Université du Temps Libre – Saint- Renan, 5 juin 201
Il s’agit d’une question d’actualité : Lampedusa, boat people, famille expulsée, succession de lois, ministère de l’immigration et de l’identité nationale, le nombre des étrangers en France évoqué lors de la dernière présidentielle, etc.. Mais aussi d’un thème politique et philosophique : attitude du citoyen d’ici vis-à-vis du citoyen d’ailleurs, ce qui ne doit entrainer ni xénophobie ni démagogie.
Présentation générale
L’asile et les politiques migratoires
– 1945-1970 : des références juridiques majeures dans un contexte de croissance économique soutenue et d’évènements politiques aux conséquences limitées sur l’accueil des étrangers. L’ordonnance du 2 novembre 1945.
– 1970-1981 : une régression de l’accueil des étrangers déterminée par le ralentissement de l’économie. Rapport « Immigration et développement économique et social ».
– 1981-1993 : des tentatives de régularisation contrariées et un certain retour aux principes. Engagement de la coopération intergouvernementale européenne. Le Haut Conseil à l’intégration est créé en 1990, j’en démissionnerai en 1993 pour me désolidariser des lois Pasqua.
– 1993-1997 : développement d’une politique coercitive d’immigration (lois Pasqua) avec engagement d’un transfert des compétences en matière d’asile au niveau européen. Accords de Scnengen du 14 juin 1995.
– 1997-2002 : des retours partiels sur la réglementation sécuritaire antérieure (loi Chevènement de 1998). Traité d’Amsterdam le 2 octobre 1997. Charte des droits fondamentaux adoptée au sommet de Nice le 27 décembre 2000
– 2002-2012 : développement d’une politique sécuritaire de caractère essentiellement politique sous influence croissante de l’Union européenne dans la perspective d’un régime d’asile européen commun (lois de novembre-décembre 2003). Adoption du règlement de Dublin II Ie 18 février 2003. Adoption de la directive du Conseil dite « qualification » le 29 avril 2004, elle sera refondée le 13 décembre 2011. Adoption les 4 et 5 novembre 2004, de l’instauration en 2012 d’un « régime d’asile européen commun ». Adoption de la directive du Conseil dite « procédure » le 1er décembre 2005. Ratification du traité de Lisbonne le 8 février 2008. Directive du Parlement du 18 juin 2008 dite « retour ». Adoption le 7 mai 2009 par le Parlement d’un « paquet asile ».
On peut ainsi dégager trois causalités des flux migratoires : l’activité économique, les politiques étatiques, la réglementation européenne.
L’asile et les flux migratoires
Le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) évalue entre 10 et 12 millions dans le monde le nombre de réfugiés sous sa protection au cours des dernières années, 10,6 en 2010. Cette même année, 77 % des réfugiés sont en Asie et en Afrique, seulement 15 % en Europe. La France en protège 200 687 – demandeurs d’asile en attente inclus – soit à peine plus que son poids démographique relatif dans le monde. C’est moins que le Royaume Uni, 238 150, et beaucoup moins que l’Allemagne, 594 269[1]. Ces chiffres doivent néanmoins être nuancés car la France naturalise plus que ses deux voisins précités ce qui diminue d’autant le nombre d’étrangers protégés. Cela dit, la France est donc loin d’accueillir « toute la misère du monde ». Et si elle en prend une part, celle-ci reste modeste pour un pays hautement développé[2].
Il convient de ne pas confondre les demandeurs d’asile et les réfugiés avec les autres flux d’immigration (travailleurs, regroupement familial, étudiants …), mais ces flux ne sont pas pour autant indépendants.
Premiers titres de séjour délivrés par motifs en 2010
– Economique : 17 197 dont 12 655 salariés
– Familial : 83 177 dont 49 833 familles de Français
– Etudiants : 59 455
– Humanitaire : 18 220 dont 10 073 réfugiés et apatrides et 1 759 protections subsidiaires
– Divers ; 11 311 dont 5 891 visiteurs
Total : 189 371
Source : ministère chargé de l’immigration
L’asile représente donc environ 7 % de la délivrance des premiers titres de séjour.
