Que reste-t-il du communisme ? – GÉOPOLITIQUE octobre-décembre 2002

Dans son livre Regards sur le siècle, René Rémond fixe le début du XX° siècle àGéopolitique la guerre de 1914-1918 et à la révolution soviétique de 1917 et son achèvement à la chute du mur de Berlin en 1989 et à la disparition de l’Union soviétique en 1991. La revue L’Histoire, de son côté, a publié un numéro spécial sur « Le siècle communiste ». C’est dire l’empreinte laissée par la révolution bolchevique qui, sans avoir prétendu installer le communisme en ce siècle, a soutenu toutefois qu’une rupture irréversible avec le capitalisme était intervenue, que le mouvement de l’histoire était accompli à ce stade et que le socialisme, réellement en construction dans une partie importante de l’humanité, ouvrait la voie d’une société sans classe où chacun disposerait selon ses besoins, apportant selon ses moyens à la communauté, finalement étendue au genre humain. La classe ouvrière, en alliance avec la paysannerie laborieuse, était l’acteur de cette émancipation de tous les « damnés de la terre », mais aussi celui de la libération de l’ensemble de la société de toutes les entraves causées par les intérêts particuliers et les égoïsmes. Cette révolution était d’autant plus assurée de son bien-fondé qu’elle reposait sur une idéologie à prétention scientifique : le matérialisme dialectique traduit en matérialisme historique qui expliquait le sens inéluctable, fatal, de l’histoire et son achèvement : le communisme. Dans cette perspective, l’important mouvement communiste qui s’est constitué a effectivement joué un rôle déterminant, non seulement dans les pays dits du « socialisme réel », mais aussi dans la plupart des pays développés et dans les pays du tiers-monde, notamment à l’occasion de la décolonisation.

Que reste-t-il du communisme ? Rien, si l’on prend la question à la lettre puisque dans la problématique qui vient d’être sommairement rappelée, personne n’a jamais prétendu l’avoir édifié où que ce soit. Mais la question vaut d’être posée si elle entend considérer la vision idéologique qui avait été instaurée et les moyens politiques qui avaient été mis en place pour l’inscrire dans la réalité. Le premier aspect, théorique, est sans doute le plus intéressant, mais on ne peut éluder le second : que reste-t-il du mouvement communiste et spécialement des partis communistes ?

Des partis discrédités

Le mouvement communiste n’a jamais constitué un ensemble homogène quoiqu’en aient dit les anticommunistes. En référence aux différences observées des modes de production, les histoires nationales, les prémisses idéologiques (stalinisme, trotskisme, maoïsme), des voies différentes ont pu être conçues : soviétique, chinoise, italienne, française. Il en est de même pour les formes de leurs déclins : réduction de l’influence en général, mais sous forme de dénaturation idéologique et politique dans les pays où ils occupent encore une position dominante (Chine, Vietnam, Cuba), ralliés à l’économie capitaliste de marché et récupérés par la social-démocratie dans plusieurs pays autrefois sous emprise soviétique, marginalisés dans les pays développés où ils jouaient autrefois un rôle important (Italie, France).

Si l’on considère cette dernière catégorie qui nous est la plus familière, on relèvera que les différences de caractéristiques et de démarches maintes fois soulignées entre le PCI et le PCF ont finalement conduit au même résultat : une influence électorale réduite, de l’ordre de 3 à 5 % pour les formations qui continuent à se réclamer du communisme, et un affaiblissement idéologique et social considérable. S’agissant du PCF (l’analyse peut valoir largement pour d’autres partis communistes, mais il reste que la France a souvent été regardée comme la « fille aînée » du communisme), il peut être intéressant de caractériser ce déclin en reprenant les fonctions qu’avait retenues Georges Lavau à son sujet : fonction tribunitienne et fonction consulaire auxquelles on doit ajouter, à mon avis, une fonction théoricienne essentielle. On peut comparer, de ces points de vue, les trois périodes de participation du PCF au gouvernement durant lesquelles la fonction consulaire se situait au plus au niveau : 1944-1947, 1981-1984, 1997-2002.

