Entretien avec Anicet Le Pors (propos recueillis par Mattias Guyomar) – Les Cahiers de la Fonction publique, n° 329 janvier-février 2013)

30° anniversaire du Statut Général des Fonctionnaires (V)

 

1 – En votre qualité de « père du statut général », quelle est la principale difficulté que vous avez rencontrée, il y a 30 ans ?

Nous n’avons pas rencontré d’obstacle majeur. La première difficulté a été de faire admettre que les nouvelles garanties statutaires prévues par la nouvelle politique de décentralisation  en faveur des agents  agents des collectivités territoriales devaient s’inscrire dans le cadre d’une fonction publique de « carrière » et non d’ « emploi » que semblait préférer le ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre. L’arbitrage du Premier ministre, Pierre Mauroy, nous a été heureusement favorable. Le débat parlementaire sur les droits et obligations des fonctionnaires – loi du 13 juillet 1983 – a été vif puis s’est apaisé faute de justification de l’opposition, au point que j’ai espéré un moment un vote unanime de l’Assemblée nationale comme pour le statut de 1946, mais le contexte n’était pas le même qu’à la Libération. Il y a eu aussi de fortes réserves des élus, craignant voir leurs prérogatives réduites par le statut. Enfin, les préventions de certains syndicats n’ont pu être dissipées qu’au prix d’une concertation sans précédent qui a eu parfois pour effet de retarder les réformes, concernant la titularisation des contractuels, par exemple.

 2 – Avec le recul, l’entreprise menée il y a 30 ans a-t-elle atteint l’objectif que vous poursuiviez ?

Je le pense. Les valeurs du service public et de la fonction publique ont été constamment affirmées. C’est aujourd’hui plus de quatre millions de fonctionnaires qui disposent dans les trois fonctions publiques de garanties avancées dans le système de la carrière, avec un effet d’entraînement possible, par référence,  sur les contractuels, les salariés sous statuts des entreprises publiques, voire les salariés du privé. De très nombreux droits des fonctionnaires ont été créés ou consacrés par la loi. Deux déceptions : une politique salariale vite contrainte et le volet des réformes administratives très contrarié.

3 – Le statut général est régulièrement la cible d’attaques. Lesquelles ont été les plus violentes ? Comment y a-t-il résisté ?

L’attaque la plus violente a été, sans conteste, celle menée contre la création d’une troisième voie d’accès à l’ENA, reconnaissant l’attachement au service public dans l’exercice, pendant un certain temps et à un niveau suffisant, d’activités syndicales, associatives, ou électives, avec comme conséquences l’organisation d’un concours séparé et des places réservées dans tous les corps, il compris les « grands corps ». Cette réforme mettait en cause une certaine conception de l’élitisme. Depuis, il y a eu la loi Galland du 13 juillet 1967 qui a profondément dénaturé les dispositions statutaires de la fonction publique territoriale ; puis les changements des statuts de services et d’organismes administratifs entrainant ceux des personnels ; de très nombreuses lois qui, sous prétexte  de modernisation et de mobilité, ont entraîné régressions et confusions ; en dernier lieu, une « révolution culturelle » avait été prophétisée en 2007, par élargissement du champ de contrats de droit privé négociés de gré à gré, cette entreprise a échoué. Si le statut a résisté néanmoins c’est, à mon avis, pour quatre raisons : son unité était fondée sur des valeurs républicaines : égalité, indépendance, responsabilité ; son architecture juridique en quatre titres combinait rationnellement unité et diversité des fonctions publiques ; malgré des contradictions, le soutien des fonctionnaires, de leurs organisations syndicales, de la hiérarchie administrative et d’une large partie de l’opinion publique ; enfin, le rôle d’ « amortisseur social » révélé par les services publics – et au premier rang la fonction publique – dans la crise depuis 2008.

4 – Pour l’avenir, quelles sont les pistes de consolidation voire d’amélioration du statut que vous envisagez ?

Je ne suis peut être pas le mieux placé pour dire ce que sera l’avenir du statut, mais j’ai la conviction qu’il n’y a pas de texte sacré et qu’un texte qui n’évoluerait pas serait menacé de sclérose et de disparition. Une réforme importante me semble être de donner une traduction opérationnelle à la mobilité dont j’ai voulu qu’elle soit regardée comme une « garantie fondamentale » et non une obligation ; jusqu’à présent nul n’y est parvenu. J’attache aussi une importance particulière aux efforts de rationalisation – voire de modélisation – qui devraient s’appliquer à la gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences ainsi qu’aux choix budgétaires. Des progrès significatifs pourraient être faits rapidement dans l’égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques. Je trouve également intéressant de réfléchir à l’instauration de double ou  de triple carrière dans une vie professionnelle. Je pourrais signaler encore bien d’autres chantiers, mais je veux, pour terminer, évoquer une question qui me tient particulièrement à cœur : le rapprochement des situations des salariés du secteur public et du secteur privé. Pour que les fonctionnaires cessent d’être considérés – à tort et de façon démagogique – comme des privilégiés, il faut qu’ils s’intéressent, eux qui possèdent un statut, aux salariés qui n’ont pas de statut. Si le code du travail peut, au sens large, être regardé comme le statut des travailleurs du secteur privé, il convient, à mon avis, de renforcer la base législative permettant une meilleure sécurisation, sur toute une vie, des parcours professionnels. C’est une idée que j’ai développée dans la Revue du droit du travail (mars 2010) sous le titre « Pour un statut des travailleurs salariés du secteur privé ».

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