« Vœux d’un Jacobin » – Bretagne – Ile de France, décembre 2013

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EscaroLes Bretonnes et les Bretons se sont évidemment sentis concernés par la lourde insistance des médias rapportant les différentes manifestations des « bonnets rouges » comme si ceux-ci  constituaient à eux seuls un gage de légitimité d’intérêts, de particularismes, d’initiatives ou de choix communautaires. Pour aujourd’hui et pour demain je ne souhaite pas revoir manifester ensemble, les casseurs de biens publics et les élus, les licencieurs et les licenciés,  les autonomistes archaïques et les et les républicains. Les Bretonnes et les Bretons ne sont pas fait d’un bloc. Il y a autant de cas que d’individus qui, au-delà des racines, ont subi de multiples autres influences dans d’autres régions de France ou hors de France. L’attachement légitime à la terre des ancêtres n’est respectable que s’il reconnaît les même attachements dans les autres régions ou pays et les solidarités qui les relent les uns aux autres. S’il importe de favoriser l’intervention de chacune et chacun dans la gestion des affaires publiques, notamment locales, seule la citoyenneté française est légitime dans ses valeurs fondatrices : une conception de l’intérêt général servie par des services publics de qualité, une affirmation du principe d’égalité faisant converger égalité juridique et égalité sociale, éthique de la responsabilité que fonde le principe de laïcité. Vision jacobine ? Comme celle de ces Bretons qui, avant de s’installer rue Saint-Honoré à Paris dans la bibliothèque du couvent des Jacobins (Dominicains) siégeaient à Versailles et s’appelait …  le Club breton. Bonne année 2014 dans cet esprit.images2-143x170.jpg

LA LAÏCITÉ EST UN COMBAT – 18 décembre 2013

L’HumanitéPAR ANICET LE PORS, ANCIEN MINISTRE, CONSEILLER D’ÉTAT HONORAIRE.

 

images1La laïcité, telle que forgée par notre histoire, semble parfois embarrasser. Elle est alors qualifiée de positive (Nicolas Sarkozy), raisonnée (Les Verts), ouverte (Marie Geprge Buffet). Étienne Balibar distingue une conception étatiste et une conception libérale, pour choisir … la seconde. Jean Baubérot distingue des laïcités séparatiste, autoritaire, anticléricale. Ce besoin de qualifier exprime, selon le cas, une hostilité, une réserve ou une gène ; il affaiblit l’idée et dispense d’approfondir.

La laïcité s’affirme en relation avec la sortie du pouvoir politique de la religion. Au début du XIVe siècle, Philippe Le Bel, après avoir affronté le pape Boniface VIII,  installe son successeur Clément V en Avignon signifiant par là qu’il est moins roi « par la grâce de Dieu » qu’en raison du pouvoir séculier qu’il détient. François Ier supprime le monopole du droit d’asile détenu par l’Église et impose le français comme langue officielle contre le latin, la langue du sacré, par l’Édit de Villers-Cotterêts de 1539. La Renaissance et la Réforme, le retour à l’étude de l’Antiquité et du droit romain, le bouillonnement intellectuel de l’époque concourent à la sécularisation du pouvoir. La Révolution française institue la Constitution civile du clergé, confisque ses biens et tente d’instaurer le culte de la Raison. Au-delà du Concordat signé par Pie VII et Napoléon en 1801, les luttes du XIXe  siècle pour la République, le socialisme, les droits économiques et sociaux, s’accompagnent d’un long effort pour désimprégner la société de la religion. Ce que le philosophe Marcel Gauchet a appelé le « désenchantement du monde ».

