Une manipulation ministérielle – l’HUMANITE, 26 février 2010

Le ministre du Budget Éric Woerth, chargé – c’est tout un symbole – de la Fonction publique, a justifié la possibilité que s’arroge de Gouvernement de licencier un fonctionnaire en expliquant que la possibilité de licencier des fonctionnaires placés en disponibilité et ayant refusé des offres d’emploi a été introduite dans le statut de la Fonction publique en 1984 par le Gouvernement de Pierre Mauroy. «  Le ministre de la Fonction publique de l’époque, Anicet Le Pors, avait en effet considéré qu’un fonctionnaire qui refuse de nombreuses propositions de poste rompt de fait son engagement vis-à-vis du service public ».

La disponibilité est la position du fonctionnaire qui, placé hors de son administration ou service d’origine, cesse de bénéficier, dans cette position,  de ses droits à l’avancement et à la retraite. Elle était prévue dès le statut de 1946, élaboré sous la direction de Maurice Thorez, ministre de la Fonction  publique de l’époque et prononcée dans deux cas : soit d’office, soit à la demande de l’intéressé. D’office, à l’issue de certains congés de maladie de longue durée ; sur demande du fonctionnaire dans le cas d’accident ou de maladie grave du conjoint ou d’un enfant du fonctionnaire et, « à titre exceptionnel, pour convenances personnelles et pour recherches ou études présentant un intérêt général incontestable ». Il s’agissait donc de dispositions correspondant à des situations très particulières, restrictives, fortement encadrées dans leur justification et leur durée. Ces caractéristiques justifiaient qu’il ne soit pas fait un recours abusif à cette position, au détriment du service public. C’est pourquoi l’article 123 du statut général des fonctionnaires prévoyait que «  Le fonctionnaire mis en disponibilité qui, lors de sa réintégration, refuse le poste qui lui est assigné, peut être rayé des cadres par licenciement après avis de la commission administrative paritaire ».

Le statut général des fonctionnaire élaboré en 1983-1984 a conservé la position de « disponibilité » parmi les différentes positions dans lesquelles peut être placé le fonctionnaire (activité, détachement, hors cadres, disponibilité, etc.). Mais, dans le même esprit où nous avons alors considéré la mobilité comme « garantie fondamentale » du fonctionnaire, il est apparu souhaitable d’assouplir les dispositions précédentes sans modifier substantiellement les critères permettant l’accès à cette position : sur demande de l’intéressé et à l’issue de l’expiration de certains congés de maladie de longue durée définis avec précision. L’article 51 du statut général prévoit que, dans ces circonstances : « Le fonctionnaire qui refuse successivement trois postes qui lui sont proposés en vue de sa réintégration peut être licencié après avis de la commission administrative paritaire ». Il s’agissait donc d’un assouplissement des dispositions antérieures dans des cas tout à fait spécifiques et qui n’ont connu qu’une application exceptionnelle.

Tout autre est l’usage qui est fait de modalités de ce type par le Gouvernement dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) dont la mesure phare est le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, récusée par l’ensemble des organisations syndicales de fonctionnaires tout comme par la Cour des comptes qui a dénoncé le caractère purement comptable de cette politique. Le décret du 11 février 2010 pris en application de la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité des fonctionnaires ne concerne en rien une demande individuelle du fonctionnaire ou les circonstances attachées à un congé de longue maladie, mais la politique de démantèlement administratif conduite par le Président de la République et son Gouvernement et les instruments qu’ils ont mis en place à cette fin, la LOLF (loi organique relative aux lois de finances), la RGPP et les lois dites de modernisation ou relative à la mobilité. Qu’il me soit permis de rappeler que la période 1981-1984 a été marquée par la création de plusieurs dizaines de milliers d’emplois dans la fonction publique, un élargissement considérable des droits des fonctionnaires, une protection statutaire étendue aux fonctions publiques territoriales et hospitalières, et ce dans une concertation sans précédent à ce jour et, j’ose le dire, dans un climat de confiance qui ne niait pas les contradictions. Rien à voir avec ce qui se passe aujourd’hui.

Le ministre de la Fonction publique décharge ainsi le pouvoir politique de sa responsabilité pour en faire subir les conséquences aux fonctionnaires victimes de cette même politique. Il se rend ainsi coupable d’un double détournement : de sa responsabilité et des textes statutaires. C’est tout simplement malhonnête.

2010, ambition service public – Syndicat CGT des sapeurs pompiers – Martigues – 22 février 2010

En vous remerciant pour votre accueil, permettez-moi tout d’abord de souligner le professionnalisme dont votre organisation a fait preuve dans la préparation de cette réunion. Si l’action au quotidien est indispensable, il est non moins nécessaire de prendre le temps de s’interroger sur les justifications fondamentales de cette action.

 

I. DES PRINCIPES ISSUS DE NOTRE HISTOIRE

En matière de réforme des collectivités territoriales comme en bien d’autres thèmes participant du débat politique actuel sont évoqués l’intérêt général, le service public, la fonction publique, idées qui se sont forgées au cours des siècles : création du Conseil d’État du Roi sous Philippe Le Bel à la fin du XIII° siècle, articles 1er et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sous la Révolution, Révolution de 1848, École française du service public à la fin du XIX°, statut général des fonctionnaires en 1946. Ces notions se sont incarnées dans des personnages historiques importants : de Richelieu à de Gaulle.

L’intérêt général

Les économistes néo-classiques ne sont parvenus à définir qu’un « optimum social », préférence révélée des consommateurs. Le citoyen ne se réduit pas au consommateur ni à au producteur ?

Le juge administratif a considéré que c’était au pouvoir politique de le définir dans un débat démocratique. Il en a fait cependant usage mais de façon subsidiaire dans l’application du principe d’égalité. Il a identifié des activités relevant de l’intérêt général.

Il siège dans les notions de déclaration d’utilité publique, d’ordre public. Les « actions positives » doivent être proportionnées à la différence des situations ou à l’intérêt général invoqué.

Le service public

Une notion simple à l’origine : une mission d’intérêt général, une personne morale de droit public, un droit et un juge administratifs. Couverture par l’impôt et non par les prix. La reconnaissance de prérogatives de service public.

