La dynamique de la Fonction publique territoriale
– Trente ans après sa publication, quel regard portez-vous sur l’application de la loi du 26 janvier 1984 ?
La réforme de 1983-1984 a fait des agents publics des fonctionnaires à part entière, leur conférant une dignité qui leur était contestée jusque-là. Il convient en effet de se souvenir qu’en 1981 il y avait environ 800 000 agents publics des collectivités locales, essentiellement ce qu’on appelait des « communaux », beaucoup de contractuels, organises dans un système de fonction publique « d’emploi » en 130 cadres-types plus une multitude de cadres spécifiques, le tout dans un grand désordre et avec une faible mobilité. C’est le système « de la carrière », beaucoup plus rationnel et présentant de meilleures garanties qui a été généralisé pour tous les fonctionnaires. Les nouveaux fonctionnaires territoriaux ont ainsi pu bénéficier de tous les acquis du statut général des fonctionnaires de 1946 et de ceux mis en place par la loi du 13 juillet 1983 qui, avec la loi du 26 janvier 1984, constitue leur statut.
Cette construction statutaire est toujours debout, mais elle a été profondément dénaturée, notamment par la loi Galland du 13 juillet 1987 qui a changé les corps de fonctionnaires territoriaux en cadres, nuisant ainsi à la mobilité, réintroduit la liste d’aptitude et le système des « reçus-collés » pour les recrutements, élargi le champ des contractuels (17 % actuellement). Plus généralement le statut dans son ensemble a subi 210 modifications législatives et plus de 300 réglementaires et c’est la fonction publique territoriale qui a été la plus touchée : 78 modifications qui sont, presque toutes, des dénaturations. C’est ce qu’un président de section du Conseil d’État a appelé des « transformations souterraines » d’une « réforme qui avance masquée ». Par ailleurs, l’ « idéologie managériale » a sensiblement imprégné la gestion des collectivités territoriales, mais celles-ci ont aussi constitué un contrepouvoir limitant les effets des politiques d’austérité sur les services publics locaux et la loi du 26 janvier 1984 a contribué, jouant le rôle d’un « amortisseur social » dans la crise.
– Selon Jean-Marc Ayrault, « le statut des agents publics est la condition de la réforme de l’État et des collectivité ». Qu’en pensez-vous ?
Le Premier ministre a fait à Metz, le 23 janvier, une forte déclaration au soutien de la conception française du service public et du statut général des fonctionnaires. Il faut en prendre acte très positivement car une telle attitude tranche avec les déclarations des gouvernants du quinquennat précédent, et notamment avec le discours de Nicolas Sarkozy du 19 septembre 2007 qui appelait à un « révolution culturelle » dans la fonction publique qui équivalait à son démantèlement et à la disparition du statut. Cela dit, il serait bien de ne pas s’en tenir à cette déclaration de principe et, d’une part d’assainir la situation en revenant sur les dénaturations du statut des trente dernières années, d’autre part en engageant des chantiers structurels permettant une réelle modernisation de la fonction publique et une amélioration de la situation matérielle et morale des fonctionnaires. Espérons que la concertation qui est engagée avec les organisations syndicales y parviendra.
– Quels sont, selon vous, les défis que devra relever la fonction publique territoriale dans les trente prochaines années ?
Beaucoup de ces défis sont communs aux trois fonctions publiques et tiennent à l’évolution des besoins en services publics, à l’évolution des technologies, au contexte politique national et international car j’ai la conviction que le XXI° siècle peut et doit être l’ « âge d’or » du service public. Plus concrètement je pense qu’il faudrait mettre en place à moyen et long terme : mettre en place une gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences, donner une traduction juridique plus satisfaisante à la garantie fondamentale de mobilité, favoriser les multi-carrières, encourager l’égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs, etc. Dans ce mouvement d’ensemble aucune fonction publique ne peut prétendre être « l’avant garde » des autres ; mais la fonction publique territoriale, par sa diversité, ses potentiels, son pragmatisme, sa proximité aux besoins des populations peut apporter une contribution d’une grande richesse.