I. LA CONCEPTION DE L’ASILE
1.1. L’histoire de l’asile
* Les origines anciennes
Les Égyptiens et les Grecs ont pratiqué l’asile. Les Romains y étaient peu enclins. Les Hébreux en ont associé la pratique à la loi du talion. L’Église catholique en a le monopole au Moyen Âge : elle frappe d’excommunication les souverains qui l’enfreignent ; elle étend le champ des lieux jusqu’à l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 qui exclut l’asile en matière civile. L’Ancien Régime n’y est pas très favorable (révocation de l’Édit de Nantes en 1685).
La Révolution française l’évoque à l’article 2 de la Déclaration des droits de 1789 (résistance à l’oppression). La constitution de I793 pose le droit à l’insurrection et affirme que le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres « il donne l’asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans » (art. 120). Le 4e alinéa du Préambule de la constitution :de 1946 énonce : « Tout homme persécuté en raison de son action pour la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». La France est plutôt accueillante au XIXe siècle (Frédéric Chopin, Heinrich Heine, Marie Curie …).
*Les origines récentes
Intervient progressivement l’émergence d’une réglementation internationale. Le XXe siècle apparaît comme celui des réfugiés (guerres, colonies) : Russes, Arméniens, puis Allemands Espagnols et Juifs à partir de 1935. Création du HCR par la Société des nations en 1921. L’article14 de la Déclaration universelle des droits de 1948 le prévoit. L’UNHCR est créé en 1950. La Convention de Genève est adoptée le 28 juillet 1951 et le Protocole de New York le 31 juillet 1967 (145 États ont adhéré).
La genèse du système français est marquée par les étapes suivantes : à la fin des années 1930, la France « patrie des droits de l’homme » compte 1 million de réfugiés (500 000 Espagnols, Italiens, Allemands) pour 38 millions d’habitants. La xénophobie croit dans la crise des années 1930, les gouvernements suivent l’opinion publique ( internements avec livraison aux forces d’occupation). Elle adopte ensuite une position stricte dans les discussions sur la Convention de Genève. Puis intervient la création de l’Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA, loi du 25 juillet 1952) et de la Commission de recours des réfugiés (CRR).
On est passé ainsi de la sanctuarisation du lieu d’asile à la protection de la personne ; de la protection discrétionnaire à une perspective universaliste à bases juridiques nationale et internationale.
1.2. Les dispositifs de l’asile
*La phase administrative
La France respecte les dispositions de la Convention de Genève en matière de non refoulement, ainsi que les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Le point de départ est donc la demande d’admission au séjour dont l’octroi est de la compétence du préfet (la procédure est progressivement régionalisée) qui fait remettre un document provisoire de séjour au demandeur d’asile afin qu’il puisse faire sa demande d’asile à l’OFPRA.
Après cela il reçoit un nouveau document de séjour renouvelable. Il peut être alors hébergé dans un centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) ou reçoit une allocation temporaire d’attente (ATA), bénéficie de l’aide sociale globale (ASG), peut bénéficier de la Couverture médicale universelle (CMU) ou de l’Aide médicale de l’Etat (AME) pour les étrangers en situation irrégulière. Mais il n’a pas accès au marché du travail qui lui est opposable, sauf exceptions. Depuis la loi du 24 juillet 2006 (confirmée par une circulaire du 3 mai 2007) sur l’admission en CADA, un refus d’offre de prise en charge en CADA entraîne automatiquement la perte du bénéfice de l’ATA. L’effectivité de la liberté de choix entre hébergement en CADA et solution individuelle n’existe donc plus.
L’OFPRA, est un établissement public placé auprès du ministère de l’Intérieur. Il a la personnalité civile ainsi que l’autonomie financière et administrative. Il est dirigé par un conseil d’administration. Il assure la protection juridique et administrative des réfugiés et des apatrides ainsi que des bénéficiaires de la protection subsidiaire.
*Phase juridictionnelle
La Cour nationale du droit d’asile (CNDA, antérieurement CRR), examine les recours dirigés contre les décisions de rejet de l’OFPRA ainsi que directement les requêtes dirigées contre certaines mesures prévues par la Convention de Genève. Dirigées par un président et trois vice-présidents, les formations de jugement sont organisées en douze divisions. Les présidents des formations de jugement proviennent des juridictions administratives et judiciaires ainsi que de la Cour des comptes. Le président est assisté d’un assesseur nommé par le HCR sur avis conforme du Vice-Président de Conseil d’Etat et d’un assesseur nommé par le Vice-Président du Conseil d’Etat. Les rapporteurs et les secrétaires de séance sont des fonctionnaires ou des contractuels. Certaines décisions particulièrement significatives sont prises en formations de sections réunies.
