1981 – 1984 : les ministres communistes au gouvernement

Quel rôle ont eu les ministres communistes dans le gouvernement ? dans le PCF ?(à paraître)

Nous étions au pouvoir, mais nous n’avions pas le pouvoir. Cette période s’inscrit à la charnière de deux cycles trentenaires : le premier suivant la seconde guerre mondiale (croissance soutenue, intervention de l’État, inflation …) ; le second libéral (croissance ralentie, rôle déterminant du marché, marqué par la financiarisation de l’économie …) que ponctue la crise financière de l’automne 2008. Les élections dans la plupart des pays développés se radicalisent à droite dans ce contexte (Thatcher en 1979, Reagan en 1981, Kohl en 1982). L’élection de François Mitterrand apparaît ainsi comme une exception française aux causes historiques et culturelles (planification gaulliste « à la française », conception étatique communiste, importance de l’administration …) Le Programme commun, ses versions actualisées et même les 110 propositions de Mitterrand en portaient la marque. Ce fut une forte manifestation d’identité nationale.
Dans une situation de croissance extérieure ralentie, sous l’influence dominante des politiques libérales, la politique de relance française ne peut prospérer sans volonté politique affirmée. On peut retenir notamment les dates repères suivantes : début octobre 1981 première dévaluation du Franc, la loi de nationalisations du 11 février 1982, de juin à novembre 1982 le blocage des salaires et des prix, en mai 1983 la désindexation des salaires par rapport aux prix. Les programmations sectorielles sont rapidement abandonnées. Les entreprises publiques inscrivent de plus en plus leur activité dans le cadre des règles concurrentielles (démission de J.-P. Chevènement). Les tendances européo-libérales l’emportent au sein du gouvernement et la réaction du mouvement social est faible (tout comme face aux régressions de la période de cohabitation 1986-1988). Les conséquences en seront graves : alors que le PIB a doublé en expression courante en vingt ans (+ 30% en euros constants déflatés de la croissance démographique), les salaires perdent 5 à 9 points au profit de la rente (de 77 % en 1983 à environ 68% aujourd’hui). La politique de négociation salariale dans le secteur public ne s’en est pas remise. Ce qui fait paradoxe, c’est que nombre de réformes initiées avant 1983 n’ont abouti qu’après (le statut général des fonctionnaires, par exemple). Pendant toute la période ministérielle, le PCF n’est à aucun moment intervenu dans notre travail. Il ne nous a pas non plus apporté de soutien ostentatoire (position prudente d’Henri Krasuki au moment de la désindexation). Comme on le sait, les choses devaient changer radicalement dès notre départ du gouvernement.
On peut tirer de cette réflexion rétrospective quatre thèmes de refondation idéologique :
– Le moment historique. Nous entrons dans un nouveau cycle inverse de celui débutant au tournant des années 1980. Quelle en sera la nature, notamment du point de vue de l’intervention publique, des services publics et des États ?
– L’appropriation sociale. Le silence général sur les nationalisations est une étonnante forme d’irrationalité. Il faut pour le moins tirer les enseignements des nationalisations de 1982 permettant de donner un contenu au concept d’appropriation sociale articulant : économie des besoins – propriété publique – intervention des travailleurs. Le concept vaut aussi bien au niveau national que continental et mondial.
– La démocratie institutionnelle. Plutôt que l’élaboration d’un projet constitutionnel (voire l’évocation d’une confuse VIe République) il importe d’apporter des réponses claires sur quelques questions essentielles : l’élection du Président de la République au suffrage universel, les conditions de recours au référendum, par exemple.
– La citoyenneté. C’est le concept fédérateur de choix politiques essentiels : le service public, le modèle français d’intégration, la laïcité, etc.
Ces chantiers doivent permettre une refondation de l’« hypothèse socialiste ».

Anicet LE PORS
Conseiller d’Etat,
Ministre de la Fonction publique et des Réformes administratives (1981-1984)

« En avant le Service public !  » – GENNEVILLIERS, 24 mars 2012

Comment peut-on définir le rôle fondamental du Service Public d’une manière générale ?

Le service public a, en France, une longue histoire. Lorsque Philippe Le Bel, à la fin du XIIIe siècle, crée le Conseil d’État du Roi il signifie par là que les affaires du royaume qui traitent du « bien commun » ne peuvent relever des tribunaux ordinaires et qu’il faut une instance plus éminente pour en juger. Ensuite, sous la monarchie absolue, la France se dotera d’une administration forte et de services publics structurés (les intendants au XVe siècle, les ingénieurs des Ponts et Chaussées au XVIIe). La question sera permanente au cours de notre histoire contemporaine. La Révolution posera des principes essentiels (égalité d’accès aux emplois publics, responsabilité des agents publics) et se créera à la fin du XIXe une « École française du service public » qui va théoriser l’intérêt général pour dire qu’il n’est pas la somme des intérêts particuliers et définir les services publics (mission d’intérêt général, personne morale de droit public, droit et juges administratifs, couverture par l’impôt, prérogatives de droit public). Plus tard on associera trois principes aux services publics : égalité, continuité, adaptabilité.

Cette valeur centrale est-elle partagée ou simplement connue de la part des agents de la fonction publique et des français en général ?

Cette histoire et ces principes ne sont pas toujours présents dans la conscience des utilisateurs des services publics, des agents de ces services et des fonctionnaires des administrations, voire des élus locaux ou nationaux. Pour faire de nombreuses conférences sur le sujet, je peux néanmoins témoigner qu’il y a, en France, une profonde culture de l’intérêt général et des services publics comme en attentent aussi les mouvements revendicatifs pour sa défense comme en 1995, ou encore le rejet par référendum, le 29 mai 2005, du traité constitutionnel européen dont les services publics étaient un enjeu important.

Peut-on dire que nous sommes aujourd’hui dans une phase inédite de remise en cause des Services publics ? Si oui, quelles sont les principales menaces ?

Sous le pouvoir sarkozyste, il y a en effet une profonde remise en cause de l’histoire et des principes que j’ai rappelés. D’une manière générale, je reprendrai à mon compte cette appréciation du philosophe Marcel Gauchet qui a écrit : « La stratégie initiale du sarkozysme, c’est la banalisation de la France ». Pour le pouvoir actuel, il convient en effet de mettre notre pays aux normes de l’Union européenne exigées par le marché. Les spécificités historiques de la France sont, aux yeux de ce pouvoir considérées comme des « anomalies ». Anomalie que ces services publics, que la laïcité, le droit du sol déterminant la nationalité, l’existence de 36 000 communes…C’est tout cela que le pouvoir en place envisage de supprimer, ce qu’il a d’ailleurs entrepris activement, à l’exemple de sa réforme des collectivités territoriales.

Or, l’expérience montre que lorsqu ‘un gouvernement de droite succède à un gouvernement de gauche, il n’hésite pas à remettre en cause certaines avancées. En revanche, à l’inverse, les gouvernements de gauche reviennent généralement très peu, voire pas du tout, sur ce qu’ont fait les gouvernements de droite lorsqu’ils leur succèdent. J’en déduis qu’il faudra être très vigilant après la présidentielle et les législatives si la gauche revient au pouvoir.

A l’échelle des villes, d’où vient spécifiquement le danger ?

Comme l’a souligné depuis fort longtemps la Cour des comptes, cela tient tout d’abord au fait que les transferts de compétences de l’État aux collectivités territoriales n’ont été que très partiellement compensés par des ressources financières correspondantes, d’où une augmentation constante des charges pesant sur les collectivités territoriales, les villes notamment et, par voie de conséquence, les populations. Mais le principal danger aujourd’hui, vient de la réforme des collectivités territoriales mise en œuvre depuis 2009 et de l’application plus précisément de la loi du 16 décembre 2010 avec : la suppression de la taxe professionnelle sans compensation durable assurée, le remplacement des conseillers généraux et régionaux par des conseillers territoriaux réduits d’un bon tiers, la création de métropoles et de pôles métropolitains.

Y a-t-il un risque spécifique de remise en cause du statut des fonctionnaires,
notamment territoriaux ?

Assurément. Nicolas Sarkozy avait annoncé le 19 septembre 2007 une « révolution culturelle » dans la fonction publique avec comme mesure emblématique le « recrutement sur contrats de droit privé conclus de gré à gré » concurremment aux concours. Comme vous avez pu l’entendre, il ne décolère pas de constater que la fonction publique territoriale a recruté l’année dernière autant d’emplois qu’il en a supprimés dans la fonction publique de l’État. Par ailleurs, tous les observateurs se sont plus à reconnaître que, pendant la crise, la France avait bénéficié avec son secteur public étendu d’un puissant « amortisseur social » en matière d’emploi, de pouvoir d’achat, de protection sociale, de retraite, et même de morale. Tout cela prouve que le pouvoir actuel peut être mis en échec, même s’il ne faut pas avoir de doute sur sa volonté de reprendre son offensive anti-fonction publique s’il était réélu. Comme menaces spécifiques visant la fonction publique territoriale, il faut aussi évoquer les propositions de lois Gorge et Poisson qui tournent le dos à la conception française du service public…

Comment peut-on, chacun à son niveau (agents, habitants, élus), contribuer à la défense et à la valorisation du Service Public ?

Il faut, me semble-t-il de façon générale, que le peuple français se réapproprie son histoire, une démarche scientifique et la morale républicaine que bafouent les dirigeants actuels.

Je crois à la nécessité d’élever le débat en rappelant les valeurs sur lesquelles sont fondés les services publics et que j’ai évoquées. Celles de la fonction publique (égalité, indépendance, responsabilité) sur lesquelles j’avais fondé expressément l’architecture du Statut général des fonctionnaires d’une fonction publique « à trois versants » (État, territoriale, hospitalière) de 1983-1984 qui comprend aujourd’hui quelque 5,3 millions de salariés (soit, avec les agents des entreprises publiques, le quart de la population active française) couverts par des garanties statutaires et réglementaires. Mais il faut y ajouter aussi l’unité de la Répyblique en même temps que le principe de libre administration des collectivités territoriales.

Il faut aussi faire des propositions d’amélioration, d’évolution, car il n’y a pas de texte sacré et des services publics et des fonctions publiques qui n’évolueraient pas se scléroseraient inévitablement. C’est le rôle des organisations syndicales, mais pas seulement. On rejoint par là des propositions plus générales concernant les questions de planification, de nationalisation, d’aménagement du territoire, etc.

Enfin, je pense qu’il faut faire converger les actions des trois composantes principales concernées par la promotion et la défense du service publics : les citoyennes et les citoyens, les agents publics et les fonctionnaires, les élus. Cette convergence a souvent été défectueuse dans le passé. Il est urgent et important d’y travailler. Je pense, en outre, qu’il ne faut pas se contenter de « défendre le service public », il faut surtout le promouvoir en prenant conscience que le monde qui se fait sous nos yeux va rendre nécessaire le développement d’interdépendances, d’interactivités, de solidarités, et que cela porte un nom en France : les services publics. Il faut installer dans l’ensemble du peuple l’idée que le XXIe siècle peut et doit être l’ « âge d’or » du service public. Le thème que votre minicipalité a retenu « En avant, le service public ! » me semble tout à fait pertinent à cet égard.

