La responsabilité de l’Union européenne et des États membres dans la prise en charge adaptée des victimes de torture et de violence politique – 9 décembre 2008

Conférence de presse de l’Association Primo Levi

Je remercie l’Association Primo Levi d’avoir pris l’initiative de cette rencontre sur la torture et sa prise en charge par l’Union européenne ou ses États membre et de l’avoir placée dans le double contexte du 60° anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de la présidence française de l’Union. Je ne suis certainement pas qualifié pour m’exprimer sur les aspects cliniques et le financement de la prise en charge des soins dont j’ai bien compris qu’elle est au centre des préoccupations de l’Association et du Réseau européen des centres de soins. Tout au plus en tant que membre du Comité de soutien de l’association et accessoirement sur la base de mon expérience de président de section de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

En tant que membre du comité de soutien, il s’agit d’attirer l’attention de l’opinion publique et des pouvoirs publics sur l’importance de la torture et la nécessité d’obtenir les moyens nécessaires au traitement de ses conséquences. Il y a peu de droits absolus dans la Déclaration universelle, j’entends par là des droits qui ne soient pas assortis de réserves ou qui ne délèguent pas leur définition et leurs moyens aux États. Les interdictions de la torture et de l’esclavage sont de ceux-là. Pourtant, la torture existe en de très nombreux pays et l’esclavage n’a pas disparu non plus. Mais peut-être y a-t-il un effet pervers qui aboutit à ce que personne ne se sente concerné à titre principal par cette question qui a son origine ailleurs.Peut être faut-il aussi interpréter la démarche de report sur les États du soutien de l’Union européenne évoquée dans le dossier comme une application du principe de subsidiarité. Le but de cette conférence de presse est de dire que chacun doit prendre sa part dans des financements qui doivent en tout état de cause être augmentés.

En tant que président de section à la Cour nationale du droit d’asile, je poursuis une réflexion sur la formation de la citoyenneté, celle de celui qui demande l’asile comme celle de celui qui « au nom du peuple français » l’accorde. J’ai toujours été convaincu que droit de cité et droit d’asile sont indissolublement liés. Il n’y a pas de citoyenneté sans rapport à l’autre : que doit faire celui qui est à l’intérieur des murs (des murs qui excluent, mais aussi des murs qui protègent) de celui qui frappe à la porte et demande à entrer. Cela invite l’un et l’autre à réfléchir sur ses valeurs, sur ses moyens, certains identiques, d’autres différents et à dégager, ensemble, un en-commun permettant une coexistence pacifique et si possible, fraternelle. La torture dans cette réflexion ne devrait pas soulever de controverse, et pourtant elle demeure une manifestation scandaleuse d’inhumanité appelant prévention, protection et punition. Pour cela il faut du temps, des moyens et donc des financements.

On ne saurait soutenir, en France, que la contribution de notre pays à l’accueil des étrangers demandeurs d’asile serait excessive : la part des réfugiés qu’il accueille dans le monde est du même ordre de grandeur que son poids démographique dans le monde. Il faut aussi un autre état d’esprit que celui qui prévaut aujourd’hui dans une démarche sécuritaire, obsédée par le chiffre et la communication, mentalité que traduit en particulier le Pacte européen sur l’asile et l’immigration. C’est le mérite de l’Association Primo Levi d’avoir saisi l’occasion de la célébration du 60° anniversaire pour le rappeler.

La V°, et après ? – l’Humanité Dimanche, 2 octobre 2008

50° anniversaire de la constitution de la V° République

La constitution de la V° République est née en 1958 dans un contexte de guerre coloniale et de coup de force militaire. Ses concepteurs ont soutenu qu’elle mettait en place un « parlementarisme rationalisé ». L’illusion n’a pas tenu longtemps et un nouveau coup de force, constitutionnel celui-là, a instauré l’élection du président de la République au suffrage universel en 1962 qui a infléchi radicalement les institutions dans un sens présidentiel qu’elle n’a cessé d’accentuer depuis. Les cohabitations de 1986-1988 et 1997-2002 ont donné naissance à une « monarchie aléatoire » (le pouvoir exécutif étant détenu par le Président de la République ou le Premier ministre au hasard des scrutins) à laquelle il a été répondu en 2000 par le quinquennat et la prévalence de l’élection présidentielle sur les élections législatives. Avec la récente loi constitutionnelle, on est entré dans une troisième phase, celle de la « constitutionnalisation du sarkozysme », sorte de pragmatisme bonapartiste encore non abouti (l’Humanité, 4 août 2008).

Sinon quoi d’autre ? Trois voies sont possibles.

Les tenants démocrates de la V° République préconisent le retour au « parlementarisme rationalisé ». Mais on ne fait pas remonter un fleuve à sa source. La V°, dès sa naissance, portait en elle sa dérive présidentialiste.

Certains invoquent une VI° République. Le plus souvent pour cacher une absence de réflexion sur la question institutionnelle, ou par manoeuvre. On ose espérer que de Besancenot à Le Pen il ne s’agit pas de la même. Au surplus, l’événement n’est pas là : en France, aucune république n’est née en dehors du drame et du sang. On ne joue pas avec les numéros.

Reste à engager un travail sérieux sur la question. Le PCF disposait en 1989 d’une Déclaration des libertés et d’un Projet constitutionnel qui restent pour l’essentiel valables (sauf à approfondir les questions de la citoyenneté et de la subsidiarité). Il les a abandonnés et le « projet de base commune de discussion » en vue de son prochain congrès est vide sur le sujet.

Un tel travail ne s’improvise pas, mais il est pourtant possible d’avancer dès maintenant en répondant sans détour à trois questions.

Est-on favorable à l’élection du président de la République au suffrage universel ?

Est-on favorable au maintien du scrutin majoritaire pour l’élection des assemblées représentatives ?

Est-on favorable au recours au référendum comme mode principal d’expression de la démocratie directe ?

Aux trois questions, ma réponse est : non.

 

Anicet Le Pors

En Bretagne, le service public est notre richesse – Inguiniel (Morbihan), le 5 août 2008

Rencontre d’été de l’Union des sociétés bretonnes de l’ile de France, sous la présidence  d’Anicet Le Pors

Si cette rencontre a été placée sous le thème de la défense des services publics, c’est que la Bretagne, comme toutes les régions françaises, est très directement concernée par la place qu’ils occupent dans la vie régionale et nationale, les difficultés qu’ils rencontrent en ce moment et l’action que requiert leur défense.

La Bretagne est aujourd’hui une région développée, dynamique. Elle l’est notamment en raison de la place qu’y tiennent les services publics. Je terminais un récent article dans la publication de l’Union Bretagne-Ile de France par cette expression d’Yves Le Gallo qui parlait de la « ruée vers l’instruction » des cinquante dernières années dans le Léon comme cause de cet essor, avec en particulier la création de l’Université de Bretagne Occidentale (UBO) en 1970. La remarque vaut évidemment pour toute la Bretagne où l’Éducation nationale a joué un rôle essentiel dans l’élévation du niveau global d’instruction. Mais on pourrait en dire autant des services publics de la santé, des transports, de la poste, de la justice, de l’administration générale, qu’il s’agisse des services publics de État ou des collectivités territoriales. À quoi il convient d’ajouter les activités des entreprises publiques d’EDF, GDF, de constructions navales ou encore de télécommunications. Au total, si la région Bretagne représente 4 % de la population française, elle dispose de 4,8 % des fonctionnaires, et 6,5 % si l’on considère les 5 départements bretons. 325 000 fonctionnaires (dont 30 000 militaires) y travaillent dans les fonctions publiques de l’État, territoriale ou hospitalière créées statutairement en 1983-1984-1986. Mais l’importance des services publics de Bretagne ne se mesure pas seulement par des chiffres. Qu’il me soit permis de souligner ici le rôle de l’école publique dans l’affirmation du principe de laïcité qui demeure une question cruciale. Celui des administrations civiles et militaires dans l’expression de la citoyenneté et la conception de l’intérêt général, de la promotion de l’État de droit. Ainsi, outre de nombreux hauts fonctionnaires et d’éminents juristes issus de la région, sait-on que l’un des grands arrêts parmi les plus connus du Conseil d’État porte le nom d’Institution Notre-Dame du Kreisker ? Il date de 1954, il s’agissait du Kreisker de St Pol-de-Léon.

Or, nul n’ignore que de fortes inquiétudes pèsent aujourd’hui sur ces services publics. On s’est félicité dernièrement de constater que la Bretagne était relativement épargnée par la restructuration de la carte militaire qui prévoit une réduction de 54 000 postes au niveau national : « L’Ouest limite la casse » titrait Le Télégramme le 25 juillet. Mais c’est surtout parce que la Bretagne a déjà beaucoup donné – je veux dire plutôt, beaucoup perdu – dans le secteur avec, depuis longtemps, le déplacement de la flotte à Toulon et le démembrement des activités de construction et de réparation navales notamment. Dans la plupart des autres services publics, on doit évoquer les réductions du nombre de classes et de personnels enseignants dans plusieurs établissements, les effets désastreux de la carte judiciaire, ou de la carte hospitalière dans tous les départements bretons ; dans ce dernier secteur, non seulement à Carhaix qui a focalisé l’attention dans la dernière période, mais aussi à Dinan, Quimperlé, Concarneau, Douarnenez ou Guingamp dont le pôle de soins est menacé par la concurrence d’un projet de clinique polyvalente privée près de Saint Brieuc. À cela il convient d’ajouter les menaces de privatisation qui pèsent désormais sur le réseau routier des voies expresses bretonnes depuis la déclaration, il y a quelques semaines, du PDG de Cofiroute, proposant d’étendre à ces voies le régime de la concession de leur gestion ce qui entraînerait l’institution de péages. Ce serait alors la fin de la spécificité bretonne qui, comme d’autres régions excentrées exige, dans le cadre d’un aménagement équilibré du territoire, que l’on reconnaisse que l’application même du principe d’égalité ait comme conséquence que des mesures spécifiques soient prises en compensation de handicaps liés à l’enclavement de la région. Ce sont là les traductions bretonnes d’une politique menée au niveau national dite « Révision générale des politiques publiques (RGPP) ». Son objectif est de réduire les dépenses publiques et de remplacer les règles de l’intérêt général et du service public par celles du marché dont on sait, par expérience, qu’elles accentuent les inégalités. Cela est inadmissible pour des services publics dont la vocation est de servir les besoins essentiels de la population, de servir l’intérêt général.

Mais il n’y a là rien d’une fatalité. Il est possible de faire échec à cette dérive ; la preuve en a été apportée par Carhaix, où une puissante mobilisation populaire, entraînant la participation d’élus de tous bords, y compris de membres de la majorité présidentielle actuelle, est parvenue à empêcher la fermeture des services de maternité et de chirurgie de l’hôpital. Cette action rejoint celle conduite pour mener à bien, par priorité du plan routier breton, la mise à deux fois deux voies de la RN 164, l’axe routier central de la Bretagne que cofinancent les collectivités territoriales et l’État pour continuer de garantir, dans les meilleures conditions de service public, la gratuité d’usage des voies routières en Bretagne. Elle rejoint également l’action dans laquelle l’Union des sociétés bretonnes de l’Ile de France s’est impliquée : trouver une solution technique et manifester une volonté politique de mettre Brest et Quimper à 3 heures de Paris par transport ferroviaire, action qui a connu un premier succès important le 29 juillet avec la signature de l’engagement financier de l’État à hauteur d’un milliard d’euros sur le projet permettant de mettre Quimper et Brest à 3 h 08 de Paris à partir de 2014, les travaux commençant en 2010. Nous sommes donc tout près du but et je veux souligner, à ce sujet, l’action de Gérard Lahellec, vice-président de la Région en charge des transports, dont le rôle a été déterminant en cette affaire. Pour autant, cet exemple nous montre aussi, que même en comptant que de nouvelles forces vont se lever dans la région pour défendre les services publics qui s’y trouvent, il faut bien avoir conscience que la Bretagne ne sauvera pas toute seule ses services publics. Puisque leur mise en cause est nationale, la réaction doit être nationale et les Bretonnes et les Bretons, où qu’ils se trouvent, en Bretagne comme en Ile de France, doivent conjuguer leurs efforts – comme nous le faisons en réalité aujourd’hui – pour qu’une politique de développement et non de régression des services publics soit mise en place, ce qui implique que les fonctionnaires et les agents des entreprises publiques soient confortés dans une position statutaire et réglementaire et non contractuelle. Et ceci, non seulement pour défendre ce qui existe, dont j’ai dit les qualités, mais pour porter à un niveau encore plus élevé la satisfaction des besoins fondamentaux de la population en mettant en oeuvre les techniques les plus développées après un débat démocratique. Ma conviction est que pour la Bretagne, pour la France et pour le Monde, le XXI° siècle pourrait être et devra être « l’âge d’or » du service public.

