La consultation, démocratie sociale ? –

« La consultation dans la décision administrative » – Les Cahiers de la Fonction publique, mars 2012, n° 320

La consultation n’est pas démocratique par nature. C’est souvent un acte unilatéral ou marqué par l’inégalité des partenaires. On peut en discuter lorsqu’il s’agit d’une consultation juridique ou médicale par laquelle le consultant espère bénéficier, contre rémunération, des connaissances ou du talent du consulté. Dans la prise de décision sociale, elle consacre généralement la supériorité du consultant lorsqu’il lui est seulement fait obligation de recueillir l’avis du consulté (comité d’entreprise, conseil supérieur de la fonction publique), ce qui peut se réduire à une simple formalité qu’il peut exécuter avec une certaine condescendance. Sans doute, s’agissant de démocratie sociale, les choses sont-elles moins caricaturales et les deux parties peuvent tirer avantage de la consultation. Dans ce cas, on parlera plus volontiers de concertation ou de négociation. Mais il n’y a aucune raison que l’échange soit égal. L’asymétrie est le propre des relations sociales et la consultation en exprime une forme extrême, elle s’inscrit généralement dans un rapport de forces.

la concertation

Dans le champ des relations sociales possibles, la consultation correspond au minimum démocratique admissible. Toutefois, ce minimum, lorsqu’il est rendu obligatoire par le règlement, est souvent regardé comme une contrainte encore excessive par le décideur qui se passerait bien de l’avis du consulté dont il est bien décidé par avance à ne tenir aucun compte. Si la consultation n’est pas obligatoire, alors elle peut être pour le dominant décideur, un moyen de prévenir un durcissement de la contradiction, d’accomplir un geste de charité démocratique dont pourra s’enorgueillir sa bonne conscience. À l’inverse, la consultation pourra, pour le sujet dominé, être le point de départ d’une confrontation susceptible de déboucher sur une négociation. L’avenir d’une consultation n’est donc pas écrit à l’avance et, en ce sens, la consultation s’inscrit dans la vie de la démocratie sociale.

le contexte

Or, on ne saurait parler de démocratie sociale de manière abstraite. Sa qualité est étroitement dépendante du moment historique et du contexte politique. À la fin de la guerre 1939-1945, le programme du Conseil national de la Résistance a imposé un cadre largement consensuel – et par là quelque peu socialement contraignant – à toute consultation ou négociation de l’époque. C’est dans ce contexte que le préambule de la Constitution de la IVe République – toujours composante du bloc de constitutionnalité – a pu prévoir que chacun avait le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi, que les travailleurs devaient avoir accès à la formation professionnelle, que leurs organisations syndicales pouvaient intervenir dans la gestion des entreprises, que le droit de grève reconnu pouvait s’exercer dans le cadre des lois qui le réglementent. Cette période et les règles qui y ont été produites gardent aujourd’hui une force symbolique que bien peu se hasarderaient à contester quand bien même elles sont largement ignorées. Un contexte moins dramatique mais néanmoins potentiellement réformateur s’est présenté au début des années 1980 avec l’alternance permettant l’accès au pouvoir du président François Mitterrand et d’une majorité nouvelle. Celle-ci était porteuse d’un ensemble de propositions de transformation sociale muries sur une décennie dans le cadre du Programme de gouvernement de la gauche puis des propositions du nouveau président élu. On sait les réformes importantes qui ont été réalisées alors, notamment entre 1981 et 1984. Durant cette période, au-delà de la consultation, c’est le plus souvent à de très larges concertations que les pouvoirs publics, mais aussi les entreprises publiques et privées, ont eu recours pour mettre en place ces réformes, que les personnels aient été dans une position statutaire ou contractuelle. On se bornera ici à rappeler la loi de démocratisation du secteur public de juillet 1983, consécutive à l’élargissement du secteur par les nationalisations de février 1982, les lois Auroux qui se sont échelonnées de 1982 à 1984, les transformations statutaires dans la fonction publique sur lesquelles on reviendra. Tout autre est la nature de la consultation annoncée par le président Nicolas Sarkozy dans ses vœux du Nouvel an 2012 et qui s’est tenue avec les principales confédérations syndicales le 19 janvier. Il s’agissait alors d’accomplir un acte susceptible de prouver la préoccupation sociale du pouvoir exécutif sans l’engager au-delà de ce qu’il avait préalablement décidé. La plupart des syndicats, hostiles à ces décisions, ont cependant trouvé là l’occasion de se manifester médiatiquement, à défaut de pouvoir réaliser une mobilisation des salariés qui aurait pu contraindre le pouvoir à une véritable négociation. La médiatisation valorise aujourd’hui la consultation indépendamment de tout contenu, pourvu qu’elle soit de nature à retenir l’attention de l’opinion publique. La communication prend ainsi la place de la négociation, il s’agit d’une véritable perversion de la démocratie sociale.

