité des salariés des secteurs publics et privé. Dans ces conditions, le XXIe siècle peut être l’ « âge d’or » du service public.
Anicet Le Pors
Ancien ministre (1981-1984)
Conseiller d’État honoraire