Déjà, un fort mouvement s’est mis en marche depuis le printemps dernier avec le lancement d’une pétition sur le thème : « Le service public est notre richesse ». Cette pétition – comme à Carhaix – a été lancée par une soixantaine de personnalités d’horizons très divers. Elle a recueilli pour le moment plus de 60 000 signatures et sera prolongée par de nombreuses initiatives publiques au cours des prochains mois, afin de donner au mouvement toute l’ampleur nécessaire. Je vous invite à la signer et je souhaite que l’Union des sociétés bretonnes de l’Ile de France s’associe elle-même, en tant que telle, à cette action (1).

 

 

(1) Pour tout contact : contact@service-public-notre-richesse.fr ainsi que http://www.service-public-notre-richesse.fr

 

La Charte européenne des langues régionales et minoritaires : une régression

 Article publié dans Témoignage chrétien en décembre 1999

 

Les partisans de la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires jouent sur une ambiguïté qu’il faut lever d’entrée. Est-il souhaitable de soutenir la connaissance et l’apprentissage des langues régionales en tant qu’elles appartiennent à notre patrimoine culturel et qu’elles répondent à une demande d’une partie de la nation ? La réponse est oui. Est-il souhaitable de ratifier la Charte européenne en tant qu’elle confère des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de ces langues à l’intérieur de « territoires » et en reconnaissant un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la « vie privée » mais également dans la « vie publique » (justice, autorités administratives et services publics) ? La réponse est non. Ces deux questions sont en effet totalement distinctes. Et qu’on ne dise pas que le gouvernement n’a accepté de souscrire qu’à 39 des dispositions de la Charte, voulant ignorer les autres. La ratification une fois acquise sur ces bases, c’est à l’ensemble de la Charte que la France aurait été réputée avoir souscrit.

Ainsi en a justement décidé le Conseil constitutionnel le 15 juin dernier après un avis donné dans le même sens par le Conseil d’Etat le 24 septembre 1996. Réaction jacobine ? En aucune façon. Cette décision se borne à rappeler que selon l’article 2 de la Constitution « La langue de la République est le français » et que la République ne reconnaît pas de droits spécifiques à des groupes, communautés ou minorités plus ou moins directement rattachés à des pays ou des régions. Le choix de la France est de fonder le principe d’égalité des droits sur l’égalité des citoyens et non sur celle de communautés définies par l’un ou l’ensemble des critères suivants : la culture, la langue, la religion, ou l’ethnie.

Cela ne signifie pas pour autant que ces critères doivent être ignorés dans l’organisation de la vie en commun de l’ensemble des ressortissants de la nation. Ainsi n’est-il pas réellement contesté qu’en matière de culture, la diversité est richesse et qu’aucune limite ne doive être opposée au développement de toutes les cultures concourant à la pensée universelle. En ce qui concerne la langue, le dépérissement des plus faibles doit être combattu et le Conseil constitutionnel a justement fait remarquer, qu’à l’exception des dispositions anticonstitutionnelles indiquées ci-dessus, la plupart des engagements souscrits par la France « se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en oeuvre par la France ». En matière religieuse, la loi de séparation des Églises et de l’Etat de 1905 a réglé la question sur la base du principe de laïcité. Quant à l’ethnie, c’est un principe constant, qu’aucune discrimination ne saurait être admise sur la base de ce critère qui confine à la discrimination raciale.

Nous disposons donc de références juridiques et d’une tradition républicaine qui permet dans la clarté et avec audace un développement culturel sans entrave. Alors pourquoi ce procès trouble et délibérément passionné ? Je ne mets pas en doute la sincérité de ceux qui, légitimement attachés à leur culture d’origine et à la langue qui peut lui servir de support, veillent à ce que rien ne leur porte atteinte ; en l’espèce, ce n’est pas le cas. On ne saurait admettre, en revanche, que d’autres, poursuivant de tout autres objectifs, profitent de ce débat pour mettre en cause des principes républicains qui fondent notre conception de la démocratie et de la souveraineté au profit de l’idéologie communautariste qui domine actuellement la construction de l’Union européenne ignorant notamment, voire récusant, le service public, la laïcité et le droit du sol comme fondements de l’égalité des citoyens.

« Plutôt cette Europe que la République française », tel pourrait être, en résumé, l’axe de la démarche des communautaristes qui avancent trois types de revendications : disposer d’une autonomie de gestion des affaires propres de la communauté ; établir par-dessus les frontières des relations organiques avec des ressortissants de la même ethnie, concurrençant et, le cas échéant, contestant les États de droit respectifs ; et pour cela faire de la langue le vecteur d’un droit à la différence poussé jusqu’à la différence des droits des communautés. C’est donc une remise en cause complète du pacte républicain et, dans l’esprit des plus farouches, de la République elle même. C’est cela qui est inadmissible et qui doit être dénoncé, comme l’attribution à un collège d’enseignement en breton ( Diwan ) de la banlieue brestoise du nom de Roparz Hamon, condamné à dix ans d’indignité nationale en 1945 !

Il ne s’agit donc en rien d’une revendication de modernité mais de la résurgence sporadique de ce que ce pays compte de plus réactionnaire et qui profite de toutes les circonstances que lui offre une situation politique décomposée pour enfoncer autant de coins dans l’édifice républicain. Il est navrant que des représentants de la gauche officielle prêtent la main à de telles entreprises. Ils oublient que, s’il est vrai que les langues régionales ont parfois été maltraitées dans le cours d’une histoire qui a vu l’affirmation de la République, c’est cette histoire aussi qui a, grâce au français, dégagé les citoyens des obscurantismes et des fatalismes, fait progresser les libertés publiques et individuelles, favorisé les échanges culturels entre les régions, fait respecter les mêmes règles de droit sur l’ensemble du territoire national, donné au mouvement pour la démocratie économique et sociale toute son ampleur.

Il est facile dans ces conditions, afin de provoquer des réflexes conformistes d’assentiment, de s’en prendre aux Jacobins, ce qui dispense de toute argumentation sérieuse. Qu’il me soit permis de rappeler à ceux-là et à ceux qui les suivent sans trop réfléchir, qu’avant de s’installer dans la bibliothèque du couvent dont ils prirent le nom, rue Saint-Honoré à Paris, le 27 octobre 1789, le Club des Jacobins avait son siège à Versailles et s’appelait … le Club breton.

Anicet  Le Pors . Ancien ministre de la fonction publique et des réformes administratives (1981-1984). Conseiller d’État. Président d’honneur de l’Union des sociétés bretonnes de l’Ile de France. Auteur du Que sais-je ?  : « La citoyenneté », P.U.F., 1ère éd .1999, 3ème éd. 2003

Le sarkozisme en voie de constitutionnalisation – L’Humanité, 4 août 2008

Nicolas Sarkozy n’a pas de l’État de droit une conviction chevillée au corps. En témoigne le peu de cas qu’il a fait depuis son élection du texte en vigueur (art. 20 de la constitution : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ») et la désinvolture avec laquelle il a traité le Parlement (39 projets de lois débattus dans des conditions détestables). Il se veut pragmatique avant tout. Aussi ne faut-il pas s’attacher excessivement à l’exégèse du texte adopté par le Congrès, pour dégager plutôt la signification politique de la réforme.

Une opération de légitimation opportuniste

Cette réforme portant sur la constitution elle-même doit être replacée dans le champ plus large des réformes tendant à restructurer la France pour la mettre en compatibilité avec les lois du marché. C’est une réforme parmi d’autres dont la spécificité est d’accroître la légitimité du Président. Tous les moyens de l’État et du parti majoritaire, même les plus discutables et les plus indignes, ont été mobilisés pour assurer un succès dont l’étroitesse même souligne le risque soi-disant encouru et la figure de gagneur de son initiateur.

C’est aussi un « coup politique » car a été mis en avant l’objectif paradoxal de renforcement des droits du Parlement alors que celui-ci est tenu pour secondaire dans la logique des institutions de la V° République en dépit de ses concepteurs qui y voyaient un « parlementarisme rationalisé », vite contredit par l’institution de l’élection du Président de la République au suffrage universel en 1962, ultérieurement par la réforme du quinquennat en 2000 confortant la prééminence de l’élection présidentielle. Et c’est aujourd’hui l’omniprésent Président de la République, celui qui a le plus personnalisé le pouvoir exécutif, qui se pose en promoteur de la représentation nationale !

La portée politique de la réforme tient également aux dégâts qu’elle cause à gauche. Le Parti socialiste sort ébranlé de cette séquence après avoir fait la démonstration de son inconséquence pour avoir refusé des mesures qu’il préconisait sans remettre en cause les fondamentaux de la V° République. Les autres partis de gauche n’ont guère pu faire entendre leur voix, l’opération favorisant la bipolarisation et les mettant par là hors-jeu. Notons encore qu’il a été peu question de VI° République, la démonstration étant ainsi faite de l’inconsistance du slogan.

Le trompe l’oeil du renforcement des droits du Parlement

D’éminents constitutionnalistes, notamment ceux qui comme Jack Lang ou Guy Carcassonne participaient à la commission Balladur, se sont évertués à nous démontrer que le projet de loi constitutionnelle renforçait les droits du Parlement. Isolées du contexte et en choisissant d’ignorer leur usage prévisible, certaines dispositions du projet peuvent en effet être ainsi présentées. Mais c’est porter sur la réforme un regard de myope que de la considérer sur le seul terrain du droit positif.

Certaines des mesures adoptées vont même dans le sens d’une restriction ou d’un usage plus malaisé des droits du Parlement : ainsi le droit d’amendement sera dorénavant strictement circonscrit. Mais, surtout, il est possible de contester point par point l’effectivité des prétendues avancées. Les limitations apportées à l’exercice de l’article 49-3 n’emportent pas de changement notable par rapport à l’usage qui en a été fait jusqu’à présent par les gouvernements ; la maîtrise de l’ordre du jour ne laissera en réalité qu’un jour par mois à la disposition de l’opposition, la nouvelle partition introduite entre le Gouvernement et sa majorité parlementaire ne changeant rien au fond puisqu’ils sont ensemble sous la tutelle du président ; le contrôle renforcé de l’exécutif est sans portée avec une majorité aux ordres, de même que les pseudo limitations apportées au pouvoir de nomination du président, etc. S’agissant de nouveaux droits qui seraient accordés aux citoyens, le référendum d’initiative populaire n’a rien à voir avec une réelle initiative populaire des lois. Pour le pouvoir, l’essentiel est dans l’apparence.

Une caractéristique peu soulignée de la révision est le renvoi de l’explicitation des dispositions constitutionnelles à une dizaine de lois organiques ou aux règlements des assemblées sous un encadrement constitutionnel très faible. Cela veut dire qu’il sera possible de revenir de manière restrictive, à la majorité simple des assemblées, sur nombre des dispositions adoptées.

L’important est dans la mise en perspective présidentialiste

Et d’abord dans la pratique des institutions ainsi réformées. On ne voit pas pourquoi l’actuel Président de la République prendrait plus de soin a l’égard des institutions modifiées qu’il n’en a témoigné jusqu’à présent vis-à-vis de celles en vigueur, qu’il s’agisse de sa conception du rôle de Premier ministre réduit à celui d’un simple collaborateur, des attributions dévolues au secrétaire général de l’Élysée et à ses collaborateurs, de la tentative de contournement du Conseil constitutionnel à l’occasion de la rétroactivité de la loi sur la justice, de la précipitation dans l’élaboration de multiples textes législatifs ou réglementaire empêchant le débat contradictoire et la concertation, de sa présence quotidienne dans les médias, de l’utilisation du compassionnel et de sa vie privée dans les affaires publiques. On ne voit pas davantage pourquoi sa majorité parlementaire qui a accepté tout cela changerait de comportement dans un contexte modifié de manière aussi ambiguë, ce que certains commentateurs traduisent par une question faussement ingénue : le Parlement voudra-t-il se servir de ses nouveaux droits ?

Mais la remarque principale tient sans doute dans la réponse à la question suivante : la réforme qui a été approuvée de justesse par le Parlement ne serait-t-elle qu’une étape vers un modèle plus significatif d’un pouvoir plus franchement présidentiel ? On a noté que le Président de la République avait dû, pour faire passer la réforme dans une situation incertaine, en rabattre sur certaines de ses propositions tenant en particulier au rôle du Premier ministre. Édouard Balladur, dont la commission qu’il présidait a inspiré l’actuelle réforme, n’a pas caché qu’il ne s’agissait pour lui que d’une étape vers un vrai régime présidentiel. Pour y parvenir il faudrait à la fois supprimer la responsabilité du pouvoir exécutif devant le Parlement et le droit de dissolution de l’Assemblée nationale du Président de la République. Nous y sommes presque. Sur le premier point, l’affaiblissement du Premier ministre met dès maintenant face à face le Président de la République et le Parlement devant lequel il n’est pas lui-même responsable ; la condition est donc pratiquement réalisée. Sur le second, rien ne presse le président de se priver du droit de dissolution.