Non seulement le contexte est important, il faut aussi, comme le disait un ancien dirigeant syndical, « du grain à moudre ». Il y avait beaucoup à construire aussi bien en 1945 qu’en 1981. Aujourd’hui, consultation et concertation ne peuvent s’appliquer qu’à une gestion de la pénurie dans la crise, ce qui est bien moins stimulant pour tous les acteurs. Telle a été la situation dans les périodes précédemment considérées de la Libération et de l’avènement de la gauche au pouvoir au début des années 1980. Si l’on prend l’exemple de la fonction publique, le travail accompli de 1981 à 1984 peut être résumé en une douzaine de lois et près d’une centaine de décrets réglementaires. Mais il est plus intéressant de s’attarder sur la procédure qui a conduit à cette élaboration qui a fait la plus grande place à la consultation et à la négociation conduisant à une concertation imparfaite mais réelle. Dès les premières semaines qui ont suivi la constitution du nouveau gouvernement ont été mis en place les instruments permettant l’expression des fonctionnaires et l’intervention de leurs organisations syndicales. C’est par la voie de simples circulaires qu’a été autorisée au cours de l’été 1981 l’utilisation des locaux administratifs pour tenir des réunions de personnels, qu’avant même tous réforme de leur fonctionnement, les comités techniques paritaires ont été régénérés avec la capacité rappelée d’intervenir dans la gestion des services, de constituer de véritables points d’appui d’autogestion administrative. Un très grand nombre de rapports ont été commandés à des personnalités qualifiées pour éclairer la réflexion sur les réformes attendues (contractuels, égalité femmes-hommes, droit syndical, informatisation, culture, sport, etc.). Sans attendre la création d’un nouveau statut général des fonctionnaires « à trois versants » englobant les fonctions publiques de l’État , territoriale et hospitalière ; des décrets importants ont anticipé les élaborations législatives. C’est ainsi qu’un train de décrets du 28 mai 1982, significatifs de la démarche, portant sur le conseil supérieur de la fonction publique, les commissions administratives paritaires, les comités techniques paritaires, les comités d’hygiène et de sécurité, le droit syndical. Il est possible d’affirmer sans risque d’être contredit que ces réformes ont donné lieu à une concultation-concertation sans précédent, la vocation des organisations syndicales à la négociation avec les autorités administratives ayant été formellement reconnue par le statut général. Il est tout autant nécessaire de tirer les enseignements de ce type d’expérience au regard du thème de la démocratie sociale. En premier lieu, l’importance du temps consacré aux consultations a parfois nui à l’efficacité de la réforme et réduit leur caractère novateur, le contexte politique évoluant vers moins d’audace et plus de rigueur. En deuxième lieu, les mentalités et les habitudes antérieures ont perduré dans le nouveau contexte,, obligeant à respecter certains des rites observés dans les discussions antérieures. En troisième lieu, la position statutaire et réglementaire des fonctionnaires conserve avec une certaine vivacité le principe hiérarchique qui a longtemps prévalu dans leur histoire, ce qui confère aux discussions entre personnels et autorités administratives un caractère faussement contractuel sous forme, par exemple, de relevés de conclusions auxquels seuls la loi et le décret donnent force juridique. Quoi qu’il en soit, les acteurs de la période : membres du cabinet ministériel, hauts fonctionnaires, représentants syndicaux, agents des bureaux concernés gardent du travail alors accompli un souvenir positif.

