L’idée de socialisme connaît aujourd’hui une profonde désaffection à la suite de l’effondrement des pays du « socialisme réel », devant la dénaturation du modèle communiste chinois, en raison de la conversion de la social-démocratie à l’économie sociale de marché. S’il qualifie encore aujourd’hui en France le parti socialiste, ce n’est que par inertie. Le parti communiste français l’a quasiment éliminé de son vocabulaire. On peut y voir sans doute le contrecoup des échecs, à la fin du XXe siècle, des forces qui s’en réclamaient et le sentiment pour beaucoup que le capitalisme l’a définitivement emporté, au moins comme mode de production mondialisé. Cela ne devrait pas dispenser, pour autant, d’une analyse des derniers soubresauts de l’histoire, au regard notamment de ce qui se présentait, pour les uns comme une vision idéologique du bien-être et de la justice sociale, pour les autres comme une démarche scientifique vers un monde nouveau sous l’éclairage du matérialisme historique ; les différentes acceptions étant confondues dans le concept de « socialisme ».
Dans la situation de crise financière qui s’est brutalement aggravée à l’automne 2008 et, plus généralement dans un contexte de décomposition sociale profonde développée depuis plusieurs décennies, cette analyse doit être engagée et la recherche d’une alternative au capitalisme activement reprise. Il ne s’agit pas pour autant de reprendre seulement le raisonnement là où il a été laissé, mais de tirer les enseignements de l’histoire, d’écarter ce qui s’est révélé erroné et de remettre sur le chantier ce qui demeure valide. Cela est d’autant plus important que les forces conservatrices démontrent dans la crise qu’elles sont dépourvues de toute vision stratégique sur l’avenir du monde et qu’elles sont incapables de faire face aux besoins humains qui, de plus en plus, s’expriment au niveau planétaire. Il y a donc là une responsabilité particulière des hommes et des femmes de notre temps, une fois surmontée la déception de l’échec d’un XXe siècle volontariste.
Il est utile, pour l’assumer, de revenir en arrière pour reprendre conscience de la trajectoire et s’interroger sur les difficultés rencontrées. Cette démarche doit déboucher sur l’identification de la situation actuelle, dont il est de moins en moins contesté qu’elle est une situation de crise systémique. Ces préalables sont indispensables pour répondre à la question aujourd’hui trop souvent esquivée : peut-on encore parler d’une perspective socialiste en France et dans le monde ? C’est la responsabilité des forces progressistes de notre temps qui, de ce point de vue, se distinguent radicalement des forces conservatrices. Nul besoin pour ces dernières d’imaginer un autre monde puisqu’elles dominent celui-ci et que la manipulation idéologique dénommée communication leur suffit – provisoirement – pour contenir la montée des colères et des revendications. Pour les forces progressistes, en revanche, il est nécessaire de démontrer en quoi le vieux monde d’exploitation et d’aliénation doit laisser place à un autre type de société, que l’on s’obstinera ici, non sans raisons, à qualifier de socialiste.
1. La trajectoire socialiste
Les origines
Il n’est pas sans intérêt de rappeler que le mot même de socialisme – si l’on écarte des analogies trop anciennes pour être véritablement utiles – est relativement récent : il date des années 1830 et il surgit dans un contexte où le capitalisme s’affirme comme force montante. Le docteur Guépin publie en 1832 un Traité d’économie sociale qui évoque une socialisation par un recours à la propriété collective. Pierre Leroux écrit en 1834 un article dans la Revue encyclopédique intitulé « De l’individualisme et du socialisme ». Robert Owen, en Grande-Bretagne, défend l’idée d’un social system et publie en 1836 le Nouveau monde moral, l’année même où, en France, Louis Raynaud réalise une étude intitulée « Socialistes modernes » consacrée aux saint-simoniens, à Charles Fourier et Robert Owen (1).
Le socialisme d’alors, on le sait, s’est surtout développé à la fois sur le mode utopique et empirique. Sous de multiples versions, il est avant tout une protestation contre un système qui, s’il manifeste une réelle efficacité technique et économique, repose sur l’exploitation du plus grand nombre par une minorité. Lui est opposé un autre système qui met rapidement en cause la propriété industrielle comme base de domination sociale, préconise l’association des exploités et une générosité d’inspiration chrétienne qui rompt avec l’état de fait instauré par les religions et la conception statique du monde qui prévalait antérieurement. Le rationalisme est progressivement appelé en renfort dans la définition du nouvel état social désiré. Jusqu’au moment où Marx et Engels affirment, en 1848, la nécessité du passage d’un système à l’autre sur des bases réputées scientifiques dans le Manifeste du parti communiste. Il est symptomatique que ce texte, dont la fulgurance est encore sans égale, consacre de longs développements à la critique des versions du socialisme alors en débat : le socialisme réactionnaire (féodal, petit-bourgeois, allemand ou « vrai »), le socialisme conservateur ou bourgeois, le socialisme et le communisme critico-utopiques – les mots socialisme et communisme n’étant pas alors clairement distingués (2).
Le matérialisme historique
Selon la conception marxiste, l’état de la technique détermine le niveau et l’organisation des forces productives. Celles-ci impliquant une division du travail détermine la nature des rapports de production et l’existence de classes sociales. Le degré de complexité de la société rend indispensable, pour sa coordination et sa direction, la constitution de superstructures appropriées. La combinaison de ces différents éléments définit un mode de production caractéristique de la période historique au sein de laquelle il se forme, s’impose et dégénère. Car les contradictions qui ne manquent pas de se développer au sein de chaque mode finissent par rendre nécessaire le passage à un autre mode. Cette nécessité, pour autant, n’est pas fatalité, car ce sont en définitive les hommes qui font l’histoire. Selon cette dialectique, le matérialisme historique permet de distinguer jusqu’à présent la succession des modes de production suivants : le communisme primitif, l’esclavage, le féodalisme, le capitalisme. Sous le capitalisme, la contradiction fondamentale résulte du caractère social de la production et du caractère privé de la propriété (il s’agit ici de la propriété des moyens de production). L’État comme superstructure soutient les intérêts de la classe dominante, la bourgeoisie, mais doit intégrer également les exigences d’un développement socialisé (les services publics) et les acquis des classes opprimées ; il est donc lui même siège de contradictions résolues par des compromis, toujours précaires, fonction des rapports de forces des classes antagoniques.
La solution des contradictions du capitalisme nécessite le passage à un autre mode de production, le socialisme, dont les trois caractéristiques identifiantes sont : la propriété collective des grands moyens de production, le pouvoir politique de la classe ouvrière et de ses alliés, des progrès démocratiques décisifs pour l’ensemble de la société. Il s’agit plus d’un processus que d’un état stable marqué par la persistance de la division du travail, des conflits de classes aux intérêts opposés, d’un État détenteur d’un pouvoir politique fort(3) . Au terme de ce processus peut alors advenir un autre mode de production dont la conception reste largement indéterminée mais qui se distingue du socialisme par la liquidation des survivances qui viennent d’être évoquées et notamment la disparition des classes, l’absorption de l’État par la société, une extension sans précédent des libertés permettant le plein épanouissement de l’individu. Ce n’est pas pour autant la fin de l’histoire, mais la prospective de la suite apparaît hors de portée.
Réformisme ou révolution
Cette conception du matérialisme historique, schématiquement rappelée, a progressivement influencé la pensée socialiste de la seconde moitié du XIXe siècle, et fortement celle de la majeure partie du XXe siècle jusqu’au déclin puis l’effondrement du bloc soviétique. Trois périodes peuvent être distinguées.