La voie est ainsi ouverte à un pragmatisme qui s’affranchirait aisément d’un encadrement institutionnel aussi ambivalent. Robert Badinter a parlé de « monocratie », j’ai pour ma part évoqué la « dérive bonapartiste » qui caractérisait l’action de Nicolas Sarkozy dans les mois suivant son élection. L’expérience permettra pour l’avenir de choisir la qualification la plus pertinente. L’important est aujourd’hui de prendre acte d’une évolution de la pratique du pouvoir qui tourne le dos à l’exercice par les citoyens et leurs représentants de la souveraineté nationale et populaire. Les défenseurs de la réforme qui vient d’être adoptée minorent l’importance de la disposition sur laquelle le Président de la République n’est pas revenu et à laquelle il attache, lui, la plus grande importance : la possibilité qui lui est désormais ouverte de s’exprimer quand il le voudra devant le Parlement réuni en Congrès ; réforme hautement symbolique et par là fortement politique. L’un d’eux, Guy Carcassonne, a dû cependant reconnaître et avertir : avant Nicolas Sarkozy, trois chefs de l’exécutif se sont exprimés devant des assemblées parlementaires, Louis XVI devant les États généraux, Thiers et Mac-Mahon sous la III° République. Et à chaque fois ça s’est mal terminé …

À PROPOS D’IDENTITÉ – Bretagne-Ile de France, avril 2008

« Identité et violence » d’Amartya-Sen, prix Nobel d’Économie *

C’est une grande leçon d’humanité que livre Amartya-Sen dans son dernier ouvrage Identité et violence, livre d’une grande utilité pour tous ceux qui s’interrogent sur la manière de concilier un engagement libre dans le monde et la fidélité à des origines que nous n’avons pas choisies, mais auxquelles il est légitime que nous tenions. Pour cet intellectuel indien des plus illustres, longtemps président du Trinity Collège à Cambridge, professeur à Harvard et prix Nobel d’Économie en 1998, le monde semble redevenir une fédération de « cultures », de « civilisations », de « religions » où chacun est sommé de se ranger. Il remet en cause l’idée d’Occident, d’Asie, d’Afrique monolithiques, chacun de ces ensembles ayant connu des périodes fastes et d’autres sombres, ainsi que toute idée de blocs prétendant enfermer des populations seulement identifiées par un critère dominant : la religion, l’ethnie, la culture, la langue. Pour se faire comprendre, il prend son propre exemple : « Je peux d’être à la fois asiatique, citoyen indien, bengali d’origine, résider au Royaume-Uni, être économiste, enseigner la philosophie, écrire des livres, connaître le sanskrit, croire dur comme fer en la laïcité, être un homme, féministe, hétérosexuel et défenseur des homosexuels, exclure la religion de mon mode de vie, être de culture hindoue, ne pas croire en la vie après la mort ». Et il ajoute : « L’individu doit décider seul de l’importance qu’il doit accorder aux différents constituants de son identité et cette importance dépend du contexte ».

L’auteur s’oppose ainsi farouchement à toute approche fondée sur le « choc des civilisations » particulièrement avancée depuis les attentats du 11 septembre 2001 dont il conteste le « chaos conceptuel ». Il dénonce la violence qui « naît de ces identités singulières et belliqueuses, imposées à des esprits crédules, cornaqués par les habiles artisans de la terreur ». Il dénonce la pensée communautariste qui enferme les individus dans ce qu’il appelle des « petites boites », démarche réductrice qui ne permet pas le plein épanouissement de la personne et lui masque les solidarités qui la lient aux autres en segmentant le genre humain. La liaison entre identité et violence lui semble étroitement associée à la conception que l’on a du multiculturalisme : dans une première acception, le multiculturalisme encourage la diversité culturelle résultant du libre choix de l’individu, la diversité est alors richesse ; dans le second cas, il s’agit de promouvoir la diversité en soi pour opposer sa singularité aux autres, elle est alors étroitesse et potentiellement dangereuse en ce qu’elle peut déboucher sur la confrontation et la violence. Elle n’est alors, selon Amartya Sen, qu’un « monoculturalisme pluriel » qui maintient les cultures à distance les unes des autres et ne laisse plus de place à la cohésion nationale et à l’exercice de la citoyenneté.

Cela l’amène à condamner la réduction de l’Inde à « la civilisation hindoue », les théories de « l’exclusivité islamique » mais aussi la « centralité de l’Occident » qui aurait apporté au monde le savoir et la démocratie ; il montre que cela ne correspond pas à la réalité, que l’histoire des idées, de la science, de la démocratie est mondiale. Il invite à contester ce type de terrorisme idéologique ségrégatif pour s’appuyer sur la multiplicité des identités qui composent l’individu. Dans cet esprit, il attire l’attention sur le danger qu’il y aurait à se contenter de dénoncer les différentes formes de communautarisme, attitude qui pourrait faire courir le risque de tomber soi-même, par simple esprit de contradiction, dans une forme de démarche communautariste. Il convient avant tout, pense-t-il, de se construire comme personne, partie prenante du genre humain. La leçon vaut pour ici et maintenant : ainsi peut-on, dans le même temps, se sentir Breton né ou non en Bretagne, être adhérent d’un syndicat, courir le marathon, militer dans un parti, goûter le cassoulet, rechercher les concerts de Cécilia Bartoli, aimer voyager à l’étranger, passer ses vacances dans le Léon, agir dans de multiples associations, aider les mouvements humanitaires dans les pays pauvres, fréquenter les banquets de l’Union des sociétés bretonnes de l’Ile de France. Et pour toutes ces raisons et par ces moyens, se vivre pleinement citoyenne ou citoyen français travaillant à l’avènement d’un monde fraternel.

Anicet Le Pors

* Amartya Sen, Identité et violence, Odile Jacob, 2007

 

 

Pour la mise en perspective d’une citoyenneté mondiale – El Watan, 3 janvier 2008

Anicet le Pors. Ancien ministre, conseiller d’Etat dans le gouvernement du socialiste Pierre Mauroy

Anicet Le Pors, ancien ministre communiste, conseiller d’Etat de 1981 à 1984 dans le gouvernement du socialiste Pierre Mauroy, était un des invités de marque du colloque international organisé dernièrement à la Bibliothèque nationale autour du thème « L’Etat nation à l’heure de la mondialisation ». M. Le Pors qui se consacre à l’analyse politique et sociale  depuis plus de deux décennies a apporté une contribution originale aux travaux de cette rencontre en abordant le thème de la citoyenneté à l’heure de la mondialisation. Nous lui avons posé quelques questions sur ce thème.


La citoyenneté inventée par les Grecs de l’antiquité et adoptée par les Romains est une catégorie politique qui a commencé à devenir un outil de progrès avec la Révolution française. Quels peuvent être de nos jours la réalité et le poids de l’action citoyenne, notamment à un moment où la mondialisation chamboule pratiquement tout ?

Hé bien la mondialisation, en fait, ne chamboule pas tout puisqu’il continue d’exister de plus en plus d’Etats nations et les nations étant rien d’autres que des communautés de citoyens qui se reconnaissent à la fois dans des valeurs partagées, dans un exercice effectif de leur statut social et dans une histoire qui, au jour le jour, correspond à une certaine dynamique de développement. Alors certaines de ces valeurs peuvent être partagées par des communautés de citoyens différentes mais il est normal de considérer que chaque peuple développe de manière originale son histoire. J’ai évoqué pour ce qui concerne la citoyenneté française qu’elle était ancrée sur des valeurs d’intérêt général avec le service public comme une expression forte, sur la notion d’égalité, l’égalité sociale devant essayer de rejoindre l’égalité en droit proclamée par la déclaration des droits de l’homme de 1789, puis un sens de la responsabilité qui est rendu possible par le fait qu’on considère que la responsabilité des citoyens et citoyennes, c’est de forger les règles de la vie en société et que c’est le principe de laïcité qui le leur permet en les rendant pleinement responsables de cela.  Alors évidemment cela conduit à la construction d’un Etat de droit où les citoyens doivent avoir des droits et des obligations, où ils doivent participer à tous les niveaux à l’élaboration de la loi et à la gestion des affaires de la cité et puis également, ils doivent s’inscrire – je dirais ce n’est pas la généralité – mais d’une manière militante dans la construction d’un avenir pour les générations à venir de même qu’ils doivent avoir le souci de l’héritage qu’ils ont reçu des générations antérieures. C’est donc dans une continuité historique qu’il faut situer la citoyenneté.

Existe-t-il d’ores et déjà une citoyenneté européenne ou sommes-nous encore en présence de particularismes nationaux ? Peut-on espérer voir naître et se développer une citoyenneté mondiale ?

Le traité de Maastricht a instauré – décrété, je dirais – une citoyenneté européenne sous la formulation suivante : il existe une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre. C’est une définition très critiquable en ce sens qu’elle identifie citoyen et personne. On peut être une personne sans être un citoyen. Et puis bizarrement elle passe par la nationalité qui existe dans chaque Etat membre pour essayer d’imaginer une citoyenneté européenne d’un niveau supérieur. En fait, il s’agit d’une tautologie qui n’est pas efficace et qui, au surplus dans l’énumération qui est faite des droits de ce citoyen européen, est d’une extrême pauvreté : c’est le droit à la circulation, c’est le droit de vote dans des conditions très restrictives aux élections locales et européennes, c’est le droit de recours à un médiateur, à la protection diplomatique. Cela ne va guère au-delà.  Donc c’est une citoyenneté qui intrinsèquement est mal définie et qui ne rassemble qu’une quantité de droits tout à fait inférieure à celle qui existe dans chacune des nations. Alors on a pu dire que c’est une citoyenneté de superposition qui pose la question de savoir pourquoi elle a été instaurée. Et je crois qu’elle a été instaurée pour mettre en perspective une Europe fédérale qui se substituerait aux différents Etats nations européens d’aujourd’hui qui tendrait à dissoudre et ces Etats et les citoyennetés qui ont été secrétées dans l’histoire de chaque Etat et donc de plaquer au-dessus du continent européen une superstructure alors qu’il n’existe ni peuple ni nation européens. C’est donc un instrument que je qualifierais de technocratique, de purement technique mais qui ne correspond pas à la réalité vivante et historique des peuples européens. S’agissant de la citoyenneté mondiale, est-ce que l’on peut imaginer des valeurs, un exercice et une dynamique de citoyenneté mondiale ? Je crois qu’on peut raisonnablement et qu’il est souhaitable de mettre cette citoyenneté mondiale en perspective car nous sommes à un moment historique très privilégié, très particulier qui est celui d’une prise de conscience de l’unité de destin du genre humain. Les hommes couvrent la planète, l’ont exploitée pendant tout un temps de manière extensive et aujourd’hui ils prennent acte de leurs limites et des atteintes qui peuvent être portées au genre humain par une exploitation irrationnelle et par la méconnaissance des droits que tous les humains sont en droit de revendiquer. C’est pourquoi je crois qu’effectivement il faut mettre cette citoyenneté mondiale en perspective ; ce qui n’exclurait pas forcément des citoyennetés intermédiaires au niveau des différents continents. Je crois, d’ores et déjà, qu’on peut mettre à l’ordre du jour cette citoyenneté mondiale avec des valeurs comme la paix, la sûreté, la protection de l’écosystème, comme la promotion des droits des hommes et des femmes, etc. Puis je crois qu’on peut développer aussi des instruments de cette citoyenneté à travers la promotion du droit international.

A ce propos, peut-on parler d’actions citoyennes lorsqu’on est en présence des activités des Organisations non gouvernementales (ONG) et des Organisations intergouvernementales (OIG) ou ces organisations ne seraient-elles en réalité que des prolongements étatiques ?

Je ne pense pas qu’on puisse dire que ce sont des prolongements étatiques car beaucoup d’ONG ignorent leurs attaches proprement étatiques. Moi, je dirais que les ONG sont une expression du développement de liens sociaux spécialisés à l’échelle des Etats, des continents ou du monde mais je n’attends d’elles que la fabrication, je dirais, d’une sorte de citoyenneté sauvage et qui en aucun cas ne saurait prendre la place des Etats nations discutant entre eux et construisant entre eux un bien commun mondial en quelque sorte.

Comment peut-on apprécier la situation dans les pays du Sud sachant que la citoyenneté ne peut s’épanouir que dans des espaces où existent les libertés fondamentales ?

Je ne sais pas si on peut caractériser les pays du Sud comme étant des pays privés de libertés fondamentales ; ce serait certainement trop simple car il existe des atteintes très fortes à ces libertés dans les pays du Nord également mais effectivement cela nous invite à parfaire notre compréhension et l’extension de l’application de ce qui est convenu d’appeler les droits de l’homme tout en soulignant les limites et ces limites à mon avis sont celles du fait que d’abord les droits de l’homme constituent des ensembles peu précis dont la traduction juridique n’est pas certaine, qui ne sont pas marqués par une histoire, qui ne se rattachent pas à des histoires très concrètes et généralement ne sont pas porteurs de projets de société précis. Je ne veux pas évidemment prendre position contre les droits de l’homme mais je veux simplement montrer qu’ils sont un signe de désenchantement du monde. On s’efforce de défendre le minimum, l’essentiel mais sans que pour autant on soit en mesure sur cette seule base de tracer une perspective et un avenir aux Etats et au genre humain.

