« du Sénat » – Laurence Cohen et Pascal Savoldelli, sénatrice et sénateur du Val-de-Marne, juillet 2019
D’après vous, quelles sont les
motivations du gouvernement avec son projet de loi ‘’Transformation de la
fonction publique’’ ?
Sa
démarche générale est l’alignement du service public sur le privé. Pendant sa
campagne des élections présidentielles Emmanuel Macron avait jugé le statut général des
fonctionnaires « inapproprié » en ce que, consacré à l’intérêt
général il faisait obstacle à la marchandisation de la société voulue par les
puissances financières qui le soutiennent. Il a achevé la réforme du code du
travail pour faire du contrat individuel de droit privé la référence sociale
majeure, valable pour le public comme pour le privé. Puis il s’est attaqué au
statut des cheminots et maintenant à celui des fonctionnaires concernant 5,5
millions de salariés, 20% de la population active du pays.
En quoi, ce texte est
une attaque contre les 3 versants de la Fonction Publique et les grands
principes qui la fondent (égalité, indépendance, responsabilité) ?
Ce projet concerne quatre réformes principales : le
recrutement massif de contractuel, l’affaiblissement des organismes
consultatifs, des plans de départ collectifs lors de l’abandon de services
publics, la rémunération dite au mérite. Par là sont mis en cause la conception
du fonctionnaire-citoyen instauré par le statut de 1946 au lendemain de la Libération,
le système du recrutement par concours selon les capacités, l’équilibre entre
unité de la République et libre administration des collectivités territoriale
et les principes historiques que vous rappelez. Autant de conditions pour
garantir le fonctionnaire contre les pressions économique et politiques, et par
là assurer une administration intègre, démocratique et efficace. Ce projet de
loi introduit la confusion entre intérêt général et intérêts particuliers,
accroit le risque de conflits d’intérêts et opère une véritable captation de
l’action publique par le privé.
Qu’est-ce que, pour
vous, une Fonction Publique du XXIème siècle pour reprendre le titre de l’un de
vos livres ?
C’est une fonction publique qui s’engage dans de grands
chantiers de modernisation des structures : gestion prévisionnelle des
effectifs et des compétences, organisation de multi-carrières avec un système
de formation continue correspondant, l’égalité femmes-hommes à tous niveaux, le
développement d’une informatisation à visage humain, des instances de
participation active des fonctionnaires à la gestion administrative, le
développement des relations administratives internationales, etc. C’est une
fonction publique qui voit loin, qui se libère du carcan de l’annualité
budgétaire (sortir de Bercy !), qui approfondit la notion d’efficacité
sociale contre celle de la rentabilité, qui appelle une propriété publique
solide comme base des services, qui est attentive à la solidarité des salariés
des secteurs publics et privé. Dans ces conditions,
le XXIe siècle peut être l’ « âge d’or » du service
public.
Union fédérale des syndicats de l’État CGT – Magazine, juin 2019
FP – Magazine : Pour la CGT, le projet de loi de transformation de la fonction publique constitue un bouleversement en profondeur du statut général et de ses principes fondateurs. Le recours accru aux contractuels, particulièrement sur les postes de direction, la volonté de faciliter les allers et retours du public vers le privé et inversement, le rapprochement du code du travail avec la création des CSA proches des CSE, l’introduction de la rupture conventionnelle etc. en sont pour nous l’illustration.
Etes-vous d’accord
avec cette analyse ou pensez-vous qu’il ne s’agit que d’une énième réforme du
statut qui ne remet pas en cause son équilibre ?
Quels sont les
éléments contenus dans le texte qui vous permettent d’étayer votre
position ?
Anicet Le Pors : Ce projet de loi est très dangereux pour la qualité et l’impartialité du service public et pour fonctionnaires qui en sont chargés dont les garanties sociales sont affaiblies. Pour autant c’est le dernier avatar d’une offensive constante des tenants du néolibéralisme pour lever les obstacles à la concurrence des marchés, au plein développement de l’idéologie managériale au sein même des administrations. Il y a eu la loi Galland en 1987 tendant à ramener la fonction publique territoriale vers une fonction publique d’emploi, plus précaire. Puis en 2003, le rapport annuel du Conseil d’État propose de faire du contrat « une source autonome du droit de la fonction publique ». En 2007, Nicolas Sarkozy se prononce en faveur d’un recrutement par « contrat de droit privé négocié de gré à gré ». Dans le même temps, pour le 30e anniversaire di statut général des fonctionnaires en 2013, on pouvait comptabiliser 225 modifications législatives du statut, la plupart des dénaturations entrainant un véritable « mitage » du texte. Aujourd’hui, Emmanuel Macron poursuit l’offensive là où ses prédécesseurs ont échoué. C’est grave, mais ce n’est pas sans précédent. Pour y parvenir, le gouvernement, qui savait parfaitement à quoi il voulait aboutir, a mis en place une machine de guerre dite CAP 22 qui s’est finalement avérée être un leurre qui s’est achevé en fiasco.
Mais sa stratégie est claire. Après la réforme du code du
travail érigeant le contrat individuel comme référence sociale majeure valable,
selon lui, pour le public comme pour le privé. Après la suppression du statut
de cheminots, il a lancé l’offensive contre le statut général des fonctionnaires
Mais le gouvernement sort considérablement affaibli des deux années d’exercice
du pouvoir pour de multiples raisons : opinion hostile, front syndical
uni, élus contestataires, affaires judiciaires en tous genres, reformes
institutionnelles mal engagées, etc. Ce qui explique sa tentative de passage en
force sur le projet fonction publique. L’aspect nouveau c’est l’intrusion du Nouveau
management public (NMP) que l’on espère promouvoir par le recrutement massif de
contractuels à tous niveaux, y compris aux postes de direction, qui vont se
combiner avec les allers et retours de hauts fonctionnaires entre le public et
le privé, à l’instar du parcours d’Emmanuel
Macron lui-même, pour gérer l’État et les collectivités publiques comme
des entreprises privées Pour y parvenir il leur faut déposséder les commissions
administratives paritaires de leurs principales prérogatives (mobilité,
avancements, etc.) créer des comités sociaux sur le modèle ce ceux existant
dans le privé, inscrivant leur action dans des lignes directrices de gestion
(LDG) renforçant une conception hiérarchique autoritaire de la gestion
administrative. Ces deux réformes majeures sont par ailleurs renforcées par de
nombreuses autres dispositions : plans de départs volontaires,
rémunérations dites au mérite en perspective, etc.
Ce projet n’est pas non plus le résultat d’un travail
sérieux, ce qu’a souligné le Conseil d’État dans son avis (étude d’impact
rédigée après coup, nombreuses imprécisions sur des points essentiels). Il
débouche sur la bureaucratie devant multiplier les dérogations, les précisons
techniques d’encadrement, les renvois à des décrets en Conseil d’État (près de
80 !). Pour compenser le recours risqué aux contractuels il multiple les
références à la déontologie, expression particulière du « droit
souple » qui n’est pas normatif mais préféré par les managers. Il bavarde
sur le dialogue social d’autant plus fort que les principaux intéressés, les
syndicats, dénoncent son inexistence. Sur le fond il y a plus grave. L’idéologie
managériale va introduire la confusion des finalités du public autour de l’intérêt général, et celles du privé, la
rentabilité ; à la responsabilité
du fonctionnaire citoyen sera substituée la mesure de la performance
individuelle du fonctionnaire redevenu sujet. L’hétérogénéité des recrutements
publics-privés va accroitre les risques de conflits d’intérêts, de
clientélisme, de corruption. ON s’engagera ainsi progressivement vers une
captation de l’action publique par des intérêts privés, la finance et, à la
limite, une privatisation masquée de l’appareil d’État. Tel est l’enjeu qui
doit mobiliser les fonctionnaires et la population pour illustrer, défendre et
promouvoir notre conception française de la fonction publique fondée sur
l’histoire, la science et l’éthique républicaine.