Les grandes lois sur la laïcité des années 1880 consacreront cet effort pluriséculaire en instituant le monopole d’État sur la collation des grades universitaires, l’enseignement primaire gratuit et obligatoire ; la « Lettre aux instituteurs » de Jules Ferry en 1883 célèbre la grande « cause de l’école laïque » et ouvre la voie à la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905. Celle-ci énonce les deux principes fondamentaux de la laïcité : la liberté de conscience et la neutralité de l’État, base nécessaire de la formation de l’esprit critique et de l’apprentissage de la tolérance.  Il faudra attendre la constitution du 27 octobre 1946 pour que l’on écrive à l’article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Exemple unique dans le monde. Cet héritage a été promu avec passion pendant des décennies par les instituteurs de la IIIe République et par les autorités de l’époque. Rappelons que Clémenceau interdit à ses ministres d’assister au Te Deum de la victoire célébré par l’Église catholique en 1918.

Le principe de laïcité a depuis été  profondément dénaturé par le maintien de l’exception du régime concordataire de l’Alsace Moselle, les réglementations favorables aux financements publics de l’enseignement confessionnel (lois Debré de 1959, Guermeur de 1977, accords Lang-Cloupet de 1992, loi Carle de 2009, etc.). Les juridictions administratives et judiciaires se sont montrées fort complaisantes vis-à-vis des demandes religieuses. La commission Stasi, en 2003, a cru devoir ajouter un troisième principe à la laïcité, en enjoignant à l’État d’assurer l’égalité entre les religions (alors que l’article 2 de la loi de 1905 dispose que la République ne « reconnaît » aucun culte !). Le discours de Nicolas Sarkozy à Latran en 2007 a été le signal d’une offensive renforcée contre la laïcité pour – dans ce domaine comme en d’autres : services publics, décentralisation, institutions, immigration,… – mettre notre pays aux normes de l’Union européenne. Malheureusement, face à cette offensive, les mouvements qui auraient du répliquer au même niveau ont fait singulièrement défaut, ne se manifestant, comme il a été dit, qu’en variations qualificatives, protestations contre toute réglementation dans l’espace public, expressions  de bonnes consciences par l’invocation véhémente autant que paresseuse des droits de homme plutôt que du citoyen. Comme si c’étaient là les seuls moyens d’affirmation de la laïcité face aux problèmes de notre temps.

La laïcité est une création continue qui suppose un effort important d’approfondissement théorique. C’est un lieu de responsabilité juridique qui doit clairement distinguer ce qui relève de la loi, du règlement et du débat de convictions. C’est un terrain revendicatif de première importance en raison du caractère « transversal » de la laïcité dans la formation de la citoyenneté. Par là,  la laïcité peut être un puissant moyen de recomposition politique et sociale, à vocation universelle. En contribution au champ de la revendication, aujourd’hui à peu près vide : retour progressif de l’Alsace Moselle dans le droit commun à échéance de trente ans, claire distinction du cultuel et du culturel par la jurisprudence et la loi, formulation républicaine des jours fériés, discrétion des personnalités publiques vis-à-vis des représentants des Églises et organisations associées, reprise en main du financement et de l’organisation du service public de l’Éducation nationale dans l’esprit du projet de loi d’Alain Savary de 1984*.

* On trouvera un développement de cet article sous le titre d’une conférence « La laïcité, spécificité française ou valeur universelle ? » sur le site :   http://anicetlepors.blog.lemonde.fr

La laïcité, spécificité française ou valeur universelle ?

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Amicale des vétérans et de la mémoire militante  PCF / Jeunesses communistes – Lille, 13 décembre 2013

 

 

images-1La laïcité court aujourd’hui un risque de confusion, d’altération et, par là, de régression.

Certains éprouvent le besoin de la qualifier : de positive (Nicolas Sarkozy),, d’ouverte (Marie George Buffet) ou de raisonnée (EELV) comme si elle n’était jusque-là que négative, fermée et déraisonnable.

D’autres tiennent à caractériser plusieurs laïcités en fonction des conjonctures géopolitiques : séparatiste, autoritaire, anticléricale, etc. La laïcité serait alors une notion ambivalente (Laïcités sans frontières de Jean Baubero et Micheline Millet). Toute qualification est une distanciation qui affaiblit l’idée.

Le Front national, de son côté, en fait un argument, à contre-pied de ses fondements idéologiques, en réalité une arme contre « l’islamisation » de la société.

