« Le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 modifié concernant les relations entre l’administration et les usagers est abrogé à compter du 1er juillet 2007 » dispose l’article 20 du décret n° 2006-672 du 8 juin 2006 relatif à la création, à la composition et au fonctionnement de commissions administratives à caractère consultatif. Ainsi s’achèvera l’existence d’un texte né dans les contradictions et dont la vie tourmentée – qui aura néanmoins duré vingt-quatre ans – aura malgré tout été féconde. Tant il est vrai qu’il faut que des choses meurent pour que d’autres vivent.
Car la genèse de ce texte a une histoire qui montre que, derrière le thème ressassé de la réforme administrative, s’affrontent des idéologies et des intérêts éminemment politiques (1). Les polémiques qu’il a ensuite suscitées ont été elles-mêmes révélatrices de ces conflits et de divergences profondes sur certaines conceptions de l’État de droit (2). Mais tout cela aura été utile si des enseignements en sont tirés (3).
Une naissance non désirée
Comment en est-on arrivé à ce décret très controversé ?
Peut-être faut-il remonter à ce 23 juin 1981, journée au cours de laquelle se constitue le gouvernement d’alternance à gauche avec la participation de ministres communistes. En fin de matinée, le Premier ministre Pierre Mauroy et le Président François Mitterrand donnent leur accord sur deux attributions ministérielles : Charles Fiterman, ministre d’État aux Transports, Anicet Le Pors aux PTT, d’autres portefeuilles restant à débattre. Dans l’après-midi, après de difficiles tractations, Jack Ralite hérite du ministère de la Santé et Marcel Rigout de celui de la Formation professionnelle, mais le ministère des PTT est retiré, jugé sans doute trop stratégique budgétairement et au regard des questions de défense pour être confié à un communiste. À la place est proposé le ministère de la Consommation. Je conseillerai à Georges Marchais, en liaison téléphonique permanente avec Pierre Bérégovoy alors secrétaire général de l’Élysée, de refuser. Vers 18 heures 30, nouvelle proposition : le ministère de la Fonction publique que je conseillerai d’accepter à condition que les Réformes administratives lui soient associées, ce que, dans un premier temps, l’Élysée refusera . Finalement, le Président et le Premier ministre souhaitant que la composition du gouvernement soit annoncée dans le journal de 20 heures, accepteront que le ministre de la Fonction publique soit aussi celui des Réformes administratives mais à condition qu’il soit délégué auprès du Premier ministre, ce que nous accepterons sans difficulté, les relations avec Pierre Mauroy étant particulièrement bonnes .
Par la suite, je m’interrogerai souvent sur cette réserve de départ du Président de la République en ce qui concerne l’attribution à un ministre communiste de la responsabilité des réformes administratives. Je n’ai sur le moment trouvé d’autre explication que sa volonté d’éviter que l’action de rationalisation de l’activité administrative puisse être mise à l’actif d’un ministre appartenant à un parti traditionnellement stigmatisé comme celui de la bureaucratie. Le stéréotype devait être préservé. Quoi qu’il en soit, la question ne se posa pas pendant la période 1981-1982 consacrée essentiellement aux fonctionnaires et à la refonte du Statut général, organisant une fonction publique à « trois versants » (fonction publique de l’État, territoriale, hospitalière) et regroupant désormais quelque 5 millions de fonctionnaires, soit environ 20 % de la population active du pays . D’autres réformes s’ajoutaient à cette élaboration : celle du droit syndical et des organismes de représentation (décrets du 28 mai 1982), la création de la 3ème voie d’accès à l’ENA, la titularisation des agents contractuels, des mesures en faveur de l’égalité femmes-hommes, etc. Le Président s’intéressait assez peu à la fonction publique, contrairement au Premier ministre, ancien fonctionnaire lui-même.