De 1944 à 1947, le PCF est au faîte de sa puissance électorale (28,6 % des voix aux législatives de novembre 1946). Maurice Thorez manque de peu d’être élu Président du Conseil. Le parti détient le tiers des sièges municipaux des villes de plus de 9000 habitants. Par le nombre de ses adhérents et son rôle au sein de la CGT il influence de manière déterminante le mouvement social dont il porte les aspirations. Il fait preuve d’un internationalisme résolu. Il rallie la plupart des grands intellectuels et développe avec une certaine originalité un marxisme conséquent prenant en compte la dimension nationale dans la marche au socialisme (interview de Maurice Thorez au Times en 1946).

En 1981, l’influence électorale du PCF décroche à 15-16 %. S’il place quatre ministres communistes au gouvernement, c’est en position subordonnée d’où ils parviendront dans leurs domaines respectifs à réaliser des réformes mais sans pouvoir faire échec à la dérive libérale du Parti socialiste à partir de 1983. Une activité intellectuelle intense est cependant maintenue jusque-là, notamment en matière économique à l’occasion de l’élaboration puis de l’actualisation du Programme commun de gouvernement, principalement sur la question des nationalisations et, secondairement, des nouveaux critères de gestion. Les communistes agissent au sein du mouvement social, mais ne le dominent plus et les relations avec la CGT se distendent.

De 1997 à 2002 le déclin électoral est continu et rapide jusqu’au résultat calamiteux de Robert Hue à l’élection présidentielle d’avril 2002 : 3,4 % des suffrages exprimés. Le communisme municipal résiste, mais s’affaiblit également. Les ministres communistes sont au gouvernement en position supplétive, sans solution de rechange pour le parti. Le PCF ne produit plus aucune idée et pratique la fuite en avant dans un racolage sans principe (la liste « Bouge l’Europe ! » aux élections européennes de 1999). Le mouvement social, lui-même affaibli, s’est autonomisé et l’influence des communistes y est réduite.

Outre les diverses formations trotskistes qui se réclament aussi du communisme mais qui demeurent marginales, il reste cependant un Parti communiste officiel, divisé en courants : conservateur, orthodoxe, rénovateur, aux multiples variantes. Il doit faire face à une grave crise financière qui atteint particulièrement l’Humanité. Il conserve de justesse des groupes parlementaires et quelques bastions municipaux. Le nombre de ses adhérents est en chute libre, mais de nombreux militants vieillissants, dévoués et désespérés, lui restent fidèles.

Un apport pertinent à l’analyse économique

On doit à Marx une magistrale synthèse des premières analyses des économistes classiques : Smith et Ricardo, des formulations des socialistes utopistes français et des réflexions sur les institutions des premiers Etats-nations, notamment du parlementarisme anglais. Le marxisme apparaît ainsi comme une explication rationnelle de l’organisation sociale, une mise à nu de ses contradictions essentielles dont on déduit un mouvement historique. S’il n’a pas la paternité des principales catégories économiques auxquelles il a eu recours, on est redevable à Marx d’une présentation pédagogique de la valeur sous ses deux faces : valeur d’usage, valeur d’échange, de la distinction entre la valeur des biens produits par le travail et la rémunération de la force de travail à travers, notamment, le salariat, de la distinction des sphères de la consommation et de l’investissement à l’origine de l’accumulation capitaliste, des mécanismes de l’exploitation rendus possibles par l’appropriation privée du capital.

Sans doute arguera-t-on que les choses aujourd’hui ne sont plus réductibles à ces schémas. L’accumulation du capital s’est accompagnée d’une socialisation qui en a placé une partie sous surveillance publique et d’une financiarisation qui l’éloigne de l’économie réelle. Le progrès des sciences et des techniques a apporté des améliorations à la condition humaine. La loi de la jungle capitaliste connaît des limites qui lui sont opposées par des réglementations nationales et internationales qui, simultanément, lui viennent en soutien. Mais comment pourrait-on contester, aujourd’hui, que nombre de ces raisonnements demeurent pertinents en ce qu’ils ont d’essentiel. L’accumulation capitaliste a atteint des niveaux sans précédent en particulier sous forme financière, la globalisation et la mondialisation expriment que son champ d’action s’étend désormais au monde entier, les inégalités entre les riches et les pauvres, entre le Nord et le Sud, se sont accentuées, la déstabilisation des équilibres économiques locaux a placé une grande partie de l’humanité en situation de précarité sinon de détresse, et il demeure généralement vrai que ceux qui détiennent la propriété du capital ont le pouvoir, ou tout au moins beaucoup plus de pouvoir que ceux qui en sont dépourvus.

