Action publique 2022 : Quel avenir pour la fonction publique territoriale ?
Le service public et la fonction publique semblent faire l’objet d’un véritable négationnisme significatif, ces mots sont bannis des qualifications des ministres qui en sont en charge, voulantaccréditer par là que les fonctions publiques se réduisent à des coûts pour la collectivité – a, au début de ce quinquennat, été caractérisée par la mise en place du Comité action publique 22 (CAP22) lancé le 13 octobre 2017 par le Premier ministre Édouard Philippe. Il a pu alors apparaitre comme une « machine de guerre » contre le service public[1]. Mais il pouvait aussi être considéré comme un leurre destiné à accréditer l’idée d’un chantier sérieux parce que complexe. Car Emmanuel Macron n’avait nul besoin de ce comité pour savoir ce qu’il entendait faire des personnels sous statuts : promouvoir le contrat contre la loi. À cette incertitude s’est ajoutée une suite de confrontations entre l’exécutif et les associations représentatives des collectivités territoriales. Tous ces éléments rendent incertaines les interrogations sur l’avenir de la fonction publique territoriale (FPT).
Une démarche chaotique
En ce qui concerne la fonction publique, CAP22, qui se veut animer une réforme de l’État, s’inscrit dans la filiation d’une succession de tentatives de même nature destinées à contester le statut dans ses principes et son champ d’application. La loi Galland du 13 juillet 1987 dénature les dispositions de la fonction publique territoriale (conversion des corps en cadres, restauration de la pratique des « reçus-collés » dans les concours). En 2003, après la cohabitation Chirac-Jospin, le rapport annuel du Conseil d’État (dit rapport de Marcel Pochard) préconise de faire du contrat « une source autonome du droit » de la fonction publique. Nicolas Sarkozy le 19 septembre 2007 appelle la fonction publique à une « révolution culturelle » par le développement du « contrat de droit privé négocié de gré à gré » ; à cet effet, le Livre blanc que lui a remis en avril 2008 Jean-Ludovic Silicani contenait nombre de mesures qui n’ont pu être mises en œuvre en raison de la crise financière, le service public apparaissant alors comme un « amortisseur social » dans la crise. On notera, pour mémoire, pendant le quinquennat de François Hollande, le rapport de Bernard Pêcheur en 2013, la loi Lebranchu en avril 2016 et le rapport demandé par le Premier ministre Manuel Valls au Conseil économique social et environnemental (CESE) rendu public en janvier 2017, de faible portée. La filiation est donc très claire. Mais si des offensives frontales ont ainsi été tentées, ce sont surtout des « transformations souterraines » qui ont affecté le statut général des fonctionnaires : en 30 ans 225 modifications législatives (dont 4 pour la seule loi du 26 janvier 1984 sur la fonction publique territoriale).
La ligne directrice suivie aujourd’hui par le gouvernement est celle initiée par le rapport Pochard précité. Durant la campagne des présidentielles, Emmanuel Macron a jugé le statut général des fonctionnaires « inapproprié ». En août 2017, après son élection il a stigmatisé les insiders (profiteurs d’un système) les personnels à statuts[2]. Dans une lettre aux ministres, le 13 octobre, Édouard Philippe a annoncé l’opération CAP22, Elle indique que des missions de service public pourront être abandonnées, d’aitres transférées au privé. L’opération comporte une succession de comités interministériels, l’étude de 21 chantiers et de 5 actions transversales, la mise en place d’un forum d’expression en ligne, et surtout un comité de 34 membres la moitié énarques, de nombreux dirigeants d’entreprises et de start up, chargé de lui remettre un rapport fin mars 2018. Le comité a bénéficié d’un crédit de 700 mimions d’euros sur le quinquennat pour conduire la réforme. Dans le même temps, après la réforme du code du travail, ést engagée la réforme de la SNCF et la suppression du statut des cheminots. S’engageait ainsi la croisade contre les statuts dont la montée en puissance devait conduire à imposer le contrat de droit privé individuel comme référence sociale majeure aussi bien pour le privé que pour le public, et à remettre en cause notamment le statut général des fonctionnaires dont les agents représentent 20% de la population active du pays.