Anicet Le Pors
Ancien ministre de la
Fonction publique (1981-1984)
Pour bien comprendre les enjeux qui se jouent autour du projet de loi de transformation de la fonction publique menée par le gouvernement, pouvez-vous revenir sur la conception française républicaine de la fonction publique
Il faut d’abord rappeler que pendant le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle a prévalu une conception hiérarchique
autoritaire de la fonction publique. Le statut de 1946 a pris le contrepied de
cette conception d’un fonctionnaire-sujet en instituant celle du fonctionnaire-citoyen
garanti dans son emploi, doté de droits et d’obligations lui permettant de
résister aux pressions économiques et politiques, base de la neutralité et de
l’impartialité de l’administration. Le statut de 1983 a permis d’approfondir
cette conception en même temps que, au-delà
des fonctionnaires de l’État, le statut a été étendu aux agents publics
des collectivités territoriales et des établissements publics hospitaliers. Le
statut actuel est ainsi fondé sur l’héritage du statut de 1946, porteur des aspirations
de la Libération, il respecte à la fois le principe d’unité de la République et
celui de libre administration des collectivités territoriales, l’autonomie de
gestion des établissements publics. L’ensemble regroupe aujourd’hui 5,5
millions d’agents publics, soit 20% de la population active du pays.
Près de 80 ans après
la création d’un stat des
fonctionnaires, c’est une transformation profonde de la fonction publique qui
est proposée, quelle est votre analyse sur cette reforme et quelles en
seraient les conséquences ?
La réforme du code du travail a érigé le contrat individuel de
travail de droit privé en référence
sociale majeure que le gouvernement veut
rendre applicable au public comme au privé. La croisade anti-statuts a commencé
avec les cheminots. Dans la fonction publique il pense y parvenir en
substituant massivement des contractuels aux fonctionnaires, en levant les
obstacles à une gestion managériale autoritaire par la réduction des garanties
des fonctionnaires, en organisant des plans de départs collectifs lors de
restructurations, en imposant une rémunération dite au mérite mais en réalité
très arbitraire et clientéliste. Le statut des fonctionnaires serait ainsi mis
en extinction. Cette reforme aurait pour effet de brouiller les objectifs de
service de l’intérêt général et ceux des intérêts privés. Les risques de
conflits d’intérêts seraient aggravés. L’action combinée de l’occupation
de postes de direction par des managers privés et les allers et retours de
hauts fonctionnaires entre l’administration et les sociétés privées
entraineraient une mainmise du privé sur l’administration. C’est finalement
l’appareil d’État et l’administration des collectivités publiques qui seraient
déstabilisés. Dans de telles conditions les fonctionnaires verraient leur
situation précarisée.
Selon vous, quelles
sont les perspectives à court et à long terme sur le devenir de la fonction
publique et des services publics ?
L’histoire n’est pas écrite à l’avance, tout dépend de l’évolution
des rapports de forces et des évènements. Si Emmanuel Macron et le gouvernement
parviennent à leurs fins, dans l’immédiat les conséquences que je viens
d’indiquer surviendront. Mais le pouvoir exécutif s’est beaucoup affaibli
depuis deux ans, ce qui explique sans doute sa volonté de passer en force cette
réforme au parlement avant l’été. L’opération dite CAP 22 qui avait été lancée
en octobre 2017 a été un fiasco, le président de la République a du revenir sur
son objectif de supprimer 120 000 emplois de fonctionnaires durant son
quinquennat. D’un aitre côté toutes les organisations syndicales agissent dans
l’unité. Le temps ne travaille pas pour Emmanuel Macron. Il importe donc que soient définis
les voies et moyens d’une véritable
modernisation efficace et démocratique. De nombreuses propositions ont été
faites à ce sujet et j’y ai pris ma part.
Je suis raisonnablement optimiste : le XXIe siècle peut
être le siècle des services publics.
Emmanuel Macron a décidé de s’en
prendre aux salariés sous statuts, que ceux-ci soient réglementaires ou
législatifs. Il a notamment stigmatisé au cours de la campagne présidentielle
le statut général des fonctionnaires, le jugeant « inapproprié ». Arrivé à la
tête de l’État il a d’abord parachevé la réforme du code du travail entreprise
sous le quinquennat de François Hollande, imposant comme référence sociale
majeure le contrat individuel de droit privé négocié de gré à gré tout en bas
de la hiérarchie des normes. Restait alors à en généraliser l’application, dans
le privé comme dans le public. Il y avait des précédents (La Poste, France
Télécom), mais le président de la République a choisi d’entreprendre sa
croisade néolibérale par la réforme de la SNCF pour supprimer le statut des
cheminots au sein d’un service public dégradé. La route était libre alors pour
une réforme de la fonction publique concernant un cinquième de la population
active du pays.
À cette fin, le premier ministre Édouard Philippe a lancé, le 13 octobre 2017, une gigantesque opération baptisée CAP22, à la fois un leurre au sens où l’exécutif savait parfaitement ce qu’il voulait faire, mais c’était aussi le moyen d’accréditer l’idée d’une politique sérieuse parce que complexe et d’une réelle élaboration collective. Mais la démarche s’est révélée chaotique, un rapport qui devait être rendu public n mars 2018 ne l’a pas été et l’opération a tourné au fiasco. Car dès le 1er février 2018 le premier ministre a annoncé les trois terrains principaux de la réforme : le recrutement massif de contractuels au lieu du recrutement par concours de fonctionnaires, l’établissement de plans de départs volontaires, la rémunération dite au mérite. Ces orientations ont été renouvelées lors d’un second comité interministériel de transformation publique le 29 octobre et un projet de réforme de la fonction publique a été présenté le 13 février 2019, dans la perspective d’une adoption définitive d’un projet de loi avant l’été.
Le statut général des
fonctionnaires n’a cessé d’être attaqué depuis la promulgation de son titre 1er
par la loi du 13 juillet 1983, soit sous forme d’offensives frontales (loi
Galland du 13 juillet 1987, rapport annuel du Conseil d’État en 2003, réforme
Sarkozy-livre blanc Silicani en 2007-2008), soit sous forme de plusieurs
centaines de modifications ponctuelles du statut général conduisant à un
véritable « mitage » du texte et le dénaturant partiellement. Il reste que, par
là et depuis 36 ans, le statut a néanmoins prouvé sa solidité et son adaptabilité.
L’opération CAP 22 relevait de la première catégorie. Inscrivant leur démarche
dans la seconde catégorie, les promoteurs de la réforme aujourd’hui présentée
au Parlement disent vouloir maintenir le statut, mais les nombreuses modifications
annoncées pourraient, à terme, le rendre inopérant. Ce qui singularise la
politique actuelle c’est une volonté de substituer l’idéologie managériale à
l’esprit de service public et pour cela lever tous les obstacles à sa marchandisation.