Plus discutable sans doute est la description en séquences successives du mouvement historique à partir des modes de production identifiés : féodalisme-capitalisme-socialisme-communisme. Si l’on se concentre sur la phase du capitalisme, on peut admettre comme pertinente la distinction, à l’intérieur de la séquence, de la période du capitalisme de concurrence réalisant à travers le développement inégal une accumulation primitive, puis de la période du capitalisme de monopole marqué par la constitution de trusts et de cartels afin de contrecarrer la loi de la baisse tendancielle du taux de profit, puis – thèse défendue essentiellement par les économistes communistes français à partir de la moitié de la décennie des années 60 – la période du capitalisme monopoliste d’Etat (CME) , caractérisée par une imbrication de l’accumulation capitaliste monopoliste et de l’appareil d’Etat dans le but, notamment, de combattre les effets de la « loi de suraccumulation-dévalorisation » du capital, version moderne de la baisse tendancielle du taux de profit.

Ce qui apparaît aujourd’hui contestable c’est le caractère fatal de cette représentation qui assignait un avenir prédéterminé à l’humanité dont celle-ci s’est spectaculairement affranchie, c’est la méconnaissance des mécanismes d’autorégulation, c’est le totalitarisme qui était la conséquence inévitable de la réduction de l’aventure humaine à une seule hypothèse. Pour autant, si l’on a souligné le caractère excessivement mécaniste de cette analyse (en particulier de la théorie du CME) il reste que l’on contestera difficilement, aujourd’hui en France et ailleurs, qu’existe une collusion entre les pouvoirs étatiques et les principales forces du capital, que le secteur public et les services publics sont un enjeu, que l’intégration supranationale prend le relais les appareils d’Etat dans le soutien de la rentabilité capitaliste, que l’impérialisme américain apparaît comme le stade suprême du capitalisme.

Enfin, à tout prendre, les faiblesses de l’analyse économique marxiste ne sont pas plus disqualifiantes, tout au contraire, que celles de la théorie néoclassique dont les axiomes ne représentent en rien la réalité et dont la capacité explicative est nulle malgré ses replâtrages successifs (prise en compte de la concurrence imparfaite, des biens publics). Ou que celle de l’Etat-providence fondant la recherche de la justice sociale sur la correction des méfaits les plus manifestes du marché, sur une redistribution des richesses dont la production serait abandonnée au système capitaliste à l’efficacité réputée incomparable.

Une conception dévoyée du pouvoir politique

L’histoire, nous disait-on, était en fin de compte l’histoire de la lutte des classes. Celles-ci étaient définies par leur place dans les rapports de production au regard notamment de la propriété du capital. Classe ouvrière et bourgeoisie étaient ainsi confrontées dans un combat révolutionnaire d’où devait surgir l’émancipation du genre humain tout entier. Il serait hasardeux aujourd’hui de soutenir que les justifications de cette lutte des exploités contre les exploiteurs ont disparu. Tout au contraire pourrait-on aisément démontrer que les formes de l’exploitation se sont complexifiées et affinées et que la mondialisation libérale a étendu le champ de cette exploitation à l’ensemble de la planète. Mais, en raison même de cette extension et de cette complexification, les notions originelles de classe ouvrière et de bourgeoisie sont largement dénaturées. La technicisation des catégories socioprofessionnelles, le développement du secteur des services, l’ampleur des transferts sociaux, l’importance acquise par les « classes » moyennes brouillent une analyse devenue trop réductrice et qui ne peut se sauver en intégrant dans la catégorie « classe ouvrière » des catégories nouvelles dont on peut se demander le rapport qu’elles ont avec la définition de départ.