Cependant, dès le 1er février 2018, le Premier ministre, )à l’occasion d’un premier comité interministériel de transformation publique (CITP) fait des annonces substantielles, sans rapport avec l’opération CAP22 : recrutements importants de contractuels, plans de départs volontaires, rémunérations au mérite, etc., sans en préciser toutefois les modalités. Le rapport attendu ne paraitra pas fin mars, ni les mois suivants, jusqu’en juillet où le gouvernement fait savoir que ce rapport CAP22 qui devait opérer la synthèse de tout le dispositif ne serait pas publié et qu’il n’y serait fait référence qu’au fur et à mesure des décisions prises. Mais quelques semaines plus tard un rapport émerge de source inconnue mais par une voie syndicale et est diffusé comme rapport du CAC22. Il sera très peu commenté. La fonction publique n’est pas retenue en septembre comme l’une des réformes prioritaires du gouvernement en 2019. Un deuxième CITP a lieu le 29 octobre 2018 à l’occasion duquel sont faites des annonces qui confirment et prolongent celles du premier CITP. Puis on apprend qu’un projet de loi sur la fonction publique serait inscrit pour être soumis au Parlement en 2019 après les élections européennes. Pendant ce temps tous les syndicats se plaignent d’un manque de véritable négociation. Une grande incertitude pesait donc alors sur l’opération CAP22 qui prétendait proposer à l’origine une approche « radicalement différente » de la réforme de la fonction publique par rapport à ce qui avait été fait antérieurement.
Des options confuses
Nous disposons donc aujourd’hui pour être informé sur l’action publique envisagée dans la fonction publique (les déclarations gouvernementales font principalement référence à la fonction publique de l’État, mais elles s’étendront mécaniquement aux trois versants) du rapport apocryphe CAP22 et des conclusions des deux réunions interministérielles. On n’évoquera donc que pour mémoire CAP22 abandonné par ceux-là mêmes qui l’avaient érigé en pièce maitresse de leurs réforme. Rapport médiocre aussi bien dans la forme dominée par son style managérial de l’entreprise privée, que dans le fond nettement en-deçà de ce qui a été annoncé début février et fin octobre. C’est la première fois que je vois une entreprise gouvernementale se saborder aussi spectaculairement. Cette médiocrité ou le caractère ostentatoirement libéral du texte sont-elles les raisons de l’abandon du texte par le gouvernement ? Quoi qu’il en soit c’est un fiasco.
Le gouvernement s’est donc finalement décidé, à convoquer, le 29 octobre 2018, un deuxième comité interministériel de la transformation publique (CITP). Le discours est centré sur la fonction publique de l’État, mais il concerne en fait l’ensemble des trois versants. Le journal Le Monde a souligné cet « aboutissement laborieux » du « plan » du gouvernement[3]. Il note que le CITP s’est réuni avec « six mois de retard », qu’il n’est pas fait de référence au rapport lui-même, mais seulement aux « travaux de CAP22 » assurant que les trois quarts des préconisations ont été prises en compte sans que l’on puisse vérifier l’assertion. Il évoque l’« agenda perturbé » de l’exécutif. Il se borne à relever que la « concertation » lancée en février sur la réforme de la fonction publique « suit son cours, mais pour le reste rien ne s’est passé comme prévu »… « Le rapport CAP22 a fini par fuiter dans la presse en plein cœur de l’été, tandis que le gouvernement cherchait par tous les moyens à l’enterrer ». Une démarche non maitrisée donc, et dont les formulations n’apportent que peu de précisions par rapport à celles qui avaient été faites en février et semblent n’avoir aucun lien avec le texte apocryphe paru en juillet. Cette analyse journalistique converge donc tout à fait avec nos propres analyses formulées depuis février dernier. On peut ainsi résumer les principales rubriques du propos gouvernemental.