La première s’étend des origines à la première guerre mondiale. Durant les premières décennies, les socialistes agissent dans une grande diversité d’objectifs idéologiques et d’organisations, généralement au sein de petits groupes subversifs et anarchistes, souvent confondus avec les républicains. Ils ne touchent au pouvoir que très brièvement sous la IIe République en 1848 (Louis Blanc) et la Commune de Paris (1871). Sur les ruines de cette dernière se fonde la IIIe République qui permettra à la bourgeoisie de récupérer l’héritage de 1789, mais va permettre aussi aux mouvements socialistes de se structurer en associations et partis, tandis que des avancées sociales sont engrangées, avec notamment le droit de grève (1864) et le droit syndical (1884). La Ière Internationale est créée en 1865. Le débat oppose alors les socialistes aux républicains de droite dont les préoccupations sociales ne sont pas inexistantes, mais qui soutiennent que des progrès peuvent être instaurés progressivement par la loi. Les socialistes doivent aussi composer avec des éléments plus radicaux qui ne font pas confiance à la République bourgeoise et prônent la révolution ou l’anarchie. Le conflit majeur oppose alors le marxiste Jules Guesde au socialiste humaniste Jean Jaurès ; il est interrompu par la guerre après une réunification précaire en 1905 au sein de la IIe Internationale, fondée en 1885, donnant naissance en France à la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO).
La deuxième période correspond à l’ « épopée communiste » qui débute avec la révolution bolchevique de 1917 et se termine dans les décennies 1980-1990. Le marxisme s’impose alors comme référence idéologique, ce qui aboutit à la scission du mouvement socialiste, en France au congrès de Tours en 1920 et à la création majoritaire du Parti communiste français dans le cadre de la IIIe Internationale .(4) La scission a pour effet de renvoyer les minoritaires socio-démocrates vers un réformisme parlementaire et de verser les éléments les plus radicaux dans l’anarcho-syndicalisme. Les oppositions entre réformistes et révolutionnaires sont particulièrement tranchées durant la période. L’installation sur une partie importante du globe – considérablement élargie au surplus après la seconde guerre mondiale – d’un régime clairement anticapitaliste, se présentant comme une continuation des révolutions antérieures, et notamment de la Révolution française et de la Commune de Paris, se réclamant de fondements rationnels convaincants pour une large élite intellectuelle mais aussi ouvrière, confèreront à ce socialisme, réellement établi en actes, un grand prestige. Les compromissions de la social-démocratie renforceront encore l’hégémonie idéologique d’un socialisme révolutionnaire qui anticipera sa perspective avec audace sous le nom de communisme. Cela n’empêchera pas pour autant des rapprochements et des mouvements unitaires temporaires, comme en France sous le Front populaire ou au lendemain de la seconde guerre mondiale.
On peut initier une troisième période au tournant des années 1980 où, pourtant dans un contexte d’aggravation de la crise du système capitaliste, les régimes communistes dépérissent puis s’effondrent sous l’effet d’une économie dirigée inefficace, d’une étatisation sclérosante et d’une perversion de l’esprit révolutionnaire gravement préjudiciable à la démocratie et attentatoire aux droits humains. Pourtant, dans un pays comme la France, l’imprégnation marxiste reste forte : ainsi, en 1981, dans un environnement international de plus en plus tourné vers l’ultralibéralisme (5), l’union des socialistes et des communistes l’emporte sur des bases issues d’un Programme commun de gouvernement, longuement discuté, mais largement influencé par le parti communiste en dépit de la régression historique que celui-ci connaît alors (6). Néanmoins, l’expérience sera de courte durée – un an, de mai 1981 à juin 1982 où est instauré un blocage des salaires et des prix – suivie d’un « tournant libéral » sous direction socialiste en mai 1983. Depuis, le parti communiste a perdu son identité idéologique et n’est plus en mesure d’influencer le courant social-démocrate dont il dépend électoralement. Celui-ci finit – sans doute l’un des derniers dans le monde – à abandonner toute référence au marxisme ou à une certaine radicalité, pour faire allégeance au libéralisme, auquel il ne se propose que d’appliquer une inflexion sociale et écologique (7).
La trajectoire socialiste semble ainsi se perdre, à ce stade de l’histoire, dans une indétermination surprenante alors que, de toute part, la « socialisation », c’est-à-dire l’interdépendance des activités humaines se renforce. Certains s’empressent d’annoncer la « fin de l’histoire » ponctuée par la victoire définitive du capitalisme. D’autres transposent cette histoire sur le terrain éminemment dangereux du « choc des civilisations ». En dernier lieu, Marcel Gauchet tire d’une analyse globale des totalitarismes du XXe siècle (bolchevisme, fascisme, nazisme) la réaction sociale du lendemain de la seconde guerre mondiale ouvrant la voie d’une solution mixte : la « démocratie libérale » (8).
Contrecoup également de l’échec d’un XXe siècle prométhéen, la question socialiste ne se poserait-elle plus au XXIe siècle ?
2. La question socialiste
Une crise systémique
La récente crise financière internationale a révélé depuis 2008 une crise profonde du système capitaliste dominant dans le monde. Elle s’était manifestée antérieurement d’autres façons : crise pétrolière et des matières premières, crises financières régionales, conflits ethniques ou nationalistes, poussées d’intégrismes religieux, développement de réseaux maffieux, etc. La crise financière mondiale revêt une signification de plus grande ampleur. Le profit est de plus en plus recherché dans des opérations spéculatives développées au niveau mondial, plutôt que dans la base matérielle de la production. Les politiques d’endettement internes et externes des principales puissances capitalistes, au premier rang desquelles les Etats-Unis, ne cessent d’alimenter le recours à des moyens de financement externes, ceux de certains pays créanciers tout d’abord (Allemagne, Chine Japon), puis plus largement des « investisseurs financiers » mondiaux qui ont fini par constituer un ensemble largement autonome des États qui se trouvent ainsi mis progressivement sous tutelle de ces entités politiquement irresponsables. Les niveaux d’endettement atteints et les taux d’intérêts exorbitants exigés pas ces capitaux apatrides finissent par mettre en péril l’ensemble du système dont la fragilité se révèle dans les pays les plus lourdement endettés et les plus dépendants de la finance internationale. Dès lors, l’intervention des États devient indispensable pour redresser les situations financières les plus compromises et dégager de nouvelles ressources par la mise en œuvre de politiques de rigueur dont les peuples sont appelés à faire les frais, sous le contrôle d’agences de notation dépourvues de toute légitimité. La mondialisation est d’abord celle du capital. Elle permet d’étendre à l’ensemble de la planète les mécanismes d’exploitation. Elle accentue des inégalités et est, par là, grosse de risques de conflits meurtriers, voire de nouvelles guerres mondiales
Mais cette mondialisation revêt des aspects très contradictoires. Si la mondialisation du capital retient l’attention, elle a directement pour effet de souligner le caractère global des problèmes rencontrés par les peuples. Le développement inégal accroît les contrastes, permet les comparaisons et rend les inégalités entre pauvres et riches d’autant plus insupportables. Dans l’espace laissé libre par les idéaux faillis du siècle précédent s’exprime le respect indifférencié des droits humains. L’un des aspects les plus contradictoires de l’ultralibéralisme est aussi la constitution de puissances économiques et financières dont l’existence même contredit les postulats de concurrence libre et d’efficacité de l’économie de marché, qui n’a rien de social par nature. La contradiction la plus fondamentale est cependant l’appel à l’intervention de l’État, qu’il s’agisse de l’intervention de l’État dans chaque pays ou des concertations, sommets et coopérations étatiques organisés au niveau des continents ou du monde pour sauver le système. Dans sa définition contemporaine, le capitalisme se renie lui-même dans la crise et avoue ses limites historiques.
En même temps que s’étend la mondialisation du capital on assiste à un extraordinaire développement des forces productives. Tous les domaines de la science sont sollicités et se développent en temps réel à l’échelle du monde. Les communications permettent des échanges sans précédents entre les nations et les individus grâce notamment à une révolution informatique au développement impétueux. La connaissance du corps humain et de la personne a fait des progrès encore inenvisageables il y a peu. La culture peut s’enrichir de meilleures connaissances réciproques et de moyens de diffusion multipliés à profusion. La protection de l’écosystème mondial fait surgir des exigences inédites. Progresse ainsi une prise de conscience d’un « bien commun » au niveau de la planète et de l’unité de destin du genre humain qui appelle avec force un autre mode de production et d’échange que celui dont la finalité se réduit au profit et à la volonté de puissance. C’est, par là, un appel à la solidarité entre les peuples, traduction dans notre temps du rêve antérieur d’internationalisme prolétarien.
