La séparation de l’Église et de l’État dans le Finistère – Jean-Paul Yves Le Goff

Il est souvent utile de savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on veut aller. Les relations entre l’État et l’Église marquent encore notre histoire contemporaine, mais on imagine mal avec le regard d’aujourd’hui ce qu’ont pu être ces rapports au tournant du XIX° et du XX° siècle autour de la loi du 9 décembre 1905 de séparation de l’Église et de l’État. C’est à cette rétrospective que nous invite Jean-Paul Yves Le Goff dans un ouvrage d’une impressionnante érudition et pourtant réduite à une période relativement brève, 1892-1914 et à une zone géographique limitée à l’extrémité de la Basse-Bretagne, le Finistère, ce qui a l’heureux effet de densifier le propos et de le rendre particulièrement significatif (1).

Ce n’est pas un livre comme les autres, l’auteur, philosophe, spécialiste en sciences des religions et membre de l’Institut culturel de Bretagne, nous en avertit. Il a sous titré son ouvrage « L’histoire au risque des archives » ce qui a une double conséquence. La première est méthodologique ; son livre est plein de citations, très longues, comme s’il souhaitait s’effacer devant les acteurs de l’époque et les mettre en scène dans leur vérité. Il s’ensuit que le jugement du lecteur est constamment interpellé, choqué, séduit, selon ses inclinations, comme on peut l’être dans un musée devant la succession des tableaux d’une exposition. Jean-Paul Yves Le Goff avoue lui-même avoir été très surpris du décalage qu’il observait entre l’histoire qui ressurgissait des propos tenus et l’histoire conventionnelle, historiquement correcte, d’aujourd’hui. La seconde, fonde une interrogation : peut-on dans ces conditions écrire une histoire objective ? N’est-on pas condamné finalement à une « philosophie du point de vue », voire du « parti pris » ? L’honnêteté de la démarche met à l’aise, y compris pour contester certains points de vue de l’auteur tirés en conclusion sur le parallèle qu’il fait entre religion et politique ou sur la question de l’islam aujourd’hui en France, mais dans une stimulation réciproque.

Puisqu’il s’agit d’une exposition, arrêtons nous devant quelques tableaux choisis selon le parti pris du critique.

Le premier en entrant n’est pas le moindre. Il expose comment la réputation faire au pape Léon XIII, présenté jusqu’à nos jours comme progressiste, apparaît surfaite. Deux documents de l’époque sont à l’appui de la démonstration Au milieu des sollicitudes (1892) qui prône le ralliement des catholiques à la République et Rerum novarum ou « De la condition ouvrière » (1891) qui formalise ce qu’on appellera plus tard la doctrine sociale de l’Église. Selon l’auteur, il s’agissait surtout d’accréditer l’idée des bonnes dispositions de l‘Église face à l’affirmation (récente) de la République, dans un contexte d’instabilité sociale, afin de créer les meilleures conditions pour s’opposer à la menace de séparation de l’Église et de l’État qualifiée par le même Léon XIII d’absurde : « Dès que l’État refuse de donner à Dieu ce qui est à Dieu, il refuse par une conséquence nécessaire de donner aux citoyens ce à quoi ils on droit comme hommes ; car, qu’on le veuille ou non, les vrais droits de l’homme naissent de ses devoirs envers Dieu. » Dans le même temps, Mgr Théodore Lamarche, évêque de Quimper et de Léon, va droit au but, il prophétise : « La Croix a disparu de tous les édifices publics. L’école publique, entretenue aux frais de tous les citoyens, est fermée à l’enseignement du catéchisme, à tout acte de profession religieuse. »