Un recrutement massif de contractuels est ainsi à nouveau réaffirmé sans beaucoup plus de précision, le statut législatif (et par là la qualité de fonctionnaire) ne couvrirait plus que les fonctions régaliennes. Les passerelles entre le public et le privé seraient multipliées, entrainant la possibilité donnée aux fonctionnaires de passer dans le privé par la voie du détachement. Par analogie avec l’armée, on évoque la possibilité de contrats de cinq, dix ou quinze ans.
Des plans de départs volontaires seraient établis sans que les circonstances de leur création soient mentionnées, sinon que l‘indemnités de départ volontaire (IDV) – qui existe au demeurant depuis 2008 sans grand succès – serait rendue plus attractive (pouvant s’élever à 24 mois de salaire sans qu’on en connaisse les conditions, avec en plus, un accès à l’assurance chômage). Une agence de reconversion, sur le modèle de « Défense mobilité » dans l’armée, serait créée avec une dotation de 50 millions d’euros.
Est annoncé à nouveau une forte augmentation de la part variable dans les rémunérations, sans autre précision.
Un certain nombre de propositions disparates s’inscrivent dans l’objectif répété de réduction de la dépense publique (de trois points de produit intérieur brut –PIB- d’ici à 2022) sans que soient évoquées d’études d’impact à leur sujet : développement de la polyvalence des fonctionnaires, généralisation de la numérisation, réduction des actes réglementaires et administratifs, déconcentration de la gestion, création de start-up d’État, rétablissement du jour de carence en cas de grossesse. Mais s’il est demandé aux fonctionnaires davantage … d’agilité il n’est jamais question de la formation historique de la conception française du service public et de la fonction publique, des nécessaire fondements scientifiques de l’action publique et de la définition de l’efficacité sociale, de la morale républicaine que fondent des principes indispensables aux fondements d’une administration impartiale et de fonctionnaires intègres.
Quelles perspectives ?
Toute politique publique ne peut être appréciée qu’au regard du contexte dans lequel elle est exprimée et où elle a vocation à être mise en œuvre. Il est évident que le contexte s’est dégradé depuis l’automne 2017 ce qui explique sans doute les difficultés rencontrées par la politique gouvernementale à être tout simplement formulée, a fortiori mise en œuvre. L’accusation de « président des riches » portée à l’encontre du Président de la République s’est largement déployée dans l’opinion publique ; l’affaire Benalla qui a conduit à la suspension de l’examen de a réforme constitutionnelle peut avoir de lourdes conséquences sur la conduite de la réforme de l’État et de la fonction publique. Bref, le temps ne travaille pas pour l’exécutif dans la perspective des élections européennes en 2019 et municipales en 2020[4].
Pour toutes les raisons exposées (échecs des prédécesseurs, démarche chaotique, rapport attribué médiocre, options imprécises, contexte dégradé), un échec du Président de la République est aujourd’hui possible sinon prévisible. La réforme dite de l’État, de la fonction publique et du statut général des fonctionnaires qui devait être bouclée au Parlement avant la fin 2018, a été reportée à la fin du premier semestre 2019, au moment des élections européennes et à un an des élections municipales alors que les associations d’élus locaux manifestent une opposition résolue au président. Dans l’immédiat, on notera la faiblesse relative des décisions prises en application des engagements présidentiels : réduction seulement de 6 000 emplois de fonctionnaires de l’État sur deux ans (sur un engagement de 50 000 pour le quinquennat dans la fonction publique de l’État et 70 000 dans la fonction publique territoriale), réduction des 3 points du taux de la dépense publique par rapport au produit intérieur brut (PIB, actuellement 57%) et de 1 point du taux des prélèvements obligatoires (actuellement 45% du PIB en hausse au-delà de 1 000 milliards d’euros en valeur absolue). Les enquêtes montrent que les Français conservent majoritairement une bonne opinion des services publics et des fonctionnaires. Et on ne saurait exclure un développement du mouvement revendicatif. Dans ces conditions, on peut penser que le gouvernement n’engagera pas d’offensive frontale, mais qu’il poursuivra une politique de transformations souterraines avec pour effet un « mitage » du statut général des fonctionnaires. Il agira également par voie de décrets lorsque cela sera possible. Par ailleurs, la réforme envisagée des retraites concernera aussi les fonctionnaires. Quel pourrait alors être l’attitude des centres départementaux de gestion sur la base des résolutions de son congrès de La Baule (mutualisation, centre de coordination, aménagement du recrutement de contractuels, etc.) ?