Les conséquences en seraient graves pour les administrations de l’État, des
collectivités territoriales et les établissements publics hospitaliers et de
recherche. Une politique profondément contraire à la conception française de la
fonction publique. Ce serait, pensent les managers qui nous gouvernent, l’heure
en n venue du New Public Management.
Un
projet qui aligne le secteur public sur le secteur privé
Le projet met d’entrée en cause
un statut qui n’offrirait pas aux fonctionnaires « la reconnaissance et les
perspectives professionnelles escomptées ». Mais outre qu’une telle affirmation
ne repose sur aucune enquête d’opinion, elle dispense ses auteurs de l’analyse
des causes d’une insatisfaction réelle des agents de la fonction publique qui
tiennent notamment à la nature des missions qui leurs sont assignées par les
exécutifs, aux conditions de vie et de travail qui leurs sont faites, à
l’insuffisance de leur pouvoir d’achat et à la précarité, aux entraves mises à
l’exercice des droits. Cette carence dans l’analyse scientifique des causes se
retrouve dans celle des effets des mesures envisagées. Aucune étude d’impact ne
figure au dossier communiqué aux organisations syndicales alors qu’une telle
étude devrait être préalable à toute formulation des réformes. Cette politique
est dépourvue de toute réflexion sur la gestion prévisionnelle des effectifs et
des compétences, de la mise en œuvre de multi-carrières assorties des
formations correspondantes, de justification sérieuse sur le recours aux
contractuels, de la mesure concrète des incidences sectorielles de la
numérisation, des conditions de promotion de l’égalité femmes-hommes, de la
participation effective des personnels à la gestion des services au lieu de
bavardages récurrents sur le dialogue social.
Toutes autres sont les
préoccupations du gouvernement qui n’aborde la réforme du statut que sous
l’angle d’une simple transposition de management de l’entreprise privée au
secteur public. Il s’agit de « responsabiliser les managers publics en
développant les leviers qui leur permettront d’être de vrais chefs d’équipe ».
On voit ici poindre une conception autoritaire antérieure au statut qui
nécessite la levée de toute contrainte à l’exercice d’un pouvoir hiérarchique
qui ne souffre pas la discussion. À cette fin la mesure principale consiste à
recruter massivement des contractuels à tous niveaux et dans toutes les
catégories de la fonction publique de l’État a n de disposer de personnels plus
dociles par conformisme ou intérêt. Il est significativement précisé que des
contractuels venant du privé pourront occuper des postes de direction. Les
contrats pourront prendre la forme de contrats de projets, lesquels projets
pouvaient tout aussi bien être conçus dans le cadre statutaire actuel. Un
nouveau type de CDD pour la fonction publique sera créé. La fonction publique
territoriale verra élargies les possibilités de contrats à temps non complets.
Le projet prévoit égale- ment, bien que de manière encore très imprécise, des
mesures clairement inspirées du code du travail, la possibilité de rupture
conventionnelle des contrats, plans de départs volontaires, etc. Toutes ces
dispositions visent à écarter progressivement les fonctionnaires en place au
pro t de personnels sous contrats.
Un projet
qui porte atteinte au service public et qui réduit les garanties statutaires
Cette politique qui vise à affaiblir
le statut en le contournant, est en premier lieu préjudiciable à
l’administration elle-même dont la neutralité et l’impartialité sont menacées
par un recrutement moins garanti dans son intégrité, une formation non
maitrisée et une stabilité réduite. D’où les références incantatoires à la
déontologie, expression particulière de l’extension recherchée du « droit
souple », non normatif. Le contrat assorti d’un code de bonne conduite est
généralement plus permissif que le droit positif. Au plan territorial ces
pratiques ont la faveur des gestionnaires des métropoles et des
intercommunalités, mais gagnent aussi certains élus locaux. Certaines des
dispositions du projet vont favoriser cette évolution. Un contrôle dit
déontologique sera renforcé sur des activités dites sensibles. Ce contrôle sera
également exercé sur les fonctionnaires effectuant des allers-retours entre le
public et le privé, ce qui est une manière d’en révéler l’existence sinon de
l’encourager. La pratique du « rétro-pantouflage » s’est beaucoup développée au
cours des dernières années, elle a été notamment le fait de l’Inspection générale
des Finances, Emmanuel Macron en est le meilleur exemple. Cette pratique vise à
rien moins qu’à privatiser l’État.
Les garanties statutaires des
fonctionnaires sortiraient affaiblies d’une telle réforme. Car il est d’autant
plus question de dialogue social dans le projet que ce dialogue est méconnu par
les pouvoirs publics : ainsi la place des négociations sur les rémunérations
n’a cessé de se restreindre depuis 35 ans jusqu’au blocage de 2010. Toutes les
organisations syndicales ont déploré la pratique de réunions multipliées qui ne
tiennent aucun compte de leurs propositions. Les instances de concertation
traditionnelles voient leurs compétences réduites. Les comités techniques
paritaires (CTP) qui avaient vocation à intervenir dans la gestion des services,
mais qui avaient perdu leur caractère paritaire au cours des dernières années
(devenus alors des CT) disparaissent dans des comités sociaux d’administration
(CSA) par fusion avec les comités d’hygiène, de sécurité et de conditions de
travail (CHDCT. Les commissions administratives paritaires (CAP) voient leurs
compétences fortement diminuées. Leur avis préalable sur les questions
d’avancement, de promotion, de mutation, de mobilité est supprimé (sauf sur ces
deux derniers points pour la fonction publique hospitalière), ceci de manière
de l’intérêt général. La réforme de la fonction publique, dite aussi de l’État
est le dernier avatar de cette contre-révolution.
De g. à d. : Baptiste Talbot, Bernard Thibault, A.LP au Mans - CGT le 25 mai 2019
Le projet d’Emmanuel Macron est
contraire à la morale républicaine. Sans qu’il soit besoin de revenir sur les
turpitudes de l’entourage qu’il s’est choisi et ses observations méprisantes
pour ceux que la réussite n’a pas gratifiés, il est le représentant d’une
classe et d’une caste hautaine et dure aux plus faibles. La primauté de
l’intérêt général, l’affirmation du principe d’égalité, l’éthique de la
responsabilité sont des valeurs qu’il ne tient pas pour déterminantes. Ce
comportement se retrouve dans le projet de réforme de la fonction publique :
idéologie néolibérale au lieu de sens du service public et de l’État, autoritarisme
hiérarchique plutôt que discussion et négociation, le manager à la place du
citoyen.à « doter les managers des leviers
de ressources humaines nécessaires à leur action», avec les risques
d’arbitraire et d’autoritarisme subséquents. Le recours aux ordonnances pour la
validation de dispositions législatives en matière de négociation est très
discutable. La rémunération au mérite comme levier de gestion des ressources
humaines et l’entretien professionnel se substituant à la notation sont
également évoqués mais sans plus de précision que par le passé. Une reprise en
main de la gestion du temps de travail, notamment dans la FPT est clairement
annoncée mais ses modalités restent imprécises.