Pour autant, j’ai eu le souci, dès le départ de couvrir le volet des réformes administratives mais essentiellement par des mesures pratiques telles que, par exemple : la réorientation du courrier mal adressé, la généralisation de la photocopie pour les formalités administratives, la suppression de commissions et de comités inutiles, la diffusion d’un guide de l’usager, la publication de plusieurs circulaires précisant les pratiques administratives (respect des délais et indication des voies de recours, amélioration des études d’impact et de la procédure des enquêtes publiques, simplification des formalités incombant aux entreprises, etc.), la relance de l’activité de la Commission supérieure chargée d’étudier la codification et la simplification des textes législatifs et réglementaires, mais aussi la création d’une « mission rénovation et prospective administrative » à la direction générale de l’administration et de la fonction publique. Rapidement apparaît cependant la nécessité de donner une autre ampleur à l’action de réforme en faveur des usagers, afin de la porter à un niveau comparable à celui de l’élaboration statutaire en cours en faveur des fonctionnaires. Cette démarche sera exposée en conseil des ministres à plusieurs reprises ; elle s’organisera progressivement en sept rubriques ainsi formulées :
– élaboration d’une Charte des relations entre l’administration et les usagers ;
– mise en œuvre dans l’administration d’une politique cohérente d’utilisation des technologies nouvelles ;
– développement d’opérations pilotes dites « Administration à votre service (AVS) » ;
– mise au point d’un programme permanent de simplifications administratives ;
– formalisation concrète des modalités de déconcentration des services de l’État dans le cadre de l’entrée en vigueur de la loi de décentralisation ;
– amélioration des instruments d’analyse, de contrôle et de rationalisation de l’activité administrative ;
– impulsion et coordination des actions de réforme administrative menées dans chaque ministère.
On ne s’intéressera ici qu’à la première de ces actions : l’élaboration d’une « Charte des relations entre l’administration et les usagers ». La formule en a été imposée par le Président de la République lui-même lors de son allocution prononcée à l’occasion de la cérémonie des vœux devant les Corps constitués le 4 janvier 1983. Elle est pourtant discutable sur les deux termes qui la constituent : celui de « Charte » suggère qu’il s’agit de droits souverainement octroyés en dehors des procédures législatives ou réglementaires ; celui d’ « usagers » ne semble concerner que les citoyens dans leur qualité de consommateurs de services administratifs. Pourtant l’expression ne sera pas critiquée, le point de vue du Président s’imposant à tous. Négligeant le débat sémantique, restait à définir le contenu de cette Charte. Les réflexions sur ce que pourrait être cette nouvelle architecture d’une dimension, pour l’usager, comparable à celle du Statut général des fonctionnaires, avaient été amorcées plusieurs mois auparavant. La conception dominante consistait à réunir en un ensemble unifié les lois de la décennie 1970, à savoir : la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 instituant un Médiateur de la République, la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, la loi n° 79-587 relative à la motivation des actes administratifs, la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 relative à l’accès aux documents administratifs, la loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives. L’ensemble de ces lois existantes, à propos desquelles seul un travail de codification aurait pu être envisagé, aurait été complété par diverses dispositions législatives relatives, notamment, à l’indemnisation des victimes de dommages impliquant la responsabilité publique, à l’invocabilité de la doctrine administrative, à la procédure administrative non contentieuse.
La présentation encore très générale qui en est faite sous forme de communication en conseil des ministres du 16 février 1983, provoque une réaction quelque peu cassante du Président de la République qui soutient que la réforme administrative consiste moins à faire des lois qu’à développer des pratiques concrètes de nature à changer les habitudes et les mentalités. Il se prononce clairement contre toute nouvelle élaboration législative en la matière et entend, si une réglementation s’avérait nécessaire, qu’elle devrait être limitée à l’élaboration d’un décret portant sur des questions précises. Plusieurs réunions interministérielles s’étaient déjà tenues avec pour objectif d’établir le projet de loi complémentaire évoqué ci-dessus . Après la prise de position présidentielle, le mandat se réduit aux dispositions susceptibles de faire l’objet du décret admis par le président de la République. Dès lors, le champ du projet de décret ne cesse de rétrécir au fil des versions successives, tout en gardant un caractère quelque peu hybride en raison de l’origine législative des dispositions envisagées au cours des premiers travaux mais apparaissant susceptibles d’être traitées par la voie du décret. Cette volonté du Président de la République de refuser toute action législative d’envergure sur le terrain des réformes administratives me remettra en mémoire les conditions de ma nomination comme ministre en charge desdites réformes. Il est également probable que les projets législatifs se heurtèrent à l’hostilité du ministère de l’Intérieur qui ne souhaitait pas que les dispositions envisagées puissent concerner les collectivités territoriales et du Conseil d’État afin de faire échec à une élaboration qui aurait réduit sa marge d’appréciation jurisprudentielle .
