Continuité ou rupture ?
Répondre à la question : où en est-on de la politique du gouvernement en matière de décentralisation sous le nom de l’Acte III n’est pas facile puisque c’est aujourd’hui même que l’Assemblée nationale entreprend, en séance publique, la discussion en deuxième lecture du projet que lui a soumis le gouvernement et qui porte essentiellement sur les métropoles avec focalisation dur le Grand Paris.
Durant sa campagne électorale, François Hollande avait mis l’accent sur la contractualisation. Le projet de mis au point à l’automne 2012 était très complexe, il a finalement été divisé en trois : métropoles et grandes villes, région chef de file économique, solidarités territoriales des communes et des départements. Se pose ainsi la question du champ à considérer, plusieurs lois étant concernées au delà de l’héritage Sarkozy : les trois projets de lois résultant du découpage, la loi sur les modes de scrutin, les lois de finances, les lois sur les fonctions publiques. Le premier projet de loi a été déposé au Sénat dit de « modernisation de l’action publique territoriale et de l’affirmation des métropoles ».
Il convient toutefois d’effectuer quelques rappels historiques au préalable.
Les premiers textes d’aménagement territorial datent de la fin XIX° siècle : ils concernent le département et la commune, en les conservant sous la tutelle du préfet et des services de l’État. La déconcentration est préférée à la décentralisation. Il faut aussi évoquer le référendum du 28 avril 1969 qui portait sur la région et la réforme du Sénat et qui entraina la chute du général de Gaulle. On distingue sommairement les trois actes suivants.
– Acte I : engagé par la loi Defferre du 2 mars 1982 il a institué : le contrôle a posteriori du préfet, le recours a postériori au tribunal administratif et à la chambre régionale des comptes, institué la région en collectivité territoriale, transféré l’exécutif du préfet au département, opéré un redéploiement des compétences et des ressources, prévu un statut de l’élu et des garanties aux agents publics des collectivités territoriales.
– Acte II : constitué par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, dite loi Raffarin, elle a introduit : le référendum local pouvant être décisionnel, un droit de pétition élargi, l’autonomie financière des collectivités, l’expérimentation législative sous conditions, de nouveaux transferts.
Acte III : il a été initié par Nicolas Sarkozy (loi 16.12.2010). Il recherche une banalisation de l’aménagement du territoire français ; cette démarche a sans doute eu une influence sur le changement de majorité au Sénat à l’automne 2012. François Hollande ne change pas l’appellation de l’entreprise : l’acte III.
Dans ces conditions la question se pose : continuité ou rupture ? On organisera l’analyse en trois volets : structures et compétences,, financement décentralisés et déconcentrés, statuts et réformes administratives.
1. Une organisation bouleversée
Les structures
*** Sarkozy « pôles et réseaux » contre « frontières et circonscriptions » (St-Dizier, 20.10.2009) – « mille-feuilles » contre six niveaux (dominante économique : intercommunalité, région, Europe ; politique : commune, département, nation) – création de métropoles et pôles métropolitains – institution du conseiller territorial (contre parité, pour bipolarisation, perte de proximité) – rôle éminent du préfet de région.
Principale novation : la création d’une « Conférence territoriale de l’action publique» (CTAP), avec représentants des collectivités, des métropoles, de l’État.
La CTAP définira un schéma de développement et un pacte de gouvernance (redéploiement à la carte et sanctions contre les récalcitrants). Interviendra le pilotage de la Banque publique d’investissement. Marylise Lebranchu parle plutôt de quatre-quarts que de millefeuille. Les PLU seront de la compétence des communautés de communes. Les élections des conseillers généraux-départementaux se feront par binômes homme-femme pour les élections au conseil général. Le seuil de l’élection à la proportionnelle des municipales serait fixé à 1000hbts. Il y aurait fléchage pour les élections aux intercommunalités. Le seuil pour la constitution des métropoles serait fixé à 400000 hbts.
Le Sénat avait profondément modifié le projet de loi, relativisant notamment le rôle de la CTAP et de son pacte de gouvernance, limité à des débats et des avis. Fin novembre en deuxième lecture, l’Assemblée nationale (commission) a confirmé la création d’un Haut Conseil des Territoire présidé par le Premier ministre, rétabli les prérogatives de la CTAP mais sans prévoir de sanction à l’égard des communes qui ne s’associeraient pas aux décisions de la CTAP, donné une définition complexe du Grand Paris essentiellement constitué de Paris et de la petite couronne.
Les compétences
*** Compétences spécifiques des départements et des régions mais avec possibilité de chefs de file – larges possibilités de conventionnement des métropoles – regroupements de collectivités sous l’autorité des préfets – le préfet de région-gouverneur.
On réaffirme le principe de l’absence de tutelle d’une collectivité sur une autre, mais il y a possibilité de désordre et d’inégalité dans le cadre de fonctionnement de la CTAP.
Les conséquences et les principes d’action
Affaiblissement des structures territoriales traditionnelles (notamment des communes rurales) et de la démocratie locale au profit des regroupements, des métropoles et des préfets . On peut craindre un risque de bureaucratie.
Il convient d’agir pour le maintien de 36 000 communes, lieux de démocratie. La difficulté est de concilier les principes de l’indivisibilité de la République, celui de libre administration et de subsidiarité. Cette problématique doit être placée dans le cadre d’une réflexion institutionnelle.