Quatre tableaux plus loin, c’est Rerum novarum. Le clergé finistérien n’avait pas attendu cette encyclique pour accorder sa place à la question sociale. Citons quand même Léon XIII : « Par tout ce que nous venons de dire, on comprend que la théorie socialiste de la propriété collective est absolument à répudier. À présent, expliquons où il convient de chercher le remède tant désiré. Le premier principe à mettre en avant, c’est que l’homme doit prendre en patience sa condition. Il est impossible que dans la société civile tout le monde soit élevé au même niveau. Sans doute, c’est là ce que poursuivent les socialistes, mais contre la nature, tous les efforts sont vains. » Dès le début du siècle s’étaient créées d’innombrables oeuvres sociales, plus directement en prise avec la réalité et la misère ouvrière. À Morlaix, par exemple, depuis la Conférence de Saint-Vincent de Paul du début du XIX° siècle jusqu’au Cercle Catholique d’Ouvriers d’Albert de Mun fondé en 1874. Les autres villes et bourgades du Finistère ne sont pas de reste. Jean Jaurès en avril 1905 diagnostiquera : « Les mœurs de la liberté pénétreront dans l’Église par l’effet naturel du milieu laïque où elle sera plongée ». De fait un grand activisme social se développe avec comme principale référence la création du Sillon par Marc Sangnier qui, en opposition avec Rome, répètera qu’il n’est pas « démocrate chrétien » mais « républicain démocrate ». C’est d’ailleurs à Brest que se tiendra le premier congrès des « cercles d’études en relation avec le Sillon ».

Nous sommes maintenant, bien sûr, devant la question scolaire, question sensible s’il en est puisque les lois de laïcisation datent de la même époque, 1882. Voici ce qu’en dit le préfet du Finistère en 1897 dans une lettre au ministre de l’intérieur : « J’aborde maintenant le second point qu’il me paraît utile de vous signaler dans l’attitude du clergé : je veux dire la guerre sans merci qu’il mène contre les écoles publiques. Jamais le clergé breton n’a accepté les lois scolaires. Et toujours il s’est efforcé d’élever école contre école. Mais il fait plus, et par des moyens qui sont de véritables abus de son ministère, il s’efforce de terroriser les consciences. Cette lutte n’a jamais cessé, mais depuis quelque temps elle a redoublé d’intensité ». Des centaines de cas et citations qui nous sont proposés retenons, celle du jeune Joseph Le Ven de l’école publique de Plouguerneau, citation qui n’est pas la plus violente, mais l’une des plus banales : « Le mardi 12 mars dernier, vers midi, je jouais avec les enfants de l’école laïque et les enfants des écoles des frères. Comme M. Kervella, vicaire, rentrait au presbytère, il m’appela à part et me dit : « Si tu ne retournes pas à l’école chrétienne, on te refusera l’absolution ».

Jean-Paul Yves Le Goff nous propose ainsi quatorze tableaux qui, outre ceux qui viennent d’être brièvement évoqués, pourraient être intitulés : « L’ingérence du clergé dans les élections », « L’affaire Dreyfus », « La religion au quotidien », « Les expulsions », « Combes contre la langue bretonne », « Les inventaires », « L’Union sacrée », etc. Dans chaque cas une floraison de citations agrémentées d’une iconographie étonnante, légendée aussi bien en français qu’en breton. Comme à la lecture d’autres écrivains bretons, tel Pierre Jackez Hélias, chaque lecteur aura le sentiment d’entendre en lui l’écho de cette histoire, pour l’avoir vécue ou pour l’avoir entendue raconter selon l’âge. L’auteur de ces lignes aura retrouvé avec la surprise et la tendresse que l’on porte à un souvenir d’enfance, Mgr Duparc (né en 1857, évêque de 1908 à 1946), qui lui donna la confirmation le 4 mai 1941 dans l’église de Plouvien (canton de Plabennec). La longueur du règne de l’évêque de Quimper et du Léon fit qu’il eut une énorme influence sur plusieurs générations de Finistériens et de Finistériennes ; il fut loin d’être un évêque progressiste, mais ne suivit pas non plus aveuglement le comportement de certains dignitaires de l’Église sous l’occupation. C’est pourquoi on ne donnera de lui qu’une note légère : ce que reprenait d’un communiqué de l’évêché L’Écho Paroissial de Brest le 25 janvier 1914 : « Nous interdisons dans notre diocèse la danse du tango. Notre attention a été aussi attirée sur le caractère indécent des modes féminines adoptées depuis quelque temps. Nous sommes convaincus que les femmes chrétiennes tiendront à honneur de réagir contre des abus que la conscience et le bon goût réprouvent également ».

