Service public, travail et démocratie – CGT Communauté urbaine de Strasbourg, 17 janvier 2012

SERVICE PUBLIC, FONCTION PUBLIQUE, ENJEUX POLITIQUES

Que le service public et sa partie centrale la fonction publique soient un enjeu ne souffre guère de discussion L’article 20 de la constitution n’énonce-t-il pas : « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l’administration … ». Le texte laisse penser que l’administration n’est qu’un instrument passif entre les mains du pouvoir exécutif et, par là, que la formule s’appliquerait aux fonctionnaires eux-mêmes, ce que confirmait bien Michel Debré dans les années 1950 en déclarant : « Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait. » C’est la conception du fonctionnaire sujet. Nous savons bien que la réalité est bien plus complexe et que les fonctionnaires, propriétaires de leur grade ont une existence propre et que, si le principe hiérarchique a longtemps prévalu, il ne saurait ignorer que les agents du service public sont aussi des citoyens qui ont le droit et le devoir de se forger une idée sur la conception du service public qui regroupe leurs missions.

Cette nature contradictoire du service public n’est pas une question nouvelle. Je voudrais donc tout d’abord montrer comment les principes qui régissent le service public et la fonction publique en France sont issus de notre histoire. Puis caractériser l’offensive dont ils sont l’objet au cours de la dernière période. Enfin, m’interroger sur la contre-offensive possible et nécessaire.

I. DES PRINCIPES ISSUS DE NOTRE HISTOIRE

Sur la plupart des thèmes participant du débat politique actuel – la réforme des collectivités territoriales, par exemple -sont évoqués l’intérêt général, le service public, la fonction publique, idées qui se sont forgées au cours des siècles : création du Conseil d’État du Roi sous Philippe Le Bel à la fin du XIIIème siècle, apparition des intendants au XVème sciècle et des Ponts et Chaussées au XVIIème, articles 1er et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, École française du service public à la fin du XIXème , les services publics dans le programme du CNR, le statut général des fonctionnaires en 1946. Ces notions se sont incarnées dans des personnages historiques importants : de Richelieu à de Gaule.

1.1. L’intérêt général

Les économistes néo-classiques ne sont parvenus à définir qu’un « optimum social », préférence révélée des consommateurs. Le citoyen ne se réduit pas au consommateur ni à au producteur.

Le juge administratif a considéré que c’était au pouvoir politique de le définir dans un débat démocratique. Il en a fait cependant usage, mais de façon subsidiaire dans l’application du principe d’égalité. Il a identifié des activités relevant de l’intérêt général.

Il siège dans les notions de déclaration d’utilité publique, d’ordre public. Les « actions positives » doivent être proportionnées à la différence des situations ou à l’intérêt général invoqué qui ne doit pas porter une atteinte excessive aux intérêtes privés.

L’intérêt général, comme l’État réputé en être le garant, est donc bien un champ contradictoire et non consensuel. Le mouvement social est-il en mesure de s’y investir pleinement ?

1.2. Le service public

Une notion simple à l’origine : une mission d’intérêt général, une personne morale de droit public, un droit et un juge administratifs ; la couverture par l’impôt et non par les prix ; la reconnaissance de prérogatives de service public.

Une notion devenue complexe : interpénétration public-privé (régie, concession, délégation), hétérogénéité croissante, développement du secteur associatif. Le contrat le dispute à la loi.

La contradiction s’exacerbe dans le cadre de l’Union européenne dont les critères sont essentiellement économiques (« éonomie de marché ouverte où la concurrence est libre et non faussée »). Le service public est ignoré (sauf art. 93 du traité sur le foncyionnement de l’Union européenne, TUE), définition des SIEG et des SIG et, plus récemment, des SNSIG Protocole n°26 du TFUE). La jurisprudence de la CJCE tend cependant à faire une place aux acticités d’intérêt général ; le régime de la propriété n’est pas préjugé (art. 345). L’attachement aux services publics a joué un rôle important dans le rejet du traité constitutionnel le 29 mai 2005.

Peut-on envisager un renforcement des services publics avec une propriété publique affaiblie ?

