Conclusion
La situation actuelle de la CRR est le résultat d’une histoire chaotique marquée par le manque d’intérêt que lui ont porté les administrations et les autorités qui auraient du maîtriser son développement et veiller en permanence au strict respect de certains principes qui ont été finalement subordonnés à des préoccupations conjoncturelles, notamment la nécessité de faire face à deux reprises, au tournant des années 1980-1990 et dans la période 1999-2003 à de rapides croissances des demandes d’asile suivies de diminutions tout aussi fortes. On retrouve certes, de manière continue, la volonté de séparer les pouvoirs administratifs et juridiques, mais celle-ci cède devant les nécessités de l’heure, pour laisser la CRR dans une dépendance administrative, statutaire et budgétaire étroite vis-à-vis de l’établissement public dont elle contrôle les décisions.
Cette évolution débouche aujourd’hui sur un échec, tant en ce qui concerne la situation des personnels que l’efficacité du service public. Il se dégage de la consultation organisée au sein des personnels de la commission un malaise qui a son origine dans leur situation de « mise à la disposition » de la CRR par le directeur général de l’OFPRA. Les personnels de la CRR ont le sentiment, à tort ou à raison, d’être quelque peu défavorisés par rapport à leurs collègues en activité à l’OFPRA et de ne bénéficier d’aucun débouché en raison de leur enfermement dans une structure trop étroite. Les organisations syndicales rencontrent des difficultés pour traduire leurs aspirations, mais critiquent cette situation.
Pour autant cela ne devrait pas empêcher, même dans une situation de sévères restrictions budgétaires et malgré le peu d’intérêt manifesté par les administrations concernées, d’essayer de clarifier la situation et en premier lieu la notion floue de « mise à la disposition ». Un mandat ou une délégation de gestion seraient utiles pour normaliser la situation entre les deux établissements dans un climat de confiance rétabli. D’une manière ou d’une autre, l’hypothèque de la présence d’un très grand nombre de personnels non titulaires à la CRR (près de deux rapporteurs sur trois) en infraction du statut général des fonctionnaires, devrait être rapidement levée par leur titularisation. Enfin il est possible, dans tous les domaines, d’apporter des améliorations à la situation existante ; un premier recensement en a été réalisé.
Toutefois il ne s’agit là que de progrès inévitablement limités à système constant, ce qui ne constitue pas une hypothèse réaliste car plusieurs facteurs modifieront nécessairement l’état des lieux au cours des prochaines années. L’expédient consistant à recruter massivement des contractuels pour faire face à une croissance des demandes d’asile et à les renvoyer quelques mois plus tard, comme cela s’est produit en 2004-2005, n’est ni humainement admissible ni conforme à la loi ; cette pratique devrait être désormais totalement bannie et tout nouvel emploi de contractuel à la CRR récusé. En outre, si pour le moment les juridictions françaises et européennes n’ont pas jugé illégale la dépendance de la CRR vis-à-vis de l’OFPRA, il existe cependant une tendance forte à l’évolution de la jurisprudence en ce sens, que vient de conforter le plus récent avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) en faveur du rattachement de la CRR au Conseil d’État. Quand bien même la situation resterait ce qu’elle est, il s’agit d’une organisation qui ne peut que susciter la méfiance du justiciable. Par ailleurs, la mise en œuvre de la loi organique sur les lois de finances (LOLF) a révélé que la CRR n’était pas à sa place dans la configuration budgétaire retenue pour 2006 au sein d’un programme « Français à l’étranger et étrangers en France » sous une mission « Action extérieure de l’État » en raison de sa nature de juridiction administrative ; elle devra donc en changer. Enfin, tant la nécessité de professionnaliser les activités de la juridiction du droit d’asile que le principe de dualité des juridictions en vigueur dans notre pays vont dans le sens d’une affirmation plus autonome de la CRR à l’égard de l’administration.
Les solutions avancées au cours des vingt dernières années pour sortir d’une situation aussi peu satisfaisante ont généralement consisté à exiger une plus grande autonomie budgétaire vis-à-vis de l’OFPRA, ordonnateur des dépenses de l’ensemble OFPRA-CRR, généralement regardé comme une seule entité de gestion par le directeur général de l’OFPRA et le ministère des Affaires étrangères. Cette moindre dépendance a été revendiquée sous différentes formes : par la recherche d’une simple autonomie budgétaire dans le cadre existant où le président de la CRR aurait été reconnu ordonnateur secondaire des dépenses de la CRR ; par sa réalisation sous tutelle directe du ministère des Affaires étrangères, affranchie de celle de l’établissement public ; par le rattachement budgétaire au ministère de la Justice. Chacune de ces stratégies a laissé de côté la question statutaire. Elles ont toutes échoué, car la dépendance administrative, statutaire et budgétaire forme un tout. Dans ces conditions, s’impose à la lumière de l’expérience, la nécessité d’une solution résolument novatrice.
Le présent rapport a écarté la solution du transfert du contentieux du droit d’asile aux juridictions administratives de droit commun, tout comme celle conduisant à la constitution d’une juridiction du droit des étrangers qui engloberait celle de l’asile, car toutes deux méconnaîtraient la spécificité de la juridiction administrative du droit d’asile. La voie préconisée par ce rapport est le rattachement de la CRR au ministère de la Justice par l’intermédiaire du Conseil d’État. Elle s’articule autour de quatre réformes. En matière budgétaire, la CRR doit être incluse, pour une question d’indépendance et en raison de la spécificité de son activité juridictionnelle, dans le programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives », que celui-ci continue d’être placé sous la mission « Conseil ou contrôle de l’État » ou qu’il rejoigne la mission « Justice » au sein de laquelle se trouvent déjà les crédits de l’aide juridictionnelle. Statutairement, la titularisation dans les corps de la juridiction administrative doit être proposée aux fonctionnaires de la CRR, et les contractuels titularisés à cette occasion ; il serait souhaitable qu’elle intervienne dans le cadre d’une restructuration plus générale de la situation statutaire des agents des juridictions administratives englobant les personnels des greffes des TA et des CAA.
Dans cet ensemble considérablement élargi, la garantie fondamentale de mobilité trouverait de meilleures conditions de mise en œuvre. La spécificité de l’activité des rapporteurs de la CRR doit être reconnue dans le cadre d’un « statut d’emploi de rapporteur de la CRR », largement ouvert par voie de détachement à des agents de catégorie A d’autres ministères. Enfin, à défaut d’une gestion directe des quelque 1800 fonctionnaires des juridictions administratives par le Conseil d’État, à l’instar des magistrats déjà gérés par le Service des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (STACAA), un service à compétence nationale (SCN) pourrait être créé à cette fin dans les conditions prévues par le décret du 9 mai 1997.
Ainsi rénovée et restaurée dans sa dignité, la Commission des recours des réfugiés pourrait alors devenir la Cour administrative du droit d’asile .