Un
projet qui tourne le dos à la conception française de la fonction publique
Le projet d’Emmanuel Macron
ignore l’histoire. Il n’y est fait référence à aucun moment dans le dis- cours
gouvernemental. Or, la fonction publique française d’aujourd’hui est
l’aboutissement d’un processus pluriséculaire qui a vu notamment la Révolution
française supprimer les privilèges, la vénalité des charges publiques, puis au
XIXe et au XXe siècle s’affronter deux lignes de forces, l’une autoritaire,
l’autre démocratique, jusqu’au statut général des fonctionnaires après la deuxième
guerre mondiale avec le statut général des fonctionnaires de l’État de 1946,
statut fondateur consacrant la conception du fonctionnaire-citoyen contre celle
du fonctionnaire-sujet qui avait prévalu jusque-là. Cette conception a été
réaffirmée par le statut fédérateur de 1983 qui en a enrichi le contenu et l’a
étendu aux agents publics des collectivités territoriales et à ceux des établissements
publics hospitaliers et de recherche. Cette histoire permet d’identifier des
tendances lourdes dont aucun gouvernement ne peut s’affranchir durablement.
Le projet d’Emmanuel Macron
ignore la démarche rationnelle, scientifique, plus que jamais nécessaire dans
un monde complexe. Le néolibéralisme a abandonné au marché les questions de
gestion au moment où elles en appelaient à plus d’intelligence et de volonté.
Les bases matérielles que constituait le secteur public ont été diminuées par
les privatisations, la programmation a cédé devant la dérégulation, l’État et
les collectivités publiques ont perdu leurs moyens d’expertise. En France, les
instruments de planification économique, d’aménagement du territoire, de
rationalisation des choix budgétaires, de prévision et de stratégie ont cédé le
pas aux dogmes de la concurrence, de réduction de la dépense publique, d’une
mondialisation financière ne souffrant aucune contestation. Cette régression de
la raison est particulièrement sensible dans le service public vecteur
——– ————————————————————————————————————
“ La pratique du « rétro- pantouflage » s’est beaucoup développée au cours des dernières années (…). Cette pratique vise à rien moins qu’à privatiser l’État. ”
“ La connaissance de l’histoire est indispensable pour éclairer
le présent et définir des perspectives également absentes du projet macronien qui ne se situe qu’ « ici et
maintenant »
——————————————————————–
Anicet Le Pors
Ministre de
la Fonction publique et des Réformes administratives (1981-1984) Conseiller
d’État honoraire
Le gouvernement veut l’extinction du statut de fonctionnaire »
Que
pensez-vous de la procédure accélérée choisie par le gouvernement pour l’exa-
men de son projet de réforme de la fonc- tion publique ?
Anicet Le
Pors : La tactique du pouvoir procède d’une
opération compliquée qui m’inspire deux réflexions. S’agissant de la loi de
transformation sociale, il fait diver- sion avec, par exemple la suppression de
l’Ena. Ensuite, la loi de transformation sociale joue un rôle curieux en ce
sens qu’elle me semble, pour partie au moins, servir de compensation aux
difficultés ren- contrées par le pouvoir pour mener à bien la réforme
institutionnelle. Gérald Darmanin [le ministre du Budget -ndlr] a souvent
présenté cette réforme de la fonc- tion publique comme une réforme de l’État.
Or, contrairement à la réforme institution- nelle, ce n’est pas une réforme de
l’État. Je pense donc qu’il y a toute une série de biais qui font
qu’effectivement on est devant un paysage assez complexe. La réforme institu-
tionnelle doit venir cet été mais on ne sait pas très bien quel sera le contenu
des trois catégories de loi : ordinaire, organique, constitutionnelle. C’est en
cours de négo- ciation avec le Sénat, mais on sait au moins que ce sera bien en
deçà de ce qui était envisagé.
Et pour la
réforme de la fonction publique ?
Lors de sa
campagne présidentielle, Emmanuel Macron donnait l’impression qu’il voulait
supprimer le statut. Très rapi- dement, il y a quelques mois, le gouverne- ment
a dit qu’on ne supprimerait pas le sta- tut mais, selon une formule qui a été
éprou- vée avec France Telecom, il va le mettre en extinction par le
recrutement massif de contractuels à tous niveaux.
Vous dites
qu’Emmanuel Macron ne va pas jusqu’au bout de sa réforme. Il n’empêche que, sur
la durée, on constate une sacrée régression depuis les années 80. Le vrai
danger n’est-il pas là ? Une lente mais sûre progression vers la disparition du
statut ?
Depuis
qu’il y a eu des proclamations de réforme profonde, voire de bouleversement de
la fonction publique, ça a toujours échoué. Je n’exclus pas que Macron puisse réussir
mais à supposer que cette loi passe, d’une part elle est en régression par
rapport à ce qui était envisagé et d’autre part tout reste à faire à partir de
là. J’ai pris l’habitude politiquement de ne pas exclure les aléas et les
événements qui très souvent survien- nent pour corriger ce qui semblait
inélucta- ble.
Le statut
de 1946 a duré 12 ans. Le deuxième, l’ordonnance de 1959 qui n’était pas
vraiment une réforme mais une nou- velle répartition entre la loi et le décret
voulu par la constitution de la Vème République, ne comportait plus que 57
arti- cles contre les 145 du statut de 1946. Il a duré 24 ans. Le présent
statut dont j’ai animé l’élaboration en est à sa 36e année et il n’est pas question de le
supprimer mais de le mettre en extinction. On verra.
En France,
il y a un attachement profond au service public. Macron ne peut pas faire tout
ce qu’il veut. J’avais annoncé dès le début qu’il ne ferait pas la réduction de
120 000 emplois de fonctionnaires. Il ne l’a pas fait ! Ce recul sur ce point,
à mon avis, peut en entraîner d’autres.
Que répondez-vous à Olivier Dussopt, le secrétaire d’État en charge du dossier, quand il dit que la réforme permettra aux agents de mieux maîtriser leur carrière ?
Il faut
d’abord qu’il le démontre. Je ne vois pas où sont ses arguments. Tout au contraire,
quand on lit le texte, on voit qu’il y a un renforcement du pouvoir hiérar-
chique à travers notamment le rôle des comités sociaux qui vont mettre en œuvre
des lignes directrices de gestion. De quoi s’agit-il ? Ce sont des injonctions
qui vont être fixées d’en haut et qui vont correspon- dre sans doute au niveau
de l’agent [fonc- tionnaire ou contractuel – Ndlr] par une série d’indicateurs
de performance qu’il sera tenu d’accomplir. Faute de quoi, sur- tout si c’est
un contractuel, son emploi sera menacé. Je ne vois pas où est la maîtrise dans
cela. Avant, il y avait des comités techniques paritaires (CTP) qui donnaient
lieu à des discussions sur l’organisation des services entre les organisations
syndicales et l’administration. Il y a quelques années, dans les trois
fonctions publiques, on a supprimé le « P », c’est à dire le paritarisme. Il
n’y avait plus que les syndicats dans ces comités techniques. Les syndicats
étaient invités à discuter entre eux. Cela n’avait plus aucun intérêt.
Aujourd’hui on confond ces comités techniques avec les comités d’hygiène et de
sécurité et on accorde plein de dérogations. Ces nouveaux comités sociaux
pourront faire des sous-comités chargés des problèmes de santé par exemple.