En point d’orgue d’une semaine de communication sur les actions de réforme administrative conduites de 1981 à 1983 « L’administration, portes ouvertes » du 21 au 27 novembre 1983, c’est ainsi que l’on aboutit au décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l’administration et les usagers qui prévoit que son entrée en vigueur sera effective six mois après sa publication au Journal officiel . Il est présenté au Président de la République par un rapport du Premier ministre qui donne de la Charte une définition inédite. Il indique tout d’abord que ce texte « s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la nouvelle citoyenneté qui a pour corollaire la définition d’un nouveau statut de l’usager du service public … statut qui résultera à la fois du présent décret, d’une instruction générale du Premier ministre et d’instructions particulières propres à chaque ministère . Ce grand ensemble constituera la charte des relations entre les citoyens et leur administration que vous avez annoncée aux Corps constitués le 4 janvier 1983. »
Une mise en pièces méthodique
Dès sa publication, le décret du 28 novembre 1983 sera vivement critiqué même si certaines voix lui reconnaîtront quelques mérites. Rappelons qu’il était constitué de trois séries de dispositions non liées entre elles et relatives :
– à l’invocabilité des circulaires, instructions ou directives par les citoyens qui pourront en demander le bénéfice, ou des conséquences que l’administration devra tirer de l’illégalité des actes réglementaires qu’elle a pris, tant pour ces actes eux-mêmes que pour les décisions non réglementaires dont elles constituent le fondement (chapitre I, art. 1er à 3) ;
– à la procédure administrative non contentieuse : accusé de réception aux usagers de leurs demandes en précisant quel est le responsable de l’instruction ainsi que leurs droits ; possibilités données à l’administré de présenter des observations sauf demandes abusives ou exigences d’urgence ou de procédures spécifiques ; transmission aux services compétents des demandes mal orientées ; mention des délais de recours (chapitre II, art. 4 à 9) ;
– au fonctionnement des organismes consultatifs placés auprès des autorités de l’État et de ses établissements publics administratifs : quorum, procès-verbaux, régularité des décisions, information des membres (chapitre III, art. 10 à 15).
Chacun de ces trois chapitres sera annihilé selon des modalités bien différentes.
I . Si les articles 1 à 3 ont été formellement supprimés par le décret du 8 juin 2006, leur portée avait depuis longtemps été réduite à néant. Ainsi, l’article 1er donnait la possibilité au citoyen d’invoquer la doctrine administrative exprimée à travers les circulaires ou les instructions (à condition bien sûr que celles-ci soient conformes aux lois et aux règlements) au service de sa cause. C’était en réalité la disposition la plus novatrice et par là la plus importante du décret du 28 novembre 1983. Elle a été purement et simplement ignorée par le Conseil d’État qui a fait prévaloir son interprétation jurisprudentielle constante : l’invocabilité est strictement liée au caractère réglementaire des circulaires alors que le décret de 1983 la reconnaissait à toutes les circulaires, y compris les circulaires simplement interprétatives (non-réglementaires), privant par là l’usager de la possibilité de se prévaloir d’une interprétation par l’administration de ses propres textes qui pourrait lui être favorable, même si l’administration changeait ensuite d’interprétation. Le Conseil d’État a estimé que sa jurisprudence inspirée par un principe général du droit, devait nécessairement l’emporter sur des dispositions réglementaires (conformes aux lois et aux règlements ainsi qu’il a été dit) dont la légalité, dès lors, lui apparaissait suspecte pour non respect de la hiérarchie des normes. Or, la séparation entre circulaire réglementaire et circulaire interprétative est souvent bien incertaine et l’administré devrait avoir pleine confiance sur le sens que l’administration donne à sa propre action, surtout si ce sens fait l’objet de publication .
L’article 2 obligeait l’autorité compétente de faire droit à toute demande d’annulation d’un acte fondé sur un règlement dont l’illégalité avait été prononcée par une décision devenue définitive par la juridiction administrative à propos d’un acte ayant le même objet et fondé sur le même motif. L’administration devait donc, dans ce cas, retirer tout acte individuel selon un mécanisme d’exception d’illégalité non contentieuse. Cette disposition est tombée en désuétude en raison de la volonté du juge de préférer à cette disposition réglementaire sa jurisprudence traditionnelle concernant l’obligation de retrait ou l’abrogation des actes non réglementaires illégaux.
