Peut-on vraiment parler de citoyenneté européenne ? – Eglise réformée du 8° arrdt. de Paris – 26 novembre 2013

Il ne s’agit pas d’une première réunion de la campagne des européennes de 2014. Il s’agit de réfléchir à ce concept non purement juridique mais aussi politique et philosophique.  On s’efforcera de dégager tout d’abord une problématique plutôt que de tenter une définition. Je me propose de l’appliquer ensuite à l’Europe pour tenter de faire émerger une idée de citoyenneté européenne. Je m’interrogerai enfin sur sa place entre nation et monde.

1. Selon quelle problématique parler de citoyenneté ?

Généalogie de la citoyenneté

La démocratie athénienne nous a légué la démocratie directe, mais elle était discriminante. Rome nous a apporté la notion de droit et a fait de la citoyenneté un instrument d’assimilation (Caracalla 212).

 Éclipse du concept pendant un millénaire sous le régime féodal.  Les commerçant réclament à la fin du Moyen Age des franchises commerciales et des libertés individuelles. L’Université reprend l’étude des anciens et l’enseignement du droit romain. Paraissent La Politique d’Aristote, La République de Bodin, le traité du citoyen et Le Léviathan d’Hobbes, l’idée républicaine avec Machiavel, etc. Viendront ensuite L’Esprit des lois de Montesquieu et Du Contrat social de Jean-Jacques  Rousseau.

Le citoyen fait une entrée sur la scène de l’Histoire avec la Révolution française. 1848 enrichit le contenu. Les dimensions économiques, sociales et politiques se développent au XIX° et au XX° siècle.

La problématique consiste à associer sur cette base : Valeurs-exercice-dynamique, applicable à la citoyenneté « à la française

1.1.        Les valeurs

On retiendra : intérêt général et service public ; principe d’égalité et actions positives ; exigence de responsabilité et principe de laïcité.

 1.2. L’exercice

 C’est d’abord le statut politique à base nationale (droit de vote), assorti de droits économiques et sociaux ; puis la démocratie locale, enfin la nature des institutions.

1.3.  La dynamique

C’est celle d’une situation de crise de l’individualité, des médiations, des idéologies messianiques, des droits de l’homme comme substitut éventuel.

Des questions connexes se posent  : dimensions infra et supranationale, bi-nationalité, droit d’asile, développement des dimensions transnationales ?

2. La citoyenneté européenne dans cette problématique

Selon l’article 20 du traité sur lr fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) : « Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre [Maastricht]. La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas [Amsterdam]. » (même rédaction de l’art. 9 du traité sur l’Union européenne (TUE), amputée de sa première phrase …).

2.1. Valeurs de la citoyenneté européenne

Article 2 TUE : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que du respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes ». La Charte des droits fondamentaux reprend ces valeurs dans une forme voisine.

On doit souligner l’extrême généralité de ces énoncés. Ils s’appliquent à d’autres pays ou ensembles régionaux dans le monde. Il y a nécessité de caractères identifiants pour qu’existe une citoyenneté (cf. service public, modèle d’intégration, laïcité). Les concepts retenus sont d’une grande faiblesse conceptuelle.

On peut penser aussi à des valeurs européennes possibles : creuset spécifique de l’antiracisme, de la protection de l’environnement, du dialogue des religions, de la coopération et des politiques migratoires, etc. S’agissant de l’UE la spécificité est peu marquée. Sur  France Inter les 23-24 mai 2009 : « La culture ne pourrait-elle pas fonder l’identité européenne ? ».

2.2. Moyens et exercice effectif de la citoyenneté européenne

C’est d’abord le droit de circulation et de séjour (art. 21) : mais pas pour les étrangers non communautaires (Espace Schengen, convention de Dublin II de 2003).


Des droits politiques : droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et aux élections européennes (art. 22,) ; droit de pétition (art. 24) ; d’autres droits existent ailleurs : élection du Parlement au suffrage universel, ouverture partielle des fonctions publiques, égalité de rémunérations des hommes et des femmes, utilité partis politiques

Des garanties juridiques : droit à la protection diplomatique et consulaire des États (art. 23, non de l’Union européenne) ; recours au médiateur (art. 24).

Moyens figurant ailleurs : interdiction des discriminations, référence aux droits fondamentaux et les principes généraux du droit communautaire. On peut aussi retenir des droits économiques et sociaux épars ailleurs- Des attributs sont rattachables : euro, drapeau, hymne, permis de conduire, passeport, carte verte, etc.

Les moyens de la démocratie locale demeurent largement sous l’autorité des États.

