« REQUIEM POUR TROIS INNOCENTS » – Mise en scène Yves Moraud

Une adaptation théâtrale de La Terre des Prêtres d’Yves Le Fèvre
par le Centre Dramatique Universitaire de l’Université de Bretagne occidentale (UBO)

Si le drame avait disparu du reste du monde,
il se réfugierait dans nos landes,
sous notre ciel de brumes et de tempêtes …

Yves Le Fèvre

Cléder et le manoir de Kermouster sont les lieux supposés du drame de « La Terre des Prêtres ». Marc’harit, fille de paysans aisés, est enceinte. De qui ? d’un vicaire du lieu. Seule solution pour éviter le scandale : sacrifier la pécheresse en la mariant avec le garçon de la ferme, Lomic, parresseux, ivrogne et brutal. Rongée de remords Marc’harit se convainc que cette pénitence sauvera son âme, encouragée en cela par son frère, prêtre lui aussi et tout entier consacré à la gloire de l’Eglise. Seul résistant : le médecin de la famille qui revendique une foi plus authentique et plus charitable et qui tente de répondre à la détresse des parents et de la jeune fille en s’efforçant de construire avec eux une conviction plus humaine. Sans succès.

Yves Moraud, du Centre Dramatique Universitaire de l’UBO, a mis en scène cette pièce tirée du livre paru en 1923 « La Terre des Prêtres » d’Yves Le Fèvre, né à Morlaix en 1874 et qui fut magistrat, journaliste, républicain engagé et écrivain reconnu. Il s’est employé à travers son œuvre, toute ancrée dans la terre du Léon, terre tragique à ses yeux, à dénoncer la toute puissance d’un certain clergé sur les âmes bretonnes. Le roman déchaîna les passions dans la Bretagne de l’époque. Le thème, débarrassé de tout anticléricalisme primaire, permet aujourd’hui une réflexion plus générale sur le fondamentalisme dans ses multiples variantes contemporaines : religieuses, ethniques, nationalistes.

Pour Yves Moraud qui voit dans cette œuvre un des très beaux fleurons de la littérature bretonne en langue française, « Il y a ceux qui savent ce que fut cette affaire… Il y a ceux qui, héritiers des combattants de l’époque, croient savoir et partagent encore les mêmes passions. Il y a ceux, les plus nombreux et les plus jeunes, qui ne savent rien ou qui estiment que cet épisode de la vie léonarde appartient à un monde révolu. Il y a ceux enfin qui, comme nous, aiment tout simplement les beaux et grands textes littéraires nourris d’histoire, pétris d’humanité et porteurs d’une puissante réflexion sur l’homme, sa conception de la vie et les déterminismes dont il dépend. » On notera aussi que cette pièce est créée l’année même du centenaire de la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Le titre lui-même interpelle : des personnages évoqués qui sont les trois innocents ? La jeune Marc’harit, sans doute. Sa mère, torturée par le combat que se livrent en elle sa foi et l’amour de sa fille et qui meurt sous les coups de Lomic, complètement ivre au soir de ses noces. Mais, et c’est là un ajout tout à fait surprenant et particulièrement intéressant du metteur en scène, Lomic lui-même qui nous livre en un épilogue pathétique (il se pend dans le livre) ce que fût la misérable vie de sa mère, mendiant de bourg en bourg , récitant des prières de ferme en ferme, couchant « n’importe où, avec n’importe qui », et qui ne pouvait engendrer qu’un … Lomic. Une tragédie en cachait une autre.
Histoire du passé, le spectacle a recours aux techniques modernes, son et vidéo, dans un décor simple à l’extrême pour restituer l’atmosphère d’une grande salle de manoir d’il y a un siècle. Les costumes ne sont pas d’époque pour souligner formellement que l’enseignement de cette tragédie nous concerne encore. Les acteurs, amateurs, font preuve de beaucoup de talent et d’une grande sincérité, Anne-Angèle Cueff en Marc’harit passionnée dans sa recherche éperdue de rédemption, Monique Bauer, sa mère, Mone Abjean, interprètée avec douceur, lucidité et un courage qui signera sa perte, Pierre Gilles (ancien journaliste à Ouest-France) son mari, authentique figure de paysan aisé fort de sa tradition terrienne, Jean-Yves Le Gall, qui assume avec rigueur le difficile rôle du frère illuminé, Jean-Yves Varin, en un docteur Morvan convaincant et désespéré, enfin, Sébastien Portier est Lomic, mélange explosif de violence et de détresse. Gaëtan Le Guern assure la narration.

« Requiem pour trois innocents » poursuit, depuis juin 2005, une série de représentations en Bretagne. La pièce devrait également être produite dans la région parisienne et d’autres régions. Elle a également été enregistrée en un DVD que l’on peut se procurer auprès du Centre Dramatique Universitaire (UBO), Faculté Victor Ségalen, 20 rue Duquesne, 29200 Brest (chèque de 15 euros à l’ordre du Centre Dramatique Universitaire).

Anicet Le Pors
Bretagne- Ile de France

 

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