Les institutions dans la présidentielle (Schéma)

Café politique du Front de gauche « Le fil rouge » de Malakoff – 19 mars 2012

La France est un véritable laboratoire institutionnel. Sécularisation progressive du pouvoir royal (Philippe le Bel, Louis XIV). La revendication d’une constitution écrite aux États généraux du 5 mai 1789 (les constitutions et le Contrat social de J-J. Rousseau, 1962).

Transfert de la souveraineté du roi à la nation avec bipolarisation de l’État et des droits du citoyen (constitution et déclaration des droits).

Première constitution en 1791 et républicaine en 1793. Quinze constitutions en deux siècles avec deux lignes de forces :constitutions du 24 juin 1793 et du 14 janvier 1852 –


I. DEPUIS LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE : UNE HISTOIRE TOURMENTÉE ENTRE RATIONALITÉ ET EMPIRISME

La constitution de la IVème République aura duré douze ans, la Vème cinquante-quatre ans cette année,, en deuxième position pour la longévité après la IIIème (65 ans).

1.1. La Constitution de la IVème République

Histoire

Vichy : loi constitutionnelle du 10 juillet 1940.annonçant un projet de constitution du Maréchal Pétain qui ne sera jamais adopté.

Les différents courants de la Résistance ne souhaitent pas revenir à la constitution de la IIIe République. Poids du PCF en faveur d’une référence à 1793. Importance économique et sociale du programme du CNR. Inclination de de Gaulle vers une constitution du type de celle des États Unis.

Un premier référendum a lieu le 21 octobre 1945 ; deux questions : 1/ reconnaissance de l’assemblée comme constituante. 2/ limitation de ses pouvoirs à sa fonction constituante pendant sept mois. Le oui-oui l’emporte. Le PCF domine cependant l’assemblée (25 %) avec le MRP. Tension avec de Gaulle, chef du gouvernement, qui démissionne le 20 janvier 1946. V. Auriol élu Président de la République. Un projet fondant un régime d’assemblée est soumis au référendum et rejeté le 5 mai 1946.

Une nouvelle assemblée constituante est élue : MRP (28 %), communistes (26 %), socialistes (21 %). Le discours de Bayeux du général de Gaulle le 16 juin, donne une esquisse d’une constitution avec un chef de l’Etat au-dessus des partis et doté de pouvoirs importants. Nouveau projet adopté par référendum. La constitution sera promulguée le 27 octobre 1946.

Contenu

Filiation 1793, 1848 néanmoins. Pas de Déclaration des droits mais un Préambule (toujours en vigueur) et renvoie à la Déclaration de 1789 et aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la république ».

Deux chambres : l’Assemblée nationale et le Conseil de la République. La première élue à la proportionnelle (mais loi sur les apparentements en 1951) et décisive en matière législative. Détermine la composition du gouvernement et élit le P de la R avec le Conseil. Le PR garde les pouvoirs de ses prédécesseurs, nomme le Président du Conseil qui doit être investi par l’AN.

Création de la question de confiance et motion de censure (art. 49 et 50). Un gouvernement renversé peut dissoudre l’Assemblée. Il y eut 25 gouvernements en 12 ans.

Évolution

La IVème République doit faire face à de grandes difficultés : reconstruction, guerres d’Indochine et d’Algérie, décolonisation, instabilité gouvernementale, dénaturation de la représentation parlementaire par le système des apparentements. Le gouvernement Guy Mollet ne s’impose pas. La situation se dégrade (intervention en Egypte, détournement de l’avion de Ben Bella…).

Le 13 mai, émeute à Alger le jour de l’investiture de Pierre Pfimlin. Le Président de la République, René Coty, appelle le général de Gaulle comme président du Conseil et l’autorise à élaborer une nouvelle constitution.

Modèle constitutionnel clair mais dénaturé par les circonstances et la pratique politique. Pr J-J. Chevallier : une constitution « rationnelle mais pas raisonnable ».

1.2. La Constitution de la Vème République

Hitoire

La loi constitutionnelle du 3 juin 1958 fixe les cadres et les limites de la révision constitutionnelle (suffrage universel, séparation des pouvoirs, etc.).

Rédaction en petit comité. De Gaulle pèse dans l’esprit de Bayeux. Michel Debré pour un « parlementarisme rationalisé ». Projet adopté par référendum le 28 septembre 1958. PCF et personnalités contre 80%.

Signification différente pour les territoires d’outre mer (Guinée).

Contenu

Ordre : Parlement-Conseil économique et social-Président de la République-Gouvernement sous la IVème et qui devient : Président de la République-Gouvernement-Parlement.

Elu pour 7 ans, le Président est rééligible par un ollège de grands électeurs. Pouvoirs considérables sur la base des art. 11 et 16 qui confinent au pouvoir dictatorial.

Le PR nomme le Premier ministre et les ministres. Ne peut le révoquer. Incompatibilité ministre et parlementaire. Pouvoirs étendus du gouvernement (art. 20 : initiative des lois, proposition de référendum, pouvoir réglementaire art 34 et 37).

Parlement en deux chambres AN et Sénat (modes d’élections par lois ordinaires). Rationalisation par présidents élus avec irréversibilité de mandats, saisine du Conseil const., consultation obligatoire dans certains cas . Pouvoirs réduits du Parlement. Le Gouvernement peut légiférer par voie d’ordonnances, poser la question de confiance s’il n’est pas renversé par une motion de censure. La loi votée par les deux chambres (commission mixte paritaire) ou par référendum.

Conseil constitutionnel. Juge des élections PR, législatives et référendums. Qualification législative. Consultation dans certains cas, dont l’empêchement PR.

Créations : Haute cour de justice (PR et ministres). CES.

Révision constitution sur la base art. 89 : texte voté dans les mêmes termes par les assemblées puis référendum ou 3/5 du congrès.

Evolution

24 modifications (5 + 19 depuis 92).

1962 : l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.

Opposition du Sénat : référendum art. 11. Opposition corps constitués et « cartel des non ». 62 %. CC se déclare incompétent.

*** 1969 : rejet par référendum du projet de réforme du Sénat et de l’organisation territoriale

Effet plébiscitaire inverse.

1974 : la réforme du Conseil Constitutionnel.

DC du 16 juillet 1971 Liberté d’association . VGE donne possibilité de saisine à 60 députés ou sénateurs.

1992 : le traité de Maastricht.

Constitution compatible avec le traité sur l’Union européenne.

1995 : élargissement des possibilités de recours au référendum

2000 : le quinquennat.

Pour éviter cohabitation. Adoptée à 73%.

2003 : loi constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République

Organisation décentralisée. Référendum pouvant être décisionnel dans certains cas. Autonomie financière des collectivités territoriales, statut des collectivités d’outre-mer.

2005 : la charte de l’environnement.

Inclue dans son préambule.

*** 2005 : rejet du traité sur la constitution de l’Union européenne

Rejet par référendum.

2008 : ratification du traité de Lisbonne

Révision du titre XV de la constitution par le Congrès (560 c. 181). Loi constitutionnelle promulguée le jour même. Transferts de souveraineté par renvoi direct au traité.

2008 : Loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 sur la réforme des institutions

Comité « Balladur ». Le Parlement réuni en Congrès a adopté le 21 juillet 2008 un projet de loi constitutionnelle qui crée ou modifie 47 articles de la Constitution. Le vote a été acquis avec 539 votes favorables, le seuil d’adoption étant de 538 votes.

Les modifications les plus importantes de la loi constitutionnelles du 23 juillet 2008 sont les suivantes : limitation à deux mandats du PR, 1/5 du Parlement + 1/10 électeurs = référendum (base art. 11) sauf autosaisine du Parlement. Discours du PR devant le Congrès. Les ministres peuvent retrouver leur siège de parlementaire. QPC, etc.

>>> Trois phases : le « parlementarisme rationalisé » du début, gravement affecté en 1962 par l ‘élection du Président de la République au suffrage universel ; puis au moment des cohabitations ce que le professeur Jean-Marie Denquin a appelé la « monarchie aléatoire » à laquelle Lionel Jospin et Jacques Chirac ont tenté de remédier en instaurant le quinquennat ; enfin, depuis 2007, ce que j’ai appelé « dérive bonapartiste, tandis que Robert Badinter parlait de « monocratie » et qu’Alain Duhamel ecrivait « La marche consulaire », différentes expressions pour qualifier un régime autocratique qui prend d’ailleurs beaucoup de liberté avec les institutions.


II. DES ENSEIGNEMENYS SUR LE RÔLE DE L’ÉTAT ET L’ÉTABLISSEMENT D’UNE DÉMOCRATIE INSTITUTIONNELLE

Modèle social. Institutions idéales et possibles.

2.1. Le contexte

La décomposition sociale

Symptômes multipkes. Crises multidimensionnelles. Causes : désaffection États-nations et nationalismes, dénaturation des classes, géopolitique et mœurs, affaissement des idéologies messianiques.

Edgar Morin, Pierre Noran Alain Badiou, Alfred de Musset (Anicet Le Pors : Penfant la mue …, Éloge de l’échec).

La banalisation sarkozyste

Marcel Gauchet : « Le programme initial du sarkozysme, c’est un programme de banalisation de la France ». Pragmatisme destructeur d’anomalies : laïcité, service public, asile, intégration, collectivités territoriales, institutions. Contrefeu : campagne sur l’identité française. Double déstabilisation : décentralisation et mondialisation.

Cycle prométhéen, marqué sur la période d’un cycle trentenaire d’économie administrée (planification à la française) puis d’un autre d’ultralibéralisme qui s’achève par la crise et appelle le « retour de l’État » et pose la question des institutions.

Une VIème République ?

Le projet constitutionnel de 1989 du PCF.

Pas partisan en effet d’une VIème République pour les raisons suivantes : éclectisme, vacuité, l’événement n’est pas là.

La même argumentation pourrait être opposée aux partisans d’une Constituante.

***Le Front de gauche (FG) ne justifie pas la VIe République. Constituante distincte de l’Assemblée en exercice : confusion de légitimités. Peocessus constituant discutable (inéligibilité future des constituants ?)

2.2. Des questions à débattre

La souveraineté

Rousseau (peuple) Déclaration 1789 (nation) Vème R (La souveraineté nationale …).

La souveraineté fonde la légitimité des pouvoirs d’État. Délégations de compétences non de souveraineté. Art. 55 de la constitution. Règles de droit contournées en 2005 et défense des bases économiques.

***Il n’est pas question de souveraineté nationale dans le projet institutionnel du FG. Partant de la subsidiarité à établir entre niveaux supra-, national et infranational. Suppression de la réforme des collectivités territoriales, mais propositions peu précises.

La démocratie directe

Tout ne saurait être réglementé. Plein exercice des droits et libertés. Elargissement du droit de pétition et initiative populaire des lois. Exemple de la constitution de l’An I.

La question du référendum. Ouvert par art. 6 déclaration des droits. 46 en matière constitutionnelle. Elargissement en 1958 et après (art.11). Référendum communal en 1992 et 2003.