Une notion devenue complexe : interpénétration public-privé (régie, concession, délégation), hétérogénéité croissante, développement du secteur associatif. Le contrat le dispute à la loi.

La contradiction s’exacerbe dans le cadre de l’Union européenne dont les critères sont essentiellement économiques (« Économie de marché ouverte où la concurrence est libre et non faussée »), le service public ignoré (sauf art. 93 du TUE), définition des SIEG et des SIG. La jurisprudence de la CJCE tend cependant à faire une place aux acticités d’intérêt général ; le régime de la propriété n’est pas préjugé (art. 345). L’attachement aux services publics a joué un rôle important dans le rejet du traité constitutionnel le 29 mai 2005.

La fonction publique

Création ancienne d’une administration centralisée. Le principe hiérarchique est longtemps dominant. Création de règles jurisprudentielles et rejet de la notion de « statut carcan » par les syndicats pendant la première moitié du XX° siècle. Premier statut de 1941 sous Vichy. La loi du 19 octobre 1946, premier statut démocratique. Redistribution législatif-réglementaire en 1959.

L’élaboration du statut actuel en 1981-1986 : les 3 principes d’égalité, d’indépendance, de responsabilité). La conception du fonctionnaire-citoyen opposée au fonctionnaire-sujet (Michel Debré). Une fonction publique à « trois versants » (FPE, FPT, FPH).

Montée en puissance des personnels sous statut : 200 000 fonctionnaires début XX° siècle, 1 million en 1946, 2,1 millions en 1981, 5,3 millions aujourd’hui ; 146 articles législatifs en 1946, 57 en 1959, plus de 500 aujourd’huiL Ler statut actuel connaît la plus grande longévité contre la prévision de F. Mitterrand en 1986.

II. UNE OFFENSIVE SANS PRÉCÉDENT

Selon Marcel Gauchet, la stratégie de Sarkozy c’est la « banalisation » de la France. La France, une somme d’ « anomalies » : le modèle d’intégration, la laïcité, le service public, les collectivités territoriales, etc ?

Le « pragmatisme destructeur » contre l’ « ardente obligation ». L’ « identité nationale » comme contre-feu.

La réduction de la dépense publique

Des précédents : la commission de la Hache dans les années 1950, la RCB, la LOLF (34 missions, 132 programmes, 620 actions) et sa « fongibilité asymétrique ».

La RGPP : non remplacement d’un fonctionnaire sur deux ; plus de 300 mesures administratives, pas de concertation. Le démantèlement de l’ « administration rationalisante : CGP, CNE, HCEP, HCCI, CIRA, DP, CECRSP, INSEE, A de F, etc.

Primauté à la « main invisible » sur la « main visible » . D’où la nécessité de réhabiliter la planification, les nationalisations, les institutions.

La réforme des collectivités territoriales

La justification par la compétition internationale (St-Dizier, le 20 octobre 2009) : créer de meilleures conditions d’implantation pour les entreprises. Priorité aux « pôles et aux réseaux » sur les « circonscriptions et les frontières ». L’invocation de l’extérieur (délocalisation, régions, métropoles) comme justification de l’aménagement du territoire.

Pas de « mille-feuilles » mais 2 triptyques : commune-département-nation (politique) contre agglomération-région-Europe (économique). Primauté de l’agglomération sur la commune, de la région sur le département, de l’Europe sur la nation, de la métropole sur les collectivités géographiques.

Je en retiendrai que trois dispositions majeures de la réforme envisagée.

– les conseillers territoriaux : leurs effectifs réduits de moitié réduiront le lien avec les citoyens ; le mode de scrutin retenu est une atteinte à la parité, il favorise la bipolarisation, il court un risque d’inconstitutionnalité.

– les métropoles : nouvelle collectivité territoriale profondément déstabilisante ; pas de clause de compétence générale, mais large pouvoir conventionnel.

– la suppression de la taxe professionnelle. : les collectivités territoriales réalisent 73 % de l’investissement public mais ne représentent que 10 % de l’endettement, les financements croisés sont faibles. Les financements obligatoires et l’équilibre des budgets de fonctionnement sans les compensations financières des missions transférées pèseront de plus en plus sur les populations. Compensation incertaine de la suppression par la contribution économique territoriale (CET). Avantage pour la quasi-totalité des entreprises. Propositions nécessaires : péréquations verticale et horizontale, fiscalité propre des collectivités territoriales, création de fonds régioanaux. Quel rôle pour le « pôle financier public » ?

Des conséquences très déstabilisatrices vont s’ensuivre.

– une détérioration de la situation matérielle et morale des fonctionnaires : effectifs, contractualisation, clientélisme. Propositions de loi Gorge (le contrat comme modalité de droit commun, le statut comme exception), et Poisson (marchandisation des emplois public-privé). Lois sur la modernisation et la mobilité. Décret Woerth et possibilité de licenciement des agents publics. Affaiblissement continué du « maillon faible », la FPT.

– l’affaiblissement des services publics déconcentrés (8 directions dans les régions, 2 à 3 dans les départements) comme conséquence de la RGPP, se combinant avec l’affaiblissement des services publics décentralisés par réduction des compétences et des moyens des collectivités territoriales. Intrusion du privé sur les segments les plus rentables

– présidentialisation accrue avec le rôle dévolu aux préfets et spécialement au préfet de région véritable proconsul (carte des regroupements de communes, périmètre des métropoles, conventions départements-régions).

La voie d’une autre réforme des collectivités territoriales est possible :

– dans le cadre plus général des institutions ; quelle dialectique du national et du local ?

– sur le terrain des principes républicains en la matière : unité de la République siège de l’intérêt général ; libre administration des collectivités territoriales par la clause de compétence générale ; subsidiarité démocratique ; hostilité à toute expérimentation législative (art. 37-1 de la Constitution)

– réaliser la convergence des démarches de l’opinion publique, des fonctionnaires territoriaux et des élus.

Démantèlement des services publics et de la fonction publique

Une spécificité française : une fonction publique de 5,3 millions, environ 6 millions avec les entreprises et organismes publics (un quart de la population active). Un môle de résistance au marché et à la contractualisation.