2. Des financements propres compromis
Restrictions sur la dépense publique décentralisée
*** Sous Sarkozy : important transfert de charges financières des entreprises vers les ménages et une incertitude à terme sur le financement des collectivités (compensation de la suppression de la taxe professionnelle) – création d’une contribution économique territoriale se subdivisant en taxes sur foncier et la valeur ajoutée – les collectivités réalisent 73% de l’investissement public et ne sont responsables que de 10% de l’endettement – financements croisés modestes.
Le gouvernement a annoncé une réduction des dotations aux collectivités de 4,5 milliards en 2014-2015. Les fonds propres continueront à représenter une part importante des financements. Il y a difficulté a concilier principe de libre administration et égalité des collectivités. A souligner l’importance des départements dans le service des prestations sociales, mais il y a de fortes inégalités entre eux.
Restrictions sur la dépense publique déconcentrée
*** La politique du précédent quinquennat s’est caractérisée par la LOLF et la RGPP (374 mesures, 133 programmes, 620 actions, non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite a eu pour effet de réduire les financements déconcentrés
La Modernisation de l’action publique (MAP) prend la suite avec pour objectifs : réforme de l’État, réduction de la dépense publique, motivation des agents, simplification des relations avec les usagers. Des évènements (challenge des administrations 2020) sont envisagés. Le CIMAP du 2 avril à enjoint à tous les ministères d’élaborer leurs programmes de MAP.
Conséquences et principes d’action
Les possibilités des services publics seront atteintes par la combinaison des restrictions financières déconcentrées et décentralisées et les réformes structurelles prévues.
Il faut instaurer une péréquations verticale et horizontale pour la solidarité nationale et des collectivités territoriales entre elles, entreprendre la réhabilitation de la rationalisation des politiques publiques, remettre en cause la dérive managériale et son vocabulaire associé. Se pose la question du rôle du secteur public et de la propriété publique (pôle public, nationalisations, appropriation sociale).
3. Des acquis statutaires et des pratiques administratives remis en cause
La fonction publique territoriale « maillon faible »
*** la « révolution culturelle » de Sarkozy (IRA de Nantes le 19.9.2009) – création de la FPT en 1983-84 – loi Galland du 13.7.1987 – rapports Pochard et Silicani – le service public « amortisseur social » dans la crise.
Avec le nouveau président de la République le contexte est plus favorable, mais il reste incertain. Un projet de loi sur la déontologie et une certaine rénovation statutaire a été présentée en conseil des ministres le 17 juillet pour marquer le 30° anniversaire du statut, après un colloque le 13 juillet. Un autre projet de loi est en perspective en liaison avec la mission Pêcheur sur la réforme de la gestion administrative des fonctionnaires et les perspectives d’évolution de la fonction publique. D’une manière générale il n’y a pas de retour significatif sur les régressions de la droite et on doit relever un manque d’ambition. Toutefois, le contexte d’action apparaît plus favorable.
Le rapport Pêcheur, remis au Premier ministre début novembre présente des points d’appuis positifs : il réaffirme notamment les principes sur lesquels avait été établi le statut de 1983-1984-1986, il reconnaît la perte de pouvoir d’achat des fonctionnaires au cours des dernières années considérant qu’une limite est atteinte, il exprime une volonté de programmation à moyen terme dans plusieurs domaines (indemnités, durée du travail, rémunérations, etc.), il propose une gestion coordonnée des trois fonctions publiques grâce au conseil supérieur commun aux trois fonctions publiques. Malheureusement, en particulier, il ne revient pas sur les 210 « transformations souterraines » (Christian Vigouroux) ayant porté atteinte au statut originel, il donne excessivement dans la mode déontologique, fait des proposition très complexes à réaliser des recrutements et déroulements de carrières, il valide le recours aux contractuels de manière excessive, etc.
Des réformes administratives hypothétiques
*** Dans la période antérieure il y avait assujettissement de l’appareil d’État au marché – démantèlement de l’administration rationalisante (CGP, DATAE, CNE, HCEP, etc.) – au plan local, les directions représentant les ministères devaient être réduites au maximum à huit dans les régions et trois dans les départements.
Il y a retour partiel sur cette orientation : création du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) à la mission floue et contraire à l’orientation générale.
Conséquences et principes d’act
Il y a un risque de recul de la démocratie locale, régression des services publics dont les segments les plus rentables risquent d’être accaparés par le secteur privé avec réduction corrélative des effectifs statutaires et un recours accrus à la contractualisation accompagné d’un développement du clientélisme et un risque accru de corruption. Un projet de loi sur la simplification des relations administrations-citoyens est prévu.
Il faut poursuivre la défense des valeurs et des principes républicains forgés par l’histoire. Il convient de revenir sur toutes les régressions introduites dans le statut par la droite, de promouvoir des revendications structurelles (gestion prévisionnelle, multi-carrières, mobilité, etc.). On doit également s’intéresser à l’élaboration d’un statut législatif des travailleurs salariés du secteur privé. Des réformes administratives doivent également être engagées : codification, rationalisation, efficacité des structures gouvernementales. Le XXI° siècle peut et doit être l’« âge d’or » du service public. A cette fin, il convient de veiller à une étroite convergence des actions de la population, des élus et des fonctionnaires.