1. Exemples constitutionnels de 1992 et 2005. 2. Mais seulement 3 désaveux sur 24 depuis 1793. 3. O. Duhamel et Sarkozy et la Suisse 4. Matière constitutionnelle sur champ restreint.

***FG : pour la démocratie participative sans un mot pour la démocratie directe. Le FG pour le référendum sans limitation. Statut du bénévolat non défini.

La loi

Art. 6 déclaration des droits. Art. 34 sur le vote par le Parlement. Art. 99-2 sur les transferts de compétences vers l’UE introduit en 1992. Montée en puissance du CC à partir de 1971 mais défense des principes démocratiques néanmoins. Montée générale des taux d’abstention à partir de la crise de la représentation.

Détournement de l’art. 20 par le PR. Rappel des 3 phases de la constitution de 1958.

Choix du régime parlementaire. Le gouvernement est l’exécutif responsable devant le Parlement. Scrutin proportionnel. C’est le débat qui doit faire les majorités gouvernantes. Cas du FN.

***Pour le FG : initiative populaire des lois indéterminée. Suppression ou réforme ( ?) du Sénat aux compétences inchangées.

L’exécutif

Nocivité de l’élection du PR au suffrage universel : 1. Caractère césarien et plébiscitaire. 2. Pas deux sources de légitimité inégales. 3. Importance des pouvoirs et dérive autocratique. 4. Dévoiement des partis en écuries et politique spectacle. 5. résignation du citoyen, fatalité et affaiblissement de citoyenneté et de la démocratie.

Le PR doit avoir une fonction symbolique : représentation extérieure, continuité de l’État, etc. Election en collège restreint. 7 ans non renouvelables. Point central du débat institutionnel sur le rôle de l’État.

***Pour le FG : pas de remise en cause de l’élection du Président de la République au suffrage universel dont seulement les pouvoirs sont réduits. Question de légitimité non soulevée.

La citoyenneté dans ’État de droit

Renouer avec la rationalité de la IVème République. Révéler les contradictions pour un débat clair devant le peuple. Appel à la responsabilité des élus et aux majorités d’idées.

Cohérence nécessaire de l’État de droit. Séparation des pouvoirs, unité de la République, libre administration des collectivités territoriales, dualité juridictionnelle et public-privé, contrôle de constitutionnalité.

Prise en compte des niveaux supranationaux. Principe de subsidiarité démocratique. Art. 55.
Autonomie de l’État et promotion des droits de l’homme et du citoyen : valeurs-exercice-dynamique.

Une citoyenneté européenne a été décrétée par le traité de Maastricht, faible densité, de superposition.

Mise en perspective d’une citoyenneté mondiale sur la base d’une émergence de l’en-commun : valeurs universelles, superstructures et infrastructures mondiales, mouvement d’hominisation d’un monde commun.

Mais la nation est et demeure … C’est là que se situe notre responsabilité politique.

***Pas de modalités du contrôle de constitutionnalité pour le FG. La QPC existe déjà. Pour le FG : citoyenneté de résidence non définie. Citoyenneté elle-même indéterminée.

En résumé : répondre préalablement (au mot d’ordre de VIe République et de constituante) à quelques questions simples mais essentielles :

1 – quelle souveraineté et répartition des pouvoirs ? quelle subsidiarité ?

2 – quelle démocratie directe et plus particulièrement quelle place au référendum ?

3 – quelle démocratie représentative : mode de scrutin, une ou deux assemblées, légitimité ?

4 – quel exécutif et plus particulièrement quelle élection du PR et quel rôle pour le gouvernement ?

5 – quelle citoyenneté dans quel État de droit ?

Le futur de la citoyenneté

Rencontre de la Pensée critique – Nice, 15 mars 2012

(pour plus de développement, voit le Que sais-je ? sur « La citoyenneté » et l’article ci-dessous « La citoyenneté entre décentralisation et mondialisation »)

Faire des hypothèses sur le futur de la citoyenneté suppose une connaissance de la trajectoire du concept dans l’histoire et une analyse concrète de sa signification actuelle.

I. LE CONCEPT DE CITOYENNETÉ DANS L’HISTOIRE

Athènes, cinq siècles avant notre ère, introduit l’idée de la démocratie directe comme expression de la citoyenneté ; mais les citoyens ne représentent que le dixième de la population.

Rome promeut le droit et la régulation sociale par la loi dans une société très inégale. Elle fait de la citoyenneté un moyen d’assimilation des populations soumises.

Après l ‘absence du concept de citoyenneté dans le monde féodal, le bourgeois-citoyen des villes réclame plus de liberté. Philippe Le Bel introduit la distinction public-privé par la création du Conseil d’État du roi. On étudie à nouveau les Anciens, la Renaissance est prolifique en œuvres de libération intellectuelle que les Lumières parachèveront.

La monarchie permet de passer du droit divin à la sécularisation du pouvoir politique. La révolution française parachève l’irruption du citoyen sur la scène de l’histoire.

Le XIXe siècle enrichira la notion de citoyenneté dans toutes ses dimensions politiques, économiques et sociales : Révolution de 1848, Commune de Paris, droits de grève, syndical, du travail.

Le XXe siècle « prométhéen » poursuivra cette affirmation à travers les deux guerres mondiales, la colonisation et la décolonisation, les luttes sociales, et politiques, les crises économiques et financières, la mondialisation. Une citoyenneté européenne est introduite en 1992.


2. LE CONCEPT DE CITOYENNETÉ AUJOURD’HUI

Il n’y a pas de citoyenneté sans valeurs

Une conception de l’intérêt général distincte de la somme des intérêts particuliers. Le service public, notion simple à l’origine qui se complexifie en s’étendant. En son sein, le contrat le dispute à la loi. La contradiction est poussée à son paroxysme dans le cadre de la construction européenne qui fait du marché la règle majeure et le service public l’exception.

Une affirmation du principe d’égalité qui conduit à rechercher l’égalité sociale réelle au-delà de l’égalité juridique. Cela ouvre le champ des actions positives et le risque de stigmatisation qu’elles comportent. Le principe d’égalité trouve à s’exprimer dans la recherche de l’égalité femmes-hommes qui n’a pu être réglé par la loi. Le modèle français d’intégration est également un champ d’expression du principe.

Une éthique de la responsabilité qui se décline juridiquement dans ses dimensions pénale, civile, administrative, mais aussi sur le terrain politique et concerne aussi élus et fonctionnaires. La responsabilité personnelle devient de plus en plus difficile à cerner dans les sociétés complexes où les assurances couvrent les principaux risques. Ce sont les citoyennes et les citoyens qui fixent les règles de la morale sociale et c’est le principe de laïcité qui le leur permet.

Il n’y a pas de citoyenneté sans exercice effectif

Cela suppose un statut du citoyen. Celui-ci est d’abord politique et comporte les droits civiques avec le droit de vote comme droit emblématique ce qui soulève la question du vote des étrangers. Mais la dimension économique est également importante : ensemble des acquis du droit du travail, droits constitutionnels, choix budgétaires de couverture des besoins sociaux, combinaisons techniques capital-travail. Il y a aussi une dimension sociale du statut veillant à ce que les citoyens ne soient pas privés de la satisfaction de besoins fondamentaux.

Le citoyen trouve dans la cité le lieu le plus approprié pour intervenir dans la satisfaction des aspirations des populations par la mise en œuvre des moyens nécessaires. Le principe de libre administration des collectivités territoriales rencontre cependant d’autres principes (unité de la République) et des contraintes (contrôle de légalité, budgétaire. Le caractère présidentialiste des institutions marque aussi les collectivités territoriales. Les trois actes successifs de la décentralisation ne sont pas parvenus à une répartition satisfaisante des compétences entre les niveaux nationaux et infranationaux.

La France est un véritable laboratoire institutionnel : quinze constitutions en deux siècles avec deus modèles, l’un démocratique (constitution de l’An I), l’autre césarien (constitution du 14 janvier 1852). La constitution de la Ve République est un hybride, elle a connu une forte évolution : parlementarisme rationalisé, monarchie aléatoire, dérive bonapartiste. Les questions majeures semblent aujourd’hui les suivantes : définition de la souveraineté nationale et populaire, modalités de la démocratie directe, rôle du référendum, caractère général du régime présidentiel ou parlementaire, nature de l’exécutif, le citoyen dans l’État de droit.


3. HYPOYHÈSES SUR LE FUTUR DE LA CITOYENNETÉ

Les droits de l’homme comme avenir de la citoyenneté

Toute hypothèse doit partir d’une situation de crise de l’individualité, de la représentation, de la médiation. Crise qui s’exprime par la montée des incivilités et de multiples symptômes, le discrédit de la représentation politique, l’asservissement des médias à la finance et au marché.

La multiplicité des dimensions caractérise une crise de système. Les causes en sont diverses : relativisation de l’État-nation, dénaturation de la notion de classe, bouleversements géographiques, évolution accélérée des mœurs, effondrement des idéologies messianiques.

La citoyenneté comporte une dimension de transmission intergénérationnelle et une dimension caractérisée par une conception individualiste dont les droits de l’homme constituent la référence majeure. Le discrédit politique donne vigueur à l’idée de « nouvelle société » fondée sur un spontanéisme local. L’idéologie des droits de l’homme repose sur un ensemble disparate, privilégiant la révolte et la médiation, jouant un rôle de régulateur social. Cela ne justifie pas pour autant l’évocation d’un « droitdel’hommisme ».

La projection de la citoyenneté nationale dans les dimensions européenne et mondiale

La citoyenneté, définie sur une base nationale a toujours comporté des dimensions infra et supranationales.

Le traité de Maastricht a décrété une citoyenneté européenne de définition problématique. Citoyenneté qui complète la citoyenneté nationale, elle est de faible densité et ne comporte qu’un ensemble de droits limité. La citoyenneté européenne n’a pas de valeurs propres. Elle a mis en place des moyens largement asservis aux marchés qui ne parviennent pas à fonder une unité politique convaincante. Elle connaît une grande désaffection dont témoignent les taux d’abstention aux élections européennes.

Il semble aujourd’hui plus convaincant et plus efficace de travailler à l’idée d’une citoyenneté mondiale dans la perspective déjà évoquée par E. Kant à la fin du XVIIIe siècle. L’émergence de valeurs universelles, l’accumulation de moyens économiques, juridiques, culturels, la dynamique qui anime le mouvement de mondialisation et de globalisation des problèmes constituent une base convaincante de la prise de conscience de l’unité de destin du genre humain et d’une citoyenneté mondiale.

La citoyenneté dans une perspective socialiste

Au sortir d’un siècle « prométthéen », dans un moment pluriséculaire de « désenchantement du monde » (M. Gauchet), se pose la question de l’inscription de la citoyenneté dans une perspective volontariste.

L’analyse marxiste proposait une vision fondée sur la succession de modes de production. Le socialisme devait résulter de la contradiction du système capitaliste entre le caractère public de la production et le caractère privé des moyens de production. Le socialisme reposait sur trois piliers : la propriété publique des grands moyens de production, d’échange et de financement ; le pouvoir politique de la classe ouvrière et de ses alliés ; l’émergence d’un « homme nouveau », à la fois conséquence et composante des changements structurels et superstructurels.