Le Conseil d’État est juge de cassation. Le code de l’entrée, du séjour et du droit d’asile (CESEDA) réglemente le dispositif depuis le 1er mars 2005.
Dans tous les pays étrangers on distingue les quatre niveaux précités : accueil, examen de la demande, recours, cassation.
1.3. Le statut de l’asile
* Différentes catégories d’asile
L’asile constitutionnel.
D’origine révolutionnaire, elle fonde la tradition de la France terre d’asile.
L’asile des réfugiés relevant du mandat du HCR
Il est de la compétence liée du HCR et de l’OFPRA.
L’asile conventionnel de la Convention de Genève
C’est aujourd’hui le texte majeur servant de base à la reconnaissance de la qualité de réfugié.
La protection subsidiaire
D’origine européenne elle a remplacé l’asile territorial qui avait un caractère discrétionnaires dans la compétence du ministère de l’Intérieur.
Il y a pluralité d’autres conceptions de l’asile : unité de famille (attaché au demandeur principal et qui ne s’applique pas à la protection subsidiaire), protection temporaire, discrétionnaire (Bokassa, Duvallier, Komeyni), de fait.
*Protection du réfugié
Pour l’essentiel elle s’applique aussi bénéficiaire de la protection subsidiaire.Le dispositif international et national de protection des réfugiés n’est que substitutif à une protection nationale étatique défaillante, d’où l’élément d’appréciation préalable à tout examen de demande d’asile quant à l’incapacité de l’Etat d’origine à assurer la protection.
Les droits prévus par la Convention de Genève : ce sont les même droits que ceux reconnus aux nationaux (liberté religieuse, propriété intellectuelle, action en justice, etc.), ou non moins favorables que ceux accordés aux autres étrangers (professions non salariées, logement, enseignement au-delà du primaire, droit syndical, etc.).
L’application en droit interne comporte des spécificités : protection administrative et juridique par l’OFPRA (carte de résident de 10 ans, un an pour la protection subsidiaire, etc.) ; libertés publiques (liberté de circulation, liberté d’opinion et d’expression, pas d’obligation de réserve, liberté religieuse, syndicale et d’association, etc.) ; les droits économiques et sociaux (doits au travail, protection sociale, etc.).
Des garanties sont prévues en cas de renvoi : exigence d’une décision rendue selon une procédure prévue par la loi, décision motivée, respect de l’art. 3 de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), pas de renvoi durant la procédure de demande d’asile.
On doit encore souligner le caractère substitutif de la protection et recognitif de la qualité de réfugié.
II. L’OCTROI DE L’ASILE
2.1. Les motifs de persécution
Selon l’article L 711-1 du CESEDA, la qualité de réfugié est reconnue à toute personne « craignant avec raison » d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité, de son appartenance à une certain groupe social et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. La protection cesse avec la crainte, sauf cas d’exceptionnelle gravité. Le transfert de la protection d’un pays à l’autre est possible sous conditions.
Il faut d’abord préciser la notion de persécution : avoir quitté le pays et ne pouvoir se réclamer de sa protection ; la qualité de réfugié se reconnaît et ne s’octroie pas ; elle a un caractère personnel (la situation générale grave ne suffit pas) et d’une certaine gravité. Les craintes doivent être actuelles comme les risques encourus.
* L’action en faveur de la liberté de l’asile constitutionnel
Il est d’origine révolutionnaire (Anacharsis Cloots, Thomas Peine, députés à la Convention). a Constitution de l’An I le prévoit, comme le 4e alinéa du Préambule de la constitution de 1946 et l’article 53-1 de la constitution (avec passage du droit de la personne au droit de l’État). Il traduit une conception solennelle et politique extensive du droit d’asile quand bien même l’application de la Convention de Genève reste dominante.
Il a été reconnu à un militant algérien du RDC, à un peintre bangladais, à un réalisateur de télévision algérienne, à une Afghane transgressive ; il a été refusé à un membre du comité central du PKK.