 Il est donc nécessaire de faire le point sur ce concept qui émerge de l’histoire longue comme principe fondamental (I), qui aujourd’hui comme hier est à l’épreuve des problèmes de la société (II), mais qui dans cette épreuve également pose la question de son rôle dans la construction de la citoyenneté et l’hypothèse de son caractère universel (III).

 

I. L’affirmation historique  du principe de laïcité

images-2Il s’agit d’un mouvement  général des sociétés qui s’inscrit, en France, dans des circonstances particulièrement significatives.

Corrélation du développement économique et social et de la sortie de la religion

Selon l’analyse marxiste caractérise le matérialisme historique comme une succession de modes de production caractérisés par le niveau de développement des forces productives et les rapports de production que leur organisation implique. Les modes de production procèdent par vie de développement des contradictions qu’ils engendrent : communisme primitif-féodalisme – capitalisme – socialisme (propriété publique-pouvoir de la classe ouvrière-homme nouveau) – communisme (affranchissement de toutes les aliénations). Cette analyse, quelque peu mécaniste, n’est pas contradictoires avec d’autres analyses socio-politiques.

Dans son ouvrage Le désenchantement du monde (qu’il faut comprendre comme la sortie de la société du monde des croyances ou des superstitions qui l’enchantaient), Marcel Gauchet analyse le long effort des sociétés pour s’affranchir de toute vision transcendantale. Mouvement qu’il décrit comme celui de l’hétéronomie (une société sacralisée par le droit divin) vers l’autonomie (affirmation de l’identité propre de l’État et des droits de la personne). Son raisonnement est, en résumé, le suivant caractérisé par trois ruptures.

Première rupture : après des siècles de dogmatisme religieux, à la fin du Moyen Âge, s’amorce la sortie de la religion, la disjonction d’avec le Ciel. La monarchie absolue tend à séculariser le pouvoir politique.

Deuxième rupture : se produit alors une dépossession de l’incarnation individuelle en la personne du monarque au profit de la collectivité, ce qui conduit à une auto-construction de la personne publique remplaçant celle du monarque ; c’est l’affirmation progressive de la nation dont la souveraineté est une version de la souveraineté du peuple, adossée cependant à la continuité de la tradition.

Troisième rupture : on assiste à l’affirmation corrélative et conjointe des droits individuels et de l’État, instrument représentatif de l’entité politique qu’est la nation.  Mais l’État n’est pas soluble dans les droits individuels et ces deux entités ne tardent pas à s’affronter : droits individuels contre volonté générale exprimée par la loi. Sous l’effet de ce mouvement et du développement des forces productives, essentiellement au XIXe siècle, l’affirmation d’une historicité de la société développée pose la question de son avenir et de la façon de le construire. La dialectique de l’individuel et du collectif conduit à la dissociation de l’État et de la société et à l’intervention de catégories sociales, voire de classes ou de masses. La prévalence recherchée de la raison nourrit l’idée d’un changement de société par la réforme ou la révolution.

Cette expérience débouche donc sur une crise de civilisation. Car l’action des masses ne s’est pas dépouillée du sacré, ce qui a conduit en leur nom à des démarches totalitaires dans l’expression de l’historicité, à la constitution de « religions séculières ». La chute des totalitarismes sape les bases de l’intérêt collectif au nom de la liberté.

L’affirmation du principe en France

Le « désenchantement » est donc une longue marche que l’on peut «baliser » dans notre histoire de France par quelques dates et évènements.

Philippe Le Bel installe en 1309 le pape Clément V en Avignon en réplique au prédécesseur de ce dernier, Boniface VIII, qui prétendait affirmer la supériorité du pape sur les rois. Il s’agit là d’un acte fort de sécularisation du pouvoir politique et de séparation de l’État et de l’Église. Il institue également le Conseil d’État du roi contribuant à un clivage franc public-privé.