1.3. La fonction publique

Création ancienne d’une administration centralisée. Le principe hiérarchique est longtemps dominant. Création de règles jurisprudentielles et rejet de la notion de « statut carcan » par les syndicats pendant la première moitié du XXème siècle. Premier statut de 1941 sous Vichy. La loi du 19 octobre 1946, premier statut démocratique. Redistribution législatif-réglementaire en 1959.

L’élaboration du statut actuel en 1981-1986 : les 3 principes d’égalité, d’indépendance, de responsabilité. La conception du fonctionnaire-citoyen. Une fonction publique à « trois versants » (FPE, FPT, FPH).

Montée en puissance des personnels sous statut : 200 000 fonctionnaires début XXème siècle, 1 million en 1946, 2,1 millions en 1981, 5,3 millions aujourd’hui. 146 articles législatifs en 1946, 57 en 1959. La codification en cours comporterait 1 600 articles législatifs et 6 000 articles réglementaires. Le statut actuel connaît la plus grande longévité (29 ans pour le Titre I) contre la prévision de F. Mitterrand en 1986.

Quelle affirmation de la spécificité du service public ? Le fonctionnaire est-il un citoyen, un salarié comme les autres ?

II. UNE OFFENSIVE SANS PRÉCÉDENT

Selon Marcel Gauchet, la stratégie du sarkozysme c’est la « banalisation » de la France. La France, une somme d’ « anomalies » : le modèle d’intégration, la laïcité, le service public, les collectivités territoriales, le droit d’asile, etc.

Le « pragmatisme destructeur » contre l’ « ardente obligation ». L’ « identité nationale » comme contre-feu.

2.1. La réduction de la dépense publique

La France n’est pas sur-administrée (93 agents publics pour 1 000 habitants), les fonctionnaires ne sont pas une charge excessive pour les finances publiques.(les rémunérations représentent 12,8 % du PIB, en baisse, toutes fonctions publiques confondues).

Des précédents : la commission de la Hache dans les années 1950, la RCB, la LOLF (34 missions, 132 programmes, 620 actions) et sa « fongibilité asymétrique ».

La RGPP : non remplacement d’un fonctionnaire sur deux ; plus de 300 mesures administratives, pas de concertation. Le démantèlement de l’ « administration rationalisante : DATAR, CGP, CNE, HCEP, HCCI, CIRA, DP, CECRSP, INSEE, A de F, etc.

Primauté à la « main invisible » sur la « main visible ». La loi du marché ou celle de la volonté publique ?

2.2. Démantèlement des services publics et de la fonction publique

Une spécificité française : une fonction publique de 5,3 millions, environ 6 millions avec les entreprises et organismes publics (un quart de la population active). Un môle de résistance au marché et à la contractualisation.

L’attaque n’a pas commencé acec Sarkozy : loi Galland du 13 juillet 1987 ; suppression de la 3ème voie d’accès à l’ÉNA, de la loi sur droit de grève de 19 octobre 1982). Changement de statuts de La Poste et France Télécom en 1990 (P. Quilès), d’Air France en 1998 (J-C. Gayssot), rapport du Conseil d’État 2003 préconisant la contractualisation comme « source autonome du droit » de la fonction publique. Atteintes sectorielles par les lois de modernisation du 2 février 2007 et sur la mobilité du 3 août 2009.

La « révolution culturelle » dans la fonction publique annoncée par Nicolas Sarkozy le 19 septembre 2007. Il diligente le Livre Blanc de J-L. Silicani (contrat contre loi, métier contre fonction, performance individuelle contre efficacité sociale). La crise révélatrice du rôle d’ « amortisseur social » du service public (emploi, pouvoir d’achat, protection sociale et retraites, éthique). Dans les conditions nouvelles, le « Grand soir statutaire » n’aura pas lieu, mais le cap est maintenu et les atteintes se poursuivront.

Les gouvernements de gauche ne reviennent pas sur les atteintes de la droite. Qu’en serait-il dans une hypothèse de retour au pouvoir de la gauche en 2012 ?

2.3. La réforme des collectivités territoriales

La justification par la compétition internationale (St-Dizier, le 20 octobre 2009). Priorité aux « pôles et aux réseaux » sur les « circonscriptions et les frontières ».

