Le droit d’asile – La Lettre – revue des amis de l’ACCE

Entretien avec Anicet Le Pors

Ex-juge à la Cour Nationale du droit d’asile[1]

Copie de Droit-d-asile2-CouvertureSur le huit premiers mois de 2015, les migrants se pressant aux frontières de l’Europe, seraient selon l’agence Frontex[2], deux fois plus nombreux que sur l’ensemble de l’année 2014, soit quelque 500 000 personnes. Leur arrivée, parsemée pour nombre d’entre eux de drames épouvantables, leur présence et leur prise en charge ont fait voler en éclats toute politique européenne en la matière. La pression migratoire a mis en évidence les contradictions des différents pays de l’Union et placé sous la lumière des projecteurs les notions de « migrants économiques »et de « demandeurs d’asile ».

Dans notre mémoire collective juive, cette crise de l’asile nous rappelle la tragédie des réfugiés juifs refoulés aux frontières de nombre de pays européens, dans les années qui ont précédé la seconde guerre mondiale.

Anicet Le Pors a bien voulu répondre à nos questions.

La Lettre : à qui s’applique le droit d’asile ?

ALP : en France la déclaration des droits de l’homme de 1789 fait figurer la résiste à l’oppression comme un droit imprescriptible, et la constitution de 1946 dans son préambule retient que  « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Au niveau international la Convention de Genève de 1951 signée à ce jour par quelque 150 Etats demeure le texte de référence. Elle permet à tout individu faisant l’objet de persécutions de bénéficier de ce droit dans certaines limites.  Toutefois, l’application de ce principe demeure du ressort de l’Etat concerné par l’accueil.

La Lettre : avec les événements actuels n’assiste-t-on pas un changement d’échelle qui questionne les limites de l’accueil des demandeurs d’asile ?

ALP : dès la fin des années 1930, la France, pour ne citer qu’elle, a connu des afflux massifs de réfugiés, près d’un million à l’époque, de personnes fuyant les dictatures. Alors que sa population comptait moins de 40 millions de personnes. Toutefois il est clair que dans les périodes de crise comme celle que nous traversons, l’opinion est beaucoup plus réticente à cet accueil, d’autant que certains milieux politiques attisent les appréhensions à l’égard des migrants.

La Lettre : si l’on s’en tient aux seuls demandeurs d’asile comment jugez-vous la position de la France, pays des droits de l’homme ?

ALP : à mon grand regret, nos gouvernants n’ont pas eu le courage des propos d’Angela Merkel. La constitution de 1793 proclame pourtant que « Le peuple français….donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté… Il le refuse aux tyrans. »

La position économique dominante et l’état démographique de l’Allemagne l’encouragent à les traduire sur le terrain politique. On a pu le constater à l’occasion de la crise grecque et aujourd’hui avec l’accueil proposé aux réfugiés. L’Allemagne a longtemps fait prévaloir le droit du sang sur le droit du sol, les immigrés accueillis n’ayant pas réellement vocation à s’intégrer dans la population native, en particulier, par des mariages mixtes. On le voit avec l’importante population turque.

A l’inverse en France l’immigration a toujours été vue comme devant mener à l’intégration, voire à l’assimilation, c’est-à-dire à la fusion complète des populations présentes sur le territoire. Oui, l’opinion est réticente, mais c’est cela une volonté politique : être capable au besoin d’agir contre l’opinion.

La Lettre : comment expliquer les disparités de l’application du droit d’asile dans les différents pays de l’Union Européenne ?

ALP : d’abord parce que les pays européens se sont révélés incapables de mettre en place un régime d’asile européen commun, pourtant prévu et annoncé en 2004. Par exemple ils n’arrivent même pas à se mettre d’accord sur une liste de « pays d’origine sûrs » qui justifierait une procédure accélérée de l’instruction de la demande d’asile. Ensuite, parce que l’Union européenne est en crise (Grèce, Ukraine…). Enfin parce que les différents pays de l’Union n’ont ni les mêmes intérêts, ni les mêmes histoires, ni les mêmes cultures. Cela conduit à des attitudes d’opportunisme et à des réactions nationalistes.

La Lettre : la réforme en cours du droit d’asile en France est-elle de nature à apporter des améliorations ?

ALP : elle comporte des aspects positifs tel la présence d’une personne pouvant conseiller le demandeur lors de son entretien à l’OFPRA,[3] une prise de décision dans un délai plus court, l’augmentation annoncée du nombre de places d’accueil en Cada[4] etc…Mais il y a aussi des côtés inquiétants: la réduction des délais paraît difficile dans le respect d’une enquête scrupuleuse. Cette rapidité pousse ainsi à l’augmentation des décisions prises par un juge unique. Certes, chaque juge est détenteur d’une parcelle de souveraineté nationale mais il peut l’exercer de façon dogmatique ou compréhensive.

La Lettre : certains commentateurs font plus ou moins implicitement, référence à « un seuil de tolérance » au-delà duquel l’accueil d’étrangers ne serait plus possible. Que pensez-vous de ce type de prise de position ?

ALP : cette notion avait déjà été mise en avant par François Mitterrand en 1989. Il avait déclaré que « le seuil de tolérance des Français à l’égard des étrangers avait été atteint dans les années 1970 ».

Les flux de migrants, malgré leur importance, ne représentent qu’une très faible proportion des populations des pays d’accueil. Cette notion est un produit de la crise idéologique et morale dans laquelle nous nous trouvons.

[1] Ministre sous le premier septennat de François Mitterand, il a été juge à la Cour Nationale de droit d’asile de 2001 à 2014. Fondateur de l’Association française des juges d’asile.

[2] Agence européenne chargée des frontières extérieures de l’espace Schengen.

[3] Office français pour la protection des réfugiés et apatrides

[4] Centre d’accueil des demandeurs d’asile ; hébergement durant le temps d’examen de leur demande

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