La Renaissance et la Réforme vont opérer un profond bouleversement des mentalités. On sort d ‘une éclipse d’un millénaire sous le régime féodal dominé par le pouvoir religieux. Les marchands des cités réclament des franchises commerciales et on aspire dans le people à des libertés individuelles. L’Université reprend l’étude et l’enseignement du droit romain On relit La Politique d’Aristote ; on publie La République de Bodin, Le Léviathan d’Hobbes ; on évoque l’idée républicaine avec Machiavel, etc. L’Esprit des lois de Montesquieu et Du Contrat social de J-J. Rousseau seront ensuite des références majeures.

Le pouvoir de l’Église est de plus en plus contesté. Ainsi, pendant tout le Moyen Âge l’asile était le monopole de l’Église qui pouvait l’accorder dans ses dépendances à qui elle voulait pour quelque raison que ce soit (Notre Dame de Paris de Victor Hugo) avec la possibilité d’excommunier le souverain qui portait attente à ce monopole. Mais progressivement les autorités religieuses elles-mêmes réduisirent leurs compétences en la matière et, en 1539, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, François Ier abolit l’asile en matière civile. Il imposera également le français comme langue administrative à la place du latin, langue du sacré.

La Sorbonne remet au goût du jour l’étude des Anciens, du droit romain. Les guerres de religions vont créer de profonds bouleversements (la St Barthélemy en 1572) et poser la question des rapports de l’Église et de l’État marquées par l’Édit de Nantes en 1598 puis son abrogation en 1685. Sous Louis XIV s’opèrera une disjonction de la personne du Roi et de l’État (au début « l’État c’est moi », à la fin « Je meurs mais il reste l’État »). Jean- Montesquieu, Voltaire développent une critique efficace de l’ordre monarchique. Jean-Jacques Rousseau théorise la transmission de souveraineté dans Du Contrat social désignant le Peuple comme nouveau souverain.

La Révolution française constitue une étape marquante de la sécularisation du pouvoir politique avec la Constitution civile du clergé dès 1789, la confiscation de ses biens, en dépit de la tentative de reconstitution religieuse sécularisée avec le culte de l’Etre suprême assimilé au culte de la Raison. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses … ».

Le XIXe  siècle qui portera à son origine la marque du Concordat conclu avec la papauté par Napoléon et Pie VII en 1801, verra les aspirations républicaines et socialistes caractérisées par une volonté de rationalisation de la démarche émancipatrice  dominée par le marxisme (Manifeste du parti communiste en 1848) tendant à dégager le mouvement social de l’imprégnation religieuse. Mais le sentiment religieux participe lui-même à ce mouvement (Lamenais, Lacordaire, Ozanam, Sangnier). La I° Internationale est créée en 1865. La loi sur le droit de grève date de 1864, celle sur le droit syndical de 1884.

L’avènement des grandes lois

La III° République est proclamée en 1875. Et c’est ainsi que l’on parvient aux grandes lois sur la laïcité : loi du 18 mars 1880 sur la collation des grades réservée à l’État, loi du 16 juin 1881 sur la  gratuité de l’enseignement primaire public, loi du 28 mars 1882 rendant obligatoire cet enseignement. « La cause de l’école laïque » figurera  dans la lettre de Jules Ferry aux instituteurs du 17 novembre 1883. La loi du 9 décembre1905 « concernant la séparation des Églises et de l’État » posera les deux fondements de la laïcité (sans formuler le mot) : liberté de conscience et neutralité de l’État. Le mot n’est introduit qu’en 1946 dans la constitution de la IV° République du 27 octobre, Il figure aussi dès l’art. 1er de la constitution de 1958 : «  La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

 

 

II. La laïcité à l’épreuve des problèmes de notre temps

La laïcité, du principe à sa dénaturation

Il est utile, alors qu’aujourd’hui certains proposent de réformer la loi de 1905 ou de l’inscrire dans la constitution, de citer ses deux premiers articles aux termes soigneusement pesés :

« Article 1er – La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.