Par  A. Ancer

La rencontre des citoyennetés dans la mondialisation – Alger 8 et 9 Décembre 2007

Colloque de l’Association Algérienne pour le Développement de la Recherche
en Sciences Sociales (AADRESS) – Alger 8 et 9 Décembre 2007
L’ÉTAT NATION À L’HEURE DE LA MONDIALISATION
J’ai remarqué que tous les intitulés des interventions prévues par le programme de ce colloque présentaient la mondialisation comme une menace à conjurer, identifiée à la mondialisation du capital. Je ne conteste pas que cette réalité soit importante. Je voudrais toutefois prolonger certaines des remarques faites ce matin par MM. Ahmed Benbitour et Frank Renken pour développer une autre approche de la mondialisation, peut être plus positive, plus optimiste. À mes yeux, la mondialisation n’est pas seulement celle du capital qu’il suffirait de contester et de combattre pour assumer une action progressiste, c’est aussi un moment important, exceptionnel, du genre humain que nous avons la chance de vivre, qu’il convient d’abord d’analyser et de comprendre pour lui apporter une issue démocratique.

 

Je fonde cette affirmation sur deux types d’expériences. D’abord une expérience professionnelle : j’ai commencé dans la vie active comme ingénieur à la Météorologie nationale française et cela m’a vite appris que les perturbations ignoraient les frontières et que leur vie participait d’un système global régi par la thermodynamique, la mécanique des fluides et bien d’autres sciences de la nature. Avec des dizaines de milliers de météorologistes de la planète j’ai participé à des observations, des études, des prévisions réalisées selon des règles identiques sur l’ensemble du globe, ayant recours aux mêmes codes, aux mêmes langages pour les mêmes objectifs : connaître et prévoir. J’en ai tiré bien des réflexions philosophiques. Ensuite une expérience militante : j’ai été engagé trente-six ans dans une organisation politique, le parti communiste français, dont l’internationalisme était une valeur consubstantielle, ce qui n’a pas empêché des erreurs d’analyse, notamment concernant le fait colonial. Mais le « prolétaires de tous les pays, unissez vous ! » constituait une vérité première, tout comme cette phrase de Jean Jaurès : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène ». Nous sommes bien là dans le thème du colloque.

 

Je pense donc pouvoir affirmer que la mondialisation peut relever aussi d’un optimisme raisonnable. Dans une première partie, je m’efforcerai d’exposer des éléments de compréhension de cette mutation que l’on dit mondialisation ou globalisation (je ne pense pas, pour ma part qu‘il soit très utile de gloser sur les différences existant entre ces deux concepts). Dans une seconde partie, j’aborderai plus directement, le thème sur lequel je me suis engagé : « La rencontre des citoyennetés dans la mondialisation ».

 

1. LA MUTATION MONDIALE : UN MOUVEMENT DE DÉCOMPOSITION-RECOMPOSITION

 

p1000752.1197624445.JPGAlfred de Musset dans Confession d’un enfant du siècle écrit en 1836 : « Le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris ». Je pense que nous sommes aujourd’hui dans un moment de ce type, sans doute plus important encore que celui qu’évoquait le poète. De nombreux auteurs, comme Marcel Gauchet dans son livre Le désenchantement du monde ou encore l’intellectuel catholique René Rémond, dans un petit ouvrage intitulé Regard sur le XX° siècle, ont caractérisé ce siècle comme un siècle « prométhéen », dominé par l’épopée communiste, où l’homme a cru pouvoir dominer la nature grâce au pouvoir scientifique et forger lui-même son destin de toutes pièces. On sait ce qu’il en est advenu. Mais cela n’invalide en rien la caractérisation de la période ni la leçon de l’histoire.

 

1.1. Un monde désenchanté

 

Nous en sommes sortis pour entrer dans une période de transition vers on ne sait quelle nouvelle civilisation, mais où d’ores et déjà nous savons qu’elle concernera le monde entier. Dans l’immédiat, ce qui domine, c’est l’incertitude, le désarroi, l’incapacité dans laquelle nous nous trouvons de prévoir notre destin, car nous ne disposons pour explorer le présent et l’avenir que des outils théoriques du passé. C’est pourquoi on parle, sur le mode trivial, de « perte des repères ». Personne n’a encore réuni les outils théoriques permettant d’analyser correctement la décomposition du monde ancien et la recomposition du monde nouveau.

 

La décomposition s’exprime par une multitude de phénomènes disparates qui semblent n’avoir aucun lien entre eux, les uns inhérents au développement économique, les autres plus directement imputables au modèle libéral dominant. Les symptômes ne manquent pas pour caractériser une société profondément ébranlée, en proie à une angoisse de type millénariste, doutant de ses valeurs et de la possibilité d’agir sur le cours de son destin : du désastre de Tchernobyl à la désagrégation de la couche d’ozone, des trafics d’organes au sida, du développement des jeux de hasard à la multiplication des sectes, du chômage et de la précarité à la montée de l’insécurité, de l’importance des taux d’abstention dans les urnes à l’affaiblissement du sens civique, etc. Cette crise de civilisation nécessiterait une recherche multidisciplinaire qui permettrait de mieux distinguer le fondamental de l’occasionnel, la dérive évolutionniste de l’imputable au mode de production, ce qui ne contredirait pas la profonde unité dialectique du processus. À défaut, peut-on essayer d’identifier quelques uns des changements structurels intervenus au cours des dernières décennies.

 

1.2. Les facteurs de décomposition

 

Je voudrais simplement, pour ma part, évoquer cinq causes qui me semblent résider au cœur de la décomposition actuelle et qui peuvent constituer des points d’appui d’une réflexion sur la recomposition future mais peut être déjà à l’oeuvre.

 

La relativisation de l’État-nation dans le processus de mondialisation

 

Ce processus marque contradictoirement l’état social. La mondialisation est une donnée sans précédent qui identifie notre époque. « La Terre étant une sphère, ne permet pas aux hommes de se disperser à l’infini, mais les contraint à supporter malgré tout leur propre coexistence » avertissait déjà Emmanuel Kant en 1795 ; il est courant aujourd’hui de parler de Terre-patrie avec Edgar Morin. L’attention reste cependant centrée sur la mondialisation du capital qui a donné naissance a contrario à l’alter-mondialisation de ses contestataires. Il existe en réalité un mouvement global de mondialisation, mêlant potentialités et dominations, dont le capital n’est qu’une des dimensions et qui concerne également les communications, la culture, les mœurs, les sciences, l’information, le droit, la solidarité humanitaire, etc. Dans ces conditions nouvelles contemporaines, les États-nations qui ont structuré l’organisation mondiale des peuples sont appelés à s’interroger sur leur réalité contradictoire : ils n’ont jamais été aussi nombreux (quelque cent quatre vingt douze contre une cinquantaine au lendemain de la seconde guerre mondiale), mais leur existence est régulièrement contestée de l’intérieur comme de l’extérieur par des revendications infra et supranationales. Toutefois, « la nation est en vérité une idée géopolitique essentielle parce que, d’une part, elle se réfère à un territoire, son territoire, et que, d’autre part, elle implique la question du pouvoir » écrit le représentant de l’école française de géopolitique Yves Lacoste. Les conflits territoriaux se référant directement aux identités étatiques sont à l’origine de la plupart des affrontements régionaux. Des nationalismes s’exacerbent. Les cadres nationaux restent déterminants de l’organisation politique des peuples qui vivent, construisent, votent, réfléchissent avant tout dans le cadre de communautés nationales établies. Plus ou moins cohérentes et affirmées, ces communautés de citoyens sont conscientes de leur existence et demeurent les acteurs principaux des échanges qu’elles développent entre elles. Les nations doivent cependant organiser leur propre existence à l’intérieur comme à l’extérieur et faire le choix des compétences exercées aux différents niveaux. Le principe de subsidiarité intervient alors, dans le cadre d’un recours accru au droit international, pour effectuer cette répartition, non pas la subsidiarité de Thomas d’Aquin qui faisait procéder tout pouvoir de la volonté divine, mais celle du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau qui soutenait que « là où est le représenté il n’y a pas de représentant ». L’identité nationale doit se redéfinir en permanence, mais je considère que la nation est et demeure le niveau le plus pertinent d’articulation du particulier et du général.

 

La dénaturation du concept de classe sociale

 

Elle oblige à remettre sur le chantier l’analyse du procès de travail et la sociologie du monde du travail. La définition marxiste de la classe par référence aux rapports de production, eux-mêmes déterminés par la propriété des moyens de production, garde une pertinence certaine à la condition d’élargir le champ de l’analyse à celui où s’observe la confrontation du capital et du travail, c’est-à-dire le monde entier. En même temps que se différenciaient les catégories subissant l’exploitation capitaliste, se diversifiaient également les détenteurs du capital. La classe ouvrière, autrefois constituée de blocs relativement homogènes (les mineurs, les métallurgistes, les travailleurs du textile, les dockers, etc.) s’est réduite en nombre dans cette définition stricte tandis que se multipliaient les catégories socioprofessionnelles et que les frontières devenaient moins précises ; techniciens et employés des services ont formé des ensembles nombreux et de plus en plus complexes. Les classes moyennes ont vu leurs effectifs croître considérablement, sans qu’il soit possible de les situer clairement dans les rapports de production. La détention du capital s’est elle-même fortement technicisée, socialisée, semblant mettre une distance entre la propriété dudit capital et ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui, sa gouvernance, à laquelle la haute fonction publique a apporté d’importants renforts. Ces changements structurels ont eu d’importantes conséquences politiques. La classe pouvait être regardée comme le lieu de développement d’une citoyenneté de combat pour les catégories traditionnellement écartées du pouvoir institutionnel. La conscience de classe était le moteur de l’action tendant à changer l’ordre existant par la révolution. De la contradiction capital-travail dépendaient toutes les autres contradictions, ce qui n’est plus soutenable aujourd’hui face à la mise en péril de la planète tout entière, les montées intégristes, les discriminations diverses, celles notamment dont les femmes sont victimes. L’élection de la classe ouvrière comme classe révolutionnaire ne peut être présentée comme le moyen d’émancipation de la société toute entière, pas plus que l’évocation du concept flou de « multitude » selon Antonio Negri. Le développement des sciences et des techniques compte pour beaucoup dans ces changements sociologiques. Il a révélé des effets pervers sur l’environnement, conduit à des interrogations nouvelles sur les droits de la personne et l’avenir de l’humanité, soulignant avec plus de force que par le passé la nécessité de sa maîtrise. La révolution informatique a simultanément développé les capacités d’information, de connaissance, d’intervention des citoyens dans tous les domaines ainsi que les possibilités de leur manipulation à due concurrence.

 

Les bouleversements géopolitiques

 

Ils changent aussi les conditions de la transformation sociale. On entend par là aussi bien les changements intervenus dans les rapports des grandes puissances et la structuration de leurs échanges, que ceux constatés dans l’organisation et les relations des collectivités territoriales ou encore les transformations urbanistiques des dernières décennies. À la vision quelque peu simpliste d’un monde divisé en deux blocs assortis d’un mouvement des non-alignés a succédé la représentation d’un monde multipolaire marqué par la domination relative des États-Unis. Ainsi que l’écrit encore Yves Lacoste, « le monde est plus compliqué que ne le laissent croire les discours qui diabolisent l’hyperpuissance ». L’affrontement des blocs a été suivi d’une multiplication de conflits locaux dont les causes sont nombreuses : confrontations de souverainetés sur des territoires disputés, rapports de forces économiques et financières, guerres religieuses ou ethniques, etc. Cette nouvelle configuration exige une analyse beaucoup plus rigoureuse pour caractériser l’hyperpuissance des État-Unis au centre du monde en raison de leur économie forte mais endettée, de leur capacité à manipuler les références à la démocratie et aux droits de l’homme jusqu’à s’arroger le droit à la guerre préventive, d’un sentiment national affirmé mais qui ne peut masquer des tensions internes multiples, sociales, religieuses, ethniques, etc. Il convient également de mieux caractériser l’existence de coalitions divisées en Europe et en Asie, la construction très contradictoire d’une union européenne, l’étrange combinaison en Russie de l’héritage soviétique et d’un capitalisme d’oligarques, l’émergence de la nouvelle puissance économique de la Chine sous un régime communiste progressivement vidé d’idéologie, l’affirmation de la mosaïque indienne comme puissance économique majeure, la paupérisation du continent africain à l’avenir particulièrement incertain, la question cruciale israêlo-palestinienne sans perspective de solution proche, et la multitude des points chauds du globe (Balkans, anciennes républiques d’URSS, Afghanistan, Irak et Iran, Sri Lanka, etc.), irréductibles à une explication trop simpliste : le bien contre le mal, le capital contre le travail. Mais il y a également une géopolitique interne. Les politiques de déconcentration et de décentralisation successives tendent à redéfinir de nouveaux équilibres spatiaux. Les pulsions nationalistes et communautaristes se développent ça et là. La désertification des campagnes, un certain type d’urbanisation de masse, la création de grandes infrastructures ont bouleversé les cadres traditionnels dans lesquels se développaient classiquement la vie sociale et l’activité politique. Les concentrations de populations dans de grands ensembles déshumanisés se sont révélées destructrices de lien social, dès lors que les conditions de vie y devenaient particulièrement difficiles, la promiscuité pesante, et que les associations et les organisations politiques de terrain, elles-mêmes affaiblies, ne pouvaient plus assurer un minimum de cohésion et de solidarité. Le développement considérable des transports et des communications sous des formes extrêmement variées, à l’inverse, établit de nouveau rapports entre les régions et les pays, bases de solidarités nouvelles possibles, qui participent à l’émergence d’un bien commun au niveau planétaire.