Quant à l’article 3, il prévoyait que l’autorité compétente était tenue de faire droit à toute demande tendant à l’abrogation d’un acte illégal. Or, selon une jurisprudence constante, un requérant ne pouvait contester la légalité d’un règlement par la voie de son abrogation, mais seulement par celle de l’exception d’illégalité de ce règlement. Plutôt que d’appliquer l’article 3, le Conseil d’État a préféré en absorber le contenu en érigeant cette disposition en principe général du droit formulé dans les termes mêmes du décret, privant par là l’article 3 de toute utilité pratique . Pour autant, le professeur René Chapus considérant que « la disposition ainsi édictée [celle de l’article 3 du décret] était sans doute plus satisfaisante que la solution jurisprudentielle à laquelle elle s’opposait, et qui d’ailleurs n’avait pas toujours été consacrée … Ainsi, après avoir commencé par tenir pour bonne la disposition considérée, le Conseil d’État en a réalisé la nullification » .
II . Les articles 4 à 8 du décret du 28 novembre 1983 relatives à la procédure administrative non contentieuse ont été abrogés par l’article 5 du décret n° 2001-492 du 6 juin 2001 pris par application de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 qui en a repris le contenu, élevant ainsi significativement les dispositions du décret au niveau de la loi. Les dispositions correspondantes du décret de 1983 s’appliquaient aux services administratifs de l’État, à l’exception de ceux placés sous l’autorité du ministre de la Justice (art. 4). Elles prévoyaient que les délais opposables à l’auteur d’une demande adressée à l’administration courent de la date de la transmission, à l’auteur de cette demande, d’un accusé de réception portant obligatoirement certaines mentions (art. 5). L’accusé de réception doit indiquer le cas échéant les pièces manquantes et celles des pièces rédigées en langue autre que le français dont l’administration requiert la traduction dans un délai qu’elle fixe (art. 6). L’administration saisie d’une demande dont l’examen relève d’une autre autorité doit transmettre elle-même cette demande à l’autorité compétente, les délais ne courant, en cas de décision implicite de rejet, que s’il est fait mention de la transmission dans l’accusé de réception (art. 7). Enfin, sauf urgence ou circonstances exceptionnelles, les décisions qui doivent être motivées en vertu de la loi du 11 juillet 1979 ne peuvent légalement intervenir qu’après que l’intéressé ait été mis à même de présenter des observations écrites ; toute personne ainsi concernée devant être entendue si elle en fait la demande et pouvoir être assistée ou se faire représenter (art. 8).
Si la loi reprend donc largement les dispositions du décret, elle les complète et l’améliore sur plusieurs points . Elle en étend tout d’abord le champ d’application à l’ensemble des services publics administratifs, y compris les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale (ce qui était une raison supplémentaire de recourir à la loi en raison du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales). Elle substitue le mot « citoyen » à celui d’ « usager » ce qui est pertinent, mais dont certains commentateurs en ont déduit que se trouvait ainsi validé le concept de « citoyenneté administrative », ce qui est très discutable, la citoyenneté politique étant indivisible, sinon par facilité de vocabulaire . Les recours gracieux et hiérarchiques sont assimilés à des demandes et doivent donc être soumis aux mêmes règles de procédure concernant, notamment, l’accusé de réception et la réorientation. Les processus de décision sont accélérés : la règle traditionnelle selon laquelle le silence gardé par l’administration pendant quatre mois sur une demande vaut décision implicite de rejet voit ce délai ramené à deux mois, tandis que des décrets en Conseil d’État doivent dresser une liste des cas dans lesquels le silence gardé par l’administration est assimilé à une décision implicite d’acceptation. La cohérence entre les lois précitées relatives à la transparence administrative est renforcée, la compétence de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) est élargie, la notion de document administratif est explicitée, la codification législative fait l’objet d’une définition.
Pour appréciables qu’elles soient, ces améliorations apparaissent néanmoins modestes au regard des dispositions du décret de 1983. L’intérêt de la loi a surtout été d’en étendre le champ d’application et surtout d’élever ces règles dans la hiérarchie des normes, ce qui valide rétrospectivement la démarche qui consistait à se situer d’emblée au niveau de la loi plutôt que de courir le risque du mépris et de l’illégalité. On retiendra aussi que la loi du 12 avril 2000 ne s’est pas aventurée sur le terrain des articles 1er à 3 du décret précédemment examinés.
III . Compte tenu de ce qui précède, il ne restait plus au décret n° 2006-672 du 8 juin 2006 qu’à reprendre à son compte les articles 10 à 15 du décret du 28 novembre 1983 relatifs au fonctionnement des organismes consultatifs auprès des autorités de l’État et des établissements publics de l’État et, pour solde de tout compte, à supprimer, pour la forme, ce qui restait du décret, c’est-à-dire les coquilles vides des articles 1er à 3.