Toutefois, ces constats aussi significatifs et convaincants qu’ils puissent être, n’entraînent pas automatiquement la conscience de l’unité planétaire et la nécessité de la mise en mouvement des peuples pour mettre en adéquation le développement des forces productives et des rapports de production avec les exigences du moment historique en termes d’efficacité, de justice, de démocratie et d’épanouissement de la personne. Dans l’immédiat, c’est le constat d’une décomposition sociale et d’un désarroi politique qui prévaut.
Décomposition sociale (9)
Les périodes de transition sont naturellement confuses et peuvent se charger d’angoisse car elles demeures façonnées par le passé et ne laissent pas facilement entrevoir ce qui naît et est appelé à se développer et à dominer à l’avenir. Tel est bien la nature de la période dans laquelle nous nous trouvons, entre un siècle « prométhéen » qui a vu surgir, se développer et faillir une épopée qui a soulevé les peuples et conduit au sacrifice d’innombrables militants et acteurs et un avenir que nous ignorons largement et pour l’exploration duquel nous ne disposons que des outils du passé (10). Cette décomposition se présente formellement sous l’aspect de multiples symptômes dont l’unité ne s’impose pas à l’évidence : le développement des jeux de hasard, la montée des sectes, l’affaiblissement du mouvement syndical, les pollutions de l’environnement, la multiplication des incivilités, une régression du sens civique, la dilution de la responsabilité individuelle, etc. Les cadres spatiaux de la vie en commun ont été profondément modifiés par les mouvements d’urbanisatio-désertification. L’évolution des mœurs a été considérable au cours des dernières décennies : les statuts du couple, de la famille et de l’école, qui conditionnaient largement la formation de la citoyenneté, ont été remis en question et conduisent à s’interroger sur la nouvelle répartition des responsabilités sociales. Les règles de la vie en société s’en trouvent bouleversées.
La conception traditionnelle de la citoyenneté est en crise. Elle consistait jusque-là en l’adhésion à un certain nombre de valeurs, de droits et devoirs partagés par la communauté des citoyens qui en avaient reçu l’héritage des générations antérieures et qu’ils avaient la responsabilité à leur tour de faire fructifier et de transmettre. Une conception plus utilitariste voire libérale s’est développée depuis peu, notamment dans une jeunesse privée d’identité historique, selon laquelle le citoyen appartient certes à une communauté, mais vis-à-vis de laquelle il n’a d’obligations qu’à la hauteur de ce qu’il reçoit d’elle. Dès lors se trouve relativisée l’importance de l’État-nation dans ses frontières – en dépit de l’augmentation de leurs nombre et des manifestations de nationalismes – tandis que les droits de l’homme en général suffisent comme référence idéologique et morale à la conduite de la vie. C’est aussi le résultat de la complexification de la notion de classe dans laquelle les travailleurs, largement écartés des lieux de pouvoir officiels, pouvaient trouver une appartenance sociale, en quelque sorte une citoyenneté de substitution. Aujourd’hui la classe ouvrière aussi bien que la bourgeoisie se sont stratifiées, différenciées, ont perdu en homogénéité et sont, par là, plus difficilement identifiables. En outre, les classes moyennes sont devenues plus nombreuses et leur sociologie reste délicate à établir.
La décomposition sociale constitue un champ de recherches pour le moment exploré de façon insuffisant, disparate. La connaissance des contradictions à l’œuvre est pourtant indispensable pour se déterminer correctement dans le champ politique actuel. Elle appellerait une théorisation ouvrant la voie à une meilleure caractérisation de la période de transition dans laquelle nous nous trouvons. Ce serait à la fois le moyen de conjurer l’intervention toujours possible de monstres suscités par la crise systémique, et de préparer les meilleures conditions d’avènement d’une société progressiste.
Dégénérescence des forces du socialisme
L’affaissement des idéologies messianiques est un aspect important de la décomposition. On n’évoquera que pour mémoire la désuétude des idéologies du libéralisme qui se réfèrent le plus souvent aux schémas de l’économie néoclassique. En concurrence parfaite, les acteurs agissant rationnellement et ayant une claire conscience de leurs intérêts personnels, les facteurs et produits étant parfaitement substituables, la société doit parvenir à un « optimum social », qui n’est au mieux que la préférence révélée des consommateurs, mais en aucun cas une mesure de l’intérêt général. Sauf qu’aucune de ces conditions n’est respectée dans la réalité (concurrence imparfaite, biens indivisibles, effets externes et avantages non marchands, barrières à l’entrée, prise en compte du long terme, etc.). Les axiomes de la théorie étant invalidés, celle-ci s’est faite normative (trop d’État, liberté d’entreprendre excessivement contrainte, flexibilité insuffisante, etc.). Mais, comme cela a été dit précédemment, le libéralisme a moins besoin de théorie et de modèle que le socialisme qui doit « inventer » une société nouvelle.
Ce n’est pas pour autant une préoccupation dominante des réformistes socio-démocrates qui, sauf exception et en de brèves périodes, n’ont généralement pas contesté le système capitaliste de manière frontale, considérant implicitement qu’il n’y a pas de modèle plus efficace pour la création de richesses, reportant les propositions de réforme sur la justice distributive et participative dans le cadre d’un bon fonctionnement de l’État providence dont le dernier avatar serait la société du care de Martine Aubry(11) . Il s’agirait de s’intéresser à l’individu plus qu’au citoyen, à la solidarité plus qu’aux transformations structurelles (économie, institutions), à la morale plus qu’à la politique, aux arrangements et au contrat plus qu’à la loi. Ces socialistes se sont toujours voulus réalistes et pragmatiques, faisant passer la conquête du pouvoir avant tout autre considération. S’ils prennent aujourd’hui quelque distance avec la « troisième voie » de Tony Blair, ils ne révèlent aucune créativité idéologique propre. La crise les conduit à tenter de réintroduire dans leur démarche, le collectif, l ‘autorité publique pour retomber dans le conformisme d’idéologies de substitution comme la mythique construction européenne, ou le nouveau paradigme écologique(12) .
Cet opportunisme idéologique et politique constant les a conduits souvent dans les ornières de l’histoire : soutien inconditionnel à l’effort de guerre pendant la première guerre mondiale, non-intervention en Espagne, vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain de la majorité des élus, opposition au mouvement de décolonisation, validation des institutions de la Ve République, tournant libéral de 1983, privatisations massives et instauration du quinquennat du gouvernement Jospin, allégeance au libéralisme en 2008. Malgré cela, le parti socialiste n’a jamais détenu autant de mandats électoraux, s’il ne se réfère plus à quelque idéologie un tant soit peu consistante susceptible de justifier sa qualification de socialiste. Ses liens avec les catégories sociales qu’il représentait traditionnellement (ouvriers qualifiés, employés, fonctionnaires) se son relâchés et son activité s’est principalement repliée sur la gestion (13). Dans une situation de décomposition sociale, à défaut de perspectives enthousiasmantes, ces atouts lui assurent une position hégémonique à gauche et une participation au premier rang dans la conquête du pouvoir d’État à l’occasion de l’élection présidentielle au suffrage universel qu’il ne conteste pas.
Que reste-t-il du communisme (14) ? Rien, si l’on s’en tient à l’interrogation, car si le mot s’est, dans l’usage, substitué à celui de socialisme, nul n’a jamais soutenu avoir installé dans quelque pays que ce soit un régime communiste ; ce qui souligne la nécessité de veiller au vocabulaire qui fait l’objet aujourd’hui d’importantes dérives (15).