Article 2 – La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. (…) »

Jusqu’à la deuxième guerre mondiale prévaut la vigilance dans la défense des règles ainsi posées, la figure de l’enseignant de l’instruction publique, le « hussard noir » de la République, symbolisant cette posture républicaine marquée par de nombreux exemples comme l’interdiction faite par Clemenceau aux membres du gouvernement d’être présents au Te Deum célébré à Notre Dame pour la victoire de la guerre 1914-1918.

Mais le principe de laïcité c’est aussi l’exercice de l’esprit critique, l’apprentissage de la tolérance dans un esprit qui inspire la Charte de la laïcité à l’école diffusée dans les établissements scolaires publics à la rentrée 2013 – exceptionnellement dans les établissements privés.

Néanmoins, les exceptions à la règle de neutralité sont nombreuses : situation concordataire de l’Alsace-Moselle réintégrée après la guerre 1914-1918 ; financement public des écoles privées par la loi Debré du 31 décembre 1959 intégrant à l’Éducation nationale les établissements privés sous contrats d’association. Cette loi sera prolongée par la loi Guermeur en 1977 (les communes sont sollicitées pour le financement du secteur privé ; les enseignants du privé bénéficient des mêmes avantages de carrière que ceux du public) et les accords Lang-Coupé en 1992 (recrutement et formation des maîtres du second degré du secteur privé alignés sur ceux du public) vont dans le même sens d’une parité public-privé. En sens inverse, la tentative du projet Savary en 1984 en faveur d’un service public de l’éducation unifié entrainant la chute du troisième gouvernement Mauroy.

Les évènements de 1968 traduisent un changement de climat social et d’état d’esprit. Aussi, avec retard sur cette évolution, la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 (loi Jospin) propose une ouverture sur le monde du milieu scolaire que traduit cet alinéa de l’article 10 : « (…) Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement. (…) » ;

La laïcité et l’islam

La même année, un avis demandé au Conseil d’État par le ministre de l’Éducation nationale sur la question du port du voile islamique à l’école conduit le Conseil à préciser les conditions d’application du principe de laïcité : celui-ci est fondé à la fois sur la liberté de conscience et la neutralité de l’État. L’exercice de la liberté exclut le prosélytisme et le port de signes ostentatoires. En cas de contradiction des principes, on a recours à la notion d’ordre public.

La portée de cet avis était générale, mais en fait elle a concerné, dans l’opinion la question de l’application du principe de laïcité à la pratique le l’Islam, comme le principe avait eu à connaître antérieurement des conditions d’application vis-à-vis des autres religions. (enseignants, processions, sonneries de cloches, etc.) L’interdiction de signes ostentatoires ou d’actions de prosélytisme devait être mis en œuvre au cas par cas et ne pouvait faire l’objet d’une interdiction générale en vertu d’un autre principe prohibant toute interdiction de portée générale en matière de police administrative. Ainsi, il n’était pas possible d’inscrire une interdiction générale de signe ostentatoire dans un règlement intérieur d’un établissement scolaire sans trouble caractérisé au service public ou atteinte spécifiée à l’intégrité des élèves.

Cette orientation a connu de sérieuses difficultés d’application. Elle faisait en effet peser sur les chefs d’établissements la lourde responsabilité de caractériser les infractions ; ils n’ont d’ailleurs pas toujours été activement soutenus par leur administration. Les décisions des juridictions administratives ont pu apparaître contradictoires. Le 16 janvier 1994 a lieu à Paris une manifestation de quelque un million de personnes contre le projet de modification de la loi Falloux qui aurait élargi les possibilités de financement par les collectivités territoriales des établissements privés. Les efforts de la jurisprudence pour répondre aux difficultés, tout comme les dispositions coercitives de la circulaire Bayrou du 20 septembre 1994 sont apparues insuffisantes devant la revendication croissante d’une loi sur le sujet.