L’attaque n’a pas commencé acec Sarkozy : loi Galland du 13 juillet 1987 (suppression de la 3° voie d’accès à l’ÉNA, de la loi sur droit de grève 19 octobre 1982). La Poste et France Télécom en 1990 (P. Quilès), Air France 1999 (J-C. Gayssot), rapport du Conseil d’État 2003 préconisant la contractualisation comme « source autonome du droit » de la fonction publique. Atteintes sectorielles par les lois de modernisation du 2 février 2007 et sur la mobilité du 3 août 2009. Les gouvernements de gauche ne reviennent pas sur les atteintes de la droite.

La « révolution culturelle » dans la fonction publique annoncée par Nicolas Sarkozy 19 septembre 2007. Il diligente le Livre Blanc de J-L. Silicani (contrat contre loi, métier contre fonction, performance individuelle contre efficacité sociale). La crise révélatrice du rôle d’ « amortisseur social » du service public (emploi, pouvoir d’achat, protection sociale et retraites, éthique). Dans les conditions nouvelles, le « Grand soir statutaire » n’aura pas lieu mais le cap est maintenu et les atteintes se poursuivront.

III. OUVRIR DES PERSPECTIVES

Défendre les services publics, mais surtout inscrire leur promotion dans une perspective.

Se positionner sur les valeurs et principes

Le pouvoir ne néglige pas les valeurs : 75 des 146 pages du Livre Blanc Silicani y sont consacrées sans qu’il en tire les conséquences.

Réaffirmer les valeurs et principes de l’intérêt général, sur le service public et la fonction publique précédemment évoqués, mais aussi l’unité et l’indivisibilité de la République et la libre administration des collectivités territoriales.

Plus généralement : se réapproprier l’histoire, la science, la morale.

Faire des propositions constructives à tous niveaux

Ce pouvoir peut être tenu en échec : de la révolution culturelle, de la suppression du classement se sortie des écoles de la fonction publique ; critique du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux par Philippe Séguin. Dissensions sur la taxe professionnelle, l’élection des conseillers territoriaux. Promesse aventureuse de titularisation des contractuels …

Faire des propositions concernant le service public et la fonction publique : par exemple reclassement indiciaire, fin contractualisation, double carrière, conditions de mobilité, dialogue social, égalité hommes-femmes, etc. Mais aussi pour un « statut des travailleurs salariés du secteur privé » (cf . Robert Castel, Ph. Cotis, position de la CGT). et la convergence organisée dans l’action avec le statut général des fonctionnaires.

Approfondissement de questions majeures : planification, nationalisations, institutions, laïcité, etc. « États généraux du service public » (Mutualité, 17 décembre 2009).

Au delà : qu’est-ce que le socialisme aujourd’hui ? Appropriation sociale, démocratie, citoyenneté.

Le service public « valeur universelle » ?

La montée de l’ « en commun » : protection de l’écosystème mondial, propriété des ressources du sol et du sous-sol, des produits alimentaires, projets industriels internationaux, mondialisation de services, des échanges, de la culture, etc.

La prise de conscience de l’unité de destin du genre humain caractéristique majeure du moment historique : « Terre-Patrie », le « Tout-Monde », « Patrimoine commun de l’humanité », « Biens à destination universelle », etc.

Le service public, valeur universelle? La contribution de la conception et de l’expérience française pourrait être éùinente. Le XXI° siècle peut et doit êdtre l’« âge d’or » du service public ?

La RGPP contre la solidarité et la citoyenneté – 54ème Congrès de l’Association Républicaine des Anciens Combattants et Victimes de Guerre (ARAC) – Gennevilliers, 19 février 2010

La stratégie du Président de la République c’est la « banalisation » de la France selon le philosophe Marcel Gauchet. La France, semble être aux yeux du pouvoir actuel une somme d’ « anomalies » telles que le modèle d’intégration, la laïcité, les collectivités territoriales, etc ?

La manière est celle d’un « pragmatisme destructeur ». Nous sommes loin de l’ « ardente obligation » que représentait la « planification à la française » pour le général de Gaulle. La campagne sur l’ « identité nationale » apparaît dès lors comme un contre-feu à la stratégie de normalisation du pays selon les critères économiques qui président aujourd’hui à la construction de l’Union européenne.

L’existence en France de services publics importants, mis en œuvre par des salariés régis non par le contrat mais par des statuts, c’est-à-dire par la loi, expression de la volonté généralke, représentant un quart de la population active est l’une des « anomalies » que le pouvoir entend réduire ; de même qu’un système de protection sociale et de retraite acquis au fil d’une longue histoire de luttes, mais aussi d’une recherche rationnelle en faveur de l’égalité et de la justice sociale.

La mise en place de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) est à contre-courant de cette histoire et de l’effort de rationalisation des politiques publiques.

1. La mise en place de la RGPP

Dès le 10 mai 2007, le Premier ministre, sur injonction du Président de la République, a lancé la Révision générale des politiques publiques (RGPP) présentée en Conseil des ministres du 20 juin. Elle s’est traduite, dans un premier temps, par un ensemble d’audits réalisés par des équipes constituées de représentants des inspections générales et du secteur privé fournissant la matière d’un Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP) le 12 décembre 2007 arrêtant 96 mesures sur lesquelles je reviendrai ; puis d’un deuxième CMPP le 4 avril 2008 retenant 166 mesures mettant l’accent, en dehors de toute problématique d’efficacité sociale et de service public, d’une part sur la réduction de la dépense publique recherchée à travers le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, d’autre part la révision des politiques d’intervention concernant notamment le logement, l’emploi, la formation professionnelle, la santé et la sécurité ; enfin un troisième CMPP le 11 juin 2009 annonçant 69 nouvelles mesures concernant notamment les administrations de l’État au niveau départemental, soit au total plus de 300 mesures. Simultanément , les ministères ont été invités à revoir leurs missions et leur organisation. Cette opération a été développée dans une importante mise en scène où la communication se substitue à la volonté de rationalisation. Il importe néanmoins de faire la clarté sur les objectifs poursuivis par cette entreprise qui aura des conséquences importantes sur les structures administratives et les statuts des personnels.

Les promoteurs de la RGPP mettent en avant trois objectifs :

– mieux adapter les administrations au service des usagers ;
– valoriser le travail des fonctionnaires ;
– réduire les dépenses publiques pour revenir à l’équilibre budgétaires et gagner des arges de manœuvre.