Quatre caractéristiques permettent de faire un bilan sommaire des expériences menées sous ce vocable au XXe siècle. Premièrement, les partis qui s’étaient constitués sur la base de cette idéologie sont aujourd’hui discrédités, que leur influence se soit effondrée (parti communiste français), qu’ils se soient fondus dans des mouvances réformistes (parti communiste italien), ou que le régime se soit transformé en simple appareil de pouvoir (parti communiste chinois). Si l’on considère les fonctions que reconnaissait le professeur Georges Lavau au PCF : consulaire et tribunitienne que l’on doit, selon moi, compléter par une fonction théoricienne, la comparaison des trois périodes de participation gouvernementale 1944-1947, 1981-1984, 1997-2002, illustre un déclin spectaculaire et incontestable, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur son état actuel .(16) Deuxièmement, une contribution non négligeable à l’analyse économique. On peut certes critiquer la vision simpliste de la succession des modes de production, rappelée précédemment, dans un monde devenu si complexe ; il n’en reste pas moins qu’il est possible aujourd’hui de caractériser le mode de production capitaliste que l’on ne saurait regarder comme un état de nature, une fatalité, un horizon indépassable. Les économistes communistes français ont apporté une contribution intéressante dans les années 1960-1970 à l’analyse de ce mode autour du concept de capitalisme monopoliste d’État et l’on ne saurait sérieusement contester que l’analyse marxiste de l’économie capitaliste (la valeur, le salariat, l’exploitation, le profit) conserve une grande validité à l’échelle du monde entier. Troisièmement, la pratique communiste reposait sur une conception dévoyée du pouvoir politique, enchaînant une série de sophismes (17), fonctionnant sur un mode quasi-religieux légitimé par quelques dogmes : la dictature du prolétariat, le parti avant-garde, le centralisme démocratique, etc. Quatrièmement, l’épopée communiste laisse l’espoir légitime d’un monde plus juste qui conserve une certaine résonance dans notre pays et ce, quel qu’en soit le nom, ainsi que le formulent Jean-Luc Nancy et Jean-Christophe Bailly : « Le communisme, sans doute, est le nom archaïque d’une pensée encore tout entière à venir … Lorsqu’elle sera là, elle ne portera pas ce nom… »(18)
3. L’hypothèse socialiste
On ne s’étonnera pas que dans les conditions actuelles de la décomposition sociale et d’un affaissement idéologique spectaculaire subsiste néanmoins le goût du pouvoir. Cela a conduit, nous l’avons vu, à un replis sur la gestion des forces réputées être celles de la transformation sociale. Cela ne les engage pas à remettre en cause des structures économiques et des institutions existantes. Par voie de conséquence, le jeu des stratégies d’alliances à court ou moyen terme l’emporte sur le travail idéologique qui s’inscrit naturellement dans le temps long, mais est seul capable d’identifier clairement une force politique de changement. Dans cette période de transition, il est plus surprenant de constater la réaction de certains membres du parti communiste – ou qui ont appartenu à ce parti – récuser à ce point ce qu’ils ont adoré et qui semblent considérer que prendre le contre-pied d’une erreur passée doit nécessairement correspondre à une vérité. C’est ainsi que l’on choisit de récuser l’État confondu avec l’étatisation, que la propriété publique n’est plus jugée véritablement indispensable, que la « verticalité » de l’organisation doit laisser place à la « centralité horizontale » , que l’intérêt général doit surgir des assemblées de base des travailleurs, qu’il convient dans ces conditions de ne plus se dire marxiste mais marxien, etc. L’obsession : récuser tout ce qui pourrait apparaître comme une réminiscence du soviétisme. Le point de départ de ce raisonnement est généralement la phrase de Marx prise comme définition du communisme : « Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses(20) » , formule qui mettait justement en garde contre toute vision dogmatique de la transformation sociale, mais qui ne veut rien dire si elle est elle-même dogmatisée puisqu’elle est formellement applicable à tout régime et à tout gouvernement. Alain Badiou, de son côté, soulevant l’ « hypothèse communiste », considère que si l’idée communiste traverse l’histoire, « communiste » ne peut plus être l’adjectif d’une politique, a fortiori d’un parti, ce qui l’amène malheureusement, d’une manière bien peu dialectique, à critiquer en soi la démocratie et l’État. Ce sont là des facilités marquées par le désenchantement des expériences dites socialistes ou communistes du XIXe et du XXe siècle qui n’aident pas la formulation de propositions émancipatrices Dans le premier cas, cela conduit à nommer communiste une démarche qui est plus associative ou syndicale que politique et qui dispense de faire des propositions de transformation structurelles intelligibles dès aujourd’hui ; elle est en fait dépourvue de véritable perspective. Dans l’autre cas le caractère sommaire de l’hypothèse communiste, qui conserve cependant la nécessité d’un changement radical des structures de la société, est de peu d’utilité immédiate, incapable d’établir une relation sérieuse entre l’utopie et la réalité présente ((21) . Alors que faire ?
Trois voies me semblent possibles. La première consiste, comme le défendent encore quelques uns, à camper sur les certitudes et dogmes anciens. : c’est à mes yeux une impasse. La deuxième est celle que nous venons d’évoquer : un communisme indéterminé supposé se construire dès maintenant ; c’est une fuite en avant. Entre impasse et fuite en avant je choisis pour ma part de remettre sur le chantier le travail sur le processus, non pas de dépassement mais plutôt de remplacement du capitalisme en crise systémique par un socialisme identifié dans la perspective d’une visée communiste qu’il faut continuer de protéger, même si elle demeure aujourd’hui incertaine quant à son contenu .(22)
Il est donc proposé de s’interroger sur les insuffisances des analyses passées, d’en tirer les enseignements et de commencer à remettre sur chantier les idées qui nous semblent toujours fondées, de les compléter ou de les transformer. Plus généralement : l’hypothèse socialiste est-elle toujours valable ? Rappelons que les trois piliers du socialisme dans son acception marxiste étaient les suivants : la propriété des grands moyens de production d’échange et de financement, le pouvoir de la classe ouvrière et de ses alliés, la démocratie du plus grand nombre permettant l’émergence d’un homme nouveau. À l’évidence, si ces propositions, pensons-nous, conservent une part (variable) de validité, elles doivent être refondées. Comme hypothèses de travail, nous proposons de les examiner sous les trois thèmes suivants : l’appropriation sociale, la démocratie institutionnelle, la citoyenneté.
L’appropriation sociale
La propriété est un pouvoir. Un pouvoir des hommes sur des choses et, par là, un instrument possible de domination des hommes sur d’autres hommes. Les capitalistes s’intéressent à la question de la propriété ; comment expliquer dans ces conditions que la propriété publique ne soit plus abordée par les forces anti-capitalistes que de manière défensive, en réaction aux privatisations auxquelles la gauche elle-même a apporté une contribution remarquée (23). Il fut un temps pourtant, où l’observation méthodique du mouvement du capital constituait pour la gauche, et tout particulièrement pour le parti communiste français, la pierre angulaire de ses constructions économiques et politiques. Cette nécessité aurait-elle diminué aujourd’hui ? Certainement pas, tout au contraire, mais l’influence de l’idéologie libérale, combinée avec l’obsession de la repentance vis-à-vis du régime soviétique, a asphyxié la recherche sur la question de la propriété comme sur celle de l’État (24).
Ce laisser-aller idéologique a de graves conséquences aussi bien théoriques que sociales. Il est d’autant plus dommageable qu’il se produit au moment même où se confirme la nécessité de traduire dans la réalité un besoin grandissant de solidarité internationale dans les domaines les plus divers des biens publics : gestion des ressources du sol et du sous-sol, protection de l’écosystème mondial, télécommunications, recherche scientifique, échanges culturels, relations administratives, etc., dont la définition et l’organisation collective ne peuvent relever que de la mise en commun des capacités des États-nations dans le cadre de règles de droit communes. Celles–ci ne pourront éluder la question de l’établissement de services publics au niveau planétaire dans les domaines précités et, par là, la question du patrimoine commun de l’humanité sur lequel ils devraient reposer. Le XXIe siècle pourrait ainsi être l’ « âge d’or » de tels services publics et la France serait tout naturellement appelée à jouer un rôle important dans leur conception, vu sa tradition en la matière. Ce serait aussi la meilleure réponse à apporter à l’opération de démantèlement des services publics entreprise par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et la révision générale des politiques publiques (RGPP) qui, au-delà de la régression du secteur public qu’elles organisent, caractérisent une démarche de négation de la démarche rationnelle dans la conduite des politiques publiques (25).
Dans cette perspective, la justification d’une propriété publique étendue demeure solidement fondée. Elle est d’abord politique : il s’agit de faire pièce à la domination du capital, d’assurer la cohésion sociale et de créer les meilleures conditions d’une citoyenneté affranchie. Elle est ensuite économique, car seule la propriété publique permet de développer des stratégies pluriannuelles, d’impulser un volontarisme d’ordre public dans l’administration des choses, de prendre correctement en compte les externalités. Elle est enfin sociale et culturelle, parce que la propriété publique concourt à la « dé-marchandisation » des rapports sociaux et que le secteur public a permis l’élaboration de statuts des personnels dont la base réglementaire prend le contrepied des relations contractuelles inégales du secteur privé.