Entre repli orthodoxe et fuite en avant idéologique, il semble pertinent de remettre sur le chantier les trois bases précédemment évoquées sous la forme de : l’appropriation sociale articulée à une économie des besoins et l’intervention des travailleurs ; la démocratie institutionnelle ; la citoyenneté conçue comme un objectif en soi et fondement de recomposition dans la crise.

La citoyenneté, entre décentralisation et mondialisation – Contretemps, mars 2012

La profondeur de la crise et la diversité de ses manifestations témoigne que nous sommes dans une période historique tout à fait singulière qui nous invite à sortir des schémas politiques qui ont prévalu au XXème siècle tout en tirant les enseignements de ce siècle « prométhéen ». L’ultralibéralisme dominant depuis une trentaine d’années tend à soumettre l’ensemble de la société à ses règles : concurrence, dérégulation, privatisation, culte de la performance, développement des inégalités, prévalence du court terme, récusation de toute morale civique. Dans ces conditions, les spécités construites par l’histoire en plusieurs siècles apparaissent comme des anomalies dans un pays expérimenté comme la France. Anomalies que ce service public occupant un quart de la population active, que ce principe de laïcité expressément inscrit dans sa constitution, que ce modèle d’intégration fondé sur le droit du sol, que cette réputation de « terre d’asile », que cette succession de quinze constitutions en deux siècles, que ce pays aux 36 000 communes. Pour ceux qui nous gouvernent il s’agit de gommer ces singularités pour mettre ce pays aux normes de l’Union européenne. Comme l’a écrit le philosophe marcel Gauchet : « Le programme initial du sarkozysme, c’est un programme de banalisation de la France » (1)

Cette déstructuration de la France est notamment recherchée par une double démarche de sens contraires. D’une part une politique de décentralisation déstabilisatrice des collectivités publiques et nationale. D’autre part une mondialisation qui s’exprime principalement sous la forme du mouvement des capitaux, mais sans se réduire pour autant à cet aspect. Cette situation pose le problème de l’avenir de l’État-nation, de la souveraineté nationale et populaire, de la responsabilité propre des citoyennes et des citoyens.

1. UNE DÉCENTRALISATION PROFONDÉMENT DÉSTABILISATRICE

La réforme des collectivités territoriales aujourd’hui engagée et dont le cadre est principalement fixé par la loi du 16 décembre 2010 est présentée comme l’Acte III de la décentralisation. Elle est le dernier avatar d’un parcours chaotique. La loi du 2 mars 1982 (Acte I piloté par Gaston Defferre) avait transféré le pouvoir exécutif des départements et des régions des préfets sur les responsables des assemblées délibérantes et annoncé un certain nombre de mesures favorables aux élus, aux agents territoriaux et à l’intervention des citoyens. La loi du 28 mars 2003 (Acte II conduit par Jean-Pierre Raffarin) avait affirmé que l’organisation de la République est décentralisée, que les transferts de compétences devaient être accompagnées de transferts des moyens correspondants, introduit l’idée d’expérimentation et institué un référendum pouvant avoir un caractère décisionnel dans certaines conditions. Ces réformes n’avaient été mises en œuvre que de façon très inégale.

La réforme actuelle a un caractère idéologique clairde ement affirmé par le Président de la République dans son discours de Saint-Dizier du 20 octobre 2009. Pour la première fois la justification de l’aménagement du territoriale est extraterritoriale. La raison avancée est la nécessité de faire obstacle aux délocalisations en créant en même temps des conditions plus favorables aux investissements étrangers. Cet argument de relocalisation est par ailleurs contredit par la volonté affichée de remplacer le raisonnement en termes de « circonscriptions et frontières » par celui ordonné par des « pôles et réseaux ». La démarche a recours à l’image du « mille-feuilles administratif » : il y aurait beaucoup trop de niveaux administratifs, facteurs de bureaucratie et cause d’inefficacité. La métaphore n’est pas pertinente : il n’y a dans l’aménagement spatial déterminant des activités six niveaux. Trois sont à dominante politique : la commune, le département, la nation. Trois sont à dominante économique : l’intercommunalité, la région, l’Europe. Or, en démocratie le politique doit toujours l’emporter sur l’économique aussi utile que soit utile ce dernier. Dans la démarche présidentielle au contraire, le regroupement des communes tend à dépouiller celles-ci de leurs prérogatives. La subordination des départements aux régions réservera à celles-ci les arbitrages essentiels. L’Union européenne impose de plis en plus ses choix aux États membres avec la complicité de leurs dirigeants.

Structures et compétences vont être profondément affectées. Le remplacement des conseillers généraux et régionaux par des conseillers territoriaux moins nombreux d’environ un tiers va tout d’abord réduire les liens avec les citoyens. Leur mode d’élection, pour l’essentiel au scrutin majoritaire va rendre plus difficile le respect du principe de parité hommes-femmes. La tendance à la bipolarisation de la vie politique et à l’élimination des formations minoritaires s’en trouvera accentuée au niveau local. La création de métropoles d’un seul tenant autour de grandes villes et de pôles métropolitains sur des espaces moins continus vont vider départements et régions concernés de leurs compétences quand bien même elles ne disposeraient pas d’une compétence générale ; ces nouveaux établissements publics pourront être chef de file des politiques territoriales les plus structurantes. Enfin les préfets joueront un rôle déterminant dans l’élaboration des schémas directeurs et regroupements de collectivités, notamment le préfet de région institué comme véritable proconsul du pouvoir central dans la définition des métropoles et pôles métropolitains et, le cas échéant, les regroupements de départements et de régions, par-delà même les compétences ministérielles. Cette nouvelle réforme, outre sa nocivité, souligne la nécessité d’inscrire toute politique de décentralisation dans une réflexion plus générale sir les institutions traduisant de manière équilibrée les principes d’unité de la République et de libre administration des collectivités territoriale par une subsidiarité démocratique encore à inventer.

La réduction des moyens de financement des administrations locales est le moyen principal de leur assujettissement. La Cour des comptes a souligné a maintes reprises que, contrairement à la loi, les transferts de compétences et de services de l’État vers les collectivités territoriales n’avaient pas été accompagnés d’un transfert des moyens correspondants et qu’il en résultait un grand désordre. La suppression de la taxe professionnelle sans que soient garantis de nouveaux moyens de financement durables va avoir pour conséquence un transfert de la charge financière des entreprises vers les ménages et des difficultés accrues pour les collectivités territoriales à répondre aux besoins fondamentaux des populations. Simultanément le gouvernement réduit les moyens des administrations déconcentrées. D’abord par le moyen de la loi organique sur les lois de finances (LOLF) qui par son mécanisme dit de « fongibilité asymétrique » pénalise l’emploi. Surtout, par la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) qui, de façon tout à fait irrationnelle, réduit les moyens des administrations centrales et déconcentrés avec, notamment, sa mesure aveugle et absurde de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Ajoutons à cela le démantèlement de ce que l’on pourrait appeler « l’administration rationalisante » : suppression de la DATAR et du Commissariat général du Plan, du Conseil national d’évaluation, de Haut conseil des entreprises publiques, du Haut conseil à la coopération internationale, etc. Il s’en suivra une réduction à huit par région du nombre des directions régionales ministérielles et au maximum à trois du nombre des directions départementale. Les services publics locaux seront les principales victimes de cette politique. Ils s’accompagneront d’une compression des effectifs d’agents publics et par une précarisation de leurs conditions matérielles. Le secteur privé mettra la main sur les activités abandonnées les plus lucratives. Tout cela favorisera le clientélisme et le risque de corruption. À l’inverse, une telle dégradation souligne l’importance d’une rationalisation des politiques publiques fondée à la fois sur le plus large débat démocratique et le recours aux méthodes scientifiques de gestion publique qui était jusqu’à présent une qualité de l’administration française.

Si la situation statutaire des fonctionnaires territoriaux ne fait pas partie directement de la réforme des collectivités terriyoriales, la politique conduite par les gouvernements successifs à leur sujet a des conséquences directes sur le fonctionnement des services qui les emploient. Il convient de rappeler que les agents des collectivités territoriales ont, jusqu’à la réforme su statut général des fonctionnaires de 1983-1984 été placés dans une position d’infériorités vis-à-vis de leurs homologues de lÉrat. Au nombre de quelque 1 800 000 ils sont aujourd’hui fonctionnaires à part entière, mais ils ont été la cible des attaques menées par les gouvernements de droite contre le statut général, en particulier par la loi Galand du 13 juillet 1987 qui a opéré une régression importante sur laquelle aucun gouvernement, fut-il de gauche, n’est revenu. Depuis, les fonctionnaires territoriaux subissent les remises en cause des garanties statutaires de l’ensemble des fonctionnaires accompagnant les vagues de privatisation, de dérégulation et de démantèlement des services publics. Une offensive particulièrement violente a été lancée par le Président de la République en septembre 2007 annonçant une « révolution culturelle » dans la fonction publique par le moyen, en particulier, du recrutement par contrat de droit privé négocié de gré à gré mis sur le même pied que le recrutement par voie de concours. L’aggravation de la crise à l’automne 2008, en montrant le rôle d’ « amortisseur social » du secteur public a contribué à mettre en échec cette ambition dont cependant l’intention demeure. Les conditions d’une contre-offensive sont dès lors plus favorables. Elle doit conduire à mettre en avant les valeurs du service public et de la fonction publique : l’égalité qui a comme conséquence que c’est par concours que l’on entre dans la fonction publique, l’indépendance qui rend le fonctionnaire propriétaire de son grade si son emploi est à la disposition de l’administration, la responsabilité qui veut que le fonctionnaire ait la plénitude des droits du citoyen. Elle implique la formulation dynamique de réformes pour adapter l’administration à l’évolution des besoins, des techniques et de l’environnement international. Cela suppose – conditions qui n’ont pas toujours été réunies dans le passé – une démarche commune des fonctionnaires et des élus en convergence avec les aspirations de la population.

2. LA MONDIALISATION ET LA MONTÉE DE L' »EN COMMUN »

Dans son ouvrage Projet pour la paix perpétuelle, écrit en 1795, Emmanuel Kant évoque « Le droit qui revient à tout être humain de se proposer comme membre d’une société en vertu du droit à la commune possession de la surface de la terre ». Il établit, par là, l’étroite liaison existant entre le droit à la possession indivise de la terre par l’ensemble du genre humain et l’affirmation individuelle de la citoyenneté, aujourd’hui essentiellement définie sur une base nationale, mais dont les dimensions universelles s’affirment à notre époque dans le processus de mondialisation qui n’est pas seulement celle du capital.