Les deux premiers des objectifs énoncés sont si incontestables qu’ils apparaissent comme des banalités, trompe-l’œil de la troisième proposition qui est le leitmotive des libéraux. La réduction de la dépense publique est en effet conforme aux normes monétaires et financières introduites par le traité de Maastricht en 1992 (critères de niveau d’endettement, de taux d’inflation, de taux d’intérêt, etc.).

Il faut rechercher les origines de la RGPP dans les techniques de gestion des grandes entreprises privées mises en œuvre notamment dans les années 1970 par Toyota. Elle repose sur une dissociation de la décision stratégique, qui est politique, de la gestion opérationnelle qui relève de l’appareil d’État et qui tend, de plus en plus, à être mise en œuvre par des contrats de prestation de services. Dès lors le fonctionnaire n’est plus un serviteur de l’intérêt général qui suppose qu’il en ait une haute conscience, mais un prestataire qui n’a pas de spécificité et peut donc être remplacé par un agent privé au métier équivalent.

Plutôt que de se situer dans une démarche de satisfaction des besoins, il s’agit au contraire de s’installer dans une gestion d’économie de moyens, de pénurie, en pesant sur la dépense publique. À cette fin, la nouvelle gestion publique (NGP) est constituée de 374 mesures qui ne constituent pas un ensemble cohérent mais sont toutes dictées par cet objectif recherché par sommation de réductions de dépenses qui devront être accomplies d’ici à 2011. Les moyens développés dans ce but sont organisés par un comité de suivi coordonné par Claude Guéant , secrétaire général de l’Élysée, soutenu par nombre de cabinets de conseil privés. La DGME a d’ailleurs comme directeur général un ancien de Mac Kinsey . On a pu évaluer à quelque 200 millions d’euros le coût de ces cabinets pour les finances publiques.

Ainsi, s’il importe de contester chacune des réductions de crédits qui n’a aucun fondement sérieux au regard d’une politique générale de satisfaction des besoins et de l’intérêt général, la RGPP doit être principalement combattue sur le plan politique en tant qu’elle installe dans notre pays un modèle de société contraire tout à la fois à notre histoire, à la démarche de rationalisation des politiques publiques, à l’éthique qui doit guider la responsabilité publique.

Les mesures de RGPP ont été inscrites dans une loi de programmation budgétaire pluriannuelle 2009-2012 adoptée le 21 janvier 2009. Elle précise les plafonds de chaque mission. L’opération est baptisée « Service public 2012 ». Chaque ministère doit se doter d’un comité de pilotage avec chefs de projets, d’un calendrier et d’une batterie d’indicateurs de moyens dont on ne précise pas quels rapports ils auront avec ceux également définis dans le cadre de la LOLF (ci-après).

Les pays qui ont engagé des réformes budgétaires restrictives de l’emploi public au cours des dernières années ont, pour la plupart d’entre eux, du réviser leur politique. Si l’Allemagne a enregistré une baisse de ses effectifs, le Royaume-Uni les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, ont connu une vive hausse (800 000 agents publics britanniques recrutés entre 1997 et 2006). Après une forte baisse, la Suède a suivi le même mouvement. Le Canada, les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande et le Japon comptent plus de fonctionnaires en 2006 que vingt ans auparavant. On observe en outre que dans la plupart des pays précités, la baisse de la masse salariale des fonctionnaires est approximativement compensée par la hausse des coûts de la sous-traitance et de l’externalisation des missions de service public au secteur privé (1).

2. La France n’est pas suradministrée

L’objectif de la RGPP est le plus souvent énoncé sous la forme triviale de la suppression d’un emploi sur deux des fonctionnaires partant à la retraite au cours des prochaines années. Aucune justification rationnelle n’est donnée du taux ainsi arbitrairement retenu. Les dépenses de personnel de l’État sont en baisse dans le budget général : 43 % pour 119,6 milliards d’euros en 2008 dans un budget de 278,2 milliards d’euros (43,6 % en 2006). Le total des dépenses des administrations centrales de l’État s’établit à 6 % du PIB (1950 milliards d’euros) en 2008, proportion en baisse. Si la rémunération moyenne des fonctionnaires de l’État est supérieure de 11 % à celle du secteur privé, c’est en raison d’une qualification moyenne supérieure. En revanche, les salaires des cadres sont 58 % plus élevés dans le privé que dans le public, de 31 % pour les professions intermédiaires, mais inférieurs de 11 % pour les employés (2).

Y a-t-il trop de fonctionnaires comme on l’entend dire parfois ? Le raisonnement pourrait être aisément critiqué car les mêmes qui soutiennent qu’il y a y a trop de fonctionnaires en général se plaignent qu’il n’y en ait pas assez dans le détail. L’étude précitée montrait que le nombre d’agents publics (en entendant par là les salariés financés par prélèvements obligatoires pour éviter les comparaisons basées sur des statuts différents d’un pays à l’autre) pour 1000 habitants plaçait la France en position moyenne dans l’ensemble des pays développés, avec 93 de ces emplois, entre un minimum de 41 au Japon et un maximum de 154 au Danemark. Il n’y a pas de « nombre d’or » des effectifs de la fonction publique, mais il est vrai qu’une gestion prévisionnelle des effectifs des compétences et des emplois serait nécessaire ; je m’étais engagé dans cette voie en 1982 avec le Projet CHEOPS.

Plus généralement, la plupart des organismes statistiques et d’étude économique ont montré que la part des salaires dans le PIB a régressé depuis un quart de siècle : selon la Commission européenne cette part a baissé de 8,6 % dont 9, 6 % pour la France, représentant un transfert au détriment du travail de quelque 150 milliards d’euros (3). Créé en 1987 au niveau 1000, le CAC 40 est aujourd’hui, en dépit de sa forte baisse du fait de la crise financière au voisinage de 3 800, il a donc presque quadruplé. Pendant ce temps en euros courants, les salaires ont, en moyenne, augmenté de 60 %. Si l’on tient compte de la hausse des prix, le CAC 40 a progressé de 120 % en vingt ans contre seulement 15 % pour les salaires à temps plein. Le rapport du directeur général de l’INSEE Jean-Philippe Cotis, remis au Président de la République au printemps dernier, a confirmé cette évolution.