Pas de « mille-feuilles » mais 2 triptyques : commune-département-nation (politique) contre agglomération-région-Europe (économique). Trois décisions majeures : les conseillers territoriaux, les métropoles, la suppression de la taxe foncière

Des conséquences très déstabilisatrices vont s’ensuivre. En premier lieu, une détérioration de la situation matérielle et morale des fonctionnaires : effectifs, contractualisation, clientélisme. Propositions de loi Gorge (le contrat comme modalité de droit commun, le statut comme exception), et Poisson (marchandisation des emplois public-privé). En deuxième lieu, l’affaiblissement des services publics déconcentrés (8 directions dans les régions, 2 à 3 dans les départements) comme conséquence de la RGPP, se combinant avec l’affaiblissement des services publics décentralisés. En troisième lieu, la présidentialisation accrue avec le rôle dévolu aux préfets et spécialement au préfet de région véritable proconsul (carte des regroupements de communes, périmètre des métropoles, conventions départements-régions).

La voie d’une autre réforme des collectivités territoriales est possible : articulation des niveaux, principes d’unité de la République et de libre administration des collectivités territoriales. Récusation de l’idéologie managériale proposée aux élus dans la gestion des affaires publiques et du vocabulaire qui l’accompagne.

La convergence : fonctionnaires, élus, opinion populaire, difficilement réalisée dans le passé est-elle envisageable aujourd’hui ?

III. OUVRIR DES PERSPECTIVES

Défendre les services publics, mais surtout inscrire leur promotion dans une perspective. Ne pas se contenter de discours généraux.

3.1. Se positionner sur les valeurs et principes

Le pouvoir ne néglige pas les valeurs : 75 des 146 pages du Livre Blanc Silicani y sont consacrées sans qu’il en tire les conséquences.

Réaffirmer les valeurs et principes de l’intérêt général, sur le service public, de la fonction publique, précédemment évoqués. Il faut évoquer aussi l’unité et l’indivisibilité de la République et la libre administration des collectivités territoriales.

Le peuple français doit se réapproprier l’histoire, la science, la morale.

Il y a aujourd’hui un considérable déficit idéologique. Comment le combler ?

3.2. Faire des propositions constructives à tous niveaux

Ce pouvoir peut être tenu en échec : de la révolution culturelle, de la suppression du classement se sortie des écoles de la fonction publique ; critique du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux par Philippe Séguin. Dissensions sur la taxe professionnelle, l’élection des conseillers territoriaux. Promesse aventureuse de titularisation des contractuels …

Faire des propositions concernant le service public et la fonction publique : par exemple reclassement indiciaire, réduction de la contractualisation, double carrière, conditions de mobilité, dialogue social, égalité hommes-femmes, etc.

Plus généralement, réhabiliter, dans le cadre d’une « économie des besoins », la planification, les nationalisations, les institutions.

Souligner le rôle des « États généraux du service public » et des nombreuses initiatives de défense des services publics.

Mais aussi pour un « statut des travailleurs salariés du secteur privé » (cf . Robert Castel, Ph. Cotis, position de la CGT). Il convient de favoriser la convergence organisée dans l’action avec le statut général des fonctionnaires. Les conceptions sont loin d’être convergentes sur le sujet.

3.3. Le service public « valeur universelle » ?

La montée de l’ « en commun » : valeurs universelles, protection de l’écosystème mondial, propriété des ressources du sol et du sous-sol, des produits alimentaires, projets industriels internationaux, mondialisation de services, des échanges, de la culture, du droit, etc.

La prise de conscience de l’unité de destin du genre humain caractéristique majeure du moment historique : « Terre-Patrie », le « Tout-Monde », « Patrimoine commun de l’humanité », « Biens à destination universelle », etc.

Le service public, valeur universelle. La contribution de la conception et de l’expérience française. Le XXIème siècle « âge d’or » du service public ?

Un commentaire sur “Service public, travail et démocratie – CGT Communauté urbaine de Strasbourg, 17 janvier 2012

  1. Bonjour,

    Je recherche tout élément relatif au premier statut des fonctionnaires. A ma connaissance, celui ci aurait été créé lors d’une période très sombre de notre histoire pendant l’occupation et sous le régime de Vichy par PETAIN depuis la loi du 14 septembre 1941. Sauriez-vous où m’orienter pour avoir accès aux documents qui informent et decryptent sur ce premier statut dont il est difficile d’avoir accès. Je suis fonctionnaire et j’effectue ces recherches à titre personnel.
    Bien cordialement.

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