La commission Stasi, constituée en 2003 pour faire des propositions sur le sujet a plutôt accru la confusion. Le principe de neutralité y est abordé de manière défensive. Les exceptions au principe de laïcité sont minimisées. Il y est affirmé que le temps de la « laïcité de combat » est dépassé. Surtout le rapport ajoute aux principes de liberté de conscience et de neutralité de l’État un autre principe : la responsabilité qui incomberait à l’État d’assurer un traitement égal des options religieuses avec des conséquences lourdes (extension des contrats d’association, aumôneries diversifiées, jours fériés pour les différentes confessions, création d’une école nationale d’études islamiques, etc.) manifestement contraires à la loi de 1905 qui affirme que la République ne « reconnaît » aucun culte.

Un certain nombre d’objections pouvaient être opposées à la loi du 15 mars 2004 prohibant en milieu scolaire public le port de signes et de tenues conduisant à se faire connaître immédiatement par son appartenance religieuse (voile, kippa, grande croix, etc …) : le risque de tirer de la référence à’un texte religieux le fondement de l’inégalité femme-homme (le Coran comme source de droit interne !), l’aggravation de la condition sociale de jeunes filles prises entre les puissances respectives de la tradition familiale et de l’État, la multiplication des interdits ou le déplacement et l’extension du problème sur d’autres terrains. C’est pourquoi je n’étais pas favorable à une telle loi. Mais une fois l’entrée en vigueur de la loi, il est impossible de la contester sans que cela apparaisse  comme un recul de la laïcité.

La question pour autant n’a pas disparu de l’espace public. Elle s’est déplacée avec, d’une part la multiplication des foulards dans l’espace public, et, d’autre part  la question du « voile intégral », niqab ou burqa en dépit du caractère très minoritaire de ces manifestations. La loi du 10 octobre 2010 a interdit la dissimulation du visage de l’espace public. Le traitement par la loi de cette question est critiquable : on ne combat une idéologie que l’on juge obscurantiste que par la contestation idéologique et politique, la stigmatisation des musulmans est inévitable et défavorable à l’expression de la laïcité en son sein et à l’expression de ses membres, il s’agit à l’évidence d’une manipulation politique pour brouiller le clivage droite-gauche par le moyen d’une excitation passionnelle. Je n’étais pas davantage favorable à cette loi. Comme on pouvait s’y attendre, les effets sont dérisoires sans que la question des signes religieux soit résolue. Ce n’est pas le principe de laïcité qui est en cause mais les moyens, à mon avis inappropriés utilisés.

Dans le même temps des solutions pacifiques sont généralement trouvées concernant : les carrés musulmans dans les cimetières, les abattages rituels, les lieux de culte, les repas dans les cantines, etc.

La laïcité en difficulté

Les problèmes rencontrés aujourd’hui par la laïcité ne sauraient se réduire à ses relations avec l’islam dont on peut penser qu’ils servent même à occulter une véritable offensive contre cette spécificité de l’identité nationale. La situation est aggravée par l’ambiguïté des positions des autorités publiques et un certain désarroi des forces laïques  affectées par la confusion précédemment relevée.

Uhe offensive anti-laïque renforcée

L’inspiration de l’offensive anti-laïque était clairement affichée par nombre de déclarations de Nicolas Sarkozy et notamment celle de Latran du 20 décembre 2007 : « l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il  est important qu’il s’en approche, car il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie  et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ».

La représentativité officiellement reconnue à certaines organisations confessionnelles (CRUF, UOIF) est contraire à la loi de 1905. L’instrumentalisation de la laïcité par le Front national, par le discrédit qu’elle risque de faire subir au concept, est de nature à faire le jeu des communautarismes ethniques et religieux. La campagne sur l’identité nationale ostensiblement dirigée contre l’étranger avait le même but.

 On relève aussi la prise en charge par l’État en 2005 de la gestion des enseignants du privé devenus agents publics contractuels – qui demeurent néanmoins sous supervision diocésaine pour l’enseignement catholique qui représente 95% de l’enseignement privé -, jours fériés et chômes d’origine catholique ; jusqu’au décret du 16 avril 2009 publiant l’accord conclu entre la République française et le Saint Siège sur la reconnaissance de grades et diplômes de l’enseignement supérieur catholique nonobstant le monopole posé par la loi de 1880.