* Les motifs de crainte de persécution au sens de la convention de Genève
Les critères de la reconnaissance sont les suivants.
– les opinions politiques contestées par les autorités qu’il y ait manifestation ou non, réelles ou supposées (elles peuvent être seulement imputées, CE Beltaïfa). Les formes militantes peuvent être diverses ; les motifs de conscience peuvent être pris en compte.
– l’appartenance à une minorité nationale ou ethnique. Elles peuvent se traduire par le bannissement, la purification ethnique, la spoliation des terres des Soninké par les Maures en Mauritanie, les mariages mixtes. Mais la simple ’appartenance à une minorité ne suffit pas (Tchétchènes en Russie, roms en Hongrie).
– la confession religieuse, y compris l’appartenance à une secte, l’athéisme et la laïcité « militante » : intellectuels ou femmes en Algérie ou en Afghanistan, musulmane ayant épousé un bouddhiste en Mongolie, Falun Gong en Chine, Témoins de Jéhovah en Afrique.
– l’appartenance à un certain groupe social, c’est-à-dire présentant des caractéristiques communes identifiables socialement : femmes maliennes entendant se soustraire à l’excision, transsexuels algériens, homosexuels en Éthiopie, femmes entendant se soustraire à un mariage forcé dans certains pays. Mais la reconnaissance n’est pas reconnue pour les parents chinois contrevenant à la règle du un enfant, ni pour les victimes de Tchernobyl.
* La protection subsidiaire
Elle est accordée à toute personne exposée dans son pays à l’une des menaces graves suivantes : peine de mort, torture ou peine ou traitements inhumains ou dégradants, menace grave directe et individuelle pour un civil en situation de violence généralisée.. Ses motifs ne doivent pas se situer sur le terrain conventionnel. Les cas les plus fréquents sont : les victimes du proxénétisme, les personnes sous les menaces de mafias, menacées de mutilations génitales, de crimes d’honneur, de lapidations lorsque les autorités sont impuissantes à les éviter.
2.2. Les auteurs de persécution
* Les autorités étatiques
L’origine des craintes est l’État du pays de nationalité ou de résidence habituelle. Mais une demande a été refusée dans le cas d’un Russe d’origine tchétchène qui avait reçu la protection des autorités publiques russes.
La menace peut être étatique tout en étant indirecte de la part d’organisations ou de partis qui contrôlent l’État ou une partie substantielle de celui-ci,. Le demandeur doit cependant avoir fait les démarches nécessaires : difficulté pour un Algérien maltraité par des islamistes pour s’être converti au catholicisme.
* Les acteurs non étatiques
Il s’agit d’autorités de fait : administration de fait par des forces rebelles sur un territoire comme les milices en Bosnie et en Croatie, les Talibans en Afghanistan, les forces autonomes du Sud-Liban. Cela suppose un minimum d’organisation cohérente et de stabilité.
La loi ne précise pas la nature des acteurs non étatiques, les cas d’exceptionnelle gravité, les cas d’ineffectivité de la protection.
* L’asile interne
C’est la possibilité donnée à une personne de trouver refuge dans une partie de son pays avant de solliciter l’asile auprès d’un pays d’accueil. C’est une notion forgée non par la Convention de Genève mais par le HCR. Le caractère raisonnable de l’installation dans la partie protégée doit être établi : cas du Kurdistan irakien ; solution inverse pour la Côte d’Ivoire, le Sri Lanka lors des conflits dans ces pays.
Sa mise en œuvre est délicate : il faut qu’il y ait accessibilité à la zone refuge (DC du 4 décembre 2003) ; le requérant doit pouvoir trouver dans la zone refuge des conditions normales (à la limite y trouver un logement et un emploi) L’autorité de protection interne est prise en compte, elle doit être suffisamment sûre. Une appréciation au cas par cas doit être effectuée, la charge de la preuve incombe à l’OFPRA, mais ce n’est pas une obligation pour l’OFPRA ou la CNDA de l’invoquer.
La mise en œuvre est en tout état de cause délicate, les États ne reconnaissant que les relations d’État à État.