 

Des changements dans le domaine des mœurs et des mentalités

 

Ils sont intervenus dans une période historiquement très courte et promettent d’évoluer encore de façon considérable. Les évènements survenus en France et dans de nombreux autres pays en 1968 en sont une manifestation très significative : le contrôle des naissances, la libération sexuelle, la part croissante des naissances hors mariage, la facilitation des séparations de couple, la multiplication des familles recomposées, la reconnaissance des différences d’orientation sexuelle ont changé considérablement la vocation politique de la famille et du couple et affecté la transmission générationnelle, mais ouvert aussi de nouveaux champs de solidarités. Dans son livre La citoyenneté à la française, la chercheuse Sophie Duchesne la définit comme le résultat de la tension existant entre, d’une part, la citoyenneté « par héritage » qui fait du citoyen le membre d’une communauté marquée par l’histoire, par la continuité de l’effort de générations sur le même sol, d’autre part, la citoyenneté « par scrupules » qui ne reconnaît le citoyen qu’en tant que simple redevable à la communauté dont il est membre et à laquelle il oppose l’humanité sans frontière, des droits de l’homme immanents et sa propre individualité. Sophie Duchesne considère que la citoyenneté est un concept à valeur universelle, mais elle souligne sa force particulière en France et son lien avec l’identité nationale, conséquence de la période révolutionnaire. Plus généralement, la reconnaissance de l’égalité de l’homme et de la femme est devenue une question majeure pour l’ensemble du genre humain. Dans ce domaine également les développements scientifiques jouent un rôle en intervenant sur la cellule humaine, le psychisme des individus, les relations qu’ils établissent entre eux grâce aux nano-sciences, à la biologie, à la révolution informatique, aux débuts de l’exploration de l’espace, ouvrant par là sans doute une ère nouvelle pour les individus et l’humanité, et posant avec acuité des questions d’éthique nouvelles.

 

L’affaiblissement des grandes idéologies

 

C’est peut être le facteur qui marque le plus significativement notre époque ; il siège au cœur de la crise actuelle. Les axiomes de la théorie néoclassique, qui sous-tendent la démarche des forces politiques se réclamant du libéralisme, ne correspondent plus à la réalité si tant est qu’ils aient pu la représenter dans le passé. Dans un monde qui exige plus que jamais l’ouverture de perspectives larges et de longue portée, le marché régulé par la concurrence est avant tout l’expression de rapports de forces court terme entre grands ensembles. Les ajustements successifs apportés à la théorie (concurrence imparfaite, biens collectifs, effets externes, avantages non marchands, etc.) ne sont pas parvenus à réduire l’écart croissant entre théorie et réalité ; dès lors la théorie s’est faite normative. Les limites financières sur lesquelles bute aujourd’hui l’État providence ont pour effet de réduire la base idéologique sur laquelle la social-démocratie prétendait fonder une politique de redistribution au service d’une plus grande justice sociale, sans contester le système capitaliste lui-même jugé définitivement le plus efficace dans la création de richesses. Cette acceptation des logiques de l’économie capitaliste l’a conduit à renoncer à toute remise en cause fondamentale du système dominant et à composer sur les valeurs politiques identifiante de la gauche. La tension, classique en France notamment, entre marxisme et catholicisme s’est beaucoup affaiblie ; la contradiction entre ces deux principaux pôles de la vie politique nationale est devenue moins féconde sans que de nouveaux antagonismes s’y soient substitués avec la même force. Le « désenchantement du monde » consécutif, analysé par Marcel Gauchet, tient autant à la désaffection des peuples vis-à-vis des promesses des religions du Livre que de la déception résultant de l’échec des idéaux messianiques, socialistes ou communistes, que le marxisme inspirait.

 

1.3. Les conséquences pour la recomposition

 

Je pense que l’on peut tirer trois conséquences majeures de cette analyse.

 

Premièrement, la mondialisation libérale tend à occuper l’ensemble du champ des échanges marchands. L’option que comportait le projet de traité constitutionnel européen rejeté par la France et les Pays Bas en 2005 en faveur d’une « économie de matché ouverte où la concurrence est libre et non faussée » l’exprime parfaitement.

 

Deuxièmement, l’idéologie des droits de l’homme a envahi l’espace laissé libre par l’affaissement des grandes idéologies messianniques. Loin de moi l’idée de récuser la référence aux droits de l’homme tels qu’ils s’expriment dans les divers textes qui les consacrent, a fortiori de parler de manière péjorative de « droit-de-l’hommisme » comme certains le font parfois. Mais nous devons aussi rester lucides : les droits de l’homme constituent un ensemble quelque peu confus, sans passé historiquement traçable et non porteurs de projet de société. Marcel Gauchet va jusqu’à dire que les droits de l’homme jouent dans la sphère sociale le rôle de régulateur qui est celui du marché dans la sphère économique.

 

Troisièmement, c’est sans doute le plus important pour l’avenir, il y a une prise de conscience croissante de l’unité de destin du genre humain, de la finitude de la planète, d’un « en commun » à définir politiquement, ce qui donne son vrai sens à la mondialisation à venir.

 

Dans cet esprit, pour ma part, j’ai développé ma réflexion selon deux axes.

 

Le premier, consiste a analyser les contradictions à l’œuvre dans la décomposition. Dans ce domaine j’ai écrit deux livres aux titres que je crois significatifs de l’intention : en 1994, Pendant la mue le serpent est aveugle (Éditeur Albin Michel), une phrase que je dois à Ernst Jünger et, en 2001, Éloge de l’échec (Éditeur Le Temps des cerises).

 

Le deuxième, se propose de rassembler l’héritage pour en faire un investissement de la recomposition. Il s’agit, en 1997, de Le nouvel âge de la citoyenneté (Éditions de l’Atelier) et de La citoyenneté (Presses universitaires de France, coll. Que sais-je ?).

 

C’est sur cette dernière voie que je voudrais maintenant intervenir.

 

 

2. LA CONVERGENCE DES CITOYENNETÉS, CONTRIBUTION À LA RECHERCHE D’UNIVERSALITÉ

 

L’idée de citoyenneté a accompagné l’affirmation des États nations. À cet égard il s’agit d’une conception moderne puisque le nombre des États nations a quadruplé depuis la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Pourtant il ne fait pas de doute que la mondialisation, qui n’est donc pas seulement celle du capital, ne peut manquer d’affecter le concept et sa traduction effective tant au niveau national que continental et mondial.

 

Il convient tout d’abord de préciser la problématique – plutôt que la définition – de la citoyenneté. L’exemple de la citoyenneté française peut être particulièrement utile dans la mesure où il s’agit de l’une des plus anciennes communautés nationales. « Ici on s’honore du titre de citoyen et on se tutoie ! » proclamait-on sous la Révolution française. Au niveau continental, les citoyennetés des pays européens doivent se situer par rapport à la citoyenneté européenne affirmée par les traités de Maastricht en 1992 et d’Amsterdam en 1999. Il n’y a pas identité entre nationalité et citoyenneté, même si elles se superposent encore aujourd’hui largement. Notre époque est cependant celle de la finitude de la planète et de la prise de conscience de l’unité de destin du genre humain. Dès lors, la question de l’émergence d’une citoyenneté mondiale doit être posée.

 

2.1. La problématique de la citoyenneté à base nationale : l’exemple de la citoyenneté française

 

L’approfondissement du concept de citoyenneté conduit à s’inscrire dans une longue généalogie : Athènes, Rome, les cités du Moyen-Âge, la Révolution Française. On tire de ces expériences multiples que la citoyenneté est le condensé des idées politiques d’une époque déterminée ; qu’il n’y a pas d’histoire de la citoyenneté mais une succession d’expérimentations ; que dans tous les cas il n’y a pas de citoyenneté sans valeurs fondatrices, sans exercice doté des moyens de droit nécessaires, sans aptitude à répondre aux défis de l’histoire c’est-à-dire sans dynamique propre.

 

Il n’y a pas de citoyenneté sans valeurs

 

Une conception de l’intérêt général – Elle a émergé en France au fil des siècles comme catégorie originale distincte de la somme des intérêts particuliers. Elle s’est incarnée dans de hautes figures de notre histoire et a donné naissance en son sein à la notion de service public, théorisée au sein d’une école juridique originale. On a considéré qu’il y avait service public lorsqu’il y avait mission d’intérêt général (définie par la représentation nationale), personne morale de droit public, relevant d’un droit spécifique : le droit administratif. Le service public, payé par l’impôt et non par les prix, s’est vu doté de prérogatives spécifiques. Notion simple à l’origine, celle-ci s’est complexifiée au fil du temps en raison même de son succès et de l’extension de son champ, de plus en plus hétérogène. La distinction public-privé est devenue moins claire donnant naissance à des formes hybrides (régies, concessions, délégations de service public). Le contrat a de plus en plus concurrencé la loi comme instrument de régulation. La notion de service public entre aujourd’hui en conflit avec la conception dominante au sein de l’Union européenne d’une « économie de marchée ouverte où la concurrence est libre et non faussée ». Il s’agit là d’une confrontation essentielle, les textes fondateurs de la Communauté européenne ignorant la notion de service public au profit de celle de « service d’intérêt économique général ». La notion de service public fondée sur les principes d’égalité, de continuité, d’adaptabilité et correspondant souvent à un monopole public justifié par la spécialisation de l’activité considérée, est nécessairement évolutive. Elle est également indissociable de la question de propriété publique.

 

Une affirmation du principe d’égalité – Il est énoncé dès l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et est consacré constitutionnellement par l’interdiction de toute distinction d’origine, de race ou de religion. Son article 6 a également proclamé l’égal accès des citoyens aux emplois publics « sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents ». Le problème constant a été de rapprocher égalité en droit et égalité sociale effective, la Déclaration des droits elle-même justifiant la possibilité de distinctions sociales au nom de l’ « utilité commune », aujourd’hui de l’intérêt général tel que défini précédemment. Il est donc conforme au principe d’égalité d’apporter des réponses différentes dans des situations différentes ou en raison d’un intérêt général, mais la distinction doit respecter un principe de proportionnalité. C’est au nom de cette interprétation que, faisant parfois référence à l’affirmative action en vigueur aux Etats Unis, des actions (et non des discriminations) positives ont été introduites : progressivité de l’impôt, quotient familial dans les cantines ou les écoles de musique, 3° voie d’accès à l’ENA réservée à des syndicalistes, militants associatifs ou élus, etc. C’est également sur cette base qu’a été abordée la question de l’égalité entre les femmes et les hommes ; la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 a modifié la Constitution pour prévoir que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » et que les partis doivent contribuer à la mise en œuvre de ce principe selon des dispositions prévues par une loi du 6 juin 2000, dispositions qui ont été d’une efficacité limitée. C’est également sur la base de cette conception de l’égalité des citoyens et des citoyennes qu’a été défini le modèle français d’intégration fondé sur le droit du sol, opposé à la conception communautariste de la logique des minorités et du droit du sang.

 

Une exigence de responsabilité – Elle se décline en responsabilité pénale (« nul n’est pénalement responsable que de son propre fait », art. 121-1 du code pénal) ; civile, qui conduit à réparer l’inexécution d’un contrat ou un dommage causé de son propre fait (art. 1382 du code civil) ou de celui d’une personne ou d’une chose que l’on a sous sa garde (art. 1134 du code civil) ; administrative, qui invite à distinguer la responsabilité personnelle de la responsabilité de ou du service, la faute simple de la faute lourde, etc. Il y a aussi une dimension éthique de la responsabilité, responsabilité politique des élus et des fonctionnaires qui s’apprécie selon des règles, des modalités et des instances spécifiques et une responsabilité morale parfois difficile à caractériser en raison d’une globalisation croissante des risques et de la socialisation des assurances contractées. Au fond de la question de la responsabilité siège l’interrogation : quelle est l’origine des règles de la morale sociale ? La réponse apportée dans notre pays est qu’elle ne relève ni d’un ordre naturel, d’une fatalité, ou de l’intervention d’une quelconque transcendance, mais de la mise en œuvre du principe de laïcité. Celui-ci se fonde sur la dialectique de la liberté de conscience et de la neutralité de l’État dont les contradictions sont arbitrées par la notion juridique d’ordre public.