Bref, on va vers quelque chose de très, très confus. Et, de ma longue carrière
dans la fonction publique, je n’ai jamais appris que plus on fait confus, plus
on fait efficace.
Comment en
est-on arrivé au fil des années, dans la fonction publique, à pro- duire autant
de contrats courts mais sans cesse renouvelés.
Depuis
toujours, pourrait-on dire, la fonc- tion publique est dirigée par la direction
du
cette
multiplication de gens qui ne feront que passer dans la fonction publique,
c’est le contraire d’une gestion prévisionnelle des effectifs et c’est un
renforcement de l’autorité de la direction du budget sur la fonction publique.
On ne va pas dans le bons sens, cela ne va pas dans le sens de la rationalité.
Comment
combattre ce projet ?
Ce texte
est un texte ultra technique. Vous ne verrez pas Olivier Dussopt évoquer une
idée qui se réfère à la conception française de la fonction publique. Il ne
sait pas ce que c’est. Il parle RH. C’est un discours pure- ment managérial. Je
dis à mes interlocu- teurs qui sont opposés à cette transforma- tion : « Ne
vous épuisez pas à faire des amendements techniques parce que le pro- blème
n’est pas là. Le problème est fonda- mentalement politique. » Je leur
recom- mande d’intervenir sur l’histoire, qui est longue, depuis la Révolution
française. Je leur demande de s’appuyer sur le discours rationnel, sur les
bases scientifiques de l’ac- tion publique. Et puis je leur demande de se
référer aux grands principes républicains d’égalité, d’indépendance, de
responsabilité qui sont inscrits dans notre Histoire. L’Égalité, c’est
l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 ; l’Indépendance,
c’est la loi sur les officiers de 1834, la Responsabilité, c’est l’article 15
de la Déclaration des droits de l’homme. Donc, nous avons une conception qui
est ancrée dans l’Histoire et c’est cela qu’il faut défendre.
Etes-vous
optimiste ?
Je suis
fondamentalement optimiste, mais pas d’un optimisme béat. Je connais l’état
actuel du mouvement syndical qui rencon- tre des difficultés, or c’est un atout
décisif dans l’évolution des choses. Je ne peux pas préjuger de ce que sera le
rapport de forces
au fil du temps, mais je mise précisément sur ce qu’il y a de
fondamental dans notre Histoire sur un attachement indéfectible à la raison et
sur l’élaboration rationnelle des décisions et non pas les oukazes comme on les
voit parfois. Et puis quand même, je pense que les questions d’éthique de
service public ont leur place dans la réflexion sur la fonction publique. Il y
a quelque chose de symptomatique dans ce décret, on le sou- ligne très peu,
c’est que pour compenser dans le discours le recrutement massif de contractuels,
on parle beaucoup de déonto- logie, or la déontologie a comme caractéris- tique
de s’illustrer par des codes de déonto- logie et des chartes de bonne conduite.
Mais la déontologie n’est pas normative. Cela veut dire qu’on quitte le terrain
du droit positif pour aller vers ce que les Américains appellent le « droit
souple » qui convient beaucoup plus au marché parce que le droit souple c’est
moins gênant que le droit posi- tif. C’est donc une évolution qui permet de
dire que, oui c’est vrai, on recrute des contractuels mais la déontologie va
mettre de l’ordre dans tout ça. Justement, cela n’est pas vrai parce que la
déontologie n’est pas normative.
Et la deuxième chose qui doit être soulignée parce qu’elle repose
sur un mensonge, c’est que pour compenser la réduction des garan- ties aux
organisations syndicales, ce qui est le problème numéro un pour elles, on parle
du dialogue social. Or, mon expérience me montre que l’on parle d’autant plus
de dia- logue social qu’il n’y en a pas. Alors, on dia- logue sur le dialogue
et on occupe le ter- rain idéologique ! Donc déontologie et dia- logue social
sont des moyens d’enfumer, de masquer l’essentiel : la mise en extinction du
statut des fonctionnaire et la transforma- tion du fonctionnaire citoyen en
exécutant de l’idéologie managériale qui sera dictée par les chefs.
Entretien. L’ancien ministre communiste de la Fonction publique, Anicet Le Pors, pointe les dangers de la réforme de cette dernière, examinée depuis lundi soir à l’Assemblée.
Que pensez-vous de la réforme préparée par le gouvernement ?
Anicet Le Pors Le recrutement massif des contractuels non fonctionnaires à tous les niveaux de la fonction publique est un danger. Il vise à éteindre les statuts qui régissent ces organismes. Il y a à terme un risque de privatisation de l’appareil d’État, de captation de l’action publique par le privé. Cette réforme va brouiller les finalités et spécificités du service et de la fonction publics, qui sont celles de l’intérêt général. Si d’autres mentalités s’imposent, dont le souci de rentabilité venant du privé, il y aura dégradation des services. Le danger est de voir se développer des conflits d’intérêts, du clientélisme et de la corruption, dont la fonction publique française est en grande partie préservée. Ne pas conserver les exigences de formation et les garanties actuelles, multiplier les missions courtes, affaiblir les capacités d’intervention des représentants et des organisations syndicales n’augurent rien de bon pour la gestion des personnels et la qualité du service. Cette réforme est aussi particulièrement dangereuse car elle ne fait rien contre le pantouflage et le rétro-pantouflage, c’est-à-dire les allers-retours des hauts fonctionnaires entre le public et le privé. Quels sont les intérêts qui les guident ? Il faudrait rendre leur sortie de la fonction publique très onéreuse et irréversible.
L’exécutif ne s’attaque pas frontalement au statut de la fonction publique, mais le contourne. Pourquoi ?
Anicet Le Pors Car il est solide et adaptable. Il est aussi apprécié par les fonctionnaires, par toutes les organisations syndicales qui s’opposent à une réforme qui n’est demandée ni par l’opinion publique, ni par les élus. Cette méthode n’est pas nouvelle. Elle a déjà été utilisée à France Télécom et à La Poste, et a déjà été envisagée pour nuire à toute la fonction publique. En 2003, le Conseil d’État préconisait de faire du contrat une source autonome du droit de la fonction publique. En 2007, Nicolas Sarkozy voulait substituer au concours de la fonction publique les contrats de droit privé négociés de gré à gré. Cette tentative a échoué car la crise financière de 2008 a démontré tout l’intérêt qu’avait la France à disposer d’un secteur public étendu et influent, qui a été un véritable amortisseur social de la crise financière. Aujourd’hui, Macron retente le coup. Après avoir commencé par une attaque contre le Code du travail, il entreprend sans le dire une croisade contre les statuts, démarrée frontalement l’an dernier à la SNCF. Ici comme ailleurs, le recours à des non-fonctionnaires est plus adéquat avec le libéralisme et la marchandisation du moindre service.
Quelle est votre conception de la fonction publique ?