Les institutions apparaissent complexes, sans séparation des pouvoirs. L’adoption du traité de Lisbonne a été problématique par contournements parlementaires contre les rejets directs.

Si 80 % des nouveaux textes sont d’origines bruxelloise, c’est toujours avec l’accord des gouvernements des États membres.

Mentionnons les contributions effectives de la CJCE et de la CEDH (art. 3, 6, 8 de la Convention des droits)

La citoyenneté européenne est décrétée, de faible densité, ube citoyenneté de superposition assortie de réserves et de délégations aux États le plus souvent fondées en fait ou en droit sur la réciprocité, sans autonomie véritable. On a pu parler d’« objet politique non identifié », de citoyenneté « de conséquence ». Paul Magnette et Mario Telo estiment : « Évoquer une citoyenneté européenne reste largement une ambition incantatoire, sinon un abus de langage ». Il en est ainsi car les options économiques et financières sont dominantes. Le but non évoqué : une organisation fédérale de l’Union européenne.

La ossibilité hypothétique de nouveaux droits est envisagée (art. 25) : Conseil statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission après consultation du Parlement.

2.3. Dynamique propre de la citoyenneté européenne

Lapratique du droit de vote est emblématique, or il y a eu : 59,4 % d’abstentions en France, 56,9 % en UE.

Hubert Védrine (Le Monde 1er juin 2009) soulignait la complexité du fonctionnement des institutions européennes, les jeux politiciens autour de la nomination du président de la Commission, l’absence de véritable communauté politique des 495 millions d’habitants des pays concernés, prévalence des questions de politique intérieure, ignorance des votes émis par référendum de la France, de l’Irlande et des Pays Bas sur le projet constitutionnel, la connivence dont font preuve dans leur votes et le partage des places entre partis PPE et PSE au Parlement européen, le découpage des huit circonscriptions électorales.

 L’UE présente trop de marché, trop de droit, pas assez de politique et de social ? Cette conception repose sur le choix de privilégier les niveaux infra et supranationaux (principe de subsidiarité). Le problème me semble mal posé.

3. L’idée d’une citoyenneté mondiale : faux-fuyant ou perspective ?

La divergence citoyenneté-nationalité est ancienne : Thomas Paine, Anacharsis Cloots (« citoyen de l’humanité ») avaient les droits des citoyens français et étaient députés à la Convention. Garibaldi a été élu député dans quatre départements français.

K. Renner au début du XX° siècle a proposé de reconnaître une  citoyenneté aux ressortissants de l’Autriche-Hongrie respectant les minorités nationales. La citoyenneté soviétique recouvrait plusieurs nationalités. Le Conseil constitutionnel a récusé en revanche  le « peuple corse » en 1991. L’accord sur la Nouvelle-Calédonie en 1998 prévoit une  divergence progressive des citoyennetés française et néocalédonienne pouvant conduire à des nationalités différentes à terme. Les notions de nationalité, citoyenneté, origine, résidence, sont fréquemment confondues.

3.1. L’aspiration aux « valeurs universelles »

Les valeurs nationales se conçoivent souvent comme ayant une valeur universelle (1789). Aujourd’hui encore : service public, modèle français d’intégration, laïcité sont spécifiques. Il y a nécessité d’un long processus de confrontation-convergence des opinions publiques pour faire progresser la citoyenneté.

Des valeurs pourraient s’imposer au niveau mondial : à la paix, la sécurité, le droit au développement, à la protection de l’écosystème mondial, à la maîtrise scientifique, aux droits de l’homme et du genre humain. Le niveau mondial est borné : c’est une facilité méthodologique par rapport au niveau continental ou régional.

3.2. Des bases pour l’exercice d’une citoyenneté mondiale

La mondialisation du capital et l’exploitation qui lui correspond participent aux bases de globalisation objective des problèmes.

Il y a des bases factuelles : Internet, 5000 ONG, développement des solidarités et des échanges internationaux.

Il y a aussi des bases juridiques montantes : l’article 1er  de la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 se prononce pour la paix et le règlement pacifique des différends, la coopération entre les nations. L’article 2, se prononce pour la première fois dans l’histoire, pour l’interdiction faite aux États de recourir à la force et avance l’idée de sécurité collective. La  Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 – Convention de Genève relative aux réfugiés du 28 juillet 1951 est un autre grand texte. Comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 19 décembre 1966, tout comme la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 janvier 1990. Évoquons enfin la Cour pénale internationale créée par le traité de Rome le 17 juillet 1998, etc.