Il n’est pas sans intérêt, pour les fonctionnaires, de marquer l’origine de cette évolution. Pour ma part, je la situerais au 16 mai 1983 lorsque Jacques Delors, alors ministre de l’économie et des finances accepte de signer un accord à Bruxelles par lequel il obtient un prêt de 4 milliards d’écus en échange d’un engagement du gouvernement français de supprimer l’indexation des salaires et des prix. C’était marquer la fin de la pratique des négociations salariales dans la fonction publique qui ne s’en est jamais véritablement remise et qui a eu les graves conséquences que l’on a rappelées sur l’ensemble des salaires des secteurs public et privé. Dans ce domaine comme en d’autres on peut regretter qu’aucun des gouvernements qui se sont succédés n’ait remis en cause ce funeste engagement.

Il résulte de tout ce qui précède une exigence de transparence sur les comptes publics qui n’est pas satisfaite aujourd’hui.

Qu’une réflexion générale soit engagée sur la recherche de la meilleure efficacité dans l’utilisation de l’agent public ne saurait être contesté. Il est même permis de penser qu’au-delà de l’opération de communication à laquelle donne lieu la RGPP, ce devrait être la préoccupation permanente de l’État, conformément comme nous l’avons rappelé à la disposition de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 enjoignant tout agent public de devoir rendre compte de sa mission à la nation.

Un telle entreprise se justifierait si elle était la conséquence de la mise en œuvre d’une démarche méthodologique susceptible d’introduire plus de rationalité dans la gestion des deniers publics au nom de la recherche d’une meilleure efficacité sociale. On ne voit rien dans la RGPP qui réponde à cette justification. L’objectif de réduction de moitié des effectifs de fonctionnaires partant à la retraite au cours des prochaines années n’a jamais été justifié rationnellement. Il n’y a pas de « nombre d’or » des effectifs de la fonction publique ; qu’ils doivent baisser ou augmenter doit fait faire l’objet d’une démonstration qui, en la circonstance, n’a toujours pas été apportée.

3. Une démarche obscure et irrationnelle

Cette nouvelle pratique croit pouvoir se dispenser de toute justification méthodologique pour fonctionner sur la seule évidence de la nécessité, jamais démontrée, de la réduction du nombre de fonctionnaires. C’est une nouveauté politique. Ainsi, la Loi organique sur les lois de finances (LOLF) entrée en vigueur le 1er janvier 2006, aussi contestable qu’elle puisse apparaître aujourd’hui, comportait néanmoins ce souci de justification rationnelle, absent de la politique actuelle. Avec ses 34 missions, ses 132 programmes, ses 620 actions, ses responsables de budgets de programmes, son articulation aux structures ministérielles, ses batteries d’indicateurs, etc., la LOLF avait fait l’objet d’une présentation intelligible bien que critiquable sur de nombreux points et finalement contestable par la pratique de la « fongibilité asymétrique » des crédits (4).

Il y a eu dans l’immédiat après guerre des instances visant expressément la réduction des dépenses publiques (Commission de la Hache). La LOLF est en réalité le dernier avatar d’une tentative administrative récurrente pour réduire sous couvert de rationalisation la gestion budgétaire publique qui avait connu une notoriété particulière dans les années 1960 sous le thème de la Rationalisation des chois budgétaire (RCB). Cette volonté était alors largement partagée et ses instruments faisaient l’objet de vifs débats entre spécialistes (5). De façon résumée, la RCB reposait sur une analyse de système (inspirée du plannig-programming-budgeting system américain), des budgets de programmes (analogues à ceux de la LOLF mais de caractère plus fonctionnel) et d’un programme d’études analytiques sur les questions les plus complexes (6). Elle prolongeait la vision planificatrice en vogue dans les débuts de la V° République. Elle se développa au cours des années 1970 en se dénaturant progressivement, les comportements budgétaires classiques (primauté de l’annualité budgétaire notamment) finissant par l’emporter. Il n’en resta, dans les meilleurs des cas, qu’une volonté sporadique d’évaluation des politiques publiques.

Autres temps autres mœurs. La rationalité tend aujourd’hui à être chassée de la conduite des politiques finalisées par l’intérêt général. C’est ainsi que, sous couvert de modernisation, le Conseil de modernisation des politiques publiques du 12 décembre 2007 a, parmi les 96 mesures de réforme de l’État qu’il a retenues, prévu en tête de celles-ci : la suppression du Haut conseil du secteur public, du Conseil national de l’évaluation, du Haut Conseil à la coopération internationale, de huit des neuf centres interministériels de renseignements administratifs (CIRA) ; également : le transfert de la direction générale de l’administration et de la fonction publique au ministère du Budget, l’intégration du Comité d’enquête sur les coûts et les rendements des services publics à la Cour des comptes. Ces suppressions et restrictions venant après l’intégration de la direction de la Prévision dans la Direction générale du Trésor et de la politique économique et surtout l’emblématique disparition du Commissariat général du Plan créé au lendemain de la Libération. Ajoutons-y aujourd’hui la délocalisation de l’INSEE à Metz, ce qui de l’avis général va contrarier sa mission de service public, la suppression de plusieurs dizaines de centres météorologiques départementaux, la perte d’identité des Archives de France (création de la Révolution française) dans une vaste direction du patrimoine. Ajoutons-y encore le projet de la loi organique prise en application de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui va supprimer la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) qui rendait public les abus des forces de sécurité (mal vue pour cette raison du ministère de l’Intérieur) et la mission de défense des enfants.

Le fondement scientifique de la rationalisation de la gestion publique devient ainsi un enjeu car tout l’effort du Président de la République et du gouvernement semble être aujourd’hui de trancher la « main visible » pour laisser le champ libre à la « main invisible ».

4. Une contre-offensive nécessaire

Le démantèlement des services publics et de la fonction publique, môle de résistance au marché n’a pas commencé avec l’actuel Président de la République : citons la loi Galland du 13 juillet 1987 (avec la suppression de la 3° voie d’accès à l’ENA, de la loi sur droit de grève 19 octobre 1982). Le changement de statut de la Poste et de France Télécom en 1990 (P. Quilès), d’Air France en 1999 (J-C. Gayssot), le rapport du Conseil d’État 2003 proposant de faire de la contractualisation une « source autonome du droit de la fonction publique », les lois de modernisation du 2 février 2007, sur la mobilité du 3 août 2009. Constatons que les gouvernements de gauche ne reviennent pas sur les atteintes de la droite lorsqu’ils reviennent au pouvoir.