Pour les partisans d’une intégration supranationale, principalement européenne, renforcée, la laïcité est regardée comme une exception française, voire une anomalie à supprimer, ce que les églises, et notamment l’église catholique ne peut qu’encourager. Selon Patrick Kessel, membre de l’Observatoire de la laïcité et ancien grand maître du Grand Orient de France « certains veulent mettre l’éteignoir sur la laïcité ».

Une certaine complaisance des juridictions

Outre celles précédemment évoquées, les atteintes à la laïcité sont aussi financières. Depuis longtemps l’enseignement privé sous contrat a reçu d’importants soutiens financiers. Dans la dernière période, on peut aussi citer : la loi Carle de 2009 qui a fait obligation aux maires de financer la scolarité d’enfants souhaitant s’inscrire dans des établissements scolaires privés hors de la commune ; la RGPP a épargné les établissements privés sous contrat qui représentent 17 % des postes mais ne devaient connaître que 10 % des réductions.

On doit aussi mentionner une certaine irrésolution des juridictions. C’est d’abord celle de la juridiction administrative qui a actualisé sa conception pat cinq décisions contentieuses du 19 juillet 2011. Pour admettre le financement par une collectivité publique d’ouvrages associés à des lieux cultuels, elle a considéré que la justification résidait dans l’existence d’un « intérêt public local » – achat d’un orgue par la commune de Trélazé en raison d’école de musique et de concerts dans l’église ; financement par la commune de Lyon d’un ascenseur d’accès à la cathédrale de Fourvière pour son intérêt touristique -. Elle a justifié aussi le financement par la communauté urbaine du Mans de la mise en état d’abattoirs destinés aux sacrifices de l’Aïd el Kebir en l’absence de service public local à proximité. Elle a également permis l’utilisation temporaire d’une salle polyvalente de la ville de Montpellier comme salle de prière dans le cadre d’une convention avec une association musulmane. À Montreuil, la municipalité  a conclu avec une association musulmane un bail emphytéotique de 99 ans moyennant une contribution symbolique de un euro mais une intégration au patrimoine de la collectivité au terme du bail; le Conseil d’’État a considéré que le législateur avait autorisé cette dérogation à la loi de 1905. La haute juridiction invoque pour justifier sa démarche les articles 13 et 19 de la loi de 1905 qui, à mon avis, sont exagérément sollicités[1].

S’agissant de la juridiction judiciaire, la Cour de cassation a pris le 19 mars 2013 une décision cassant la décision de licenciement de la directrice adjointe de la crèche Baby-Loup de Chanteloup-les-Vignes qui refusait d’ôter son foulard dans l’exercice de ses fonctions ce qu’interdisait le règlement intérieur de l’établissement. Pour justifier sa décision la Cour a considéré, d’une part  qu’il ne suffit pas de recevoir des fonds publics ou d’exercer une mission d’intérêt général pour considérer qu’il s’agit d’un organisme exerçant une mission de service public et de se voir appliquer les règles de neutralité applicables aux agents publics, d’autre part qu’il convient de motiver les restrictions aux libertés individuelles  – port du voile – mais que ce ne peut être par une règle de portée absolue et générale d’interdiction par un règlement intérieur. À la suite de quoi l’Observatoire de la laïcité a pertinemment invite la crèche à modifier son règlement intérieur ou a obtenir une délégation de service public. Le 27 novembre, la Cour d’appel de Paris revient sur la position de la Cour de cassation en validant le licenciement de l’employée considérant qu’il n’y avait pas atteinte à la liberté religieuse la crèche étant considérée comme une « entreprise de conviction ».