- Les pays d’origine sûrs
Cette notion a été introduite en droit interne en 2003. Elle présume que le demandeur d’asile peut être protégé dans le pays dont il a la nationalité. L’OFPRA met en œuvre la procédure prioritaire, mais la CNDA n’est pas liée par cette reconnaissance.
La liste de ces pays de pays d’origine sûrs (POS) devait être établie au niveau de l’Union européenne mais elle a buté sur les contradictions des pays membres. La liste établie par l’OFPRA fait fréquemment l’objet de corrections par le Conseil d’Etat (récemment, retrait de l’Albanie et du Kosovo) qui permettent de douter de la validité du concept.
2.3. Le refus de l’asile
* L’exclusion
Les demandeurs frappés d’exclusion de la CG sont néanmoins protégés de l’éloignement (assignation à résidence ou autre). Les critères sont les suivants.
– un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité (crimes jugés à Nuremberg, en ex-Yougoslavie ; journaliste de radio au Rwanda, officier russe en Afghanistan et en Tchétchénie)
– un crime grave de droit commun commis dans le pays d’origine ; exclusion aussi des activités terroristes (détournement d’avion par un Black Panthers, Robert Hatem au Liban, un dirigeant du PKK en Turquie).
– des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies : en général des dirigeants ayant eu des responsabilités dans des violations des droits de l’homme, mais aussi des exécutants : Duvalier, un responsable du régime des Khmers rouges, un garde du corps de Mobutu.
* La cessation
Elle ne remet pas en cause automatiquement le droit au séjour. Elle se produit dans un certain nombre de cas.
– l’allégeance au pays d’origine qui résulte du caractère subsidiaire de la protection du pays d’accueil par rapport au pays d’origine. Ce n’est pas le cas pour une simple escale d’avion ou la participation à l’enterrement d’un proche. Mais il peut y avoir cessation dans le cas d’un mariage ou de la délivrance d’un passeport à l’ambassade. C’est a fortiori le cas lorsqu’il y a recouvrement volontaire de nationalité ou retour volontaire, acquisition d’une nouvelle nationalité avec protection du nouveau pays : Juifs ayant regagné Israël après la seconde guerre mondiale, Bulgare ayant obtenu la nationalité turque.
La cessation peut encore intervenir après changements des circonstances, qui doivent être durables et fondamentaux : accession à l’indépendance ou fin de dictatures (Espagne, Chili), sauf « raisons impérieuses » (Cambodge).
* La remise en cause prétorienne
C’est le cas d’un retrait pour fraude selon le principe de retrait des actes administratifs. La fraude doit avoir été intentionnelle et porter sur un élément essentiel intention et élément essentiel (Turc faisant état de persécution à une date où il était en France).
La cessation peut aussi intervenir pour changement de la situation individuelle. La reconnaissance au titre de l’unité de famille se perd avec celle du bénéficiaire principal. Elle est conservée par les mineurs à la majorité, mais pas pour les personnes sous tutelle. Elle est perdue en cas de divorce s’il n’y a pas de moyen propre.
La cessation pour motif de police est écartée dans le cadre de la réglementation de l’asile, mais il est possible pour l’autorité de police, sous le contrôle du juge administratif, après retrait du titre de séjour. Ces solutions découlent du système de l’octroi de l’asile lui-même et de l’affirmation de la souveraineté nationale.
III. LA REALITE DE L4ASILE
3.1. Le parcours éprouvant du demandeur
* Accès difficile à la juridiction de l’asile
Ill s’agit d’un parcours éprouvant : placement en zone d’attente à la frontière et appréciation « non manifestement infondée » de la demande (maximum 26 jours), visa provisoire pour aller en préfecture (sous 8 jours), dépôt de la demande à l’OFPRA (dans les 21 jours) et délivrance de l’autorisation provisoire de séjour (APS valable 3 mois renouvelable), entretien sans avocat, décision de l’OFPRA (environ 3 mois en moyenne), recours devant la CNDA (dans le mois suivant la notification du rejet). Après la décision de la CNDA (en moyenne au bout de 9 mois) en moyenne, la cassation devant le Conseil d’État est possible en cas de rejet dans des conditions de droit commun.