Le Président de la République avait annoncé une « révolution culturelle » le 19 septembre 2007. Il avait diligenté à cet effet le Livre Blanc de J-L. Silicani (le contrat contre la loi, le métier contre la fonction, la performance individuelle contre l’efficacité sociale). La crise a l’inverse a été révélatrice du rôle d’ « amortisseur social » du service public (emploi, pouvoir d’achat… éthique). Le « Grand soir statutaire » n’aura pas lieu.

La réforme des collectivités territoriales est un autre exemple de la volonté de normalisation de la France historique. Il n’y a pas de « mille-feuilles » mais deux triptyques : l’ensemble commune-département-nation (politique) contre l’ensemble agglomération-région-Europe (économique). L’extérieur (délocalisation, régions, métropoles) est pour la première fois invoqué comme justification de l’aménagement du territoire (St-Dizier 20 octobre 2009).

Des dispositions majeures pernicieuses sont en visagées : conseillers territoriaux, métropoles, suppression de la taxe professionnelle. Les conséquences seront particulièrement graves : détérioration de la situation matérielle et morale des fonctionnaires (effectifs, contractualisation, clientélisme), des services publics (8 directions dans les régions, 2 à 3 dans les départements, intrusion du privé), le préfet de région est institué véritable véritable proconsul.

Il faut sans doute défendre les services publics, mais surtout inscrire leur promotion dans une perspective.

En premier lieu, se positionner sur les valeurs et principes Le pouvoir ne néglige pas les valeurs : 75 des 146 pages du Livre Blanc Silicani y sont consacrées mais sans qu’il en tire de conséquences. Il convient de réaffirmer les valeurs et principes de l’intérêt général du service public, de la fonction pièces maîtresses du pacte républicain. Plus généralement, notre peuple doit se réapproprier l’histoire, la science, la morale.

En deuxième lieu, faire des propositions constructives à tous niveaux. Ce pouvoir peut être tenu en échec ; il l’a été sur la révolution culturelle dans la fonction publique, sur la suppression du classement se sortie des écoles de la fonction publique, je rappelle aussi la critique du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux par Philippe Séguin. Des issensions existent, on le sais, sur la taxe professionnelle, l’élection des conseillers territoriaux. Il importe donc de faire des propositions concernant le service public et la fonction publique (par exemple reclassement indiciaire, fin contractualisation, double carrière, conditions de mobilité, dialogue social, égalité hommes-femmes, etc. Il faut plus généralement entreprendre un approfondissement de questions majeures : planification, nationalisations, institutions, laïcité, etc. dans l’esprit des « États généraux du service public » (Mutualité, 17 décembre 2009).

En troisième lieu ne devons-nous pas affirmer le service public comme « valeur universelle » ? Notre époque peut être considérée comme marquée par la montée de l’ « en commun » (protection de l’écosystème mondial, propriété des ressources du sol et du sous-sol, des produits alimentaires, projets industriels internationaux, mondialisation de services, des échanges, de la culture, etc.). Il s’ensuit une prise de conscience de l’unité de destin du genre humain caractéristique majeure du moment historique (« Terre-Patrie » d’Edgar Morin, le « Tout-Monde » de Patrick Chamoiseau et Edouard Glissant, « Patrimoine commun de l’humanité », « Biens à destination universelle », etc.) Le service public, dans ces conditions, pourrait être érigé en valeur universelle. La contribution de la France à la conception et à la mise en œuvre pourrait être éminente. Le XXI° siècle peut et doiit être l’« âge d’or » du service public.

 

(1) Centre d’analyse stratégique, La note de veille, Quelles évolutions de l’emploi public dans les pays développés ?, n° 96, avril 2008.
(2) Rapport annuel sur l’état de la fonction publique 2008-2009, la Documentation française, 2009.

(3) La baisse est de 5,8 % selon le FMI, de 8,4 % selon l’INSEE. C’est sans doute en raison de cette présentation formellement rationnelle qu’en dépit de nombreuses réserves, la LOLF avait été adoptée sans opposition au Parlement.

(4) Au point que la RCB fut traduite par « Révolution cubaine au budget » à la direction de la Prévision du ministère de l’Économie et des Finances pendant les évènements de 1968.

(5) C’est dans le cadre de ce programme que j’ai conduit l’étude Immigration et développement économique et social, Rapports interministériels, La Documentation française, 1976.

 

La réforme des collectivités territoriales, opportunité d’un approfondissement idéologique – « Faire vivre et renforcer le PCF », Paris Nord-Est et Seine-Saint-Denis – 12 février 2010

La réforme des collectivités territoriales, comme les atteintes portées aux services publics sont dans l’actualité syndicale et politique. Mais ce sont aussi autant de thèmes d’approfondissement idéologique.

I. SUR QUELQUES CONCEPTS

En matière de réforme des collectivités territoriales  comme en bien d’autres thèmes participant du débat politique actuel sont évoqués l’intérêt général, le service public, la fonction publique, idées qui se sont forgées au cours des siècles : création du Conseil d’État du Roi sous Philippe Le Bel à la fin du XIII° siècle, articles 1er et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sous la Révolution, Révolution de 1848, École française du service public à la fin du XIX°, statut général des fonctionnaires en 1946. Ces notions se sont incarnées dans des personnages historiques importants : de Richelieu à de Gaulle.

1.1. L’intérêt général

Les économistes néo-classiques ne sont parvenus à définir qu’un « optimum social », préférence révélée des consommateurs. Le citoyen ne se réduit pas au consommateur ni à au producteur ?

Le juge administratif a considéré que c’était au pouvoir politique de le définir dans un débat démocratique. Il en a fait cependant usage mais de façon subsidiaire dans l’application du principe d’égalité. Il a identifié des activités relevant de l’intérêt général.

Il siège dans les notions de déclaration d’utilité publique, d’ordre public. Les « actions positives » doivent être proportionnées à la différence des situations ou à l’intérêt général invoqué.