Cette histoire aura également été marquée par l’affirmation de personnalités républicaines hors du commun dont il a peu été question ici faute de place. Terminons donc la visite par ce portrait d’Henri Collignon, préfet du Finistère de 1899 à 1906 (p. 95 du livre), faisant ses adieux aux employés de la préfecture de Quimper, le 7 juillet 1906 : « Quant à moi, quels que soient les jours qu’il me sera donné de vivre, je les emploierai comme j’ai employé ceux que j’ai vécus, à servir de tout mon cœur et de toutes mes forces la République : la République que mon père m’a appris à aimer, pendant mon enfance, il y a longtemps déjà, la République orientée vers un idéal de bonté, de tolérance et de liberté ».

Henri Collignon, malgré son âge (58 ans) et son statut de conseiller d’État, s’engage comme simple soldat en 1914. Il est tué dans les premiers combats de la guerre en portant secours à un camarade blessé. Une salle porte aujourd’hui son nom au 3° étage du Conseil d’État. S’y trouve un tableau, le dernier de notre visite, qui le représente en porte-drapeau à la tête de son régiment.

Anicet Le Pors
Bretagne-Ile de France

(1) Jean-Paul Yves Le Goff, La séparation de l’Église et de l’État dans le Finistère, Ed. Le livre libre, avril 2006, 404 p., 24,50 €.

4 commentaires sur “La séparation de l’Église et de l’État dans le Finistère – Jean-Paul Yves Le Goff

  1. 1)Je trouve le présent article assez sévère à l’égard de Léon XIII et de la doctrine sociale-chrétienne.
    En effet, ce n’est pas parceque l’on condamne le socialisme que l’on est hostile à la justice sociale. Léon XIII voulait (comme plus tard Jean-Paul II), démontrer que le socialisme, parceque hostile à cette liberté essentielle qu’est la propriété, n’était pas viable et… juste. En outre, n’oublions pas sa sévère condamnation du capitalisme « sauvage » (ultra-libéral). L’histoire lui a donné raison.
    2) Oublie-t-on qu’il existe en Europe, des Etats qui ne sont pas séparés de « l’Eglise » et qui sont des démocraties ou le pluralisme religieux est reconnu ?… Il serait grand temps de cesser de mélanger laicité et démocratie. D’autre part, en 1905, un député protestant Ribot, et un député juif Bischoffsheim, votèrent contre la séparation. N’est ce pas révélateur ?…

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  2. Votre commentaire concerne princcipalement l(auteur du livre.

    Vous dites que « l’histoire leur a donné raison », comme si l’Histoire était treminée …

    Sur le fond je me réfèrerait à une réflexion de l’ancien ambassadeur d’Israël en France, Barnavo, qui a dit (sans esprit de polémique()que, par nature, l’Islam, le catholicisme, le protesxantisme, l’israëlisme sontcontraires à la démocratie. Ce qui me semble éthymologiquement et philosophiquement vrai.

    Cirdialement.

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  3. Monsieur Le Pors,

    Les monarchies constitutionnelles nordiques (protestantes) ne sont-elles pas démocratiques ? Israël n’est-il pas une démocratie ? Bien sûr que si.
    En outre, n’oublions pas que de 1870 à 1905 nous vivions dans une république démocratique même si l’Etat et l’Eglise n’était pas séparé. Cela n’a rien à voir avec une théocratie.
    Cordialement.

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  4. Rectificatif. Au sujet de mon dernier post il fallait lire : « En outre, n’oublions pas que de 1870 à 1905 nous vivions dans une république démocratique même si l’Etat et l’Eglise n’étaient pas séparés ».

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