Trois générations de propriétés peuvent être distinguées. La propriété individuelle a été reconnue comme un « droit inviolable et sacré » du citoyen par l’article 17 de la Déclaration des droits de 1789, qui lui a cependant fixé une limite : « la nécessité publique, légalement constatée », disposition reprise sous l’expression d’ « utilité publique » par l’article 545 de l’actuel code civil. Puis, la propriété publique a consacré une socialisation plus poussée des bases économiques et l’affirmation de la spécificité de l’intérêt général, ce qui a conduit le préambule de la constitution de 1946 à prévoir que « tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Ces dispositions ont été explicitées en 1972 par des critères conduisant à la définition d’un « seuil minimum de nationalisations » du Programme commun de gouvernement du parti communiste et du parti socialiste, le premier partisan de nationalisations « franches » (à 100 %, car il y a privatisation dès que le capital devient divisible, fut-il à majorité publique), tandis que le second inclinait en faveur de nationalisations « financières » (à 51 %) dans un contexte d’économie mixte. Finalement, furent nationalisées, on le sait, quelques dizaines de sociétés industrielles et bancaires dont la logique de développement ne fut guère réformée, malgré la loi de démocratisation du secteur public intervenue en juillet 1987 et les lois Auroux dont la promulgation s’étendit sur l’ensemble de la période. À tout le moins aurait-il fallu faire bloc de l’ensemble de ces dispositions pour convaincre de la mobilisation populaire nécessaire à l’appui de ces réformes. À l’inverse, la tentation existe aujourd’hui, prenant prétexte du bilan mitigé des nationalisations de 1982 et de l’effondrement du « socialisme réel », d’en déduire que parce que la propriété publique ainsi conçue n’est pas suffisante elle ne serait pas nécessaire, et d’en relativiser l’importance au profit d’une réflexion sur le crédit, l’immatériel, le management ou la gouvernance. Cette approche appelle une triple critique. Premièrement, elle conduit à donner la priorité à la gestion sur le pouvoir, validant par là les délégations de service public et la prolifération d’autorités administratives indépendantes, ces modalités constituant autant de démembrements de l’État. Deuxièmement, elle évacue les aspects stratégiques les plus globaux au nom d’une désétatisation de principe et d’une confuse « intervention citoyenne » ; or les principales justifications de la propriété publique se situent au niveau de la société tout entière, là où s’apprécie l’intérêt général. Troisièmement, elle fige le concept de propriété dans une acception purement juridique.
En réalité, c’est le contenu du concept de propriété appliqué aux formes les plus évoluées du mouvement du capital et du développement des forces productives qui appelle mise à jour. C’est pourquoi il importe de remettre cette question sur le chantier pour définir une troisième génération de la propriété, celle de l’appropriation sociale (26), qui formaliserait la combinaison des potentialités nouvelles : diversification fonctionnelle et géographique (infra et supranationale), intégration des éléments de maîtrise qui se situent aux plus hauts niveaux de l’organisation sociale (intervention des travailleurs, souveraineté nationale, contrôle technologique etc.), dynamique interne du secteur public prenant en compte l’évolution du rapport des forces nationales et internationales et les caractéristiques de la mondialisation (27- . Une telle démarche est parfaitement compatible avec celle qui, partant d’une conception de l’ « économie des besoins », s’interroge sur la meilleure organisation des moyens de toute nature – y compris, par conséquent, le secteur public résultat de l’appropriation sociale – permettant de répondre à ces besoins (biens et services) de la manière la plus démocratique et socialement la plus efficace (28).
L’appropriation sociale se distingue ainsi de la simple propriété publique, qu’elle intègre, en ne se limitant pas à une expropriation juridique – ce qu’était la loi du 11 février 1982 – mais en étant également articulée, d’une part à des objectifs de politique économique et sociale explicites, ceux d’une économie des besoins, d’autre part à l’intervention expresse des travailleurs dans la gestion. Elle peut aussi comporter d’autres « droits réels » ou contraintes de service public que la propriété publique (préemption, déclaration d’utilité publique, bail emphytéotique, etc.), sans perdre de vue pour autant, au niveau macroéconomique, l’importance du capital public dans l’établissement du rapport de forces avec le capital privé.
La démocratie institutionnelle
La revendication du pouvoir de la classe ouvrière et de ses alliés ne peut guère être maintenue en l’état en raison des transformations sociologiques substantielles qui ont marqué ces catégories, mais surtout parce qu’il n’est plus possible aujourd’hui de concevoir deux systèmes de normes : l’un qui concernerait la réglementation de l’avant garde révolutionnaire et qui correspondrait à des valeurs spécifiques, l’autre pour la société toute entière (é9). Ce qui est requis en revanche, et tout simplement compréhensible, c’est que l’hypothèse socialiste favorise l’évolution de l’hétéronomie à l’autonomie du corps social selon les concepts de Marcel Gauchet, comporte une vision de la démocratie souhaitable qui permette le pouvoir du peuple tout entier, un fonctionnement juste et harmonieux de la société et l’épanouissement des individus. La France est un véritable laboratoire institutionnel, elle a connu quinze textes constitutionnels depuis la Révolution française. La constitution de la Ve République peut être regardée comme le produit hybride de deux lignes de forces qui ont marqué l’histoire institutionnelle de la France. L’une, césarienne, peut prendre comme référence la constitution du 14 janvier 1852 de Louis-Napoléon Bonaparte. L’autre, démocratique, retiendra la constitution montagnarde du 24 juin 1793. L’actuelle constitution a été présentée à l’origine comme un essai de « parlementarisme rationalisé » ; elle a fonctionné comme « monarchie aléatoire » lorsque sont survenues les cohabitations ; elle connaît aujourd’hui une « dérive bonapartiste » inquiétante. Elle aura fait l’objet de dix-neuf modifications depuis 1992. Il est donc temps de remettre sur le chantier une réflexion délaissée par intérêt ou négligence. Plutôt que l’évocation d’une confuse VIe République (30), il convient de répondre à trois questions essentielles : quelle démocratie directe ? quelle démocratie représentative ? quelle subsidiarité ? (31)
Quelle démocratie directe ? Le peuple souverain est à la source de toute légitimité. On distingue généralement, à cet égard, la souveraineté nationale de la souveraineté populaire. L’article 3 de la Constitution de la Ve République a résolu le problème en décidant que : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et la voie du référendum ». Il reste qu’il y a un champ où l’action populaire peut s’exercer directement, sans intermédiaire, c’est celui de la démocratie dite directe. Toutefois, l’intervention du peuple ne saurait faire l’objet d’une réglementation excessive. La démocratie directe c’est d’abord le plein exercice de droits et de libertés étendus. C’est aussi le fortuit, l’incodifiable, l’initiative, l’épopée, le talent. Il serait vain et quelque peu totalitaire de prétendre en tout point réglementer la vie, non seulement privée mais aussi publique. Pour autant, la démocratie directe ne saurait être purement spontanée, étrangère à toute forme de régulation institutionnelle. La souveraineté nationale et la souveraineté populaire doivent pouvoir être traduites partiellement dans des règles de droit. Des progrès peuvent, en effet, être réalisés en la matière. Par exemple, l’élargissement du droit de pétition et l’initiative populaire des lois. Cette dernière mesure ne serait à vrai dire pas une véritable novation : la Constitution de l’An I, pourtant réputée jacobine, prévoyait déjà l’intervention des communes et des assemblées primaires des départements dans l’élaboration de la loi . C’est cependant la question du référendum qui constitue en matière de démocratie directe la question la plus délicate. En reconnaissant à tous les citoyens le droit de concourir personnellement à l’expression de la volonté générale et à la formation de la loi (32), la Déclaration des droits de 1789 ouvrait la voie aux consultations référendaires et à la mise en mouvement politique du peuple. Mais on a vite pressenti les dangers du référendum et les risques qu’il pouvait faire courir à la démocratie dans les mains d’un pouvoir autoritaire relevant de la ligne de forces césarienne évoquée plus haut (33). La Constitution de 1946 ne retenait le référendum qu’en matière constitutionnelle, disposition à laquelle il apparaît nécessaire de revenir (34).