Il n’est guère besoin d’insister sur la mondialisation du capital, à l’origine de graves déséquilibres et de monstrueux gaspillages s’exprimant aujourd’hui dans une crise financière sans précédent, révélant aussi une immoralité stupéfiante dans la conduite des sociétés. On en retiendra néanmoins que ce cataclysme a conduit pour la première fois avec cette ampleur à parler de crise de système, à réunir en urgence, puis de façon répétée, les plus puissants de la terre pour mettre en place des politiques de rigueur plus ou moins coordonnées, à engager des crédits publics à des niveaux inconnus jusque-là, voire à envisager ou même à réaliser des nationalisations, à reconsidérer les réglementations internationales du commerce, des transferts financiers, etc. Cette masse d’interventions publiques a pour but, n’en doutons pas, d’assurer la survie d’un système. Ce n’est pas une question nouvelle (2). Cette crise est aussi la matérialisation de l’échec d’un modèle, celui du système capitaliste. C’est aussi, en même temps, l’appel à l’émergence d’un autre modèle de développement et de progrès.

Si la mondialisation est apparue essentiellement jusqu’ici comme celle du capital, elle s’est également traduite par la montée au niveau mondial d’une exigence de valeurs dont, entre autres manifestations, la célébration du 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 a été l’occasion. Certes, comme l’analyse encore le philosophe Marcel Gauchet, l’idéologie des droits de l’homme a prospéré dans l’espace laissé libre par l’effondrement des grandes idéologies messianiques. Ils constituent un ensemble limité et peu cohérent pour donner lieu, sur toute question, à des règles de droit rigoureuses ; ils fonctionnent sur le registre de la révolte et de la médiatisation ; ils sont insuffisants pour porter des projets de société et ils peuvent même, selon l’avis du philosophe, avoir dans la sphère sociale, le rôle de régulateur que prétend jouer le marché dans la sphère économique. Il n’en reste pas moins qu’ils portent aussi l’exigence de normes juridiques, voire de juridictions, reconnues au niveau mondial pour faire respecter des valeurs à vocation universelle. L’émergence de ces valeurs ne peut être décrétée, elle ne peut être que le résultat de l’expérience des peuples, d’une lente maturation commune. Certaines s’imposent dès aujourd’hui en dépit de nombreuses pratiques contraires : la paix, l’interdiction de la torture et de l’esclavage, par exemple. D’autres, comme l’égalité, l’individualité de la responsabilité pénale, la laïcité, en sont à un stade moins avancé.

Ces considérations très générales ne sont pas séparables des processus de « mise en commun » que l’on observe dans de nombreux domaines et qui caractérisent notre époque. Il s’agit bien sûr de la nécessaire protection de l’écosystème mondial. Mais aussi de la mondialisation de nombreux domaines de l’activité humaine : les télécommunications, le contrôle aérien, la météorologie. Les progrès scientifiques ne se conçoivent plus sans l’échange international des connaissances et des avancées. La culture se nourrit de l’infinie diversité des traditions et des créations artistiques. Les mœurs évoluent par comparaison, échanges, interrogations nouvelles. Au-delà des manifestations du développement inégal, des frontières existantes, la mobilité tend à devenir un droit au sens qu’envisageait Emmanuel Kant qui ajoutait dans le paragraphe précité, que « La Terre étant une sphère, ne permet pas aux hommes de se disperser à l’infini, mais les contraint, malgré tout, à supporter leur propre coexistence, personne, à l’origine, n’ayant plus qu’un autre le droit de se trouver en un endroit quelconque de la Terre », d’où, selon lui, le devoir d’hospitalité, et pour nous sans doute une nouvelle manière de considérer les flux migratoires. Des bases de cette communauté de destin sont déjà importantes : Internet, le réseau des milliers d’ONG, des textes juridiques très importants comme, outre la Déclaration universelle des droits précitée, la Charte des Nations Unies et quantité de conventions et de traités.

Les conséquences de ce nouveau contexte sont considérables. Elles invitent à donner une traduction juridique et institutionnelle à ce que nous désignons par des expressions telles que « mises en commun », « valeurs universelles », « patrimoine commun de l’humanité », « biens à destination universelle » selon Vatican II, ou encore avec Edgar Morin « Terre-Patrie », ou le « Tout-Monde » des écrivains Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant, etc. On s’en tiendra ici aux conséquences que l’on peut envisager dans deux domaines: le service public et le secteur public.

La conscience émergente d’un intérêt général du genre humain trouve naturellement son débouché dans la notion de service public. Globalement il s’agit de passer d’une organisation mondiale dominée par les objectifs du capital à une organisation soucieuse de l’intérêt général, d’une économie guidée par le profit à une « économie des besoins ». En ce qui concerne les besoins fondamentaux, cela doit conduire à définir des services publics à ce niveau. On n’imagine pas que le contrôle aérien, par exemple, puisse être abandonné aux règles du marché ; que les compagnies aériennes privées pourraient s’en remettre à la « main invisible » ou à la « concurrence libre et non faussée » pour déterminer les niveaux de vol ou les couloirs de circulation. De plus en plus de services publics seront nécessaires dans l’avenir et c’est dans le cadre de cette hypothèse que l’on doit placer des réflexions et des propositions pour une véritable transformation sociale ; des services publics industriels et commerciaux correspondant à la gestion des biens reconnus comme biens communs : l’eau , certaines productions agricoles et alimentaires, des ressources énergétiques ; des services administratifs relatifs à la production de services techniques : les télécommunications, certains transports, l’activité météorologique et spatiale, de nombreux domaines de la recherche scientifique, des services d’assistance médicale ; des services essentiellement administratifs organisant la coopération des pouvoirs publics nationaux et internationaux dans de multiples domaines : la sûreté sous de multiples aspects (la lutte contre les trafics de drogues, les agissements mafieux, les actions terroristes, la répression des crimes de droit commun), la recherche d’économies d’échelle, la suppression des doubles emplois, la réglementation des différentes formes de coopération dans toutes les catégories administratives.

Se pose alors nécessairement la question de la base matérielle, de la propriété publique, peut être plus exactement de l’appropriation sociale nécessaire pour traduire la destination universelle de certains biens, des biens publics. On pense évidemment, comme il a été dit, au traitement de l’eau dont il est évident aujourd’hui qu’il doit être mis au service de toutes les populations de la terre, où qu’elles se situent. Mais pourquoi ce qui est vrai et assez généralement admis pour ce qui concerne la ressource eau ne le serait pas pour bien d’autres ressources de l’espace, de l’atmosphère, du sol et du sous-sol ? Est-il admissible, à notre époque, que les gisements de gaz, de pétrole ou d’uranium, par exemple, soient appropriés par les seuls possesseurs de la surface du sol sur lesquels s’exerce une souveraineté que seuls les mouvements contingents de l’histoire ont déterminée, quand bien même elle garde une légitimité politique ? Le raisonnement vaut a fortiori pour nombre de services tels que ceux qui ont été évoqués précédemment. Il nous faut donc réfléchir et proposer des appropriations mondiales ou internationales correspondant à ces nécessités de notre temps et visant simultanément à l’affaiblissement économique et politique du capital par des appropriations sociales d’entreprises et d’institutions financières dominant les secteurs-clés répondant à des besoins fondamentaux bénéficiant souvent de financements et d’avantages publics.

Ce sont toutes ces réflexions qui permettent de parler du XXIème siècle comme « l’âge d’or » potentiel du service public au niveau mondial, ce qui ne constitue en rien une négation des niveaux national et continental. Au stade actuel la nation est et demeure le niveau le plus pertinent d’articulation du particulier et du général. La France, en raison de son histoire et de son expérience peut contribuer de manière éminente à la construction de ce monde nouveau.


3. LA CITOYENNETÉ, FONDEMENT DE RECOMPOSITION

L’ouverture d’une perspective politique dans une situation de crise suppose que l’on s’interroge préalablement sur la trajectoire afin de caractériser la situation actuelle et que l’on identifie les déterminants de l’évolution. Les explications antérieures apparaissent aujourd’hui insuffisantes. Le matérialisme historique fondait l’évolution sur le niveau des forces productives et la dialectique des rapports de production. Le passage d’un mode à l’autre résultait du développement des contradictions internes du mode : le caractère social de la production et le caractère privé des moyens des moyens de production pour le capitalisme. Cette explication sous-estimait d’autres contradictions sociales (relative autonomie des superstructures, évolution des mœurs, préoccupations environnementales, affirmations individuelles et développement des réseaux, etc.). Le mouvement des siècles passés peut aussi être analysé comme traduisant un effort de longue durée pour dégager les sociétés des influences transcendantales. Le XXème siècle, notamment, a pu être caractérisé comme un siècle « prométhéen » ; René Raymond dans Regards sur le siècle montre comment ce siècle a été guidé par les idées de peuple, de science, de progrès (3), l’épopée communiste (1917-1991) en étant l’expression la plus spectaculaire, y compris dans son échec final. L’homme peut-il encore espérer dominer la nature et forger par la volonté et la raison son destin ?

La question se pose aujourd’hui en situation de crise systémique. Les symptômes en sont multiples : désaffection politique marquée en particulier par la croissance des abstentions, montée du chômage et de la précarité, développement des jeux de hasard et des sectes, menaces contre l’écosystème mondial, crise aux dimensions multiples : financière, des matières premières, religieuse, etc. Il s’agit d’une véritable décomposition sociale dont certaines causes peuvent être identifiées : la référence problématique à l’État-nation avec désaffection dans les pays anciens mais la multiplication de leur nombre et des réactions nationalistes ; la complexification et la dénaturation de la notion de classe sous l’effet du progrès technique, de la mondialisation capitaliste, de l’individualisation des statuts ; les bouleversements spatiaux marqués par l’urbanisation, le développements des voies de communication, l’émergence de nouvelles puissances économiques ; l’évolution rapide des mœurs principalement dans la famille, les relations sociales, la confrontation des cultures. Surtout, l’affaiblissement voire l’effondrement des grandes idéologies messianiques qui avaient prospéré au siècle dernier et structuré les débats politiques majeurs : la théorie néoclassique pour les libéraux de plus en plus éloignée de la représentation du réel s’est faite normative, ; l’État-providence pour les socio-démocrates voit sa démarche redistributive asphyxiée dans la crise et la récession ; le marxisme, inspirateur du mouvement communiste ne peut plus être regarfé comme le paradigme des forces du changement s’il garde certaines vertus explicatives et pédagogiques. Ce moment historique de décomposition sociale est donc tout à fait singulier et doit être analysé en tant que tel, même si nous disposons à cet effet que des outils théoriques anciens. Il donne naissance à des expression significatives comme celle d’Edgar Morin qui parle de « métamorphose », de Pierre Nora qui évoque le « régime des identités », ou d’Alain Badiou qui s’interroge «Qu’appelle-t-on échouer ?’ » (4). D’autres moments historiques ont présenté des caractéristiques de même incertitude : Alfred de Musset n’écrivait-il pas dans Confession d’un enfant du siècle en 1836 « On ne sait, à chaque pas qu’on fait si l’on marche sur une semence ou sur un débris » ?