ses contradictions

Certaines contradictions du fonctionnement de la démocratie sociale sur la base de la consultation méritent une attention particulière. On les évoquera à propos de trois exemples. Premier exemple, l’introduction de l’heure mensuelle d’information syndicale par le décret sur le droit syndical du 28 mai 1982. Il est habituel au sein du mouvement syndical français et bien au-delà de penser que le fait précède toujours le droit. Certes, en l’espèce, les réformes réalisées durant la période considérée étaient bien la conséquence d’un changement politique qui lui-même avait muri pendant au moins une décennie de luttes contre l’ordre existant. Néanmoins il n’y a entre ces facteurs aucune relation mécanique. Une enquête réalisée au printemps 1984 a, en effet, révélé que seule une très faible minorité d’agents utilisait cette heure d’information et de consultation et il est probable que ce recours reste encore aujourd’hui très minoritaire. Deuxième exemple, la création de la troisième voie d’accès à lÉcole nationale d’administration réservée, par un concours spécial avec débouchés dans tous les corps à des syndicalistes, des élus, des dirigeants d’associations réunissant certaines conditions. Cette réforme avait suscité de vives inquiétudes dans la haute fonction publique et de la part de l’association des anciens élèves de l’ÉNA. La discussion avec ses représentants avait permis d’obtenir leur consentement. Ils se sont heurtés alors à une opposition de caractère politique qui a conduit à leur disgrâce. La troisième voie a été supprimée en 1987 et remplacée par un troisième concours qui banalise le critère de provenance du secteur public ou associatif des candidats. Troisième exemple, une très longue concertation avec des organisations syndicales, justement méfiantes, sur la réglementation du droit de grève dans les services publics a abouti à la loi du 19 octobre 1982. Cette loi prévoyait l’instauration d’un préavis de cinq jours avant le début d’un arrêt de travail, période de cinq jours pendant laquelle les parties étaient tenues de négocier. Par ailleurs, une certaine proportionnalité était introduite entre la durée de l’arrêt de travail et le prélèvement correspondant sur salaire. Cette loi a été abrogée en quelques minutes, également en 1987, par un « amendement Lamassourre » dans le cadre de la discussion d’un projet de loi relatif à diverses dispositions d’ordre social, évidemment sans consultation du Conseil d’État, du Conseil supérieur de la fonction publique, ni aucune autre consultation, contrairement à ce qui avait eu lieu précédemment à son adoption. Depuis, les organisations syndicales ont bien été consultées en 2006 par un groupe de travail sur l’introduction d’un service minimum dans les transports terrestres de voyageurs, sans aucun effet sur la loi adoptée sur le sujet et aujourd’hui étendue au transport aérien. Ces exemples montrent les limites d’une consultation qui ne s’inscrit pas dans un contexte de transformation sociale et l’instrumentalisation dont elle peut être l’objet.

la consultation référendaire

La consultation participe bien, malgré ses limites, de la démocratie sociale et de la démocratie en général. Elle est un élément de base de la démocratie directe et de sa version à la mode, la démocratie participative. Elle est également présente dans l’exercice de la démocratie représentative, le Parlement consultant et étant consulté sous des formes diverses. Mais la consultation par excellence est la consultation référendaire fort prisée dans l’actualité. La Constitution de 1946 ne retenait le référendum qu’en matière constitutionnelle. La Constitution de 1958 le prévoit en deux dispositions : en matière d’organisation des pouvoirs publics, de réformes relatives à la politique économique ou sociale, de ratification des traités (Art. 11, dont le champ a été élargi en 1995) et en matière constitutionnelle (Art. 89). Par ailleurs, la loi du 6 février 1992 a institué un « référendum communal », demeuré de faible portée. La loi de décentralisation du 28 mars 2003 a prévu que ce référendum pouvait, dans certains cas, être décisionnaire. Enfin, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit la possibilité pour un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des électeurs inscrits, de demander la tenue d’un référendum sur l’un des sujets prévus dans l’article 11. Bien que les référendums sur le traité de Maastricht en 1992 et celui sur le projet de traité établissant une constitution pour l’Europe, mis en échec le 29mai 2005, aient été l’occasion de débats importants, il reste que, depuis 1793, seulement trois référendums sur vingt-quatre ont dit « non » à ceux qui les ont organisés. Consultation par excellence, le recours au référendum relève ainsi le plus souvent d’un pouvoir exécutif autoritaire à tendance plébiscitaire. Corrélativement, il dévoie le débat en le conduisant le plus souvent à s’écarter de la question posée – vote contre un homme ou une politique. Appelant une réponse binaire, il est peu approprié au traitement de questions complexes. Il doit donc être strictement limité aux matières constitutionnelles proprement dites. Sinon, comme l’écrit le professeur Olivier Duhamel : « Le référendum peut être liberticide, les Bonaparte en ont apporté la preuve ».

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