Quelle démocratie représentative ? Le choix fait ici est celui du régime parlementaire. Selon cette conception, le pouvoir exécutif appartient, sous la direction du Premier ministre, au Gouvernement. Responsable devant le Parlement, il détermine et conduit effectivement la politique de la nation. La légitimité émane du corps législatif, élu selon un scrutin égal, c’est-à-dire se rapprochant le plus possible de la proportionnelle. Le Président garde cependant un rôle prestigieux : il représente la France vis-à-vis de l’étranger, il est l’expression symbolique de l’unité et de l’indivisibilité de la République et le garant de la continuité des pouvoirs publics. Il n’est plus élu au suffrage universel direct, mais soit par un collège de grands électeurs soit par le Congrès du Parlement pour un mandat de sept ans non renouvelable.
Quelle subsidiarité ? La remise à plat des institutions est d’autant plus indispensable que des problèmes relativement nouveaux sont posés. Une réflexion sur les institutions nationales ne peut aujourd’hui faire l’économie d’une prise en compte des institutions infra et supranationales et de leur articulation. Un principe de subsidiarité a été introduit en 1992 par le traité de Maastricht dans les traités de l’Union européenne, qui fait la part belle à l’appréciation de la Cour de justice de l’Union européenne. La conception de la subsidiarité ici retenue est celle de Jean-Jacques Rousseau, émanant du peuple, inverse de celle de Thomas d’Aquin (35à, descendante. Dans cette acception, rien n’interdirait de considérer que des dimensions spécifiques de la citoyenneté et des formes d’institutions appropriées pourraient se développer aux différents niveaux de l’organisation sociale, de la commune aux Nations Unies, que des délégations de compétences (et non de souveraineté) pourraient intervenir, tout en continuant d’affirmer que la nation est et demeure le niveau le plus pertinent d’articulation du particulier et de l’universel.
La citoyenneté
Selon la perspective ouverte par le matérialisme historique, devait découler de l’expropriation du capital et de la conquête du pouvoir par la classe ouvrière un État fort garant de droits étendus pour le plus grand nombre. Mais cela ne signifiait ni la disparition de classes antagoniques ni la nécessité du combat politique pour faire progresser la démocratie. Devait se construire, à travers ce processus, un « homme nouveau », guidé par la raison et en mesure de développer l’ensemble de ses facultés. Et ce n’est qu’après un certain temps d’affirmation de la société socialiste et de développement des forces productives que pouvaient être envisagés : la fin de la division du travail, la disparition des classes, le dépérissement de l’État, l’autorégulation de la société par des hommes libres, c’est-à-dire l’avènement du communisme. On le sait, les choses ne se sont pas passées ainsi : la propriété publique confisquée par l’État n’a pas été mise au service de l’ efficacité économique et sociale ; l’État s’est transformé en moyen d’oppression de larges couches de la population ; au delà de l’échec économique et politique du système, celui-ci s’est révélé incapable de faire émerger l’homme nouveau. C’est sans doute ce dernier point qui caractérise le plus clairement l’échec de l’expérience des pays dits du « socialisme réel ». Mais si cet échec a été le résultat des fautes et des erreurs que l’on sait, il tient aussi qu fait que la construction du nouveau statut de la personne n’a pas été considérée comme un objectif en soi, mais comme la conséquence des changements introduits dans l’économie et l’appareil d’État. Ce statut porte en France le nom de citoyenneté.
Il convient donc, avec l’appropriation sociale et la démocratie institutionnelle, d’accorder à la citoyenneté une importance majeure. Nous le pouvons d’autant mieux que nous disposons en France d’une histoire et d’une culture qui représentent des bases de travail importantes. Ce travail a cependant été longtemps délaissé du fait que la citoyenneté, certes regardée comme républicaine et marquée par le souvenir de la Révolution française, avait – au même titre que d’autres concepts, la notion d’intérêt général, par exemple – été récupérée par la bourgeoisie pour en faire un instrument de consensus social. Elle ne relevait pas d’une analyse de classes et était donc suspecte pour cette raison. C’était une lourde erreur qu’il convient aujourd’hui de corriger, en se gardant d’une facilité d’usage du qualificatif trop souvent répandue, mais en en faisant un objet d’étude rationnelle (36). On ne peut ici qu’évoquer sommairement la problématique retenue qui fait aussi l’inventaire de très nombreuses questions qui sont autant de thèmes politiques importants : services publics, propriété publique, égalité hommes-femmes, intégration, droit d’asile, laïcité, droits civiques, démocratie locale, institutions, etc.
Il n’y a pas de citoyenneté sans valeurs dans lesquelles se reconnaît la communauté des citoyens, même si c’est de façon très contradictoire. Une conception de l’intérêt général, catégorie éminente, distincte de la somme des intérêts particuliers. L’école française du service public a théorisé la notion de service public, vecteur de l’intérêt général dès la fin du XIXe siècle ; elle se trouve aujourd’hui contredite par la conception libérale qui préside à construction de l’Union européenne ; elle repose nécessairement sur une large appropriation sociale précédemment évoquée. Une affirmation du principe d’égalité qui tend à la réalisation de l’égalité sociale au-delà de l’égalité en droit, ce qui conduit à des dérogations au nom d’impératifs d’intérêt général ou pour compenser des différences de situations ; la réalisation de l’égalité femmes-hommes ou le modèle français d’intégration relèvent de cette conception. Une éthique de la responsabilité qui se décline de multiples façons, juridique mais aussi politique, administrative, morale et repose sur l’idée que ce sont les citoyens et les citoyennes qui fixent les règles de la morale sociale et non un état de nature, une fatalité ou une transcendance, et que c’est le principe de laïcité qui le leur permet.
Il n’y a pas de citoyenneté sans exercice effectif de celle-ci et les moyens nécessaires à cette fin. La citoyenneté recouvre aujourd’hui largement les attributs de la nationalité. Elle est avant tout politique (ce qui pose la délicate question du statut des étrangers) et comporte des droits et devoirs partiellement inventoriés dans l’État de droit ; mais elle comporte aussi nécessairement des dimensions économiques et sociales. L’exercice de ces droits devrait s’exercer prioritairement dans le cadre de la cité de proximité, c’est-à-dire sur la base d’une démocratie locale inspirée par le principe de libre administration des collectivités territoriales, mais la dialectique à instaurer entre le pouvoir central et les autorités locales déconcentrées ou décentralisés est particulièrement difficile à établir. Enfin, l’exercice de la citoyenneté s’exerce dans le cadre d’institutions dont il a été question précédemment et qui constituent en fait le modèle de la représentation que se fait la société de l’organisation des pouvoirs et de la démocratie.
Enfin, la citoyenneté est une création continue, co-souveraineté régie par le contrat social. Elle doit être examinée dans sa dynamique ; celle-ci a aujourd’hui la nature d’une crise de système et de société dont nous avons analysé précédemment les symptômes et les causes ; elle se traduit pas un état de décomposition sociale de l’ordre ancien, transition entre un XXe siècle prométhéen et un XXIe siècle dont des caractéristiques demeurent incertaines. Elle encourage la prise de conscience de l’unité de destin du genre humain et la nécessaire recherche d’une démarche commune pour résoudre les problèmes qui se posent de plus en plus au niveau de la planète. Il s’agit là d’un contexte favorable au développement de perspectives socialistes dans tous les pays et le développement d’une citoyenneté mondiale par l’affirmation de valeurs universelles, la définition de moyens communs, et le rêve d’un avenir qui méritera peut être alors de se dire communiste.
Conclusions et conséquences indicatives pour le temps présent
Outre l’échec du socialisme soviétique, l’allégeance social-démocrate au libéralisme, le mot même de socialisme est aujourd’hui dédaigné en raison du pessimisme individualiste de la décomposition sociale. Il reste cependant, dans une large partie de l’opinion, l’idée d’une autre société, juste, généreuse et humaine qui pourrait porter ce nom. Le communisme subit encore plus de désapprobation en raison d’une stigmatisation plus précise et d’une indétermination qui n’est pas nouvelle, mais qui n’est pas récupérable dans la solution des problèmes de l’heure.