Les articles 10 à 15 du décret de 1983 (qui demeurent en vigueur jusqu’au 30 juin 2007) sont applicables aux organismes collégiaux dont l’avis est requis préalablement aux décisions prises, à l’égard des usagers et des tiers, par les autorités administratives de l’État et les organes des établissements publics administratifs de l’État (art. 10). Sauf urgence ou disposition contraire, les membres de ces organismes consultatifs doivent recevoir, cinq jours au moins avant la date de leur réunion, une convocation écrite comportant l’ordre du jour et, éventuellement, les documents nécessaires à l’examen des affaires qui y sont inscrites (art. 11). Le quorum est défini comme égal à la moitié des membres titulaires ; lorsqu’il n’est pas atteint, l’organisme délibère valablement sans condition de quorum après une nouvelle convocation (art. 12). Les membres d’un organisme consultatif ne peuvent prendre part aux délibérations, à peine de nullité de celles-ci, lorsqu’ils ont un intérêt personnel à l’affaire (art. 13). Le procès-verbal indique le nom et la qualité des membres présents, les questions traitées et le sens de chacune des délibérations ; chaque membre peut demander qu’il soit fait mention de son désaccord éventuel ; le procès-verbal est transmis à l’autorité compétente (art. 14). Lorsque l’avis n’a pas été émis dans un délai raisonnable, l’autorité compétente pour prendre la décision peut légalement passer outre après avoir invité le président de l’organisme dont la consultation est obligatoire à provoquer, dans un délai qu’elle détermine, l’inscription de l’affaire à l’ordre du jour ; cette mise en demeure est portée à la connaissance des membres de l’organisme (art. 15).
Le décret du 8 juin 2006 n’apporte que des précisions mineures aux dispositions correspondantes contenues dans le décret de 1983 auxquelles il se substituera. Il précise que ne sont pas concernées, notamment, les autorités administratives indépendantes, les commissions composées exclusivement d’agents de l’État. Sauf disposition contraire, une commission est créée par décret pour une durée maximale de cinq années, éventuellement renouvelable. Les conditions de suppléance sont précisées de même que celles d’audition de personnes extérieures et de recours aux moyens d’audition téléphonique ou télévisuel. La voix du président est prépondérante en cas de partage égal des voix.
On relèvera que le ministre chargé de la fonction publique n’est pas signataire du décret dont le projet a été présenté sur le rapport du ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de l’aménagement du territoire et du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie.
D’utiles enseignements
Il ne faut certainement pas pleurer sur la fin programmée du décret du 28 novembre 1983 quand bien même l’aurait-on porté sur les fonts baptismaux. Il était très diminué et malade. Son existence aura été utile, il a mis à jour des contradictions, provoqué la critique, révélé des postures, posé des problèmes de fond, éclairé la voie de réformes essentielles. Il aura finalement bien mérité de l’État de droit en raisons même de sa naissance difficile et de ses imperfections.
On considérera, tout d’abord, qu’il a été éminemment significatif et productif, Nous venons de voir que les dispositions relatives au fonctionnement des organismes consultatifs placés auprès des autorités de l’État et des établissements publics administratifs de l’État ont, à des nuances près, été reprises par le décret du 8 juin 2006 dont l’objet semblait se réduire à cette appropriation. La plupart des dispositions relatives à la procédure administrative non contentieuse ont constitué la matière de la loi du 12 avril 2000, améliorée et complétée sur de nombreux points, élevant par là même ces dispositions au niveau de la loi et donnant ainsi raison vingt-quatre ans plus tard au projet qui était primitivement envisagé à ce sujet et auquel le Président de la République lui-même avait cru devoir faire échec, poussé par on ne sait quels conseillers mal avisés ou mal intentionnés. Mais la question la plus intéressante est sans doute le débat qui s’est développé sur les dispositions tendant à satisfaire aux exigences du principe d’égalité devant la loi et en particulier la question de l’invocabilité des circulaires.