Ainsi, les évolutions récentes ne contredisent pas les tendances lourdes de l’expansion pluriséculaire de l’administration. Celle-ci tient tout d’abord à la sécularisation du pouvoir politique depuis la fin du Moyen Âge conduisant à une autonomisation de l’appareil d’État. C’est ensuite une socialisation des financements des besoins fondamentaux et de la cohésion sociale entrainant une croissance du nombre des agents publics., la France n’étant pas à cet égard en position atypique Enfin, c’est une maturation et une théorisation de concepts et de principes : intérêt général, service public, fonction publique[5]. Ce constat des tendances lourdes qu’aucun gouvernement n’est parvenu à inverser entraine l’obligation d’en assurer la perpétuation en mettant en place les chantiers de la modernisation du service public et de la fonction publique : la gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences, l’organisation de multi-carrières, la circonscription du recours aux contractuels, l’égalité femmes-hommes, le développement d’un dialogue social authentique, la gestion du numérique, l’essor de relations internationales entre services publiques, etc. Ces chantiers sont étroitement liés à deux autres actions publiques majeures : la restauration de la propriété publique industrielle et financière, la définition d’un statut législatif .des travailleurs salariés du secteur privé[6].
Cette problématique doit être placée dans le contexte systémique actuel d’une décomposition sociale profonde, au sein d’une « métamorphose » selon l’expression d’Edgard Morin[7]. Il s’agit d’une transition entre un XXe siècle « prométhéen » et un XXIe siècle encore largement indéterminé. Pour certain le capitalisme l’aurait définitivement emporté, le néolibéralisme serait un horizon indépassable, ce serai la « fin de l’histoire » selon l’auteur américain Francis Fukuyama. L’affaissement idéologique de ces tenants du vieux monde prend, en France, la forme d’une interrogation récurrente : qu’est-ce que le macronisme ? Or, la nouvelle civilisation apparaît déjà comme celle des interdépendances, des interconnections, des coopérations, des solidarités qui se traduisent en France par la notion de service public. Il y a là, la perspective d’un « âge d’or »’ du service public[8]. Il faut donc tourner le dos à ce conformisme qu’est la fatalité et réfléchir à la stratégie des temps nouveaux.
[1] 1Anicet Le Pors, « Une machine de guerre contre le service public », l’Humanité, 3-4-6 novembre 2017.
[2] Le POINT, 31 août 2017.
[3] « L’exécutif lève le voile sur sa réforme de l’État », Le Monde, 30 octobre 2018
[4] Anicet Le Pors, « Emmanuel Macron : cet homme est dangereux », Mediapart, 5 mai 2017.
[5] Anicet Le Pors, « Les fonctionnaire, voilà l’ennemi » Le Monde diplomatique, avril 2018 (cf. blog).
[6] Voir le détail des propositions faites à l’occasion de mon audition au CESE (cf. blog).
[7] Voir aussi Anicet Le Pors, Pendant la mue le serpent est aveugle, Albin Michel, 1993.
[8] Anicet Le Pors et Gérard Aschieri, La fonction publique du XXIe siècle, Éditions de l’Atelier, 2015.
Bonjour
Votre adresse électronique semble avoir changée, mais le courrier automatique redonne l’ancienne.
Pouvez-vous m’indiquer votre nouvelle adresse?
Bien cordialement
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