La difficulté est moins de dire aujourd’hui ce que pourrait être une société communiste, ce qui semble devoir rester hors de notre portée, que de mettre en perspective des changements suffisamment importants, quantitativement et qualitativement, qui soient compréhensibles et suffisamment réalistes pour investir des propositions politiques d’aujourd’hui. Il n’est pas nécessaire pour cela de récuser les analyses antérieures, mais de les remettre sur le chantier de manière critique à la lumière des expériences des deux siècles passés, de les refonder en les complétant autant qu’il est nécessaire, en rupture sans doute, mais aussi en continuité. Une telle démarche, dans la confusion politique actuelle inhérente à la décomposition sociale, normale en période de transition, serait de nature à ré-identifier une force politique de transformation sociale, sinon de caractère révolutionnaire. C’est ce qui est ici suggéré en tirant des analyses précédentes des propositions, données à titre indicatif, récusant à la fois : la déclamation purement idéaliste, la repentance stérile et inutile, le confinement dans la seule gestion, fût-elle plus sociale.
À l’appropriation sociale doit nécessairement correspondre une propriété publique étendue, c’est-à-dire des nationalisations clairement énoncées dans les secteurs financier, industriel et des services (37). Ces nationalisations doivent répondre à des missions de service public et de politique industrielle qui leur sont explicitement associées dans le cadre d’une planification reposant sur une économie des besoins. Celle-ci doit faire l’objet d’un large débat démocratique associant étroitement les travailleurs des secteurs concernés qui doivent à cette fin disposer de droits d’intervention étendus. Les statuts publics doivent être confortés et un statut législatif des travailleurs salariés du secteur privé établi comme fondement nécessaire d’une citoyenneté effective dans l’entreprise. Sur ces bases relevant d’une conception de service public devraient être progressivement développés des réseaux internationaux de services publics.
La démocratie institutionnelle suppose l’établissement d’un régime parlementaire avec comme mesure emblématique la suppression de l’élection du président de la République au suffrage universel. Cela devrait conduire, dans l’immédiat, au refus motivé de candidature à cette élection. Responsable devant l’Assemblée nationale élue à la proportionnelle, il reviendrait au gouvernement de déterminer et de conduire la politique de la nation. L’usage du recours au référendum serait circonscrit aux questions constitutionnelles, tandis que l’initiative populaire des lois serait facilitée. C’est au niveau national que devrait être exclusivement défini l’intérêt général, tandis que la libre administration des collectivités territoriales s’exercerait dans le cadre d’une subsidiarité démocratique déterminée par la concertation entre les différents niveaux de décision. Cette subsidiarité serait développée au niveaux supranationaux sous forme de délégation de compétences souverainement approuvées.
La citoyenneté repose essentiellement sur la responsabilité du citoyen et la conduite rationnelle des politiques publiques. Son lien avec la nationalité doit, à ce stade, être fermement affirmé, ce qui peut aller de pair avec le développement de dimensions infra et supranationales clairement identifiées dans la perspective d’une citoyenneté mondiale. Les dérogations actuelles au principe intangible de laïcité doivent être progressivement réduites. Outre la laïcité, plusieurs composantes de la citoyenneté doivent, en outre, faire l’objet de recherches, de réglementations appropriées et participer à l’éducation nationale : la notion d’intérêt général, l’égalité femmes-hommes, le modèle d’intégration, le droit d’asile, les droits économiques et sociaux, la diversité culturelle.
Il est clair qu’une démarche politique qui se fondrait aujourd’hui sur de telles options risquerait d’être contraire à certains intérêts électoraux à court terme. Stratégies d’alliances électorales immédiates ou choix politiques fondamentaux, telle est bien la question.
(1) Pierre Bezbakh, Histoire du socialisme français, préface de Maurice Agulhon, Larousse, 2005. C’est aussi en 1836 qu’Alfred de Musset écrit dans La confession d’un enfant du siècle « on ne sait à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris », caractéristique d’un désarroi qui n’est pas sans similitude, après la Révolution française, l’Empire, la Restauration et la révolte de 1830, avec la situation de « pertes de repères » que nous connaissons aujourd’hui comme on le verra plus loin. C’est en raison de cette similitude que j’ai mis cette citation en exergue de Les racines et les rêves, Éditions du Télégramme, 2010.
(2) Karl Marx-Friedrich Engels, Manifeste du Parti Communiste, Éditions de l’Humanité, 2008. Introduction de Patrick Le Hyaric ; contributions de Yvon Quiniou, Bernard Vasseur, Michel Muller, Ken Loach, Isabelle Garo, Roger Martelli, Cynthia Fleury.
(3) On ne manquera pas de s’étonner que les contributions qui accompagnent la publication précitée du Manifeste du Parti Communiste en 2008 n’évoquent pratiquement pas – à une ou deux exceptions près – le socialisme, ainsi que les questions de la propriété et de l’État qui tiennent pourtant la plus grande place dans le texte de Marx et d’Engels.
(4) La 1ère internationale avait été créée en 1865, la IIe en 1889, la IIIè en 1919, la IVe en 1938.
(5) Tandis que François Mitterrand est élu le 10 mai 1981 Président de la République française, les Britanniques élisent Margaret Thatcher (1979), les Américains Ronald Reagan (1981), les Allemands Helmut Kohl (1982).
(6) Évoquons notamment la réalisation d’un champ important de nationalisations, l’extension des droits des travailleurs, la réduction des durées de travail, etc.
!7-Malencontreusement c’est en juin 2008, soit quelque mois avant que n’éclate la crise financière qui verra un « retour de l’État », que le parti socialiste adopte une déclaration de principes consacrant son allégeance à l’ « économie sociale et écologique de marché » faisant suite à la déclaration de Lionel Jospin : « Oui à l’économie de marché, non à la société de marché ».
(8) Marcel Gauchet, À l’épreuve des totalitarismes, Gallimard, 2010. Je ferai, pour ma part une triple critique à la thèse de Marccel Gauchet qui est une référence politique majeure dans la pensée politique d’aujourd’hui : 1/ la globalisation de l’analyse des totalitarisme n’autorise pas la globalité des conclusions et des enseignements (ce n’est pas la même chose de se rférer à la race et à la classe) ; 2/ la mixité conçue comme solution de modernité est discutable en ce qu’elle réduit e rôle des contradistions ; 3/ le socialisme ne peut être réduit à ses variantes social-démocrates.
(9) Le thème a été successivement développé dans Pendant la mue le serpent est aveugle, Albin Michel, 1993 ; Éloge de l’échec, Le Temps des Cerises Éditeur, 2001 ; Les racines et les rêves, 3° partie, ibid.
(10) Dans la mythologie grecque, Prométhée était un Titan auquel on attribuait la création de la race humaine. Il voulut capturer le feu du ciel pour le donner aux hommes et il attira la colère de Zeus qui le fit attacher à un rocher où un oiseau de proie lui dévorait le foie. L’adjectif « prométhéen » qualifie le recherche de la connaissance en vue de la maîtrise du destin et la foi en l’homme.
(11) Evelyne Pieiller, « Liberté, égalité et …care », Le Monde diplomatique, septembre 2010. À ce sujet, je relève avec intérêt que, de même que je considère plus loin que le communisme n’a jamais existé nulle part, Jacques Fournier dans une critique du livre de Serge Guérin De l’État providence à l’État accompagnant (Michalon Éditeur, 2010), affirme de son côté : « Pour me résumer je dirai que nous n’avons ni à défendre, ni à pourfendre, ni à dépasser, un État Providence qui selon moi n’a jamais existé (…)
. Le rôle de l’Etat n’est pas seulement d’accompagner. Il est aussi de promouvoir, en se mettant au service d’une volonté collective de transformation sociale. »
’12) Alain Bergougnoux, « Demain la social-démocratie », Le Débat, n° 161, septembre-octobre 2010. L’auteur se livre à une réflexion sérieuse sur les difficulté actuelles des socio-démocrates « Trop favorables au marché pour leurs gauches, trop productivistes pour les écologistes, trop étatiques pour les libéraux, trop tolérants pour les extrêmes droites , ils n’ont donc pas pu tirer parti de la débâcle du néo-libéralisme. »
(13) Rémi Lefèbvre, « Les pièges de la professionnalisation », Le Monde diplomatique, octobre 2009.