 

Il n’y a pas de citoyenneté sans exercice effectif doté des moyens nécessaires

 

Un statut du citoyen – La citoyenneté est un concept politique qui inclut un ensemble de droits et de devoirs dont l’énumération n’est en réalité explicite que par référence à la privation des droits civiques ; elle recouvre largement la qualité de national sans s’identifier à elle (tous les nationaux ne sont pas citoyens ; à l’inverse, les étrangers communautaires résidents disposent de la plupart des droits du citoyen français et sont soumis aux mêmes devoirs). Mais il existe aussi des dimensions économiques et sociales de la citoyenneté. La contribution différenciée à l’impôt est, à cet égard, un élément essentiel de l’exercice effectif de la citoyenneté ; trois articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 lui sont consacrés :
« Art. 13. Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.
Art. 14. Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.
Art. 15. La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »

Le droit constitutionnel au travail est également partie intégrante de la citoyenneté et les choix de politique économique publique ne sont pas sans incidence sur les conditions de réalisation de la cohésion sociale et de mise en place de services publics ; la citoyenneté dans l’entreprise conduit à prendre en compte la possibilité d’intervention des travailleurs et de leurs organisations représentatives non seulement dans la définition des conditions matérielles et morales du travail mais aussi dans leur participation à la gestion. Les droits à la santé, à l’éducation, au logement, aux transports, à la culture ne sont pas dissociables de la citoyenneté car ils en conditionnent l’exercice effectif, les carences en la matière ont souvent un effet cumulatif, source de graves inégalités. Toutefois la citoyenneté est avant tout politique et le citoyen ne saurait s’effacer devant le travailleur ou l’allocataire social.

 

La démocratie locale – C’est un lieu privilégié de formation et d’exercice de la citoyenneté car le citoyen y est proche des lieux de pouvoir et particulièrement à même de se faire une opinion sur les objectifs à atteindre et les moyens à mettre en œuvre. La gestion des collectivités territoriales est régie par le principe de libre administration, posé par l’article 72 de la Constitution, principe limité par d’autres principes (unité et indivisibilité de la République), l’absence de domaine législatif propre, le contrôle de légalité, le contrôle budgétaire et la contractualisation. Comme au niveau national, on constate une personnalisation des exécutifs. Les modes de représentation présentent des disparités selon la taille des collectivités. Les élus sont de plus en pris entre l’administration classique et des réalisations managériales plus propices à la médiation. Le développement de l’intercommunalité permet des économies d’échelle et une meilleure efficacité, mais augmente le rôle des experts parfois au préjudice de l’autorité des élus. Ceux-ci, ne disposant pas d’un statut pourtant évoqué de façon récurrente, inclinent à cumuler les mandats : leurs droits ont augmenté sans leur permettre pour autant de développer leur activité en toute sécurité. La participation des citoyens à la délibération et à la gestion peut s’exercer sous des formes extrêmement diverses (commissions extra municipales, consultations obligatoires d’instances ad hoc, référendum communal, associations) mais ces moyens sont extrêmement encadrés et finalement de peu de portée. Il s’ensuit des taux d’abstention aux élections locales élevés et en croissance.

 

Les institutions – Elles conditionnent évidemment l’exercice de la citoyenneté. La citoyenneté, co-souveraineté régie par le contrat social est une création continue. La France est à cet égard un véritable laboratoire institutionnel (quinze constitutions en deux siècles). La combinaison de la souveraineté nationale et de la souveraineté populaire a été réglée par la constitution de la V° République en considérant que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et la voie du référendum, celui-ci étant réglementé par les articles 11 et 89 de la Constitution. La loi, votée par le Parlement, est l’expression de la volonté générale de la communauté des citoyens. Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation, mais, sous la V° République, la clé de voûte est le Président de la République qui a le pouvoir exécutif sous réserve du cas de cohabitation. Les institutions doivent garantir la cohérence de l’État de droit, non seulement au regard des traités internationaux mais également quant aux rôles respectifs des juridictions judiciaires, administratives et du Conseil constitutionnel. Nous reviendrons sur ces questions.

 

Il n’y a pas de citoyenneté sans dynamique propre

 

Dans une situation en crise, la citoyenneté est fréquemment évoquée comme nouveau paradigme de recomposition, mais par un effet de mode, sans qu’aucun contenu soit véritablement recherché. Outre les causes de décomposition précédemment examinées, au plan individuel, il s’agit surtout de civilité, au mieux de civisme. Ce ne sont pas là sujets sans intérêt. Le sociologue Sébastien Roché a étudié les causes des incivilités : tolérance accrue aux petits délits, recours à la violence comme moyen de réassurance pour certains jeunes, déclin du courage d’aide à l’ordre public, départ des militants des quartiers difficiles. Mais il y a aussi crise des représentations, désuétude de la forme parti, affaiblissement de la bipolarisation droite-gauche, altération des médiations, domination du champ culturel par le marché, etc. La crise renvoie aujourd’hui chacun vers sa responsabilité propre. Moins soumis à la domination d’appareils qui ont souvent failli, les engagements dans une diversité extrême sont plus libres. Leur combinaison originale fait de chaque individu un sujet unique, doté de ce que l’on pourrait considérer comme un « génome » de citoyenneté. À l’inverse de la période précédente, la question serait alors de retrouver une nouvelle centralité pour la communauté des citoyens.

 

2.2. La citoyenneté comme outil d’intégration supranationale : l’exemple de la citoyenneté européenne

 

« Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel. Elles ont commencé, elles finiront », avertissait Ernest Renan dans sa célèbre conférence à la Sorbonne sur le thème « Qu’est-ce qu’une nation ? », le 11 mars 1882. Et il ajoutait : « La confédération européenne, probablement, les remplacera. Mais telle n’est pas la loi du siècle où nous vivons. » Plus d’un siècle plus tard, le moment serait-il venu ?

 

Le traité de Maastricht a introduit dans le traité instituant la Communauté européenne en 1992 une partie intitulée « La citoyenneté de l’Union ». Il s’agit d’une véritable novation.

 

Une citoyenneté de faible densité

 

Le traité a décidé en son article 17 : « Il est institué une citoyenneté de l’Union », mais c’est pour faire dépendre aussitôt cette citoyenneté de la nationalité de chaque État membre : « Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre ». Le traité d’Amsterdam a ajouté : « La citoyenneté de l’Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. » Les articles suivants déclinent les droits et devoirs des citoyens européens.

 

Le droit de circulation et de séjour – Ce droit, placé en tête en raison de ses origines économiques, n’est pas réellement nouveau, mais il se trouve ainsi, en quelque sorte, constitutionnalisé (art. 18). Il consacre surtout le droit d’aller et venir des ressortissants européens au sein de l’Union, et plus spécialement de l’ « espace Schengen », sans affecter les politiques migratoires des États membres qui restent essentiellement nationales, même si se développent des efforts d’harmonisation. En revanche, dans la mesure où cette liberté de circulation et de séjour est fondée sur la réciprocité de la reconnaissance de ce droit par les États membres, elle tend à s’opposer à la « citoyenneté de résidence » qui avait pu s’établir dans différents pays en faveur de ressortissants des pays tiers.

 

Des droits politiques – Il s’agit tout d’abord du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et aux élections du Parlement européen, ouvert à tout ressortissant d’un d’État membre dans l’État où il réside (art. 19). Mais, aux élections pour le Parlement européen de 1994, seulement 5 ,6 % des ressortissants communautaires s’étaient inscrits sur les listes électorales d’un autre pays que leur pays d’origine dans l’ensemble de l’Union européenne (4,4 % en France) ; ils étaient environ 10 % aux élections de 1999. Si dès 1989, M. Duverger avait pu être candidat en Italie et élu au Parlement, en 1994, une seule candidate a été élue dans un pays autre que son pays d’origine. En revanche, il y en a eu quatre (sur une soixantaine de candidatures de ce type) en 1999 : deux en Belgique, une en Italie et une en France (D. Cohn-Bendit, de nationalité allemande) ; en 2004, le coureur automobile Ari Vatanen a été élu en France. S’agissant des élections municipales, la France a dû réviser sa constitution en application des dispositions de l’article 19 du traité (art. 88-3). L’introduction de ce droit a également eu pour effet de faire rebondir la question du droit de vote aux élections locales pour les étrangers non communautaires.

 

Il s’agit ensuite du droit de pétition (premier alinéa art. 21, et art. 194). Le règlement intérieur du Parlement européen le prévoyait déjà ; il est donc constitutionnalisé. Pour autant, on n’a pas observé de changement de rythme dans le recours croissant à ce moyen, qui constitue pour le Parlement une bonne source d’information sur l’application du droit communautaire, mais qui n’a pas débouché, pour le moment, sur des réformes importantes.

 

Enfin, bien qu’elles ne figurent pas dans la partie consacrée à la citoyenneté de l’Union, on doit signaler certaines dispositions du traité qui constituent indéniablement des droits politiques du citoyen européen. Il s’agit, notamment, de l’élection du Parlement au suffrage universel pour la première fois en 1979, de l’ouverture partielle des fonctions publiques nationales (en France, loi du 26 juillet 1991, modifiant le statut général des fonctionnaires), de l’égalité des rémunérations des hommes et des femmes (art. 141 du traité) ainsi que de la reconnaissance de l’utilité des partis politiques (art. 191).

 

Des garanties juridiques – Le droit à la protection diplomatique et consulaire (art. 20) existait depuis la Convention de Vienne de 1961. La mesure retenue par le traité est une solution minimaliste par rapport aux propositions de la Commission, qui envisageait de reconnaître, au bénéfice des citoyens européens, un droit à la protection diplomatique de l’Union et des États membres eux-mêmes, alors qu’il ne s’agit ici que d’une protection limitée, à la discrétion de l’État considéré.

 

Le recours au médiateur (2e al., art. 21) ne constitue pas une réforme de plus grande portée que celle des institutions nationales de même nature. Il existe une grande confusion sur son rôle : la majorité des demandes qui lui dont adressées sont jugées irrecevables.

 

Il convient également de mentionner dans la catégorie des garanties juridiques des dispositions ne figurant pas dans la définition de la citoyenneté européenne : l’article 12 du traité interdit toute discrimination en raison de la nationalité et l’article 13 celles relatives au sexe, à la race ou à l’origine ethnique, à la religion ou aux convictions, à un handicap, à l’âge et à l’orientation sexuelle. L’article 6 du traité sur l’Union européenne déclare que l’Union respecte les droits fondamentaux et les principes généraux du droit communautaire.

 

Les autres attributs de la citoyenneté euro¬péenne – Outre l’introduction de la monnaie unique, on rappellera pour mémoire des droits économiques et sociaux épars dans les traités. On relèvera enfin des symboles qui peuvent être regardés comme participant d’une citoyenneté en gestation : le drapeau adopté en 1985, l’hymne en 1988, mais aussi le permis de conduire (1980), le passeport (1982) et la carte verte (1983).

 

Une citoyenneté de superposition

 

L’expérience de la citoyenneté européenne est courte, mais elle pose de nombreuses questions. Élaborée par en haut, elle n’a pas soulevé un grand intérêt de la part des citoyens. Création originale, on a pu parler à son sujet d’« objet politique non identifié » ou de « citoyenneté à l’état pur ».

 

Une citoyenneté sans autonomie – La citoyenneté, nous l’avons souligné, doit constituer un ensemble cohérent de valeurs, de droits et de devoirs, sinon, elle n’existe pas. On est donc normalement amené à s’interroger sur l’existence même de la citoyenneté européenne. La première difficulté réside dans la définition choisie : « Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. » Cela veut dire qu’un Européen qui réside dans un pays de l’Union dont il n’est pas ressortissant est citoyen de son pays d’origine et qu’il dispose en plus des droits qui lui sont conférés par les articles 17 à 21 du traité. Les droits énumérés dans ces articles – qui ne comportent aucune mention des devoirs – ne sont à l’évidence ni suffisants ni assez cohérents pour constituer une véritable citoyenneté autonome au sens où nous l’entendons. « Évoquer une citoyenneté européenne reste largement une ambition incantatoire, sinon un abus de langage », estiment Paul Magnette et Mario Telo. La Charte des droits fondamentaux adoptée à Nice en décembre 2000 n’apporte pas, à cet égard, d’élément nouveau.

 

On aura également remarqué que presque tous les droits retenus n’existent que sous de nombreuses réserves émanant du traité lui-même ou de l’intervention des États. Ainsi, la liberté de circulation n’existe que sous réserve des limitations qui lui sont opposées par le traité ; les droits de vote et d’éligibilité sont conditionnés par des décisions du Conseil statuant à l’unanimité et les dérogations éventuellement réclamées par les États ; la protection diplomatique et consulaire suppose l’éta¬blissement de règles entre États membres et l’en¬gagement de négociations internationales avec les pays tiers.

