Y a-t-il de « faux réfugiés » ?

Colloque Amnesty International – Sciences Po. Paris – 6 avril 2012

ENTRE PRÉVENTION ET SUSPICION

1. Comment la suspicion lors de la procédure envers le demandeur influe-t-elle sur la demande d’asile ?

– La suspicion dans de la procédure

… en relation avec le cadre institutionnel

Accès difficile à la juridiction de l’asile : zone d’attente à la frontière et appréciation « non manifestement infondée » de la demande, visa provisoire pour aller en préfecture, dépôt de la demande à l’OFPRA et délivrance de l’APS, entretien sans avocat, recours devant la CNDA, cassation devant le Conseil d’État très restreinte.

Une évolution structurelle plutôt positive de la Commission des recours des réfugiés (CRR) à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) au 1er janvier 2008 avec gestion du Conseil d’État au 1er janvier 2009 ; la juridiction échappe à la tutelle de l’établissement qu’elle contrôlait. Depuis le 1er décembre 2008 la condition de régularité d’accès n’est plus exigée pour l’AJ mais, depuis le 1er janvier 2011, la demande doit être faite dans le mois suivant la notification du rejet de la demande par l’OFPRA.

… révélée par la réalité contrastée des flux

En 2009, les titres de séjour délivrés s’élevaient à 187 000 dont 11 000 au titre de réfugiés et 1 800 au titre de la protection subsidiaire.

Des chiffres contrastés en 2010 : seulement 15 % des réfugiés le sont en Europe. France 200 000, Grande-Bretagne : 240 000, Allemagne : 600 000.
La France première destinataire des demandes en Europe : 53 000. Procédure prioritaire : 24% des affaires instruites. Taux global d’accords : 27,4 % (13,5% OFPRA). Protection subsidiaire : 19,7 %. Taux d’annulation des POS : 22 %(reste élevé pour cfertains pays et liste instable : annulation par le Conseil d’État récente de Albani et Kosovo). 21 % des décisions de la CNDA prises par voie d’ordonnances (12,4 % pour les ordonnances « nouvelles »).

Au niveau de la décision administrative en Union européenne (OFPRA en France) : reconnaissance du statut de réfugié : 12 %, de la PS : 9 %(au total 21 % contre 27 % en France). La PS représente 42 % des protections accordées contre 20 % en France (mais la protection subsidiaire est un séjour faible en France).

… et l’évolution jurisprudentielle restrictive

Le droit d’asile est aujourd’hui fortement déterminé par l’évolution d’un droit européen qui évolue vers un droit d’asile européen commun avec un caractère sécuritaire accentué. Sont d’origine européenne : la protection subsidiaire, Dublin II, asile interne, POS, allongement des durées de rétention, de la durée d’interdiction de séjour, développement de l’externalisation, etc. Le gouvernement français a souvent anticipé ces décisions : loi de 2003 (anticipant sur les directives procédure et qualification).

À l’inverse, la CJUE tend à se donner des compétences en matière d’asile en se prononçant sur des requêtes en interprétation. La CEDH veille aussi au respect des droits de l’homme dans le traitement de l’asile. Les directives donnent parfois des points d’appui pour préciser certaines définitions de manière constructive.

Les décisions de la CNDA les plus caractéristiques au cours des dernières années ont porté sur le champ et la qualification de la protection subsidiaire, les conditions d’exclusion, le rattachement à une nationalité, l’exercice de la QPC.

Rappel de principes constitutionnels : affirmation de la souveraineté nationale, respect des droits de la défense, plénitude des garanties légales, indépendance de la juridiction administrative, encadrement strict des notions d’asile interne et de pays d’origine sûrs.

Malgré quelques exemples constructifs et le rappel des principes constitutionnels, on assiste à une dérive en faveur de la protection subsidiaire, moins protectrice : durée de séjour réduite, même si elle est en général reconduite, avec comme conséquences de plus grandes difficultés en matière d’emploi et de logement notamment.

– La suspicion dans la formation de l’intime conviction du juge

Nécessite de la preuve ou intime conviction ?

Aucun texte juridique relatif au droit d’asile n’évoque la nécessité de la preuve. Nombre de juges de l’asile admettent difficilement qu’ils forment leur intime conviction sous l’éclairage de ce que la vie les a faits, quelle que soit leur volonté d’indépendance et le souci d’honnêteté qui peuvent présider à leurs décisions. En prendre conscience est encore le meilleur moyen de faire la part de ce qui relève du subjectif dans l’appréciation des faits qui pèsent lourd en matière d’asile et d’en tirer les conséquences dans le jugement de la cause. Les convictions philosophiques, religieuses, politiques, voire les préjugés du juge jouent évidemment un rôle dans l’interprétation de cultures, des motifs et des faits eux-mêmes rapportés par le citoyen venu d’ailleurs.