Anicet Le Pors Le statut de 1946, comme celui de 1983 – je l’ai affirmé sans cesse –, est né pour consolider la conception du fonctionnaire-citoyen, qui s’oppose à celle du fonctionnaire-sujet qui a prévalu du XIX e siècle à la première moitié du XX e. Dans la conception citoyenne, il est bien affirmé que le fonctionnaire doit exécuter les tâches qui lui sont confiées dans le cadre de l’intérêt général, avec une marge d’appréciation. Jamais il ne se comporte en obéisseur soumis à des ordres. Il a la responsabilité de se conformer aux instructions, mais n’est pas délié de sa propre responsabilité. S’il considère qu’une consigne est illégale ou contraire à sa mission, il doit refuser de l’exécuter. Nous sommes ici très loin de l’idéologie managériale et de ses seuls indicateurs de rentabilité et de performance, qui enferment dans l’infantilisation, l’intimidation et la perte de sens. Je précise en outre que le statut de la fonction publique n’est pas un blanc-seing. Il protège de l’arbitraire politique, mais pas de sanctions, en cas de manquements, qui vont jusqu’à la révocation, pratiquée chaque année.
Que pensez-vous de la suppression de l’ENA ?
Anicet Le Pors Il s’agit d’une diversion à la réforme de la fonction publique. L’idée est de tout changer pour que rien ne change au niveau de la fabrication des castes. Mais il y a peut-être aussi une explication psychologique. En voulant supprimer l’ENA, qui l’a fabriqué, Macron repousse du pied l’échelle après être arrivé en haut. Pourquoi cette coquetterie suprême ? Je crois qu’il est à un degré de vanité tel qu’il refuse d’être le produit d’une cause identifiable, aussi prestigieuse soit-elle. Il récuse ce qui l’a fait, pour n’exister que par lui-même. C’est un démiurge. Après tout, Jupiter n’a pas fait l’ENA. Jupiter n’existe qu’en tant que Jupiter. Mais je veux aussi rappeler qu’à gauche, on a longtemps vu dans l’ENA une manière d’être progressiste par rapport au système de recrutement népotique qui existait avant. C’était l’ambition de Maurice Thorez. C’était et c’est toujours la mienne, puisque je pense qu’il faut réformer l’ENA, et non pas la supprimer, en réservant de nouveau la 3 e voie d’accès à des militants syndicaux, des dirigeants d’associations publiques et des élus.
Anicet Le Pors : « Emmanuel Macron tourne le dos à la morale républicaine en permettant l’entrée des intérêts privés au sein de l’action publique »
Anicet Le Pors est ancien ministre de la fonction publique (1981-1984) et conseiller d’État honoraire
Anicet LE PORS, Conseiller d’Etat (h) et ancien ministre.
La
Marseillaise : Le statut des fonctionnaires est l’aboutissement d’une
longue histoire. Pouvez-vous en faire un bref rappel ?
Pour comprendre le présent, il faut en effet
faire un peu d’histoire. Pendant le XIXe et la première moitié du XXe
siècle a prévalu une conception hiérarchique autoritaire dans les
administrations. Les gouvernements les plus conservateurs menaçaient les
fonctionnaires d’un statut pour les contraindre à l’obéissance. De fait, le
premier statut des fonctionnaires a vu le jour en septembre 1941 sous le
gouvernement de Vichy. C’est dire qu’il a fallu courage et d’intelligence à la
Libération au mouvement syndical et aux autorités publiques responsables pour
inverser la logique antérieure et imposer un contenu progressiste dans un
statut républicain. Ce statut de 1946 fut l’œuvre du ministre de la fonction
publique de l’époque, Maurice Thorez, vice-président du conseil et secrétaire
général du parti communiste français. Cet héritage, approfondi, a été repris par la loi du 13 juillet 1983
après l’alternance de 1981 amenant la gauche au pouvoir, sous forme d’un statut
fédérateur étendant ses dispositions, au-delà de l’État, aux agents publics des
collectivités territoriales et des établissements publics hospitaliers,
l’ensemble couvrant aujourd’hui 20% de la population active du pays.
Ce
statut a déjà fait l’objet de nombreuses attaques. Pourquoi cette réforme
dénature-t-elle profondément la conception française de la fonction publique ?
Depuis sa création ce statut n’a cessé d’être l’objet d’attaques, certaines frontales, d’autres insidieuses. Ainsi, dès 1987 une loi dite « loi Galland » tenta de ramener en arrière la fonction publique territoriale. En 1990, La Poste et France Télécom furent détachées de la fonction publique. En 2003, le Conseil d’État lui-même préconisa de faire du contrat une « source autonome du droit » de la fonction publique ». En 2007, Nicolas Sarkozy contesta le statut en prônant un « contrat de droit privé négocié de gré à gré ». Il échoua car, dans la crise financière de 2008 on dut admettre qu’avec un secteur public étendu, la France disposait d’un efficace « amortisseur social ». Avant même son élection Emmanuel Macron jugea le statut « inapproprié ». Dans le même temps des centaines d’atteintes ponctuelles furent portées au statut, un véritable « mitage ». Au pouvoir, Emmanuel Macron rompt avec une histoire émancipatrice, il s’abandonne à la « main invisible » du marché au lieu de fonder l’action publique sur des bases rationnelles, il tourne le dos à la morale républicaine en permettant l’entrée des intérêts privés au sein de l’action publique.
Comment ce projet organise-t-il l’alignement du public sur le privé ?
C’est la suite logique de la réforme du code du
travail qui a fait descendre les garanties des salariés dans la «
hiérarchie des normes » pour faire du contrat de droit privé individuel la
référence sociale majeure applicable dans le public comme dans le privé. C’est
ainsi qu’a été engagée la croisade contre les personnels à statuts, en commençant
par les cheminots avant de s’en prendre aux autres, notamment au statut général
des fonctionnaires. En envisageant le recours massif aux contractuels et en
affaiblissant les garanties des fonctionnaires et de leurs syndicats le projet
de loi lance l’offensive.
Quelle
place dès lors pour l’exigence de neutralité et l’intérêt général ?
La neutralité de l’administration
suppose l’indépendance du fonctionnaire vis-à-vis des pressions économiques et
politiques. Celle-ci est assurée par une conception du fonctionnaire-citoyen
opposée à celle antérieure du fonctionnaire-sujet. Elle est surtout garantie
par ce que l’on appelle le « système de la carrière » caractérisé par
la séparation du grade, propriété du fonctionnaire, et de l’emploi, à la
disposition de l’administration. La
spécificité de l’administration et des
fonctionnaires est de servir l’intérêt général. Le recrutement massif de
contractuels envisagé par le projet de loi va
rendre plus complexe et plus fragile la capacité de l’administration en
matière de recrutement, de formation et de gestion. Le recours à des managers
du privé dans des postes de direction, de même que les allers-retours de hauts
fonctionnaires entre le public et le privé vont avoir pour effet d’établir une
confusion des finalités du public et du privé, d’accroitre le risque de conflits d’intérêts et d’entrainer
une captation de l’action publique par la finance internationale.
Emmanuel
Macron semble cibler plus particulièrement, dans les mesures annoncées suite au
grand débat, la haute fonction publique. Pourquoi ?
