« Les jours heureux » – Caisse des dépôts et consignations – FSU, 10 décembre 2013

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à l’ordre du jour

Le documentaire de Gilles Perret sur le Programme du Conseil National de la Résistance (CNR) a donné lieu, en sa présence, à un débat intéressant témoignant que ce grand acte politique datant bientôt de soixante ans comporte toujours pour de précieux enseignement.

J’ai ici, sans doute, le  nostalgique privilège d’être le seul à avoir vécu concrètement et consciemment l’époque dont le Programme du Conseil National de la Résistance témoigne puisque j’avais treize ans au moment de sa rédaction finale, le 15 mars 1944.

 Le programme du CNR ne doit pas être fétichisé. Il ne doit pas être réduit à la lettre aussi importantes soit elle (droit au travail, à la sécurité sociale, amélioration du pouvoir d’achat, des retraites …).  Il est vivant autant par ce qu’il contient que par ce qu’il suggère des valeurs de l’époque qui portent enseignement aujourd’h

 Le programme du CNR porte la marque de son époque.

On peut tout d’abord s’étonner qu’il ait fallu si longtemps pour voir un film documentaire sur un moment aussi important de notre histoire et de conserver le témoignage de grands acteurs de l’époque dont la plupart sont aujourd’hui disparus. À si longue distance il y avait le risque de les traiter de manière hagiographique, en les statufiant en quelque sorte dans la posture  qui avait été alors la leur. Fort heureusement ce n’est pas le cas, en témoigne la vigueur avec laquelle ils ont continué à débattre jusqu’à la fin de leur vie.

Dans le même esprit, je suis également reconnaissant à Gilles Perret d’avoir bien mis en lumière les contradictions nombreuses et fortes qui existaient entre les membres du CNR. Comment imaginer qu’aient pu souscrire au même texte des hommes aussi différents que Georges Bidault, Joseph Laniel, Pierre Villon ou Robert Chambeiron ? Leur but n’était pas le consensus, mais l’idée de ce qu’ils pouvaient consentir dans le service de l’intérêt général. Ce film souligne les contradictions existant entre eux et fait dépendre la qualité du texte de la confrontation des idées.  Les situations molles ne peuvent pas produire de grandes œuvres. Et il y faut l’événement ; c’était le cas.

Pour autant, le texte porte la marque de son époque. Ainsi, pas une femme dans le CNR et aucun témoignage féminin dans le film. Il est vrai que les femmes n’avaient pas encore obtenu le droit de vote. Des esprits peu avertis s’étonneront aussi que l’on y parle des « populations indigènes et coloniales » sans condamner la colonisation elle-même. Mais, dans une période où il n’y avait pas d’institutions en place – la constitution de la IV° République ne sera adoptée que deux ans et demi plus tard – le texte fait preuve d’un grand sens politique en distinguant les mesures immédiates de celles à appliquer « dès la Libération « .

Certaines de ses dispositions formelles sonnent aujourd’hui comme un rappel à l’ordre.

Ainsi, il y affirme à deux reprises la supériorité de l’intérêt général sur les intérêts particuliers dont il n’est pas la somme. Qui contestera que l’échec qui a conclu le « XX° siècle prométhéen » a sapé les bases de l’intérêt collectif. Il reste aujourd’hui à reconstruire. La question des services publics pour la satisfaction des besoins fondamentaux reste de grande actualité.

L’une des conséquences de cette affirmation c’est la place faite à la propriété publique des moyens de production et de financement (énergie, sous-sol, banques et assurances) pour conduire une politique volontariste. Dans les années 1970 on disait encore, en écho : « Là où est la propriété, là est le pouvoir ! ». Que dit-on aujourd’hui sur ce sujet ? Pas grand chose. Je pense qu’il faut remettre la question sur le chantier.

Autre affirmation majeure : la place faite aux travailleurs dans la définition de la politique économique, la gestion des entreprises, voire leur direction. On est aujourd’hui sur une autre planète ! Mais nous tirons de ce programme comme de l’expérience de 1981-1984 l’idée de la nécessité de lier étroitement : satisfaction des besoins essentiels – appropriation sociale des grands moyens de production, des instruments décisifs de l’économie – intervention des travailleurs.

Mais pour moi le programme du CNR vaut aussi, et peut être surtout, par l’esprit qui a animé ses rédacteurs et l’élan qu’il encourage

Ainsi, il faut se garder de tout anachronisme. Si le programme du CNR ne parle pas des institutions, par exemple, c’est qu’il y avait sur ce point des avis très contradictoires : le général de Gaulle – et donc ses représentants – inclinait en faveur d’un régime présidentiel du type de celui des États Unis, tandis que la plupart des partis représentés (communiste, socialiste, démocrate chrétien) inclinaient en faveur d’un régime parlementaire. Mais cela ne diminue évidemment en rien l’importance de la question et la nature, profondément démocratique, du programme qui faisait une large place à l’intervention des citoyens, qui était fondatrice du débat. Son influence sur la rédaction du Préambule – toujours en vigueur – de la Constitution du 27 octobre 1946, de la IV° République, est évidente.

Il n’est pas non plus question du statut général des fonctionnaires qui ne naitra, dans sa nature démocratique, qu’avec la loi du 19 octobre 1946, deux ans et demi plus tard. La raison est que, jusque-là, les organisations syndicales de fonctionnaires étaient hostiles à ce qu’elles appelaient un statut-carcan ; d’ailleurs le premier statut des fonctionnaires avait vu le jour le 19 septembre 1941 sous Vichy. Il a donc fallu beaucoup de courage et de lucidité aux acteurs de l’époque pour effectuer ce contre-pied démocratique. Je n’ai pas de doute : c’est le contexte créé par le programme du CNR qui y a conduit.

 Mais ce qui nous est le plus utile aujourd’hui, c’est le refus de la fatalité. Le programme du CNR ne s’attarde pas sur les souffrances et l’oppression alors subies. Les dangers de 1944 ne sont plus ceux d’aujourd’hui avec la crise, économique mais aussi systémique et de civilisation. « Les jours heureux ! » restent à l’ordre du jour, comme en 1944 nous avons la responsabilité de recomposer un intérêt collectif, et c’est le grand mérite de Gilles Perret de nous l’avoir rappelé avec compétence, talent et conviction.

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