Il s’ensuit que c’est toute la construction politique de conquête du pouvoir échafaudée sur cette base qui est remise en cause. Dans l’acception léniniste classique, les intérêts du peuple étaient portés par la classe ouvrière, la classe la plus directement et la plus durement exploitée (le prolétariat) ; l’action de celle-ci était conduite par sa partie la plus consciente et la plus active, son avant-garde révolutionnaire constituée par le parti de la classe ouvrière, le parti communiste ; celui-ci, organisé sur le modèle militaire hiérarchisé, était lui-même dirigé par un collectif réputé détenir la science et le pouvoir, avec à sa tête un chef charismatique. Cette forte construction était cimentée par un certain nombre de concepts ayant valeur de dogmes dans les conditions de l’époque : la dictature du prolétariat, le centralisme démocratique, la direction autocratique. Le messianisme qui sous-tendait le mouvement fondait la légitimité de la direction : la mettre en cause c’était contester l’identité révolutionnaire du collectif dirigeant, s’en prendre au rôle du parti, nier la vocation émancipatrice de la classe ouvrière et finalement agir contre les intérêts du peuple lui-même. Cette succession de sophismes, on le sait, a justifié les pires exactions, les nomenklaturas, l’arbitraire, mais la force de la construction était telle qu’elle a, jusqu’à sa fin, assuré la suprématie d’un centre homogène et cohérent par la force sur des dissidences singulières et désordonnées par les circonstances .

Cette conception perverse du pouvoir politique a eu de graves conséquences sur la conception communiste de l’Etat et des institutions. Conséquences en apparence opposées selon que le parti communiste était ou non au pouvoir. Dans les pays où le parti communiste a conquis le pouvoir d’Etat, il y a eu systématiquement confusion du parti et de l’Etat, avec les dramatiques déviations totalitaires que l’on sait, mais aussi une méconnaissance complète des exigences juridiques et éthiques de la citoyenneté : l’homme nouveau n’a pas émergé. À l’inverse, dans les pays où le parti communiste, même représentant une force importante, n’était pas au pouvoir, il a généralement négligé la question de l’Etat (tout en gardant en perspective sa conquête puis son dépérissement), se contentant, selon une interprétation marxiste sommaire, de n’y voir que le « conseil d’administration de la bourgeoisie » et, plus généralement, abandonnant le plus souvent toute réflexion sur les institutions (le « crétinisme parlementaire ») et les questions juridiques. Cela a été particulièrement vrai en France où la récupération de l’héritage de la Révolution française par la bourgeoisie et l’écrasement de la Commune de Paris ont renvoyé durablement le mouvement ouvrier soit vers une conception anarcho-syndicaliste du pouvoir soit vers un réformisme participatif. En revanche, on doit mettre au crédit des élus communistes d’avoir su, essentiellement au niveau municipal, établir une articulation originale entre la société civile, le mouvement populaire et leur expression politique.

Il résulte aussi de l’échec de cette extraordinaire épopée que l’aventure humaine ne saurait être enfermée dans un schéma exclusif et que rien ne saurait dispenser le citoyen d’assumer sa propre responsabilité.

Un espoir légitime

L’effondrement de ce qu’on appelle, dans un raccourci excessif et inexact, le « système communiste », ne ferme pas pour autant la porte de l’espérance communiste qui a traversé les siècles de Spartacus à Thomas More, de Babeuf aux partis communistes issus de la Révolution d’octobre. À ce degré de généralité, le « communisme » est sans doute un concept largement indéterminé, mais on peut toutefois lui rattacher des fondamentaux : l’aspiration à l’égalité, le refus de l’ordre établi, la récusation du conformisme de la pensée, la reconnaissance de la dignité de tout être humain. On pourrait en déduire que tout défenseur des droits de l’homme pourrait être regardé comme relevant de l’aspiration communiste. Mais l’exigence communiste va, me semble-t-il, au-delà de la seule référence à une Déclaration des droits pour tendre vers la conception d’une construction volontaire, d’une démarche prométhéenne ancrée dans l’analyse concrète de l’état des sociétés.