Ce moment peut être considéré sous un autre angle. La seconde guerre mondiale a été suivie d’un cycle de croissance forte et administrée d’une trentaine d’années jusqu’au tournant des années 1970-1980 ; c’est, en France, l’époque de la « planification à la française ». Lui succède une période d’une trentaine d’années également dominée par les politiques ultralibérales qui débouche sur la crise actuelle et, selon l’expression des libéraux eux-mêmes, le « retour de l’État ». Un nouveau cycle semble ainsi s’amorcer marqué par une intervention publique plus importante, mais sur le contenu de laquelle il convient de s’interroger. La droite, sous sa version sarkozyste en France accepte de se soumettre aux marchés financiers ; l’État est alors le bras séculier de la finance internationale, chargé de mettre en œuvre pour le compte de ces derniers les politiques de rigueur mettant à la charge des peuples le poids de la crise et des dettes, ce qui suppose la normalisation évoquée en introduction. Le parti socialiste, dépourvu de toute idéologie de transformation sociale, ne vise qu’une présentation plus sociale d’un capitalisme qui n’est plus contesté au fond et d’une politique d’austérité admise comme inéluctable sous couvert de responsabilité gestionnaire Quant au parti communiste il se réfugie dans une politique de survie dépourvue de toute ambition révolutionnaire, une fraction campant sur des positions orthodoxes ne pouvant déboucher que sur une impasse politique, d’autres pratquant la fuite en avant, répétant à satiété la phrase de Marx : « le communisme est le mouvement réel qui aboutit l’état actuel des choses » qui (5), sortie de son contexte, ne veut rien dire. Dè lors se pose la question : « Peut-on encore parler d’une perspective socialiste pour la France ? ».

Le mot lui-même, il est vrai, doit surmonter les obstacles de références peu engageantes : l’échec du régime soviétique, la voie suivie par les communistes chinois, l’opportunisme des différentes versions social-démocrates, l’abandon du concept de socialisme par le parti communiste – à l’exception notable des jeunesses communistes – au bénéfice d’un « communisme » indéterminé afin de se soustraire à l’accusation de soviétisme maintenu. Sans préjuger de la réponse finalement apportée, on peut au moins s’interroger sur les raisons de la faillite d’un système qui se prétendait socialiste. Dans la vulgate marxiste, le socialisme pouvait se définir par trois conditions : la propriété sociale des grands moyens de production, d’échange et de financement, le pouvoir de la classe ouvrière et de ses alliés, l’émergence d’in homme nouveau s’affranchissant progressivement de ses aliénations. Or l’expérience a montré que la propriété sociale s’était transformée et étatisme, que le pouvoir de la classe ouvrière avait été confisqué par une nomenklatura et qu’aucun homme nouveau n’avait émergé.Pourtant doit-on considérer que la cause est entendue ? En l’absence d’idéologie révolutionnaire de rechange n’est-il pas plus constructif de remettre sur le chantier une réflexion tenant compte des enseignements de l’expérience ? C’est l’hypothèse qui est ici retenue. La question de la propriété sociale ne saurait se traduire par une étatisation sur le modèle soviétique ni se réduire à un simple transfert juridique à l’instar des nationalisations réalisées en France en 1982. À l’expropriation juridique doivent être associées, d’une part une finalisation par l’ « économie des besoins » dont il a été question précédemment, d’autre part une intervention effective des travailleurs concernés. La question du pouvoir politique ne peut plus être posée aujourd’hui en termes d’exclusivité d’un pouvoir de classe mais doit être élargie à une réflexion sur la démocratie institutionnelle dans les conditions d’une société complexe telle que celle dans laquelle nous vivons. Enfin, l’homme nouveau espéré, qui était en réalité conçu comme conséquence des changements structurels et superstructurels, doit au contraire être au centre de la démarche engagée. En France il porte un nom : le citoyen.

La justification conduisant à regarder la construction de la citoyenneté comme fondement principal de la recomposition dans la crise est multiple. D’abord, elle nous permet de relever le concept de l’homme nouveau. Ensuite, elle renoue avec notre histoire républicaine née sous la révolution de 1789 (« Ici on s’honore du titre de citoyen et on se tutoie ! »). Enfin, le concept est puissamment fédérateur d’idées et de moyens progressistes susceptibles d’être compris et de mobiliser dans les combats politiques d’aujourd’hui. On se limitera ici à un bref aperçu de cette problématique (6).

Il n’y a pas de citoyenneté sans valeurs. Une conception de l’intérêt général regardé comme catégorie éminente au-dessus des intérêts particuliers et dont le service public en condense les caractéristiques essentielles. Une affirmation du principe d’égalité qui tend à l’égalité sociale au-delà de l’égalité juridique et fonde, notamment, la démarche de parité homme-femme et le modèle d’intégration basé sur le droit du sol. Une éthique de la responsabilité individuelle et collective, juridique et morale fondée sur le principe de laïcité.

Il n’y a pas de citoyenneté sans exercice effectif doté des moyens nécessaires. Un statut du citoyen essentiellement politique mais aux dimensions économiques et sociales indispensables. Une démocratie locale assurant la libre administration des collectivités territoriales et la plus directe intervention des citoyens. Des institutions permettant une expression fidèle de la souveraineté nationale et populaire et recherchant leur articulation efficace aux niveaux infra et supranationaux.

Il n’y a pas de citoyenneté sans dynamique l’inscrivant dans le monde réel, c’est-à-dire intégrant une crise des individualités, des représentations et des médiations. La citoyenneté doit prendre en compte les droits de l’homme et permettre de contester la raison d’État illégitime. Elle est appelée à évoluer en fonction du double mouvement de décentralisation et de mondialisation précédemment analysés.

Entre décentralisation et mondialisation, la citoyenneté est le moyen essentiel et immédiat de recomposition idéologique et politique, le premier pas de refondation d’une pensée révolutionnaire pour le XXIème siècle.

1 – Marcel Gauchet, « Retombées politiques de la crise », Le Débat, septembre-octobre 2009.
2 – A. Le Pors, Les béquilles du capital, Seuil, 1977.
3 – R. Rémond, Regards sur le siècle, Presses de Science Po.n 2000.
4 – A. Badiou, L’hypothèse communiste, Lignes, 2009. Dans le même esprit voir aussi : A. Le Pors, Pendant la mue le serpent est aveugle, Albin Michel, 1993 et Éloge de l’échec, Éditions Le Temps des Cerises, 1999.
5 – Karl Marx, Lettre circulaire, 1879.
6 – Pour un exposé de caractère didactique voir notamment : A. Le Pors, La citoyenneté, PUF, coll. Que sais-je ?, 4ème édition 2011. On trouvera également de nombreux articles sur le sujet sur mon blog : http://anicetlepors.blog.lemonde.fr

L’intime conviction du juge de l’asile


LA FORMATION DE L’INTIME CONVICTION DU JUGE DE L’ASILE – AFJA, le 7 mars 2012

Joseph KRULIC : L’intime conviction constitue-t-elle un mode de preuve privilégié devant le juge de l’asile (Résumé)

L’AJfA a organisé, le mercredi 7 mars 2012 une matinée d’études sur un sujet central pour le métier du juge de l’asile : « l’intime conviction est-il le mode de preuve devant le juge de l’asile ».et « la preuve est-elle nécessaire en droit d’asile. ».

Plus de vingt personnes ont assisté à cette demi-journée, dont plusieurs présidents, des assesseurs nommés par le Conseil D’Etat et des assesseurs du HCR, ainsi que deux personnes travaillant au bureau HCR de Bruxelles, dont Mme Nowak, chargée de suivre le programme CREDO , qui a débuté le 22 février à Londres( CF autre article).

Joseph Krulic a fait une conférence d’une heure sur l’intime conviction, soulignant le rôle reconnu de l’intime conviction en droit pénal, défini par les articles 427et 353 du code pénal, le rôle de « passager clandestin » de cette intime conviction en droit d’asile, en l’absence de texte, de principe établi et même de jurisprudence (une seule décision CNDA en 2011) . Ce rôle est d’ailleurs limité depuis 2004 par les textes européens (articles 3, 4 8 de la directive qualification dans ses deux rédactions successives, articles 8 et 23 de la directive procédure), la jurisprudence de la CEDH et la doctrine de l’IARLJ sur l’importance des mentions géopolitiques, extérieures à la conscience ou la subjectivité du juge.

Cette combinaison instable entre la subjectivité du juge, l’intersubjectivité de la formation du jugement et la prise en compte de documents constituant des « traces »ou du contexte géopolitique montrent que le juge de l’asile, dans sa pratique professionnellement se réfère à deux principales relations ou théorie de la Vérité : théorie de la vérité-correspondance ou « démarche indicielle »cherchant les traces de la vérité de ce qui a été, théorie de la « vérité intersubjective »ou consensuelle d’un accord des subjectivités de la formation de jugement , théories à laquelle il y lieu d’ajouter la théorie » constructiviste « hypercritique » sur la capacité d’établir toute vérité.

Anicet Le Pors : La preuve est-elle nécessaire en droit d’asile ?

L’Association française des juges de l’asile (AFJA) a décidé de consacrer une réunion de travail réservée aux juges de l’asile pour répondre à la question centrale de leur fonction : la formation de leur intime conviction pour décider de rejeter la demande d’asile ou, à l’inverse, annuler la décision de rejet de la demande par le directeur général de l’OFPRA. Comme dans la plupart des juridictions se pose alors la question de la preuve et de la partie qui en a la charge.

La question de la preuve se pose spécifiquement en matière de droit d’asile, et pourtant elle est loin de recevoir une réponse claire. Le directeur général de l’OFPRA motive fréquemment ses décisions en écrivant que le requérant « ne rapporte pas la preuve » de ce qu’il avance et si le mot n’est pas utilisé à la CNDA, nombre de rapporteurs proposent d’écarter tel ou tel élément jugé non « probant », ce qui, pour le moins, suggère que la preuve incombe au requérant et qu’elle n’est pas apportée.

Le vice-président du Conseil d’État n’a pas sous-estimé cette difficulté conceptuelle. Il déclarait dans son discours de la cérémonie des vœux à la CNDA le 21 janvier 2009 : « En effet, aujourd’hui les exigences qui pèsent sur le juge de l’asile pour apprécier la complexité des situations qui lui sont soumises, faire émerger de l’audience la parole authentique des requérants et la vérité des dossiers […] portent la difficulté à un niveau très élevé ». On remarquera que, dans cette déclaration, il est question de vérité, d’authenticité, mais pas de preuve nécessaire.

Au-delà du mot, la question peut donc faire débat. Je soutiens, pour ma part, que la preuve, si elle n’est évidemment pas écartée lorsqu’elle existe, elle n’est pas exigée en droit d’asile, même s’il n’est pas interdit d’en rechercher la préoccupation implicite dans la formation de l’intime conviction du juge.


1. L’administration de la preuve n’est pas exigée en droit positif

1.1. Les dispositions juridiques majeures ne l’évoquent pas.

L’article L. 711-1 du CESEDA reconnaît la qualité de réfugié aux catégories qu’il énonce (combattant pour la liberté, mandat du HCR, article 1.A.2 de la Convention de Genève), sans se prononcer sur la manière dont sera établi qu’il s’agit bien d’une personne persécutée ou craignant de l’être.