Il ne faut pas se laisser abuser par ce paradoxe :
Macrin, pur produit d’un système élitiste, qui s’en prendrait au système des
castes. La technocratie administrative figurait parmi les puissants qui l’ont
porté au pouvoir. La haute fonction publique, sauf exceptions valeureuses, est,
dans l’ensemble, conformiste et n’a que peu réagi à l’annonce de la suppression
de l’ENA et des « grands corps ». C’est à la fois une diversion et
quand bien même il y aurait suppression, ce serait pour laisser la place à un système de même nature. J’avancerais, pour
ma part, une autre explication d’ordre psychologique. Le président de la
République, tel un démiurge, est arrivé à un tel degré de vanité qu’il veut
bannir toute cause de son excellence qui n’émanerait pas exclusivement de sa personne. Jupiter n’a pas fait l’ENA…
Le
statut est-il un obstacle à la modernisation de la fonction publique ? Si non,
quelles évolutions positives pourrait-on apporter ?
On doit critiquer les imperfections
administratives et il faut moderniser le service public. Pour autant les
enquêtes montre que, dans la proportion
des deux-tiers au moins, les Français ont une bonne opinion des services
publics. La mobilité est souvent présentée comme le moyen de la modernisation.
Or, c’est le statut de 1983 qui a érigé
la mobilité au rang de garantie fondamentale des fonctionnaires, et ce sont les
multiples dénaturations subies par le statut qui, rendant les règles plus opaques
et la comparabilité des fonctions publiques plus difficile qui y font obstacle.
Les chantiers de modernisation potentielle sont nombreux : création de
nouveaux moyens d’expertise de l’efficacité sociale, gestion prévisionnelle,
mise en place de multi-carrières, égalité femmes-hommes, numérisation à visage
humain, développement des relations internationales, etc. Le projet de loi, à
cet égard, ne propose que des expédients dangereux.
L’idée d’une école nationale de formation des fonctionnaires destinés à occuper les plus hautes fonctions de l’administration est ancienne. Elle a été évoquée pendant la IIe République ; portée sous le Front populaire par le ministre de l’Éducation nationale Jean Zay. C’était un projet progressiste qui visait à remplacer un système de recrutement disparate. L’idée a été reprise à la Libération dans une ordonnance du général de Gaulle du 9 octobre 1945. La réforme a ensuite été absorbée dans l’élaboration statutaire conduite par le ministre de la Fonction publique d’alors, Maurice Thorez, secrétaire général du PCF qui aboutit à la loi du 19 octobre 1946, portant statut général des fonctionnaires, statut fondateur de la conception française démocratique de la fonction publique. La création de l’ENA répondit, au cours des années suivantes, à l’objectif originel de démocratisation, puis dériva vers un élitisme de plis en plus accentué. Cela conduisit Georges Marchais, secrétaire général du PCF à demander la suppression de l’ENA en 1980.
Ce ne fut pas la décision prise en 1981 par le nouveau
ministre communiste de la fonction publique. De nombreuses rencontres avec les
instances représentatives de l’ENA, des conférences annuelles devant les
promotions pour expliquer les réformes statutaires engagées permirent d’exposer
l’éthique du service public et de prendre plusieurs mesures de
démocratisation : renforcement de l’enseignement du droit administratif,
effectif des promotions porté de 80 à 140, recul des limites d’âge pour passer
les concours, etc. Ces réformes furent mises en place dans un climat serein à
l’exception de la création d’une 3e voie d’accès à l’ENA (outre les concours
étudiants et fonctionnaires) en faveur de responsables de syndicats, d’associations, d’élus, avec places réservées
dans les « grands corps ». Cette novation déclencha la révolte de
l’aristocratie bourgeoise. Michel Rocard, premier ministre, rendit la réforme
inopérante en 1990, mais plusieurs dizaines d’ « énarques du 3e
type » eurent néanmoins le temps de prouver leur valeur et qu’une autre
ENA était possible, tout en sachant que sa seule réforme ne saurait garantir à
toutes les citoyennes et tous les citoyens l’égal accès aux emplois
administratifs les plus importants.
Sur le modèle du statut des fonctionnaires, statut fédérateur de 1983 d’une fonction publique
« à trois versants » (État, collectivités territoriales, établissements
publics hospitaliers), on pourrait concevoir une École des hautes études
administratives combinant l’exigence d’unité républicaine et le respect de la
diversité des fonctions, tronc commun consacrant notre conception française de
la fonction publique, prolongé par des écoles d’application spécialisées dans
les trois versants. Des mesures simples permettraient de régler la notion de « grands
corps » en accordant à tous les fonctionnaires accédant aux corps de
débouchés les mêmes régimes indiciaires et indemnitaires. La comparabilité des
situations permettrait une application plus fluide de la mobilité érigée en
garantie fondamentale en 1983. Des « tours extérieurs » élargis
permettaient l’accès en cours de carrière à certains corps aux compétences générales.
Le départ de fonctionnaires dans le privé serait rendu onéreux et irréversible.
Cette orientation est l’inverse de celle du projet de loi pétri d’idéologie managériale qu’Emmanuel Macron, pur produit du système de fabrication des castes, veut faire passer en force au Parlement avant l’été en dépit de la plus large opposition. Ici, c’est moins l’ENA qui est en cause que l’avenir de nos services publics.*
25 avril 2019
Gérard Aschieri et Anicet Le Pors, La fonction publique du XXIe siècle, Éditions de l’Atelier, Paris, 2015.
Ancien ministre de la fonction publique et des réformes administratives (1981-1984),conseiller d’Etat honoraire
Ancien ministre de la fonction publique, Anicet Le Pors s’insurge, dans une tribune au « Monde », contre un projet de loi qui, selon lui, organise l’alignement du public sur le privé et laisse poindre une version autoritaire du pouvoir hiérarchique.
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Tribune. En échec sur sa réforme des institutions, Emmanuel Macron a entrepris de passer en force sur celle de la fonction publique, baptisée en la circonstance « réforme de l’Etat ». Le projet de loi que vient d’adopter, le 27 mars, le conseil des ministres n’est pourtant que l’aboutissement provisoire d’une démarche particulièrement chaotique.
Les difficultés rencontrées par le gouvernement depuis un an l’ont contraint à réduire ses ambitions. Mais s’il proclame ne pas vouloir supprimer le statut général des fonctionnaires, son projet le dénature gravement en prévoyant, notamment, un recrutement massif de contractuels, des plans de départs volontaires de fonctionnaires, des ruptures conventionnelles dans des conditions incertaines, la réduction des compétences des organismes de concertation et la rémunération dite « au mérite ».
Par ailleurs, outre la réduction de 120 000 emplois durant le quinquennat, les fonctionnaires seront concernés par les réformes à venir de l’assurance-chômage et des retraites. A l’origine, le gouvernement avait vu plus grand : dans un discours du 13 octobre 2017, le premier ministre Edouard Philippe avait mis en place une opération baptisée « CAP22 » autour d’un Comité action publique 2022 qui devait remettre un rapport avant la fin mars 2018. Or, celui-ci, simple décalque du management privé, s’est révélé incommunicable aux fonctionnaires et le premier ministre a dû reprendre la main pour aboutir au projet actuel (« Service publique. Se réinventer pour mieux servir », juin 2018, voir lien PDF).
Centre de gestion des Côtes d’Armpr, le 14 décembre 2018
Référence incantatoire à la déontologie
Depuis sa mise en place en 1983 sous la forme d’une fonction publique « à trois versants » (Etat, collectivités territoriales, établissements publics hospitaliers), le statut des fonctionnaires a subi de multiples attaques, soit frontales soit sous forme de centaines de mesures ponctuelles entraînant un véritable « mitage » du statut. Mais l’offensive actuelle est nouvelle en ce qu’elle tend à l’alignement du public sur le privé par la généralisation des techniques du new public management (nouvelle gestion publique).