1.2. Le service public

Une notion simple à l’origine : une mission d’intérêt général, une personne morale de droit public, un droit et un juge administratifs. Couverture par l’impôt et non par les prix. La reconnaissance de prérogatives de service public.

Une notion devenue complexe : interpénétration public-privé (régie, concession, délégation), hétérogénéité croissante, développement du secteur associatif. Le contrat le dispute à la loi.

La contradiction s’exacerbe dans le cadre de l’Union européenne dont les critères sont essentiellement économiques (« Économie de marché ouverte où la concurrence est libre et non faussée »), le service public ignoré (sauf art. 93 du TUE), définition des SIEG et des SIG. La jurisprudence de la CJCE tend cependant à faire une place aux acticités d’intérêt général ; le régime de la propriété n’est pas préjugé (art. 345). L’attachement aux services publics a joué un rôle important dans le rejet du traité constitutionnel le 29 mai 2005.

1.3. La fonction publique

Création ancienne d’une administration centralisée. Le principe hiérarchique est longtemps dominant. Création de règles jurisprudentielles et rejet de la notion de « statut carcan » par les syndicats pendant la première moitié du XX° siècle. Premier statut de 1941 sous Vichy. La loi du 19 octobre 1946, premier statut démocratique. Redistribution législatif-réglementaire en 1959.

L’élaboration du statut actuel en 1981-1986 : les 3 principes d’égalité, d’indépendance, de responsabilité). La conception du fonctionnaire-citoyen opposée au fonctionnaire-sujet (Michel Debré). Une fonction publique à « trois versants » (FPE, FPT, FPH).

Montée en puissance des personnels sous statut : 200 000 fonctionnaires début XX° siècle, 1 million en 1946, 2,1 millions en 1981, 5,3 millions aujourd’hui ; 146 articles législatifs en 1946, 57 en 1959, plus de 500 aujourd’huiL Ler statut actuel connaît la plus grande longévité contre la prévision de F. Mitterrand en 1986.

II. UNE OFFENSIVE SANS PRÉCÉDENT

Selon Marcel Gauchet, la stratégie de Sarkozy c’est la « banalisation » de la France. La France, une somme d’ « anomalies » : le modèle d’intégration, la laïcité, le service public, les collectivités territoriales, etc ?

Le « pragmatisme destructeur » contre l’ « ardente obligation ». L’ « identité nationale » comme contre-feu.

2.1. La réduction de la dépense publique

Des précédents : la commission de la Hache dans les années 1950, la RCB, la LOLF (34 missions, 132 programmes, 620 actions) et sa « fongibilité asymétrique ».

La RGPP : non remplacement d’un fonctionnaire sur deux ; plus de 300 mesures administratives, pas de concertation. Le démantèlement de l’ « administration rationalisante : CGP, CNE, HCEP, HCCI, CIRA, DP, CECRSP, INSEE, A de F, etc.

Primauté à la « main invisible » sur la « main visible » . D’où la nécessité de réhabiliter la planification, les nationalisations, les institutions.

2.2.  Démantèlement des services publics et de la fonction publique

Une spécificité française : une fonction publique de 5,3 millions, environ 6 millions avec les entreprises et organismes publics (un quart de la population active). Un môle de résistance au marché et à la contractualisation.

L’attaque n’a pas commencé acec Sarkozy : loi Galland du 13 juillet  1987 (suppression de la 3° voie d’accès à l’ÉNA, de la loi sur droit de grève 19 octobre 1982). La Poste et France Télécom en 1990 (P. Quilès), Air France 1999 (J-C. Gayssot), rapport du Conseil d’État 2003 préconisant la contractualisation comme « source autonome du droit » de la fonction publique. Atteintes sectorielles par les lois de modernisation du 2 février 2007 et sur la mobilité du 3 août 2009. Les gouvernements de gauche ne reviennent pas sur les atteintes de la droite.

La « révolution culturelle » dans la fonction publique annoncée par Nicolas Sarkozy 19 septembre 2007. Il diligente le Livre Blanc de J-L. Silicani (contrat contre loi, métier contre fonction, performance individuelle contre efficacité sociale). La crise révélatrice du rôle d’ « amortisseur social » du service public (emploi, pouvoir d’achat, protection sociale et retraites, éthique). Dans les conditions nouvelles, le « Grand soir statutaire » n’aura pas lieu mais le cap est maintenu et les atteintes se poursuivront.

2.3. La réforme des collectivités territoriales

a/ Une justification trompeuse

La justification par la compétition internationale (St-Dizier, le 20 octobre 2009) :  créer de meilleures conditions d’implantation pour les entreprises. Priorité aux « pôles et aux réseaux » sur les « circonscriptions et les frontières ». L’invocation de l’extérieur (délocalisation, régions, métropoles) comme justification de l’aménagement du territoire.

Pas de « mille-feuilles » mais 2 triptyques : commune-département-nation (politique) contre agglomération-région-Europe (économique). Primauté de l’agglomération sur la commune, de la région sur le département, de l’Europe sur la nation, de la métropole sur les collectivités géographiques.

b/ Des dispositions majeures pernicieuses

– les conseillers territoriaux : leurs effectifs réduits de moitié réduiront le lien avec les citoyens ; le mode de scrutin retenu est une atteinte à la parité, il favorise la bipolarisation, il court un risque d’inconstitutionnalité.

– les métropoles : nouvelle collectivité territoriale profondément déstabilisante ; pas de clause de compétence générale, mais large pouvoir conventionnel.

– la suppression de la taxe professionnelle. : les collectivités territoriales réalisent 73 % de l’investissement public mais ne représentent que 10 % de l’endettement, les financements croisés sont faibles. Les financements obligatoires et l’équilibre des budgets de fonctionnement sans les compensations financières des missions transférées pèseront de plus en plus sur les populations. Compensation incertaine de la suppression par la contribution économique territoriale (CET). Avantage pour la quasi-totalité des entreprises. Propositions nécessaires : péréquations verticale et horizontale, fiscalité propre des collectivités territoriales, création de fonds régioanaux. Quel rôle pour le « pôle financier public » ?

c/ Des conséquences très déstabilisatrices

– une détérioration de la situation matérielle et morale des fonctionnaires : effectifs, contractualisation, clientélisme. Propositions de loi Gorge (le contrat comme modalité de droit commun, le statut comme exception), et Poisson (marchandisation des emplois public-privé). Lois sur la modernisation et la mobilité. Décret Woerth et possibilité de licenciement des agents publics. Affaiblissement continué du « maillon faible », la FPT.