Le décret du 8 juin 2006 a abrogé, on l’a vu, les articles 1er à 3 du décret de 1983. Notons en premier lieu qu’il n’est pas inintéressant de constater que, ne souhaitant pas acquiescer à l’article 3 du décret qui enjoignait à l’autorité compétente d’abroger un règlement illégal, alors que, jusque-là, seule la voie de l’exception d’illégalité pouvait venir à l’appui de recours contre des décisions individuelles prises sur son fondement, le Conseil d’État par son arrêt d’assemblée Alitalia en 1989 a repris exactement la formulation de l’article 3 en en faisant … un principe général du droit. Il a ignoré également les dispositions réglementaires de l’article 2 en lui préférant sa jurisprudence traditionnelle concernant l’obligation de retrait ou l’abrogation des actes non réglementaires illégaux, ce qui est sans conséquence. Il a fait de même avec l’article 1er relatif à l’invocabilité des instructions, directives et circulaires de l’administration, mais cette fois-ci en contradiction avec les dispositions du décret en raison de sa jurisprudence constante de non invocabilité des actes non réglementaires. La loi du 12 avril 2000 aurait pu être l’occasion de clarifier la situation, mais elle a ignoré la question, traduisant ainsi une certaine « frilosité » tant du législateur que du juge administratif . La réalité, c’est qu’il est difficile aujourd’hui de refuser aux circulaires toute portée normative et de camper sur la jurisprudence Notre-Dame du Kreisker du 29 janvier 1954 qui fait une distinction stricte, qui semble aujourd’hui peu réaliste, entre circulaires réglementaires et circulaires interprétatives, ce qui est peu favorable au citoyen. Les tribunaux administratifs ont paru adopter une position plus souple dans le cas de circulaires contenant des instructions précises apportant une protection personnelle des particuliers. Le Conseil d’État lui-même a semblé vouloir élargir la recevabilité des recours pour excès de pouvoir aux dispositions impératives des circulaires ayant un caractère général , mais la jurisprudence continue d’assimiler caractère réglementaire des circulaires et invocabilité. L’abrogation de l’article 1er du décret du 28 novembre 1983 ne clôt pas pour autant le débat, et l’on peut parler sur ce point, d’un « formidable retour en arrière » selon l’expression utilisée par le professeur Pascal Combeau qui considère que la suppression de cet article s’inscrit a contrario d’une double évolution . D’une part, la tendance législative à entériner des mécanismes ciblés d’invocabilité. D’autre part, la volonté affichée du Conseil d’État lui-même dans son Rapport annuel 2006, qui revendique « un nouveau statut pour le droit souterrain » . Ce rapport n’hésite pas en effet à invoquer l’article 1er du décret de 1983 (non abrogé à la date de publication du rapport) à l’appui de la nécessité de publier les circulaires pour une information complète du citoyen parce que « dans la pratique administrative, les circulaires revêtent une grande importance, à tel point que les services s’y réfèrent parfois plus qu’aux lois et aux décrets qu’elles entendent interpréter » . Mais quelle est alors la portée d’une telle recommandation si elle ne correspond pas à un élargissement des droits des citoyens ? Affaire à suivre donc.
Le deuxième enseignement est que le débat à propos du décret du 28 novembre 1983 invite à s’interroger sur les champs à accorder respectivement à la pratique, à la jurisprudence et à la loi. On se souvient que le rejet de toute élaboration législative sur le sujet avait été justifié en 1983 par l’idée que la réforme administrative était davantage affaire de pratique et de mentalité plutôt que de réglementation. Proposition de bon sens mais largement erronée dans une société où le droit est devenu de plus en plus complexe et où la protection du citoyen doit être organisée face à cette complexité croissante. Comme l’indique encore le rapport annuel précité du Conseil d’État : « Une telle évolution accroît la « fracture juridique », une partie de la population se trouve marginalisée un droit devenu trop complexe, tandis que d’autres acteurs s’accommodent de la complexité, voire l’exploitent à leur profit. La complexité du droit engendre donc à la fois un « coût psychologique » et un « coût démocratique » » .
Dès lors la jurisprudence administrative peut-elle répondre à l’ensemble des exigences d’adaptabilité, d’accessibilité, d’intelligibilité et de sûreté juridique dans le respect de la hiérarchie des normes ? Dans un cas (art. 1er et 2 du décret de 1983) le Conseil d’État a fait prévaloir sa jurisprudence sur des dispositions du décret qu’il a décidé d’ignorer, dans l’autre cas, il a préféré ériger en principe général du droit une disposition textuellement reprise du décret plutôt que de faire référence à ce dernier (art. 3). Avec le professeur René Chapus, il a considéré qu’il existe une « présomption de portée impérative des normes jurisprudentielles » dans la mesure où celles-ci ne sont pas simplement supplétives .