Ce projet est d’abord une atteinte au service public dont la neutralité est menacée par le recours massif à des contractuels à tous les niveaux
Selon l’exposé des motifs du projet, pour lequel aucune étude d’impact préalable n’a été présentée, il s’agit de « responsabiliser les manageurs publics en développant les leviers qui leur permettront d’être de vrais chefs d’équipe », formule qui laisse poindre une version autoritaire du pouvoir hiérarchique. Ce projet est d’abord une atteinte au service public dont la neutralité est menacée par le recours massif à des contractuels à tous les niveaux, permettant ainsi à des dirigeants d’entreprises privées d’occuper des postes de direction d’administrations, de s’y constituer des réseaux d’influence avant de retourner à leurs affaires.
Plus généralement, l’accès aux emplois publics étant statutairement conditionné par la réussite à un concours, cette exigence de capacité, d’attachement au service public et d’intégrité sera inévitablement réduite par la conclusion de simples contrats de droit privé n’engageant les parties que sur projet ou pour un temps limité. La formation et la gestion des agents publics seront rendues plus complexes et plus aléatoires, alors que la fonction publique appelle une gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences à long terme. Cela explique sans doute la référence incantatoire des promoteurs du projet de loi à la déontologie, peu normative.
Captation de l’action publique
Les allers-retours entre le public et le privé sont encouragés. Des « rétro-pantouflages » de hauts fonctionnaires – revenant dans les services de l’Etat après avoir passé quelques années dans le privé dont ils auront épousé l’idéologie managériale – entraîneront ainsi la confusion des finalités du privé et du public, un risque accru de conflits d’intérêts, la captation de l’action publique par l’oligarchie financière.
Il s’agit avant tout, est-il annoncé, de « doter les manageurs des leviers de ressources humaines nécessaires à leur action », avec les risques d’arbitraire et d’autoritarisme subséquents. Le dialogue social est alors d’autant plus invoqué qu’il est inexistant dans la pratique, comme l’ont déploré toutes les organisations syndicales.
Ce projet tourne le dos à la conception française républicaine de la fonction publique. Celle-ci s’est forgée au cours d’une histoire qui a d’abord vu la Révolution française supprimer les privilèges, dont la vénalité des charges publiques. Puis, après un XIXe siècle et une première moitié du XXe siècle dominés par l’autoritarisme hiérarchique et la conception du fonctionnaire sujet, s’est affirmée à la Libération, par le statut fondateur de 1946, la conception du fonctionnaire citoyen. Enfin, le statut fédérateur instauré en 1983 a largement prouvé depuis trente-six ans sa solidité et son adaptabilité, érigeant la mobilité en garantie fondamentale des fonctionnaires.
Cette histoire est portée par des tendances lourdes (sécularisation du pouvoir politique, socialisation des financements de besoins sociaux fondamentaux, maturation des concepts et des principes du service public) qu’il n’est au pouvoir d’aucun gouvernement de remettre en cause durablement.
Front contre l’exécutif
Le projet de loi est également contraire à la rationalité d’une action publique finalisée par l’intérêt général. La théorie économique libérale au stade du néolibéralisme, fut-elle hypermathématisée, ne saurait être l’inspiratrice d’une démarche scientifique pour une administration aujourd’hui dépourvue des moyens d’expertise indispensables. Au demeurant, l’empirisme d’une économie de marché placée sous les dogmes de la libre concurrence et de la réduction de la dépense publique, n’a que faire de la science économique.
Ce projet est contraire à la morale républicaine. Sans qu’il soit besoin de revenir sur les affaires judiciaires et administratives de la garde rapprochée du président, celui-ci s’est affirmé en deux ans comme le représentant d’une classe et d’une caste. La primauté de l’intérêt général, l’affirmation du principe d’égalité, l’éthique d’une citoyenneté responsable sont des valeurs qu’il ne donne pas l’impression de tenir pour essentielles.
Ce projet de réforme de la fonction publique doit donc être récusé. Le grand débat n’en a pas fait une priorité. La population française est attachée au service public et elle estime les fonctionnaires. Toutes les organisations syndicales s’opposent au projet. Les associations d’élus font aujourd’hui front contre l’exécutif. De fortes réserves s’expriment au Parlement, dans la majorité présidentielle et jusqu’au sein même du gouvernement.
Emmanuel Macron s’étant montré soucieux de recueillir les avis des grands intellectuels de notre pays, il serait temps que se manifestent dans la haute fonction publique assez d’esprits vigiles pour que l’on ne puisse pas parler dans quelque temps d’une nouvelle « trahison des clercs »
Anicet Le Pors(Ancien ministre de la fonction publique et des réformes administratives (1981-1984),conseiller d’Etat honoraire)
une réforme de tous les dangers pour le service public
Le gouvernement a annoncé un projet de loi de transformation de la fonction publique pour la fin mars ; quelle est la stratégie d’Emmanuel Macron ?
Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait dit son hostilité aux statuts des salariés du secteur public, jugeant notamment le statut général des fonctionnaires « inapproprié » et prévoyant la suppression de 120 000 emplois – dont 70 000 dans la fonction publique territoriale. Élu, il a donné la priorité à l’achèvement de la réforme du code du travail pour faire du contrat individuel de droit privé la référence sociale majeure pour le privé comme pour le public. Sa croisade contre les statuts a commencé par la suppression du statut des cheminots pour l’avenir. Mais son objectif final c’est de supprimer ou au moins de vider de ses garanties le statut des fonctionnaires qui concerne 5,5 millions de salariés soit un cinquième de la population active du pays.
En quoi ce projet est-il une menace pour le service public et ses agents ?
Ce projet va porter d’abord un grave préjudice au service public. Les garanties de neutralité et d’impartialité qui tiennent aux conditions de recrutement, de formation et de gestion des fonctionnaires seront réduites et susceptibles d’encourager le clientélisme. Les fonctionnaires risquent de se voir progressivement écartés des activités les plus intéressantes et les plus décisives au profit de contractuels réputés plus dociles ou avantagés. Les techniques du management organiseront une pression grandissante pour maximiser la performance individuelle au détriment du service de l’intérêt général.
Vous avez publié avant le deuxième tour de l’élection présidentielle un article intitulé « Emmanuel Macron, cet homme est dangereux ». Ce projet de réforme de la fonction public vous semble-t-il confirmer vos craintes ?
La crise sociale où nous sommes, les affaires qui perturbent l’appareil d’État, l’arrogance de ceux qui nous gouvernent créent une situation dangereuse qui ne peut que favoriser la violence. Ce projet de loi est une des expressions majeures de l’autoritarisme présidentiel, favorable aux riches et aux puissants, dur pour les plus faibles. Ce projet est dangereux car il tourne le dos à la conception française de la fonction publique ; méconnait l’histoire, la démarche scientifique, la morale républicaine qui ont fondé le statut de 1946, à la Libération, et conduit l’élaboration du statut fédérateur de 1983 étendu à l’ensemble des agents publics de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics hospitaliers et de recherche. C’est à cela que s’attaque Emmanuel Macron, mais il y a loin de la coupe aux lèvres