 

Mais la faiblesse de la citoyenneté européenne tient surtout aux options économiques et financières dominantes de l’Union européenne, au détriment de la construction politique et sociale de l’Europe. Cela explique, sans doute, l’indifférence des citoyens, la faiblesse du militantisme sur le sujet et le niveau élevé des abstentions aux élections du Parlement européen. Il n’existe ni peuple ni nation européenne, et, dès lors, la citoyenneté européenne apparaît comme un concept de substitution. En dépit des étapes franchies dans la voie de la construction européenne, les gouvernements nationaux conservent un rôle déterminant, au sein du Conseil naturellement, mais également en ce qui concerne les décisions de la Commission.

 

Pour quelle communauté politique ? – C’est pourquoi on a aussi parlé de citoyenneté d’« attribution », de « conséquence », de « superposition », de citoyenneté européenne « à plusieurs vitesses ». Mais on ne doit sans doute pas déduire du fait que cette citoyenneté ne suive pas le schéma classique impliquant que la nation précède la citoyenneté qu’elle n’est promise à aucun avenir. On pourrait, au contraire, souligner sa valeur mobilisatrice, anticipatrice d’une communauté politique aujourd’hui encore imprécise. Jean-Claude Masclet estime que la reconnaissance de la citoyenneté appelle à la conscience d’une communauté politique, qu’elle contribue à cette prise de conscience et que celle-ci doit être relayée par un renforcement de la démocratie représentative. L’identification d’un corps électoral européen élisant une assemblée au suffrage universel direct, selon une procédure uniforme dans tous les États membres (art. 190), créerait, selon lui, de la souveraineté au bénéfice de l’institution concernée.

 

Il reste cependant à s’interroger sur les valeurs de cette citoyenneté. Celles qui fondent les citoyennetés nationales présentent, on le sait, de fortes contradictions, et leur convergence suppose une confrontation dont tout laisse penser qu’elle serait sévère, comme l’indiquent les débats entre Européens sur le service public, l’intégration, la place de la religion dans la société, par exemple. Quelles pourraient alors être les valeurs spécifiques d’une citoyenneté européenne ? On évoque parfois à ce sujet l’environnement, l’antiracisme, le dialogue des religions, l’accueil des réfugiés, le codéveloppement, la coopération et les flux migratoires, le multiculturalisme, la défense, les droits de la femme et les droits de l’homme. Mais, outre que ces questions sont déjà débattues au niveau national et qu’elles relèvent alors du choix plus général de valeurs cardinales évoquées précédemment, elles n’ont aucune raison d’être limitées à l’Europe, aussi élargie soit-elle, et, au-delà de la nation, elles peuvent être posées d’emblée de façon transnationale.

 

On peut toutefois émettre l’hypothèse, retenue par la plupart des auteurs, que la promotion de la citoyenneté européenne recouvre surtout une option implicite en faveur d’une organisation fédérale. C’est ce qu’exprime notamment Paul Magnette : « L’introduction de la citoyenneté dans le traité, parallèle à la définition du principe de subsidiarité, apparaît à cet égard comme un vestige du projet fédéral. Établir une relation directe entre l’Union et les citoyens, passant en quelque sorte par-dessus les États membres, relève en effet de la nature intime du fédéralisme. » La citoyenneté européenne appellerait alors l’élaboration d’une constitution de l’Union.

 

Des perspectives de développement – Elles sont ouvertes, mais très encadrées, par l’article 22 du traité qui prévoit que les droits retenus pourront être complétés par des dispositions arrêtées par le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, et après consultation du Parlement, dispositions dont le Conseil recommandera l’adoption par les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. L’introduction de l’euro au 1er janvier 2002 ne doit pas masquer, en effet, que la construction de l’Europe politique qui s’était ac¬célérée avec la ratification du traité de Maastricht autorisée par le référendum du 20 septembre 1992 et celle du traité d’Amsterdam par le parlement le 20 mars 1999, a subi un échec sévère avec le rejet par la France et les Pays-Bas du projet de Traité constitutionnel en mai 2005. Par ailleurs, on peut penser que la novation juridique que constitue la citoyenneté européenne pourrait être heureusement croisée avec le principe de subsidiarité tel qu’il est défini à l’article 5 du traité : « Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire. »

 

2.3. À la recherche d’une convergence universelle : l’hypothèse d’une citoyenneté mondiale

 

L’arrimage de la citoyenneté à la nationalité connaît donc de nombreuses dérogations que le processus de mondialisation tend à multiplier. Doit-on pour autant en conclure que se constituent ainsi progressivement les bases d’une citoyenneté universelle ?

 

Divergence entre nationalité et citoyenneté

 

La nationalité n’entraîne pas la citoyenneté, bien qu’elle soit généralement déterminante de son existence ; mais l’inverse est également vrai : la citoyenneté n’est pas dans une relation biunivoque avec la nationalité. Ainsi, l’Américain Thomas Paine et l’Allemand Anacharsis Cloots – qui se proclamait « citoyen de l’humanité » – furent reconnus citoyens français et députés à la ¬Convention. Après avoir participé à la guerre de 1870 aux côtés de la France, l’Italien Garibaldi fut élu député dans quatre départements français. La citoyenneté et la nationalité sont d’autant plus aisément admises, que le moment historique est intense et traduit une communauté d’idéaux et de démarches de ses acteurs.

 

En revanche, la question est plus délicate lorsqu’il s’agit non d’individus mais de parties de la nation, de minorités exprimant des revendications nationales. Au début du siècle, l’Autrichien Karl Renner a proposé, à partir de l’analyse de la situation en Autriche-Hongrie, de découpler la citoyenneté de la nationalité pour ne pas avoir à modifier les frontières : la citoyenneté commune conférait à tout ressortissant de l’une des minorités nationale un statut défini par l’appartenance à l’État multinational. La citoyenneté soviétique se fondait sur la diversité des nationalités : russe, ukrainienne, biélorusse, etc. En France, le Conseil constitutionnel a refusé en 1991, de reconnaître un « peuple corse ». En revanche, l’accord sur la Nouvelle-Calédonie du 5 mai¬ 1998 prévoit que, dans les vingt années à venir, « des signes seront donnés de la reconnaissance progressive d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, celle-ci devant traduire la communauté de destin choisie et pouvant se transformer, après la fin de la période, en nationalité, s’il en était décidé ainsi ». La citoyenneté en Nouvelle-Calédonie divergerait de la citoyenneté française pendant la période de transition, entraînant éventuellement sa transformation qualitative en nationalité au terme du processus. L’évolution du statut de la Polynésie française conduit également à renforcer l’identité propre de ce pays d’outre-mer par la création d’une citoyenneté polynésienne.

 

Des bases pour une citoyenneté mondiale

 

Les exemples précédents, s’ils illustrent une dissociation plus ou moins marquée du couple nationalité-citoyenneté, ne sont toutefois pas expressément caractérisés par une vocation à l’universalité. La même remarque a été faite à propos de la citoyenneté européenne qui, faute de nation ou d’État européen, se définit en passant par la nationalité de chacun des États membres. De même si, à l’intérieur du cadre national, la notion de « nouvelle citoyenneté » tend à s’affranchir de ce déterminisme, c’est au nom d’un pragmatisme, et non d’un universalisme (sauf cas de prosélytisme religieux ou ethnique). Le niveau national n’est donc en rien un handicap au regard des préoccupations universalistes qui peuvent être poursuivies par la convergence des citoyennetés nationales.

 

Cela ne dispense pas, en tout état de cause, de rechercher au niveau mondial des points d’appui, juridiques notamment, pour accréditer la notion de citoyenneté mondiale à un moment où l’histoire de l’humanité se caractérise par la prise de conscience d’une communauté de destin pour le genre humain, mais aussi par une mondialisation qui se développe surtout sur le plan économique, certains auteurs n’hésitant pas à présenter le citoyen-consommateur comme l’esquisse d’une citoyenneté « postmoderne », citoyenneté sans concitoyenneté. Les 5 000 organisations non gouvernementales sont aussi quelquefois regardées comme les nouveaux vecteurs d’une « citoyenneté sauvage ».

 

Cette mondialisation est encore le fait de l’expansion des échanges, notamment ceux réalisés sur le réseau Internet, nouvel espace d’expression humaine, riche de possibilités et, en même temps, lourd de dangers pour les vies privées comme pour les États. En effet, ces derniers voient contesté, par une sorte d’autorégulation des « internautes », leur monopole de création de normes juridiques, ce qui conduit à tenter de définir les règles d’une nouvelle « civilité mondiale » reposant à la fois sur un équilibre acceptable par les acteurs et des préoccupations d’intérêt général.

 

Le droit international est marqué par ses origines occidentales, et si sa contribution à l’élaboration d’un ordre juridique international et mondial a été éminente, l’étroitesse de ses origines est aussi un handicap. L’article premier de la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 se prononce pour la paix et le règlement pacifique des différends, la coopération entre les nations. Surtout, l’article 2, pour la première fois dans l’histoire, fait interdiction aux États de recourir à la force et avance l’idée de sécurité collective. Participent aussi de cette base, qui permettrait d’asseoir progressivement le statut juridique d’une citoyenneté mondiale, des conventions internationales importantes, au premier rang desquelles : la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, la Convention relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 19 décembre 1966, la Convention relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990.

 

Si l’on se réfère à la problématique ici retenue, on doit s’interroger sur les valeurs universelles qui pourraient finaliser une citoyenneté mondiale : la paix, la sécurité sous toutes ses formes, le droit au développement, la protection de l’écosystème mondial, la maîtrise scientifique, les droits de l’homme et du genre humain, parmi bien d’autres.

 

Quant aux moyens de l’exercice d’une telle citoyenneté, si les textes qui viennent d’être mentionnés peuvent les préfigurer, ils sont loin d’avoir acquis une autorité internationale indiscutable. Il n’en reste pas moins qu’une dynamique existe à ces différents niveaux (national, européen et mondial), et que des synergies peuvent dès maintenant s’y développer.

 

Que faire ?

 

L’ensemble de ces réflexions doit, comme cela a été souligné, être replacé dans une analyse plus générale et de long terme sur le moment ou nous en sommes de l’évolution du monde. Le phénomène de mondialisation est souvent – et à mon avis, à tort – réduit à sa réalité économique et plus particulièrement encore, au mouvement du capital. Il n’est pas question de nier cette réalité essentielle, mais de la replacer dans une évolution plus générale qui concerne tous les aspects du développement humain : politique, juridique, scientifique, culturel. Nous vivons un moment tout à fait singulier, la prise de conscience de la finitude de la planète et de la communauté de destin du genre humain. Cette affirmation heurte le jeu des intérêts particuliers et des antagonismes locaux. Il n’en reste pas moins que c’est à cette échelle qu’il convient de réfléchir, quitte à revenir ensuite à des analyses plus restreintes. Même si nous le vivons de manière différente en fonction de nos singularités historiques et de nos localisations géographiques, chacun à le sentiment que nous sommes aujourd’hui dans une situation de crise, au sens où nous ressentons bien qu’à l’avenir les choses ne pourront plus aller comme avant. L’échec de l’expérience du siècle dernier nous laisse dans un état de désarroi. C’est pourquoi l’interrogation sur « l’État nation à l’heure de la mondialisation » passe nécessairement par l’analyse de toutes les contradictions à l’œuvre dans la décomposition : contradiction capital-travail sans doute, mais pas seulement, contradictions sciences-obscurantismes, écosystème-développement, femmes-hommes, et autres également.

 

Dans ce contexte, le concept de citoyenneté peut jouer un rôle important en fédérant les valeurs et les dispositions constitutifs de l’héritage de chaque peuple et en en faisant un investissement à la fois pour conjurer les dérives monstrueuses toujours possibles en avenir aléatoire et pour explorer les voies nouvelles de l’évolution. La mise en commun et la convergence de ces démarches pose la question de la recherche d’universalité qui est la responsabilité de chaque peuple pour tendre ensemble vers un monde de paix et de prospérité. Ainsi, à titre d’exemple, je pense que se pose dès maintenant la question de l’organisation de services publics au niveau international et mondial dans un certain nombre de domaines : les communications, la protection de la nature, mais aussi l’eau et pourquoi pas les ressources du sol et du sous-sol. Ce siècle qui débute sous le signe du triomphe de la mondialisation libérale pourrait, au contraire, être celui de l’âge d’or des services publics, à condition d’en tirer toutes les conséquences en matière de propriété publique ou, plus généralement, d’appropriation sociale.

 

Comme celles des Bas-Empire, les périodes de décomposition sont sans doute les plus intéressantes de l’Histoire en raison de l’enchevêtrement de l’ancien et du nouveau qui les caractérise, de la richesse des contradictions qui animent leurs soubresauts, des défis qu’elles proposent aux hommes et aux femmes qui les vivent. Elles ne doivent pas nourrir le pessimisme du simple constat, mais stimuler l’optimisme auquel invite l’intelligence des situations complexes.

 

 

« LA CITOYENNETE » – Schéma du Que sais-je ? (3° édition)

Une longue généalogie : Athène, Rome, les villes du Moyen-Age, la Révolution française, 1848 jusqu’à la citoyenneté européenne décrètée. Le triptyque : valeurs-exercice-dynamique ;

1. LES VALEURS DE LA CITOYENNETE

1.1. Une conception de l’intérêt général

1.1.1. Une définition problématique.

– optimum social, préférence révélée des consommateurs.