L’article 1 A.2 de la Convention de Genève évoque « toute personne […] craignant avec raison d’être persécutée ». Elle semble ainsi faire découler la reconnaissance de la qualité de réfugié, d’une part de la crainte éprouvée par le demandeur d’asile, se plaçant ainsi sur un terrain essentiellement subjectif, d’autre part de l’établissement objectif des faits et partant des craintes puisque l’analyse doit se faire sous l’empire de la raison.

Le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du HCR, établi en 1979, définit la crainte de persécution comme « un état d’esprit et une condition subjective », état d’esprit qui doit être fondé sur une situation objective et, « pour déterminer l’existence d’une crainte raisonnable, les deux éléments doivent être pris en considération » ; ainsi « la tâche d’établir et d’évaluer tous les faits pertinents sera-t-elle menée conjointement par le demandeur et l’examinateur » et « si le récit du demandeur paraît crédible, il faut lui accorder le bénéfice du doute ».

C’est dans cet esprit que semble se situer la directive du Conseil du 29 avril 2004, refondée par la directive du 13 décembre 2011, dite « qualification », qui dispose, en son article 4 : « Il appartient à l’État membre d’évaluer, en coopération avec le demandeur, les éléments pertinents de la demande ». Elle détaille dans le même article ces éléments pertinents permettant au demandeur d’étayer sa demande. Elle précise même que si certains aspects des déclarations du demandeur ne sont pas étayés par des « preuves documentaires ou autres » – ainsi le mot est écrit mais pour être aussitôt marginalisé – ces aspects ne nécessitent pas confirmation lorsque certaines conditions sont remplies, conditions qui couvrent à peu près tous les cas de figures.

Ainsi, ni le demandeur d’asile ni l’administration compétente n’ont la charge de la preuve de la persécution ou de la crainte de persécution qui détermine dans la majorité des cas la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire.

1.2. Il y a des cas de reconnaissance de la qualité de réfugié qui, par nature, n’entrent pas, en tout état de cause, dans la problématique d’administration de la preuve.

C’est le cas de la reconnaissance au titre de l’unité de famille, sinon dans le cas de la rupture du lien entre la personne et le réfugié principal, où la personne qui perd du fait de cette rupture la qualité de réfugié, peut valablement soutenir qu’elle n’a pas été invitée à faire valoir des motifs personnels.

On peut également évoquer l’asile constitutionnel – dont la loi du 11 mai 1998 a souligné la spécificité – pour lequel, s’il est bien fait référence à la persécution, l’accent est mis surtout sur la reconnaissance « en raison de son action en faveur de la liberté. »

Plusieurs cas d’octroi du statut de réfugié sont de droit et, par là, ne posent pas la question de l’administration de la preuve. C’est le cas, par exemple, de l’admission au statut en France des personnes reconnues réfugiées sur la base des articles 6 et 7 du Statut du HCR qui lie l’OFPRA et la CNDA. Cela pourrait être le cas également d’une application littérale de l’article 1.D. de la Convention de Genève si l’UNRWA venait à disparaître, selon l’interprétation du Conseil d’État.

C’est encore le cas de l’asile discrétionnaire rappelé par la décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993, qui a été suivi de la loi constitutionnelle du 25 novembre 1993 laquelle a introduit dans la constitution un article 53-1 aux termes duquel : « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ».

On peut également évoquer, dans cet esprit, les dispositions de l’article 1.C.5. retenant la notion de « raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures », dérogation à cet article de cessation de protection en raison de la disparition des circonstances qui avaient présidé à la reconnaissance, notion reprise dans la jurisprudence française sous la terminologie de l’ « exceptionnelle gravité ». Il s’agit ici de faire prévaloir des persécutions passées – qui donc ont été antérieurement admises – sur le risque actuel en raison des conséquences physiques et morales qui continuent d’être éprouvées par les victimes et peuvent être établies sur la base d’un examen clinique.

Enfin, ne faut-il pas considérer que l’administration de la preuve se présente sous un aspect bien particulier dans les cas d’exclusion de l’article 1.F. de la Convention de Genève qui prévoit que celle-ci est appliquée lorsque l’on a simplement « de sérieuses raisons de penser » que le requérant s’est livré à des actes répréhensibles énumérés par la convention ? Avoir de sérieuses raisons de penser ne signifie pas avoir la preuve de l’implication.

La nécessité de la preuve est ainsi soit toute relative, soit inopérante, soit hors sujet dans ces différents cas.

Mais s’il n’y a ni nécessité, ni opportunité pour la recherche de la preuve dans la reconnaissance de la qualité de réfugié, rien n’empêche le juge – du moins de certains juges – de la placer dans son for intérieur et d’en faire un élément déterminant de la formation de son intime conviction. La question doit donc être également examinée sous cet angle.


2. L’idée de la preuve dans la formation de l’intime conviction du juge

On retrouve la question de la preuve, me semble-t-il dans la réponse apportée à deux questions. Premièrement, s’agit-t-il d’appliquer le droit ou de rendre la justice ? Deuxièmement, le mensonge est-il indispensable ?

2.1. Appliquer le droit ou rendre la justice ?

L’importance de l’oralité et le poids des faits dans l’appréciation du bien-fondé de la demande d’asile peut conduire le juge à faire de l’application étroite du droit positif le moyen le plus commode pour rejeter les demandes dont toutes les incertitudes n’ont pas été levées, ce qui est le cas de la quasi-totalité d’entre elles. Un requérant absent à l’audience sans raison connue verra généralement – sauf si son dossier et l’instruction justifient un renvoi – son dossier rejeté. « Appliquer le droit ou rendre la justice ? », tel est bien le dilemme dans lequel les formations de jugement seraient enfermées.

Or c’est la justice qui est première et le droit positif n’en est que l’instrument. Ajoutons à cela, une affirmation simple mais essentielle, que le droit d’asile a pour objet d’accorder l’asile – sous les conditions de l’état du droit – et non de le refuser. La différence est une question de mentalité et de culture républicaine qui doit se débarrasser des mythes et fantasmes dans un domaine où ils prospèrent.

Une bonne justice dans ce domaine c’est avant tout une bonne préparation du dossier en amont de l’audience et de la décision.

Il s’agit d’abord de la qualité du dossier transmis par l’OFPRA, notamment l’information qu’apporte le compte rendu de l’entretien.

Intervient ensuite le travail du rapporteur de la juridiction, essentiel puisque c’est lui qui connaît le mieux le dossier pour l’instruire à la fois au regard de la jurisprudence pertinente et de la situation des pays d’origine. C’est lui aussi qui se prononcera publiquement sur la cohérence du récit, l’authenticité des documents fournis – alors qu’il n’en a pas véritablement les moyens – l’identification des questions de fait et de droit que pose l’affaire. Jouant également le rôle de rapporteur public, il proposera le plus souvent une décision de rejet qui ne correspondra pas forcément à sa propre conviction mais sera exprimée par prudence, afin de laisser la responsabilité finale au juge. Il en résulte l’impression fâcheuse d’une instruction « à charge » ; c’est ce qui a conduit l’AFJA, consultée sur le pré-rapport Vigouroux, à proposer que le rapporteur ne conclue pas.

Se pose donc alors la responsabilité du juge dans la poursuite de l’instruction et la préparation de l’audience. Cela supposerait une étude aussi approfondie que possible du dossier avant l’audience. On le sait, ce n’est pas toujours le cas, en tout cas pour les juges assesseurs qui, souvent, découvrent le dossier en séance. Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur le déroulement de l’audience, en particulier le questionnement parfois bien peu rigoureux du requérant.

Quant au délibéré, je crois pouvoir dire par expérience que, de manière générale, l’intime conviction des juges se construit sur la base de leurs savoirs et de leurs convictions respectifs – dans le respect, certes, des dispositions juridiques applicables – mais qui laissent une très large place à l’appréciation personnelle sur des faits rarement établis dans leur ensemble et des craintes souvent difficiles à appréhender. Dans ces conditions, l’avis du président est souvent décisif mais pas toujours.

Pour autant, on sait que les différences d’appréciation sont grandes sur les questions qui viennent d’être évoquées. Il s’ensuit une grande dispersion statistique des décisions d’annulation des décisions de l’OFPRA par la CNDA qui montre que le traitement de la preuve est bien différent d’un juge à l’autre, en même temps que des écarts importants des taux d’admission pour certaines nationalités entre l’établissement public et la juridiction pendant plusieurs années successives (Serbie, Turquie, Angola, Bangladesh) qui indique que.l’OFPRA répugne pour ces nationalités à appliquer la jurisprudence de la CNDA et du Conseil d’État.

2.2. Le mensonge est-il indispensable ?

J’ai intitulé l’un des développements du livre Juge de l’asile : « Les mythes du “réfugié menteur” et du “juge bien pensant” ». Le mythe du réfugié menteur a été longuement analysé dans une étude de deux chercheures canadiennes, Cécile Rousseau et Patricia Foxen, en 2006, dont la thèse est que le mensonge est présent dans la pratique du droit d’asile car c’est à la fois l’intérêt du demandeur d’asile et de son juge. Du demandeur, car il lui faut franchir des barrières sécuritaires de plus en plus élevées. Du juge, car détenteur d’une prérogative de souveraineté nationale, le mensonge présumé du demandeur le conforte dans sa bonne conscience. Elles s’expriment ainsi : « La construction du réfugié comme menteur permet au pouvoir de rester conforme à ses principes : limiter l’accès à son territoire sans remettre en question les valeurs fondamentales qui soutiennent sa légitimité démocratique et sa participation aux accords internationaux ».

Certes, il s’agit du Canada. Que faut-il en penser chez nous ? Et d’abord, qu’est-ce qu’un mensonge ? On ne saurait reprocher au demandeur de présenter sa demande de la manière la plus avenante étayée par des documents. L’appréciation de leur authenticité est particulièrement délicate car l’administration, à qui devrait incomber cette tâche, n’a pas aujourd’hui des moyens suffisants pour l’attester. S’il n’y a pas de documents, le constat s’inscrira en défaveur du requérant ; s’il y en a la tendance fréquente sera de mettre en doute leur authenticité. Des attestations seront jugées « non spontanées », ce qui ne dit évidemment rien de leur validité. Les certificats médicaux « pas de nature à modifier l’analyse précédente » ce qui est moindre mal, car il arrive que le juge se prononce avec autorité sur l’incompatibilité des constats cliniques et des récits alors qu’il n’a pas fait d’études de médecine – l’erreur symétrique étant celle du médecin qui se prononce péremptoirement sur la validité du récit alors qu’il ne connaît pas le dossier. Je signale en passant que la production d’attestations scolaires ou sportives, bien qu’elles n’aient aucune valeur juridique en la matière, sont parfois d’une certaine efficacité.