A cet égard, on relèvera cette contradiction qui voit l’esquisse de cette démarche au XX° siècle s’effondrer au moment même où les conditions semblent se réunir d’une prise de conscience de l’unité de destin du genre humain et donc de changements radicaux des pratiques antérieures. Nous sommes entrés dans une phase de décomposition sociale profonde souvent exprimée par une « perte des repères » dont les causes sont multiples : relativisation des Etats-nations, dénaturation, comme nous l’avons vu, de la notion de classe, bouleversement des cadres géographiques et de l’environnement, évolution rapide des mœurs, affaiblissement des grandes idéologies ainsi que nous l’avons relevé. Une telle crise pourrait aisément être qualifiée de pré-révolutionnaire, au sens où à l’avenir, les choses ne pourront plus aller comme avant. Simultanément on assiste à une affirmation des utilités sociales mondiales à travers des problèmes tels que : le développement des échanges marchands mais aussi culturels, l’augmentation des connaissances, la protection de l’écosystème mondial, l’affirmation du principe de recherche de la paix par la solution négociée des conflits (même s’il est fréquemment méconnu dans la réalité), la promotion du droit international, la mobilisation pour de grandes causes (faim, sida), etc. Il peut ainsi exister une version optimiste du phénomène de mondialisation.

Au-delà de l’expérience « communiste » du XX° siècle dont l’apport n’est pas négligeable, l’ « en commun » peut ainsi prendre corps. Des expressions de plus en plus reprises telles que celles de « patrimoine commun de l’humanité » ou de « destination universelle de certains biens » conduisent à l’idée d’une gestion internationale voire mondiale des ressources naturelles du sol et du sous-sol, des grandes fonctions collectives et des acquis culturels du monde. Le XXI° siècle pourrait être, non celui de la mondialisation libérale, mais celui d’une mondialisation par mises en commun (communiste ?) de ce que les peuples ont produit de meilleur au cours de leur histoire, consacrant ainsi ces nouvelles exigences de l’humanité. Ce cours des choses s’inscrirait sans doute en rupture avec l’aventure communiste du siècle précédent, mais également en continuité en consacrant l’importance de l’appropriation sociale et en faisant du siècle tout juste commencé celui de l’âge d’or de services publics nationaux, internationaux ou mondiaux, celui de l’affirmation de valeurs universelles promues par les luttes des générations successives : intérêt général, égalité sociale, responsabilité individuelle et collective, laïcité, état de droit, etc. Par là se trouveraient validées, au-delà du témoignage historique, les actions des communistes qui, au fil du temps, se sont sacrifiés pour de telles causes.

C’est au sens de ces luttes nouvelles à mener que le clivage droite-gauche garde sa validité entre les forces du changement ainsi proposé et les forces de la conservation sociale. Mais c’est aussi un enseignement du mouvement communiste, de Gramsci plus précisément, de considérer que les valeurs défendues et promues par une classe ne valent qu’en tant qu’elles ont vocation à devenir les valeurs de la société tout entière, hégémoniques au sens d’universelles. La recomposition de l’idéal communiste et, partant, l’organisation de la lutte pour cet idéal, passe ainsi par un « travail de deuil », une « destruction créatrice », au sens des surréalistes, de la foi qu’on a eue. Elle implique, simultanément, un retour constructif sur le concept de citoyenneté, sur l’idée républicaine, plutôt que l’invocation d’une radicalité incapable de définir sur quelles valeurs spécifiques elle se fonde, coalition incertaine de conceptions éclectiques dont la seule unité réside dans l’opposition à une social-démocratie, elle-même discréditée.

Que reste-t-il du communisme ? Le mot n’emporte pas la chose. Comme l’a écrit Vaclav Havel « le même mot brille un jour d’un immense espoir et n’émet un autre jour que des rayons de mort ». Peut-être que le premier mouvement de restauration de l’idéal communiste consiste-t-il à renoncer au fétichisme des mots tant que l’on n’est pas capable d’en donner un contenu sérieux ; cesser, par exemple, de se réclamer du marxisme pour mieux masquer la vanité de certains essais. Il en irait de même du communisme, selon Jean-Luc Nancy et Jean-Christophe Bailly : « Le communisme, sans doute, est le nom archaïque d’une pensée encore tout entière à venir … Lorsqu’elle sera là, elle ne portera pas ce nom … ».

Anicet Le Pors
2 septembre 2002

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