– l’affaiblissement des services publics déconcentrés (8 directions dans les régions, 2 à 3 dans les départements)  comme conséquence de la RGPP, se combinant avec l’affaiblissement des services publics décentralisés par réduction des compétences et des moyens des collectivités territoriales. Intrusion du privé sur les segments les plus rentables

– présidentialisation accrue avec le rôle dévolu aux préfets et spécialement au préfet de région véritable proconsul (carte des regroupements de communes, périmètre des métropoles, conventions départements-régions).

d/ Une autre réforme des collectivités territoriales :

– dans le cadre plus général des institutions ; quelle dialectique du national et du local ?

– sur le terrain des principes républicains en la matière : unité de la République siège de l’intérêt général ; libre administration des collectivités territoriales par la clause de compétence générale ; subsidiarité démocratique ; hostilité à toute expérimentation législative (art. 37-1 de la Constitution)

– réaliser la convergence des démarches de l’opinion publique, des fonctionnaires territoriaux  et des élus.

III. OUVRIR DES PERSPECTIVES

Défendre les services publics, mais surtout inscrire leur promotion dans une perspective.

3.1. Se positionner sur les valeurs et principes

Le pouvoir ne néglige pas les valeurs : 75 des 146 pages du Livre Blanc Silicani y sont consacrées sans qu’il en tire les conséquences.

Réaffirmer les valeurs et principes de l’intérêt général, sur le  service public et la fonction publique précédemment évoqués, mais aussi l’unité et l’indivisibilité de la République et la libre administration des collectivités territoriales.

Plus généralement : se réapproprier l’histoire, la science, la morale.

3.2. Faire des propositions constructives à tous niveaux

Ce pouvoir peut être tenu en échec : de la révolution culturelle, de la suppression du classement se sortie des écoles de la fonction publique ; critique du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux par Philippe Séguin. Dissensions sur la taxe professionnelle, l’élection des conseillers territoriaux. Promesse aventureuse de titularisation des contractuels …

Faire des propositions concernant le service public et la fonction publique : par exemple reclassement indiciaire, fin contractualisation, double carrière, conditions de mobilité, dialogue social, égalité hommes-femmes, etc. Mais aussi pour un « statut des travailleurs salariés du secteur privé » (cf . Robert Castel, Ph. Cotis, position de la CGT). et la convergence organisée dans l’action avec le statut général des fonctionnaires.

Approfondissement de questions majeures : planification, nationalisations, institutions, laïcité, etc. « États généraux du service public » (Mutualité, 17 décembre 2009).

Au delà : qu’est-ce que le socialisme aujourd’hui ? Appropriation sociale, démocratie, citoyenneté.

3.3. Le service public « valeur universelle » ?

La montée de l’ « en commun » : protection de l’écosystème mondial, propriété des ressources du sol et du sous-sol, des produits alimentaires, projets industriels internationaux, mondialisation de services, des échanges, de la culture, etc.

La prise de conscience de l’unité de destin du genre humain caractéristique majeure du moment historique : « Terre-Patrie », le « Tout-Monde », « Patrimoine commun de l’humanité », « Biens à destination universelle », etc.

Le service public, valeur universelle. La contribution de la conception et de l’expérience française. Le XXI° siècle « âge d’or » du service public ? « Communisme », un mot à protéger ?

« Le droit d’asile » miroir de la citoyenneté (1)

L’actualité fait surgir en permanence, le plus souvent de façon dramatique, la question du droit d’asile : embarcations de fortune échouées en Corse ou aux Canaries, manifestations de défense des sans-papiers, accueil de militants politiques persécutés dans leur pays, reconduites à la frontière, etc. La question est posée depuis aussi longtemps qu’existent des cités : quel accueil doit réserver le citoyen d’ici au citoyen d’ailleurs demandant protection ?

La France doit notamment sa réputation de « terre d’asile » – réputation pas toujours méritée – à de belles phrases de la Révolution française, la constitution de 1793 proclamant ainsi : « Le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres (…) il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté, il le refuse aux tyrans ».

Anicet Le Pors, dans une publication de la collection Que sais-je ? bien connue des étudiants et des milieux universitaires, présente la 3° édition mise à jour et enrichie de son ouvrage Le droit d’asile. Praticien du droit d’asile comme membre du Conseil d’État exerçant actuellement la fonction de Président de section à la Cour nationale du droit d’asile siégeant à Montreuil, il retrace l’histoire et les conceptions qui se sont succédées débouchant aujourd’hui sur une réglementation internationale substantielle dominée par la Convention de Genève de 1951 relative aux réfugiés et des dispositions nationales qui, dans cette partie du Monde, tendent à s’harmoniser dans un cadre européen, malheureusement sur des bases de plus en plus sécuritaires.

L’état du droit qui a fait l’objet depuis plusieurs années d’importantes réformes y est exposé avec précision mais, au-delà, la réalité de l’asile s’exprime dans des procédures et des données chiffrées qui permettent de rendre compte de l’ampleur et de l’acuité du problème : on notera, par exemple, que les trois quarts des réfugiés se trouvent en Asie et en Afrique (il n’y a donc pas menace d’invasion du Nord par le Sud) et si la France ne peut, selon la phrase célèbre d’un ancien Premier ministre, « accueillir toute la misère du monde », la part qu’elle prend est aujourd’hui des plus modestes : la moitié de celle de la Grande-Bretagne, le quart de celle de l’Allemagne.

Dans quelles conditions accorder l’asile ou le refuser ? Anicet Le Pors souligne combien l’appréciation est délicate entre deux postures inacceptables : la xénophobie condamnable par nature, mais aussi une naïveté qui ferait le jeu des mafias, des dictateurs et des intégrismes. Une grande question d’actualité.

(1) Anicet Le Pors, Le droit d’asile, coll. Que sais-je ?, PUF, 3° édition, 9 euros.