(14) Anicet Le Pors, « Que reste-t-il du communisme ? », Revue de géopolitique, octobre 2005. Également : « À quoi sert le PCF ? », Le Monde, xxx 1999.
(15- Notamment sous forme d’abus d’usage des mots anglo-saxons ce qui n’est qu’un symptôme de plus de la vacuité idéologique.
(16) Anicet Le Pors, « À quoi sert le PCF ? », Le Monde, 19 mai 1999.
(17) L’intérêt du peuple porté par la classe ouvrière, conduite par une avant-garde éclairée : le parti communiste, dirigé par une élite légitimée par le messianisme des fins poursuivies, la condensation de cet enchaînement dans le pouvoir du dirigeant suprême.
(18) Jean-Luc Nancy et Jean-Christophe Bailly, La comparution, Christian Bourgois éditeur, 1991.
(19- Selon les formules utilisées par Lucien Sève dans un texte non publié intitulé « Que faire maintenant ? » en avril 2010. Voir également à ce propos : Lucien Sève, Penser avec Marx aujourd’hui, I. Marx et nous, Èditions La Dispute, 2004 ; ainsi que « Le grand chantier marxien de Lucien Sève », L’Humanité, 16 juin 2004.
(20) Karl Marx, Lette circulaire, 1879. Dans cette
(21) À ma connaissance, en dehors du parti socialiste de la manière qui a été dite et, sur le modé déclamatoire avant son congrès de novembre, le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), seul le Mouvement des jeunes communistes (MJC) fait aujourd’hui une référence expresse au socialisme. Position que fustige Lucien Sève( dans le texte non publié précité) en ces termes « Et voici que le Mouvement des jeunes communistes adopte un texte d’orientation (L’Humanité du 19 avril 2010) qui fixe pour objectif la construction d’un socialisme du XXIe siècle (…) Gravement coupables sont ceux qui ont mis dans la tête de jeunes communistes d’aujourd’hui cette idée historiquement indéfendable (…) et stratégiquement nocive ». Les jeunes communistes ne sont donc pas réputés pouvoir penser par eux-mêmes …
(22) Intervention faite le 11 décembre 2010 au siège du parti communiste dans le cadre d’une initiative marquant le 90e anniversaire du PCF sous le thème « Quelle visée communiste pour le XXIe siècle ? ». Voir sur mon blog http://anicetlepors.blog.lemonde.fr
(23) Claire Blandin, « Lionel Jospin privatise plus qu’Alain Juppé », Le Monde, 7 août 1998 .
(24) Roger Martelli dans sa contribution associée à la publication du Manifeste précitée dont on a rappelé qu’il faisait une place essentielle à la question de la propriété se borne à ce commentaire sur la question « la liberté ne procède pas mécaniquement de la propriété ». Paul Boccara, par ailleurs, évoque « … le fétichisme de la propriété publique », Économie et politique, juillet-août 2008.
(25) Rappelons qu’après la suppression du Commissariat général du Plan, dans le cadre des 374 mesures arrêtées par les comités de modernisation des politiques publiques, ont également été supprimés : le Conseil national d’évaluation, le Haut Conseil du secteur public, le Haut Conseil à la coopération internationale ; on relève également : la dissolution de la Direction de la prévision, du Comité d’enquête sur le coût et le rendement des services publics, des Archives de France dns des ensembles plus vastes, etc.
(26) Anicet Le Pors, « La gauche, le capital et les stratégies d’appropriation sociale », Le Monde, 23 septembre 1998. Pour une analyse plus approfondie du concept, voir : L’appropriation sociale (en collaboration), Editions Syllepse et Fondation Copernic, 2002.
(27) Précisons à ce sujet que la réglementation européenne ne fait pas obstacle à la nationalisation puisque l’article 345 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose que « Le présent traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les États membres ». On peut penser néanmoins qu’en cas de nationalisation dans un État membre la commission serait particulièrement attentive à déceler toute entrave à la concurrence de ce fait.
(28) Voir sur ce point Jacques Fournier, « Pour une économie des besoins », Raison présente, n° 173, 1er trimestre 2010.
(29)C’est ce que je m’étais efforcé d’expliquer, en décembre 1990, à la fin du 27e congrès du PCF en m’opposant à la nouvelle candidature de Georges Marchais au poste de secrétaire général qui marquait son engagement dans un troisième septennat, alors que le 27 e congrès venait d’adopter le principe d’un septennat non renouvelable pour le Président de la République (position abandonnée depuis).
(30) Voir sur ce point ma contribution dans l’ouvrage collectif Quelle VIe République ?, Le Temps des cerises, 2007.
(31) – On rappellera toutefois que le Parti communiste français avait fait cet effort en rendant public en décembre 1989, sur mon rapport, une Déclaration des libertés placée en tête d’un Projet constitutionnel complet pour marquer à sa manière le bicentenaire de la Révolution française.
(32)- «Art. 58. – Le projet est imprimé et envoyé à toutes les communes de la République, sous ce titre : loi proposée.
Art. 59. – Quarante jour après l’envoi de la loi proposée, si, dans la moitié des départements, plus un, le dixième des assemblées primaires de chacun d’eux, régulièrement formées, n’a pas réclamé, le projet est accepté et devient loi. ».
(33) Olivier Duhamel le souligne : « le référendum peut être liberticide : les Bonaparte en ont apporté la preuve », Droit constitutionnel et politique, Seuil, 1993, p. 116.
(34) Depuis 1793, seulement 3 référendums sur 24 ont été perdus par ceux qui les ont organisés (2 sur 10 depuis 1958).
(35) Jean-Jacques Rousseau : « Où se trouve le représenté, il n’y a plus de représentant », Contrat social.
(36) On trouvera les développements nécessaires sur le sujet dans les ouvrages précédemment signalés mais principalement dans La citoyenneté, PUF, coll. Que sais-je ?, 4° éd., janvier 20101et Anicet le Pors, « Quelle citoyenneté ? », La Pensée, mars 2011).
(37)Proposition qui s’oppose à celle de la constitution de « pôles publics » parfois évoqués dans certains secteurs (énergie, transports, finances) qui ne comportent en général aucune annonce de nouvelles nationalisations et dont l’indétermination est la preuve du renoncement à engager une épreuve de force avec le capital dominant sur la question de la propriété. Pour éviter une référence géographique trop strictement circonscrite à la nation l’appropriation sociale pourrait aussi se dire « socialisation ».
Je suis pour ma part favorable à un secteur publique fort.
La SNCF, EDF et La Poste doivent rester sous le contrôle de l’Etat.
Pour autant, prôner des nationalisations coûteuses, liberticides et inutiles, m’apparaît irréaliste.
Le capitalisme doit certes être régulé par l’Etat (à ce sujet l’excellent livre de Michel Albert « Capitalisme contre capitalisme »), mais le condamner n’est pas la solution.
Ce qui devrait plutôt être condamné, c’est cette financiarisation excessive au détriment d’un capitalisme « familial ». C’est cette folle mondialisation des échanges qui appauvrit et désindustrialise les pays riches sans enrichir les pays pauvres. C’est enfin aussi cet abandon du pouvoir politique qui ne fait plus que gérer une situation et non gouverner.
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Merci pour cet implacable réquisitoire anticapitaliste. D’accord pour la réhabilitation du politique, mais si « làoù est la liberté là est le pouvoir « , ce que la gauche disait autrefois mais dont sont toujours persu dés les capitalistes aujourd’hui (lire la presse économique) alors il est vain de prétendre changer le rapport des forces politique sans expropriation.
Cordialement.
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Hum, réquisitoire contre le capitalisme sauvage (et la mondialisation) oui, mais pas contre le capitalisme « social » et régulé auquel je suis favorable… Encore une fois, il n’y a pas qu’un capitalisme, mais plusieurs (ou plusieurs façons de le gérer).
Cordialement.
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ce que la gauche disait autrefois mais dont sont toujours persu dés les capitalistes aujourd’hui (lire la presse économique) alors il est vain de prétendre changer le
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