La procédure est souvent longue, les délais à respecter très courts, les pièces à fournir et les documents à remplir nombreux et traduits en français, le coût global élevé, les relations avec l’administration laborieuses…
*Une évolution structurelle plutôt positive
On est passé de la Commission des recours des réfugiés (CRR) à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) au 1er janvier 2008 avec gestion du Conseil d’État au 1er janvier 2009. La juridiction échappe ainsi à la tutelle de l’établissement qu’elle contrôlait. Depuis le 1er décembre 2008 la condition de régularité d’accès n’est plus exigée pour l’aide juridictionnelle (AJ) mais, depuis le 1er janvier 2011, la demande doit être faite dans le mois suivant la notification du dépôt du recours devant la CNDA.
3.2. Une précarisation croissante
*Des chiffres contrastés
La France est la première destinataire des demandes en Europe : 57 300 en 2011. La procédure prioritaire a représenté 26 % de la demande globale. Le taux global d’accords est de 25,3 % % (10,9 % OFPRA). La part de la protection subsidiaire, en hausse, a représenté 22,8% des accords. La part des POS diminue dans les demandes et les protections accordée ; leur liste reste instable : retrait par le Conseil d’État récemment de l’Albanie et du Kosovo). 21, 9 % des décisions de la CNDA ont été prises par voie d’ordonnances (13,6 % pour les ordonnances « nouvelles » correspondant à une absence de réponse jugée sérieuse aux motifs de rejet de l’OFPRA).
Au niveau de la décision administrative en Union européenne (OFPRA en France) : la reconnaissance du statut de réfugié était, en 2010, à 12 %, de la PS : 9 % (au total 21 % contre 27 % en France). La PS représente 42 % des protections accordées contre 20 % en France (mais la protection subsidiaire est un droit au séjour faible en France).
*Une évolution jurisprudentielle restrictiv
Le droit d’asile est aujourd’hui fortement déterminé par l’évolution d’un droit européen qui évolue vers un droit d’asile européen commun avec un caractère sécuritaire accentué. Sont d’origine européenne : la protection subsidiaire, la procédure Dublin II (pays responsable de l’instruction de la demande), l’asile interne, la liste des POS, l’allongement des durées de rétention, de la durée d’interdiction de séjour, le développement de l’externalisation, etc. Le gouvernement français a souvent anticipé ces décisions : loi de 2003 (anticipant sur les directives procédure et qualification)[3].
À l’inverse, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) tend à se donner des compétences en matière d’asile en se prononçant sur des requêtes en interprétation. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) veille au respect des droits de l’homme dans le traitement de l’asile. Les directives donnent parfois des points d’appui pour préciser certaines définitions de manière constructive.
Les décisions de la CNDA les plus caractéristiques au cours des dernières années ont porté sur le champ et la qualification de la protection subsidiaire, les conditions d’exclusion, le rattachement à une nationalité, l’exercice de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
Rappel de principes constitutionnels : affirmation de la souveraineté nationale, respect des droits de la défense, plénitude des garanties légales, indépendance de la juridiction administrative, encadrement strict des notions d’asile interne et de pays d’origine sûrs.
Malgré quelques exemples constructifs et le rappel des principes constitutionnels, on assiste à une dérive en faveur de la protection subsidiaire révélée également par les statistiques, moins protectrice : durée de séjour réduite, même si elle est en général reconduite, avec comme conséquences de plus grandes difficultés en matière d’emploi et de logement notamment.
3.3. La formation de l’intime conviction du juge
*Nécessite de la preuve ou intime conviction ?
Aucun texte juridique relatif au droit d’asile n’évoque la nécessité de la preuve. Nombre de juges de l’asile admettent difficilement qu’ils forment leur intime conviction sous l’éclairage de ce que la vie les a faits, quelle que soit leur volonté d’indépendance et le souci d’honnêteté qui peuvent présider à leurs décisions. En prendre conscience est encore le meilleur moyen de faire la part de ce qui relève du subjectif dans l’appréciation des faits qui pèsent lourd en matière d’asile et d’en tirer les conséquences dans le jugement de la cause. Les convictions philosophiques, religieuses, politiques, voire les préjugés du juge jouent évidemment un rôle dans l’interprétation des cultures, des motifs et des faits eux-mêmes rapportés par le citoyen venu d’ailleurs.
*Appliquer le droit ou rendre la justice ?