Quelle est la place du doute dans cette démarche ? Il ne saurait préexister à l’instruction écrite et aux entretiens puisque ceux-ci ont précisément pour but d’établir les faits et d’évaluer les craintes et jouent comme « réducteurs d’incertitude ». En revanche, plus ou moins important, le doute peut subsister une fois épuisés tous les moyens d’investigation si la décision de rejet n’est pas clairement fondée. À qui doit-il alors bénéficier ? Au requérant, en raison surtout de la dissymétrie existant entre les conséquences d’une décision d’octroi de l’asile erronée aux retombées sociales négligeables et une décision de rejet à tort qui met directement en cause la vie, la liberté ou l’intégrité physique et morale de l’intéressé.

Le droit d’asile n’est pas seulement l’instrument juridique qui permet d’apprécier le bien fondé d’une demande d’asile. Il juge le juge lui-même.

Référendum liberticide

LES DANGERS DU RÉFÉRENDUM DANS LES MAINS D’UN POUVOIR AUTORITAIRE – l’Humanité, 5 mars 2012
Président de la République en tête, c’est à qui proposera aujourd’hui son référendum : sur l’immigration, le chômage, les retraites, le nucléaire, le mécanisme européen de stabilité, la moralisation de la vie publique. Il s’ensuit un manque de discernement qui peut être grave de conséquences.

Aux termes de l’article 3 de la constitution de la Ve République « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Cette rédaction, habile pour lier souveraineté nationale et souveraineté populaire, présente le défaut de réduire la démocratie directe au référendum.

La démocratie directe couvre un champ infiniment plus vaste. C’est essentiellement le plein exercice des libertés et des droits existants et la lutte pour en conquérir de nouveaux. La démocratie directe ne doit pas être excessivement réglementée : l’initiative, la compétence, le dévouement, l’engagement relèvent de la responsabilité du citoyen. Pour autant, il est possible de progresser par la loi : élargir la portée du droit de pétition, favoriser l’initiative populaire des lois par exemple. Ce ne serait pas, à vrai dire, une véritable novation : la Constitution de 1793, réputée jacobine, prévoyait déjà l’intervention des communes et des assemblées primaires des citoyens dans les départements pour l’élaboration de la loi – « Art. 59. – Quarante jour après l’envoi de la loi proposée, si, dans la moitié des départements, plus un, le dixième des assemblées primaires de chacun d’eux, régulièrement formées, n’a pas réclamé, le projet est accepté et devient loi. ».

En reconnaissant à tous les citoyens le droit de concourir personnellement à l’expression de la volonté générale et à la formation de la loi, la Déclaration des droits de 1789 ouvrait la voie aux consultations populaires. Mais on a vite pressenti et pu vérifier au cours du XIXe siècle les dangers du référendum et les risques qu’il pouvait faire courir à la démocratie dans les mains d’un pouvoir autoritaire. La Constitution de 1946 ne retenait le référendum qu’en matière constitutionnelle. La Constitution de 1958, dès l’origine, le prévoyait en son article 89 pour modifier la constitution sur la base d’un texte voté par les deux Assemblées en termes identiques. Mais elle l’envisageait également en son article 11 en ce qui concerne l’ « organisation des pouvoirs publics ». C’est sur la base de cet article que, pour tourner l’opposition du Sénat, le général de Gaulle, par une véritable « forfaiture » selon la qualification du président du Sénat de l’époque, Gaston Monnerville, et malgré l’opposition de la quasi-totalité des corps constitués – avis négatif du Conseil d’État à l’unanimité moins une voix – a fait adopter l’élection du président de la République au suffrage universel – 62 % des suffrages. En 1995, le champ de l’article 11 a été élargi à la « politique économique et sociale » ce qui permet en réalité de soumettre n’importe quelle question au référendum.

Le référendum ainsi conçu a la couleur de la démocratie, mais ce n’est pas la démocratie. Bien que les référendums sur le traité de Maastricht en 1992 et celui sur le projet de « traité établissant une constitution pour l’Europe », mis en échec le 29 mai 2005, aient été l’occasion de débats importants, il reste que, depuis 1793, seulement trois référendums sur vingt-quatre ont dit « non » à ceux qui les ont organisés (1946, 1969, 2005). Les procédures référendaires prévues au niveau local par les lois du 6 février 1992 et du 28 mars 2003 ou au niveau national par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 sont à la fois de faible portée réformatrice et aisément contrôlables par le pouvoir exécutif.

Le recours au référendum, présenté comme un appel direct au peuple est généralement d’inspiration autocratique à tendance plébiscitaire. Il dévoie le débat politique en le conduisant à s’écarter de la question posée – vote pour ou contre un homme ou une politique. Appelant une réponse binaire – oui ou non – il est peu approprié au traitement de questions complexes. Toutefois, la République laïque, ne reconnaissant aucune autorité transcendantale dans l’organisation des pouvoirs publics, doit nécessairement s’adresser au peuple pour définir la loi suprême. Le référendum doit donc être strictement réservé aux matières constitutionnelles et les dispositions de l’actuel article 11 récusées.

Il n’est pas étonnant de voir aujourd’hui Nicolas Sarkozy, fortement contesté, envisager des référendums tous azimuts. Il est ainsi dans la droite ligne de la constitution césarienne du 14 janvier 1852 de Louis Napoléon Bonaparte. J’avais caractérisé dans ces colonnes, quelques semaines après l’élection présidentielle – L’Humanité, 27 août 2007 – la « Dérive bonapartiste » du pouvoir sarkozyste. Au cours de son histoire, le parti communiste français a toujours été – sauf en matière constitutionnelle – résolument hostile au référendum en raison des risques plébiscitaires qu’il présente. Il est surprenant et inquiétant de voir aujourd’hui nombre de républicains surenchérir imprudemment face aux manipulations présidentielles. Car, comme l’a écrit le constitutionnaliste Olivier Duhamel : « Le référendum peut être liberticide : les Bonaparte en ont apporté la preuve ».

Interrogations syndicales sur la légitimité de la loi (pas d’information sur la publication de cet entretien demandé par un syndicat national de l’Education nationale)

Dns les derniers mouvements de contestation des lois en vigueur : socle commun en collège, nouveau programme à l’école primaire … nous avons souvent entendu dire qu’un fonctionnaire doit obligatoirement répondre à la loi, pouvez-vous revenir sur le rapport à la loi que doit entretenir un fonctionnaire d’État avec la loi ? quelle marge de manœuvre avons-nous ?

Les fonctionnaires sont d’abord des citoyens avec des droits et des droits. Ils ne disposent d’aucun privilège particulier qui leur permettrait de se soustraire à des obligations auxquelles seraient soumis tous les autres citoyens, ni qui leur confèreraient des avantages dont les autres seraient privés. Si l’on doit chercher une spécificité du fonctionnaire je la trouverais, pour ma part, dans une responsabilité plus grande du fonctionnaire vis-à-vis de la société pour la raison qu’ils sont au service de l’intérêt général, responsables de services publics. Au sein des fonctionnaires je veux souligner la responsabilité civique particulière des enseignants puisqu’il ont en charge l’éducation de la jeunesse.

La loi étant l’expression de la volonté générale dans notre État de droit républicain (article 6 de la Déclaration des doits de l’homme et du citoyen de 1789) ; la loi étant votée par le Parlement (article 34 de la constitution en vigueur), la loi s’impose à tous les citoyens, quelle leur plaise ou pas, et je conçois mal un enseignant qui dirait à ses élèves qu’il ne faut pas respecter la loi. Ce serait un symptôme aigu de crise morale. C’est autre chose que d’agir pour la changer si on la conteste, ce qui n’a de sens que collectivement en raison de la nature de la loi applicable à tous. Cela dit, il y a toujours des marges de manœuvre dans l’application de la loi pour peu que le rapport des forces permette à ses opposants d’en infléchir la mise en œuvre dans ses décrets d’application ou par la voie des recours juridictionnels. Au-delà, c’est la loi elle-même qui devient l’enjeu et qui peut être changée. Pour y parvenir il faut à la fois de la compétence, de la volonté et beaucoup d’efforts.

Un fonctionnaire doit-il attendre un changement politique pour que les lois changent ou a-t-il la responsabilité d’agir s’il trouve cette loi illégitime même si elle est légale ?

Quel fonctionnaire peut, seul dans son coin, décider qu’une loi est illégitime. Il peut, certes, le penser individuellement, mais la réponse à la question de la légitimité ne peut émaner que de la communauté des citoyens qui détient, seule, la souveraineté nationale et populaire. Il faut être pourvu d’une certaine dose d’orgueil pour s’ériger en souverain individuel. La voie la plus saine, la plis démocratique et finalement la plus efficace est celle de l’action syndicale. Des générations de fonctionnaires ont lutté pour que le droit de constituer des syndicats leur soit reconnu : c’est intervenu en 1924 sous le Cartel des gauches, alors que le droit syndical avait été reconnu dès 1884. Aujourd’hui, c’est par la loi que leurs sont reconnus des droits qui leur donnent la plénitude des droits des citoyens, ce qui est loin d’être le cas dans la plupart des pays. C’est par les lois de 1983, 1984, 1986 que 5,3 millions de fonctionnaires (plus d’un cinquième de la population active en France) bénéficient aujourd’hui de garanties inégalées dans le passé. On ne peut pas passer son temps à dénigrer la loi en tant que telle, alors que c’est par la loi que l’on peut exercer ses droits.

Au-delà de l’action syndicale, il y a l’action politique et le travail sur les idées qui interpellent particulièrement les enseignants et plus généralement les fonctionnaires. C’est pour toutes ces raisons que, si je peux en comprendre certaines motivations particulières, je n’approuve pas l’action des « désobéisseurs ». Cette forme d’action a quelque chose de désespéré qui trouve sans doute son explication dans la crise que connaît aujourd’hui notre société. Le vrai courage c’est de ne pas céder à cette facilité, à cetabandon de l’action solidaire et fraternelle.

Dans le statut actuel d’un fonctionnaire, notamment un enseignant, vous différenciez le grade du corps. Pouvez-vous revenir sur cette distinction et ses enjeux ? Quelles en sont les conséquences précisément sur le rapport aux lois de l’État ?

Je ne comprends pas le sens de cette question. S’il y a une réponse susceptible d’éclairer la nature des concepts utilisés, elle se trouve dans le statut lui-même. Il faut donc le lire. L’article 8 de la loi n° 84-16 du11 janvier 1984 (Titre II du Statut général des fonctionnaire relatif à la Fonction publique de l’État) dispose que « des décrets en Conseil d’État portant statuts particuliers, précisent, pour les corps de fonctionnaires, les modalités d’application de la présente loi ». et l’article 12 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 (Titre I du statut général des fonctionnaires sur les droits et obligations) énonce : « Le grade est distinct de l’emploi. Le grade est le titre qui confère à son titulaire vocation a occuper l’un des emplois qui lui correspondent ». En bref, le corps est défini par un statut particulier, il organise la carrière du fonctionnaire en grades successifs qui donnent vocation à occuper des emplois précisés par le statut particulier. Il relève de l’action syndicale de revendiquer les évolutions législative ou réglementaires qui leur apparaîtraient souhaitables. Poser la question de la légitimité de la loi au moment où le pouvoir exécutif en place veut remplacer le statut législatif par des contrats conclus de gré à gré ne me semble ni habile ni responsable. Dans le contexte actuel, le changement politique est une opportunité.