Appliquer le droit ou rendre la justice ?

L’intime conviction n’est pas non plus indépendante de la situation politique générale du pays d’accueil et des campagnes qui y sont menées à un moment donné, comme celle sur l’ « identité nationale » lancée par le ministre chargé de l’immigration et de l’asile à l’automne 2009.

La pratique du droit d’asile est évidemment un domaine où le poids des cultures, des mentalités, des a priori est important. Car il ne s’agit pas seulement d’appliquer le droit existant mais de rendre la justice « Au nom du peuple français », le droit positif n’en étant que l’instrument.

Le mensonge est-il indispensable ?

De fait, on observe une forte dispersion statistique des décisions des formations de jugement. Les explications en sont multiples. Certaines études ont caractérisé un mythe du « réfugié menteur », justifié du côté du demandeur d’asile par la difficulté à franchir des obstacles sécuritaires et juridiques de plus en plus élevés et, du côté du juge, par le confort que lui permet l’idée qu’il est détenteur d’une prérogative de souveraineté nationale et que, face au mensonge, fut-il présumé, occasionnel ou appelé par la pression des circonstances, il juge à bon droit, en « juge bien pensant ».

Par ailleurs, il existe des écarts notables persistants entre les taux d’accord de l’OFPRA et de la CNDA pour quelques pays (Serbie, Turquie, Angola, Bangladesh, récemment), ce qui indique une certaine résistance de l’établissement public à appliquer, pour ces pays, la jurisprudence des juridictions. En ce domaine des mentalités, étroitement dépendantes du contexte social et politique dans lequel elles se forment et s’expriment, l’évolution ne peut se développer qu’à l’échelle de l’histoire.


2. Quel discours tiennent les hommes politiques français sur les demandeurs d’asile et les réfugiés ?

– Une histoire déterminée par le niveau de l’activité économique et les alternances droite-gauche

1945-1970 : des références juridiques majeures dans un contexte de croissance économique soutenue et d’évènements politiques aux conséquences limitées sur l’accueil des étrangers. L’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, plusieurs fois modifiée, a été pendant soixante ans la référence de la législation sur l’immigration.

1970-1981 : une régression (amorcée dès 1968) de l’accueil des étrangers déterminée par le ralentissement de l’économie

1981-1993 : des tentatives de régularisation contrariées et un certain retour aux principes

1993-1997 : développement d’une politique coercitive d’immigration

1997-2002 : des retours partiels sur la réglementation sécuritaire antérieure

2002-2012 : développement d’une politique sécuritaire de caractère essentiellement politique

– Caractéristiques générales des discours politiques actuel
s

Diagnostic difficile sur la base de la lecture des programmes des candidats (cf. Immigration : que proposent les candidats ? – La Documentation française) et lettre de l’AFJA aux candidats

Très faible différenciation de l’immigration et de l’asile

Au mieux on propose la réforme du CESEDA et la déconnection de l’asile des politiques migratoires (J-L.M).

Proclamation du caractère intangible du droit d’asile (FH).

Appel à la stabilité législative à gauche (cinq lois depuis 2003).

Pas de traitement spécifique de l’asile vis-à-vis de l’identité nationale

La création du ministère de l’identité nationale, la campagne sur ce thème, ne sont pas mis en rapport avec le droit d’asile.

Le droit de vote aux étrangers ne distingue pas le cas des réfugiés.

Les contraintes imposées aux étrangers souhaitant s’intégrer ne sont pas évoquées s’agissant des réfugiés.

Positionnement variable vis-à-vis de l’Europe

Ne recouvre pas exactement le clivage droite-gauche. : FH s’abrite sous le droit européen de façon répétitive, les autres candidats de gauche non ; à droite différence entre les candidats moins marquées (NDA, NS, MLP).

La question de la sortie de Schengen surtout évoquée à droite de manière circonstancielle (NS, MLP, NDA)

Absence de vision universelle du droit d’asile

L’immigration et l’asile (migrants économiques) servent d’abcès de fixation du débat politique (30 000 reconduites, voile, hallal, etc.).

Après avoir entendu Madame Sylvie Guillaume, députée européenne, nous dire que toute l’ambition du groupe de travail chargé de la réforme de la directive « procédure » était d’éviter de nouvelles régressions du droit d’asile européen commun, on se sent bien loin du discours d’Emmanuel Kant, de la constitution de l’An, voire même du 4e alinéa du Préambule de la constitution de 1946.