Vous êtes auteur d’un rapport sur « La situation statutaire des personnels de la Commission des recours des réfugiés (CRR) » qui va bien au-delà de cette question pour analyser la dépendance de la CRR vis-à-vis de l’OFPRA. Quelles conséquences sur le droit d’asile ?
De 1953 à 1984, la CRR siégeait au Conseil d’État et ses rapporteurs étaient des auditeurs au Conseil, l’OFPRA ne pourvoyant qu’en personnel de secrétariat. La hausse de la demande d’asile de 1984 à 1991 a conduit à recruter des dizaines de contractuels qui ont été titularisés dans de nouveaux corps, tel celui des officiers de protection de l’OFPRA, ce qui a entraîné une dépendance administrative, statutaire et budgétaire croissante de la juridiction de l’asile, qu’est la CRR, vis-à-vis de l’établissement public dont elle contrôle les décisions, l’OFPRA. Situation malsaine, aggravée à l’occasion d’une nouvelle augmentation du nombre des demandeurs d’asile de 1996 à 2003.
De nombreux rapports ont dénoncé cette situation mettant en cause sa légalité. Les présidents successifs de la CRR n’ont cessé de réclamer au moins l’autonomie budgétaire de la CRR, en vain. En dernier lieu, le commissaire européen aux droits de l’homme Alvaro Gil-Robles a déploré « le fait qu’une juridiction ait son budget à l’intérieur de l’administration qu’elle contrôle ». Dans le même sens, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a adopté un avis, le 29 juin 2006, demandant « que soit reconnue l’indépendance de la CRR, conforme au principe d’indépendance de la juridiction administrative réaffirmé par le Conseil constitutionnel ». La France dans ces conditions risque fort de se voir condamnée prochainement par la Cour européenne des droits de l’homme pour contrevenir à l’exigence d’un « procès équitable » en matière de droit d’asile.
Un candidat à l’élection présidentielle propose la création d’un ministère de l’Immigration. Que pensez-vous de cette solution ?
La création d’un ministère de l’Immigration, appellerait inévitablement la constitution d’une juridiction unique chargée de l’ensemble du contentieux des étrangers sur la base juridique définie par le Code de l’entrée, du séjour et du droit d’asile (CESEDA) sur le modèle de la réforme intervenue en Belgique l’été dernier. Cette solution aurait pour avantage la cohérence juridique et pour effet de désengorger les tribunaux administratifs. Mais les inconvénients l’emporteraient en aggravant la confusion que nous vivons actuellement entre asile et immigration, en tirant les règles de l’asile vers celles plus restrictives de l’entrée, du séjour et de la reconduite à la frontière, c’est-à-dire de la police administrative. Le recours aux procédures dictées par le rendement serait encouragé : la spécialisation des juges au nom de la professionnalisation, l’accroissement des rejets par ordonnances qui représentent déjà 23 % des décisions de la CRR.
Dans le même esprit, le transfert aux juridictions administratives de droit commun du contentieux de l’asile aurait pour lui l’avantage de la simplicité et celui du recours à des professionnels qualifiés, mais il serait défavorable aux requérants par restriction de la procédure orale, banaliserait le droit d’asile au sein du droit des étrangers, remettrait en cause la place du HCR dans les formations de jugement et conduirait à un allongement considérable des délais.
Vous préconisez finalement le rattachement de la CRR au ministère de la Justice par l’intermédiaire du Conseil d’État. Selon quelles modalités ?
Ce serait un retour aux sources qui ne remettrait pas en cause la composition des formations de jugement telle qu’elle existe aujourd’hui. La solution préconisée par mon rapport s’analyse en quatre réformes. Il conviendrait tout d’abord d’identifier correctement le budget de la CRR et de le placer au sein du budget du ministère de la Justice. Il faudrait ensuite intégrer les personnels administratifs de la CRR dans les corps correspondants du Conseil d’État, en titularisant à cette occasion les personnels contractuels en place conformément aux principes du Statut général des fonctionnaires. Je propose également la création d’un « statut d’emploi » pour les rapporteurs de la CRR afin de favoriser leur mobilité et leur indépendance, ainsi que, à défaut d’une gestion directe par le Conseil d’État, la création d’un Service à compétence nationale à cette fin.
Ainsi rénovée et restaurée dans sa dignité, la CRR pourrait alors devenir la Cour administrative du droit d’asile.