L’intime conviction n’est pas non plus indépendante de la situation politique générale du pays d’accueil et des campagnes qui y sont menées à un moment donné, comme celle sur l’ « identité nationale » lancée par le ministre chargé de l’immigration et de l’asile à l’automne 2009. La pratique du droit d’asile est évidemment un domaine où le poids des cultures, des mentalités, des a priori est important. Car il ne s’agit pas seulement d’appliquer le droit existant mais de rendre la justice « Au nom du peuple français », le droit positif n’en étant que l’instrument[4].
*Le mensonge est-il indispensable
De fait, on observe une forte dispersion statistique des décisions des formations de jugement. Les explications en sont multiples. Certaines études ont caractérisé un « mythe du réfugié menteur », justifié du côté du demandeur d’asile par la difficulté à franchir des obstacles sécuritaires et juridiques de plus en plus élevés et, du côté du juge, par le confort que lui permet l’idée qu’il est détenteur d’une prérogative de souveraineté nationale et que, face au mensonge, fut-il présumé, occasionnel ou appelé par la pression des circonstances, il juge à bon droit. C’est, symétrique du précédent, le « mythe du juge bien pensant »[5]. Par ailleurs, il existe des écarts notables persistants entre les taux d’accord de l’OFPRA et de la CNDA pour quelques pays (Serbie, Turquie, Angola, Bangladesh, récemment). En ce domaine des mentalités, étroitement dépendantes du contexte social et politique dans lequel elles se forment et s’expriment, l’évolution ne peut se développer qu’à l’échelle de l’histoire.
(film)
En conclusion, il convient donc de prendre la mesure des atteintes ou des dérives, mais ne pas ignorer pour autant les points d’appui : une réforme de la juridiction de l’asile positive, mais avec des inquiétudes sur la séparation des politiques d’asile et d’immigration ; des chiffres qui caractérisent un dispositif sélectif, mais des résultats contrastés ; une évolution du droit vers plus de précarité, mais une tradition qui existe et qui résiste.
« Hospitalité signifie le droit qu’a un étranger arrivant sur le sol d’un autre de ne pas être traité en ennemi par ce dernier […], le droit qui revient à tout être humain de se proposer comme membre d’une société en vertu du droit à la commune possession de la surface de la Terre, laquelle étant une sphère, ne permet pas aux hommes de se disperser à l’infini, mais les contraint à supporter malgré tout leur propre coexistence, personne, à l’origine, n’ayant plus qu’un autre le droit de se trouver en un endroit quelconque de la Terre. Cependant, ce droit à l’hospitalité, c’est-à-dire le droit accordé aux nouveaux arrivants étrangers, ne s’étend pas au-delà des conditions de la possibilité d’essayer d’établir des relations avec les premiers habitants. C’est de cette manière que les continents éloignés peuvent établir entre eux des relations pacifiques, qui peuvent finir par être légalisées. »
Emmanuel Kant
Pour la paix perpétuelle, 1795
[1] UNHCR, Tendances mondiales 2010, juin 2011.
[2] Le nombre de demandeurs d’asile en direction des 44 pays développés industriels est en baisse de 5 % en 2010 par rapport à 2009 : 358 800, en provenance d’Asie (45 %), d’Afrique (25 %), d’Europe (19 %). La diminution est de moitié depuis 2001. Les principaux pays de provenance sont : la Serbie-Kosovo, l’Afghanistan, la Chine, l’Irak et la Russie. La France est au deuxième rang derrière les États Unis. De nombreux pays en développement comme la Tunisie, le Libéria et l’Égypte sont aussi des pays d’accueil importants.
[3] – Directive du Conseil du 29 avril 2004, dite « qualification », elle a fait l’objet d’une refonte par la directive du 13 décembre 2011.
– Directive du Conseil du 1er décembre 2005 dite « procédure ». Elle fait l’objet d’un refonte.
– Directive du Parlement dite « retour » du 18 juin 2008.
[4] Sur les relations entre citoyenneté et droit d’asile on pourra se reporter aux deux « Que sais-je ? » aux PUF : Anicet Le Pors, La citoyenneté , (4ème éd.) et Le droit d’asile, (4ème éd.), 2011.
[5] Cécile Rousseau et Patria Foxen, « Le mythe du réfugié menteur : un mensonge indispensable ? », L’évolution psychiatrique, août 2006.