La Déclaration universelle de 1948 prévoit des droits étendus : non-discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, les opinions politiques et l’origine ; interdiction de l’esclavage, de la torture de la détention arbitraire ; droit d’être jugé équitablement ; protection de la vie privée ; droit de circulation ; droit d’asile ; droit à une nationalité, au mariage, à la propriété, à l’éducation, à la sécurité sociale, au travail et à une rémunération équitable ; liberté de penser, de conscience et de religion ; liberté de réunion et d’association, d’égal accès aux fonctions publiques ; droit syndical ; droit de vote ; auxquels on peut ajouter le droit d’ingérence.

De nombreuses déclarations  des droits constituent un ensemble incertain. Des « logiques floues » entre systèmes de droits sont évoquées par  M. Delmas-Marty. Tous les pays n’ont pas souscrit à toutes les déclarations des droits leurs formulations sont très générales ne constituent pas à elles seules des règles juridiques opérationnelles ; avec de nombreuses réserves, des dérogations, des exceptions, des restrictions. Hannah Arendt est sceptique sur leur contenu réel. Pour Marcel Gauchet, l’idéologie des droits de l’homme, a-historique, n’est pas porteuse de projet, fonctionne sur la base de l’indignation spontanée, combinée au pouvoir médiatique, s’inscrit dans une autorégulation des rapports sociaux qui n’est pas sans rapport avec celle du marché dans la sphère des rapports économiques. Jean Rivero écrit : « Le droits de l’homme sont des libertés, les droits du citoyen sont des pouvoirs ». Ces pouvoirs existent bien au niveau mondial, mais leur effectivité est loin d’être assurée partout.

3.3. La montée de l’ « en-commun » comme dynamique d’une citoyenneté mondiale

 Il y a accélération du processus de « mise en commun » dans de très nombreux domaines : protection de l’écosystème mondial, télécommunication, navigation aérienne, météorologie, police, etc. Les progrès scientifiques ne se conçoivent plus sans échanges internationaux des connaissances et des avancées. La culture se nourrit de l’infinie diversité des traditions et des créations mondiales. Les mœurs évoluent pas comparaisons, échanges, interrogations nouvelles. Au-delà du développement inégal, des frontières existantes, la mobilité tend à devenir un droit, au sens qu’envisageait Emmanuel Kant : « La Terre étant une sphère, ne permet pas aux hommes de se disperser à l’infini, mais les contraint, malgré tout, à supporter leur propre coexistence, personne, à l’origine, n’ayant plus qu’un autre le droit de se trouver en un endroit quelconque de la Terre ». D’où le devoir d’hospitalité.

Pour une « citoyenneté mondiale » on peut avancer : donner une traduction juridique et institutionnelle à ce que désignent des expressions comme « patrimoine commun de l’humanité », « bien à destination universelle » selon Vatican II, avec Edgar Morin « Terre-Patrie », le « Tout Monde des écrivains Patrick Chamoiseau et Edouard Glissant (« Manifeste pour des biens de haute nécessité »). La notion d’appropriation sociale des biens publics : l’eau, des ressources du sol et du sous-sol, des productions agricoles et alimentaires, des ressources énergétiques, certains secteurs-clés de production de biens et de services pourrait entrer dans les faits. Il faut leur faire correspondre pour cela  des services publics organisés à ce niveau. C’est la même problématique avec la proposition de Gabriel Zukman d’élaboration d’un « cadastre financier » selon Gabriel Krugman. Le XXI° siècle peut et doit être l’« âge d’or » des services publics.

En conclusion,

Notre époque est celle d’une décomposition (relativisation États-nations, classes, espaces, mœurs, idéologies messianiques). Il convient de procéder d’abord à l’analyse des contradictions (« Pendant la mue le serpent est aveugle », « Éloge de l’échec » – A.LP), avec conservation de l’héritage et premiers pas de la recomposition sur le thème fédérateur de la citoyenneté. Cette analyse présente deux caractères nouveaux : d’une part une prise de conscience de l’unité de destin du genre humain, d’autre part un renvoi de la responsabilité politique vers l’individu (Amartya-Sen, « génome de citoyenneté »).

Cela n’invalide pas le rôle de la nation qui est et demeure le niveau le plus pertinent d’articulation du particulier et du général. Il faut partir de la citoyenneté nationale vers une réflexion sur l’universalité des valeurs et des moyens, pour revenir dans un cadre de convergence européen, c’est la dynamique nouvelle proposée.

Il faut également se garder de toute impatience en la matière : la citoyenneté ne se forme que dans le temps long. Renan disait : « Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel, elles ont commencé, elle finiront […] La confédération européenne probablement les remplacera. Mais telle n’est pas la loi du siècle où nous vivons ». C’était dans son célèbre discours à la Sorbonne « Qu’est-ce qu’une nation ? », le 11 mars 1882, il y a …  131 ans.

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