Cette attitude n’est pas nouvelle. Un président de la section des Finances du Conseil d’État, membre du Conseil supérieur de la fonction publique, ne soutenait-il pas dans les années 1980 que la création du Statut général des fonctionnaires avait été une erreur et qu’il eut mieux valu en rester à l’ensemble des règles jurisprudentielles qui prévalaient jusqu’alors. La question se pose aujourd’hui en des termes différents où le Rapport annuel du Conseil d’État de 2003, préconise que le contrat devienne une « source autonome du droit de la fonction publique » . Dans ces conditions, il apparaît bien que la loi représente une précaution élémentaire de la défense des droits des fonctionnaires comme de ceux des citoyens usagers du service public.
Le troisième enseignement réside dans l’idée qui s’impose de façon décisive à la lumière de cette expérience : il importe devant les réticences de la jurisprudence, la nécessité de légiférer de façon lisible et l’urgence de donner de l’ensemble des règles régissant les relations entre l’administration et les citoyens une représentation d’ensemble claire et cohérente, que soit enfin réalisé un véritable Code de l’administration. La loi du 12 avril 2000 a souhaité, après d’autres textes, en donner une définition : « La codification législative rassemble et classe dans des codes thématiques l’ensemble des lois en vigueur à la date d’adoption de ces codes. Cette codification se fait à droit constant, sous réserve des modifications nécessaires pour améliorer la cohérence rédactionnelle des textes rassemblés, assurer le respect de la hiérarchie des normes et harmoniser l’État de droit. »(art. 3).
On a rappelé que les travaux de la Commission supérieure chargée d’étudier la codification et la simplification des textes législatifs et réglementaires avait été intensifiés à partir de 1982. Une relance de la codification intervient en 1989, et en 1995 un code de l’administration est inscrit dans le programme général de codification. Le rapport d’activité de l’année 2000 de la Commission supérieure de codification indique qu’une première version de la première partie de la partie législative du code, incluant la loi du 12 avril 2000, a été réalisée. Puis les travaux s’enlisent, jusqu’à la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 qui autorise le gouvernement à adopter par voie d’ordonnance la partie législative du code dans un délai de dix-huit mois. Un projet a été rédigé, il est resté sans suite.
La professeure Pascale Gonod explique ces atermoiements par deux types de causes , d’une part des difficultés inhérentes à l’opération de codification, d’autre part des résistances liées à la singularité de l’objet. Sur le premier point, le défaut d’interlocuteur au sein des structures administratives centrales est invoqué, mais cette faiblesse ne semble pas devoir être plus importante pour le code de l’administration que pour d’autres codes, tout au contraire. Il y aurait encore une difficulté à définir le périmètre de ce code, mais celui-ci est, en l’espèce, particulièrement bien cerné : les lois précitées des années 1970 et la loi du 12 avril 2000. Sur le second point, les résistances spécifiques concernant ce code, la question semble plus sérieuse. Il existe une conviction très ancienne, dont nous avons observé qu’elle est encore aujourd’hui très vivace, selon laquelle le droit administratif français étant un droit essentiellement jurisprudentiel il serait rebelle toute codification. Plus, la codification constituerait une menace sur la place faite à la jurisprudence dans le droit administratif français. Ainsi, à travers l’opposition entre production textuelle et production jurisprudentielle du droit administratif, c’est « la question de l’étendue des pouvoirs du juge administratif qui est à l’œuvre » . Ces réserves sont en réalité contredites aussi bien par la codification réalisée dans des secteurs voisins (collectivités locales, justice administrative) que par les expériences étrangères en la matière .
Les conclusions qui peuvent être tirées de la vie et de la mort du décret du 28 novembre 1983 peuvent être ainsi résumées. Premièrement, dans les relations entre l’administration et les citoyens, le pragmatisme ne contredit pas la nécessité d’en encadrer l’exercice. Deuxièmement, les degrés de liberté dont doit disposer la jurisprudence administrative ne sauraient excéder ce qui permet une adaptation souple aux circonstances. Troisièmement, la loi est la règle, elle doit intervenir chaque fois que nécessaire. Quatrièmement, avec Bernard Beigner, « le code est l’avenir de la loi » . Alors, cinquièmement, le décret du 28 novembre 1983 est mort, vive le Code de l’administration !