– la prudence du juge administratif en droit positif : DUP, ordre public. Le service public comme vecteur.

1.1.2. La crise du service public.

– une notion simple devenue complexe : l’intérêt général différent de la somme des intérêts particuliers. Mission x personne morale de droit public x droit et juge administratif. Extension et hétérogénéité. Contractualisation.

– service d’intérêt général et construction européenne : ignorance dans le traité instituant la Communauté européenne (art. 73 , 86, 87). Economie de marché ouverte. Traité d’Amsterdam : “ service d’intérêt économique général ”.

1.1.3. Service public et secteur public.

– refondation du service public : monopole-spécialisation, dérégulation.

– notion d’appropriation sociale : les trois générations de la propriété ; patrimoine commun de l’humanité.

1.2. Un principe d’égalité

1.2.1. Elaboration du principe.

– un principe fondateur : de l’affirmation du principe à la réalité sociale.

– sa consécration constitutionnelle : égalité des citoyens devant la loi sans distinction d’origine, de race ou de religion.

– application du principe en tenant compte des différences de situations selon une certaine proportionnalité (maximum-minimum).

1.2.2. Confrontation du principe et de la réalité.

– égalité et différenciation : discriminations interdites ; 3° voie ENA et écoles de musiques ; affirmative action et effet de signalisation.

– égalité et parité : 1944-1946 ; sous représentation politique ; “ la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions et mandats électifs ”.

1.2.3. Egalité et intégration.

– le modèle français d’intégration : droit du sol et égalité c. droit du sang et logique des minorités.

– logique des minorités et multiculturalisme : les quatre critères définissant les minorités (culture, langue, religion, ethnie), les trois revendications (autonomie de gestion des affaires propres, langue et administration, diaspora transnationale). Du droit à la différence à la différence des droits.

1.3. Une éthique de la responsabilité

1.3.1. Dimension juridique de la responsabilité.

– responsabilité pénale : art. 121-1 du CP “ nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ”. socialisation des risques et mise en cause élus et fonctionnaires.

– responsabilité civile : art. 1382 CC inexécution d’un contrat ; réparation d’un dommage causé. Personne ou chose que l’on a sous sa garde (art. 1134 CC).
– responsabilité administrative : “ le roi ne peut mal faire ”. Faute de/du service. Faute simple, lourde.

1.3.2. Dimension éthique de la responsabilité.

– responsabilité politique : Ancien Régime. Gouvernement. Président de la République. Fonctionnaires.

– responsabilité morale : globalisation des risques et responsabilité personnelle. Qui fait les règles de la morale sociale ?

1.3.3. La laïcité

– lois sur l’enseignement laïque de 1880-83 de J. Ferry. 1905. Une forte dialectique : neutralité de l’Etat et liberté de conscience. Contradctions et ordre public.

– Islam et laïcité : foulard islamique. Pas de loi (Coran, jeunes filles, non exhaustivité).

– laïcité valeur universelle.

Ces trois valeurs : force idéologique ; capacité de rassemblement ; isolement en Europe.


2. L’EXERCICE DE LA CITOYENNETE

2.1. Le statut du citoyen

2.1.1. La citoyenneté politique.

– les droits civiques : la Déclaration DHC mêle droits de l’homme et droits du citoyen. Le citoyen peu présent dans texte constitutionnel (art.1 et 34). Renvoi à CP (vote, fonction publique, décoration, armes, impôts …).

– avant tout nationale : restriction droit de vote (sauf communautaires art. 88-3). Tous les nationaux ne sont pas citoyens.

2.1.2. La citoyenneté économique.

– travail et cohésion sociale : déficits publics. Substitution capital-travail. Droit au travail, droit constitutionnel.
– citoyenneté dans l’entreprise : importance des droits du travail. Intervention sur les conditions de travail et sur la gestion.

2.1.3. La citoyenneté sociale.

– le social dans la citoyenneté. Caractère cumulatif des carences.

– citoyen, travailleur, allocataire social.

2.2. Le citoyen dans la cité

2.2.1. libre administration des collectivités territoriales.

– la mise en oeuvre du principe : art.72 Const. , loi du 2 mars 82.
– un principe de portée limitée : par d’autres principes, par l’absence de domaine législatif propre, par le contrôle de légalité et le contrôle budgétaire, par la contractualisation.

– la personnalisation des exécutifs.

2.2.2. La démocratie représentative locale.

– un équilibre des pouvoirs favorable aux exécutifs : disparité des modes de représentation. Désaffection électorale. Le chef de l’exécutif irresponsable après élection.

– des élus entre administration et management : extension des possibilité et des droits. Développement de la gestion privée. Effet de l’intercommunalité (rôle des experts). Dégradation du statut des fonctionnaires territoriaux.

2.2.3. La difficile intervention des citoyens.

– recherche de la tranpearence. Participation institutionnelle (art. L300-2 CU). Consultations obligatoires. Commissions extramunicipales. Comités d’initiative et de consultation d’arrondissement PLM.

– référendum communal très encadré, purement consultatif. Rôle des associations.

2.3. Le citoyen et les institutions

15 constitutions. 2 lignes de forces.

2.3.1. Le peuple souverain.

– souveraineté nationale et souveraineté populaire. La citoyenneté, co-souveraineté régie par le contrat social est une création continue.

– les moyens de la démocratie directe : plein exercice droitts et libertés, droit de pétition, initiative populaire des lois.

– la question du référendum : confine au plébiscite. Art. 11 et 89 de la C.

2.3.2. La loi expression de la volonté générale.

– la loi est votée par le Parlement.

– le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation.

– la clé de voute sous la V° R : le Président de la République. La cohabitation.

2.3.3. La cohérence de l’Etat de droit.

– facteurs externes de cohérence : art. 55 C. Arrêt Nicolo. Art 88-4 : transmission aux assemblées des propositions communautaires de valeur législative.

– facteurs internes : dualité des ordres juridictionnels. CSM, CE, CC. Rôle du Conseil constitutionnel.

– cohérence controversée : cohabitation, élection du PR au suffrage universel, mode de scrutin, instabilité constitutionnelle (13 révisions en 8 ans).

3. LA DYNAMIQUE DE LA CITOYENNETE

3.1. La crise de la citoyenneté

3.1.1. Crise de l’individualité.

– civisme et incivilité ; cause selon S. Roché : tolérance aux petits délits, départ gauche, réassurance, déclin du courage d’aide à ordre public.

– pertes des repères : Etat-nation, classe, cadre géographique, famille, idéologies messianniques.

3.1.2. Crise des représentations.

– “ Là ou est le représenté … ”. désuétude de la forme parti : affaiblissement bipolarisation D/G (socio., éco., idéol.).

– altération des médiations : associations (ambivalence, lobbying, scandale) : médias (audimat, manipulation, marché-journalistique-culturel).

3.1.3. Citoyenneté et nationalité.

– modèles de citoyenneté : extériorisation par rapport au politique ; à la française (par héritage et par scrupule) ; nouvelle citoyenneté.

– du national à l’universel : renvoi à responsabilité propre. Génome de citoyenneté. Nouvelle centralité ?

– liaison citoyenneté-nationalité : progressiste puis identitaire. “ La nation est et demeure … ”.

3.2. L’émergence de citoyennetés transnationales.

3.2.1. Une citoyenneté européenne décrètée.

– après une longue marche, une citoyenneté a minima.

– une faible densité : “ Il est institué une citoyenneté de l’Union … ”. Circulation, séjour, vote pétition, protection diplomatique, médiateur. Hymne, drapeau, etc.

3.2.2. Une citoyenneté de superposition.

– OPNI, sans autonomie (s’ajoute), réserves, options économiques et financières.

– pour quelle communauté politique ? Quel triptyque VxExD ? Des perspectives de développement (art.22). Renan.

3.2.3. Citoyenneté et mondialisation.

– divergence ancienne entre nationalité et citoyenneté : Thomas Paine, Anarchasis Cloots, Garibaldi, Autriche-Hongrie, URSS, etc. Nouvelle Calédonie, Polynésie, peuple corse ?

– bases d’une citoyenneté mondiale : convergences de Terre-patrie, ONG, consommation, Internet, droit international.

– une utopie : quels VxExD ?

3.3. Droits de l’homme et droits du citoyen

Rivero. Divorce entre libertés et pouvoirs. La raison d’Etat.

3.3.1. Le défi de la raison d’Etat.

– raison d’Etat légitime : science de l’administration. Laïcisation de l’Etat.

– raison d’Etat illégitime : l’Etat comme finalité. Exemples : Greenpeace, écoutes, états de guerre, de siège, d’urgence, art. 16, actes de gouvernement, réserves ou résistances sournoises.

3.3.2. Les droits de l’homme une antithèse insuffisante.

– un ensemble banal, ajouter le droit d’assistance humanitaire.

– une problématique limitée : ensemble incertain, dénominateur minimal, statut personnel, limites, radicalisation.

– M. Gauchet : espace laissé libre par échec des religions dans l’ordre séculier et des rêves prométhéens ; ici et maintenant de valeurs immanentes a-historiques ; indignation et révolte + médiation : autorégulation des rapports sociaux analogue à celle du marché dans l’ordre économique.

3.3.3. Les droits du citoyen une réponse appropriée.

– englobent les droits de l’homme.

– raisonner la raison d’Etat : injonctions de la Cour européenne en vue d’une satisfaction équitable ; contrôle réglementaire au plan interne.

– maîtriser la raison d’Etat : VxExD.

L’identité française, contribution à l’universalité – L’HUMANITÉ 24 mars 2007

Si la nation est identifiée à la communauté des citoyens, il y a identité française si la citoyenneté peut être caractérisée dans notre pays par des traits spécifiques qui permettent de la comparer à d’autres citoyennetés afin de repérer ce qu’elles ont de commun et de différent.

Dans son livre La citoyenneté à la française, la chercheuse Sophie Duchesne la définit comme le résultat de la tension existant entre, d’une part la citoyenneté « par héritage » qui fait du citoyen le membre d’une communauté définie par l’histoire, par la continuité de l’effort de générations sur le même sol, d’autre part la citoyenneté « par scrupules » qui ne reconnaît le citoyen qu’en tant que simple redevable à la communauté dont il est membre et à laquelle il oppose l’humanité sans frontière, des droits de l’homme immanents et sa propre individualité. Sophie Duchesne considère que la citoyenneté est un concept à valeur universelle, mais elle souligne sa force particulière en France et son lien avec l’identité nationale conséquence de la période révolutionnaire (« Ici on s’honore du titre de citoyen et on se tutoie ! »).

Il ne fait pas de doute aujourd’hui que cette identité nationale tend ici et là à être contestée par le biais de conceptions dégénérées qui voudraient se dégager de toute trajectoire historique passée et à venir. C’est ainsi que l’on parlera de « citoyenneté nouvelle », spontanéisme social indéterminé, de « citoyenneté de résidence », donnant-donnant territorial, de « citoyenneté européenne », objet politique non indentifié décrété par le traité de Maastricht.

Il y a identité française s’il est possible de la caractériser par des valeurs cardinales, un exercice spécifique de la citoyenneté par des moyens appropriés, enfin une capacité à faire face aux défis de l’évolution, spécialement dans la période crise que nous connaissons depuis l’effondrement du bloc soviétique.

Il y a identité française par référence à des valeurs forgées dans l’histoire nationale mais se proposant comme valeurs universelles. Une conception de l’intérêt général, catégorie éminente au-dessus de la somme des intérêts particuliers et ayant donné corps à une école française du service public à laquelle nous sommes particulièrement attachés. Une affirmation du principe d’égalité qui tend par des actions positives à l’égalité sociale au-delà de l’égalité juridique et qui fonde notre modèle d’intégration sur le droit du sol. Une exigence de responsabilité aux dimensions juridiques et morales que permet le principe de laïcité.

Il y a identité française dans l’exercice effectif de la citoyenneté par des droits et libertés conquis de haute lutte. Un statut du citoyen fondamentalement politique mais aussi économique et social. Une démocratie locale qui rapproche le citoyen des lieux de pouvoir, en particulier dans nos 36 000 communes. Des institutions sans cesse remises sur le chantier (quinze constitutions en deux siècles) qui font de la France un véritable laboratoire institutionnel où cinq Républiques ont émergé dans le drame, le combat et le sang.

Il y a identité française lorsqu’elle s’éprouve enfin dans sa capacité à répondre aux défis de l’histoire. À faire face à la crise de l’individualité et des représentations caractérisée par la perte des repères consécutive, notamment, à l’affaissement des grandes idéologies. À s’inscrire dans une convergence maîtrisée des diverses citoyennetés dans le monde (subsidiairement en Europe) dans une recherche conjointe d’universalité. À contester la raison d’État sur le terrain d’une citoyenneté active, englobant les différentes versions des droits de l’homme, co-souveraineté régie par le contrat social, notre pacte républicain.