L‘Observatoire de la laïcité a été créé en 2007, mais n’est opérationnel que depuis avril 2013. Il se substitue en fait au Haut Conseil à l’intégration (HCI)[2], lequel avait publié un avis préconisant l’interdiction du voile islamique dans les salles de cours de l’université. Le HCI a été mis en sommeil début septembre et sera probablement supprimé en décembre. L’Observatoire a contesté cette recommandation. La conférence des présidents d’université est contre une loi d’interdiction du voile à l’université. Manuel Valls pense que l’Observatoire doit se saisir de la question. Dominique Baudis, défenseur des droits, dénonce le flou et a saisi le Conseil d’État. Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire, pense qu’il ne faut utiliser l’arme législative qu’à bon escient. 83% des Français estiment qu’il faut proscrire les signes religieux dans les entreprises privées.

Une réplique insuffisante et confuse des défenseurs de la laïcité

On doit cependant  souligner d’abord la contribution de la Charte de la laïcité. C’est un texte clair qui réaffirme le principe de neutralité en même temps que la liberté d’expression « dans les limites de l’ordre public ».

Mais l’aspect le plus significatif de la situation actuelle est la faiblesse de la réaction des forces traditionnellement attachées à  la laïcité. Certes, des associations et les partis ne manquent pas de réagir devant des atteintes caractérisées, mais les travaux d’approfondissement sont rares et les réfutations des rapports officiels (Stasi, Machelon) fables et souvent orientées vers la recherche d’un consensus républicain pauvre sur la base de compromis sans principe. Une étude approfondie du concept dans le contexte actuel apparaît ainsi nécessaire. Cette prise de conscience n’est pas très répandue. Nombre d’organisations se réfugient dans une référence aux droits de l’homme dont ils déduisent une grande complaisance vis-à-vis des manifestations communautaristes. Ainsi, le président de la Ligue des droits de l’homme, Pierre Tartakowsky déclarait-il récemment : « Il y a une dialectique d’exclusion prétendument laïque qui est en fait une dialectique d’exclusion socio-ethnique des plus pauvres », estimant que tout comportement individuel devrait être largement admis, y compris dans le champ des services publics (Débat à la Fête de l’Humanité de 2013). La laïcité se confond alors avec un laisser aller de bonne conscience. Etienne Balibar considère qu’il y a toujours eu deux tendances, il écrit «  La division est une division qui partage la République entre une conception étatiste et une conception libérale. Cela peut surprendre pour quelqu’un qui se veut marxiste, mais, personnellement, je suis pour une conception libérale, aussi ouverte et aussi radicale que possible » (l’Humanité, le 26 août 2013). Cela surprend en effet, y compris la facilité qui consiste à qualifier d’étatiste tout opposant à la pensée libérale. On relèvera enfin la prise de position officielle du PCF sur le sujet, dont on ne peut pas dire qu’elle soit stimulante pour le combat laïque : « Ainsi nous refusons la conception qui ferait de la laïcité un principe de stigmatisation et d’exclusion. Nous refusons aussi cette conception qui ferait de l’espace public un lieu aseptisé où l’on ne s’efforcerait que d’être semblable aux autres, les convictions des individus étant refoulées dans une « sphère privée » (Humanifeste, p. 44)

III. La laïcité, du pacte républicain à la vocation universelle

La laïcité a émergé en France sous une particulière clarté jusqu’à constituer une spécificité nationale. Pour autant le concept est frappé – comme d’autres exceptions françaises : le service public, par exemple – de dénaturations diverses. L’assainissement de la situation actuelle pour l’établissement d’un droit commun cohérent sur tout le territoire national est donc une nécessité. Cette action doit s’accompagner d’un approfondissement du concept comme dimension majeure de la citoyenneté en même temps que d’une réflexion sur sa portée universelle.

Nécessité d’une rénovation législative et réglementaire

L’existence de la loi de 1905, d’un État de droit  retenant dès l’article 1er de la constitution le principe de laïcité est une garantie fondamentale. Mais l’état de la législation et de la réglementation du principe s’accompagne dans un tel domaine d’une forte rigidité – ainsi n’est ni possible ni souhaitable dans la situation actuelle de revenir dans l’immédiat sur la loi de 2004 sur le voile islamique quoi qu’on en pense –. On peut néanmoins envisager quelques évolutions, parmi lesquelles :

– Application progressive du droit commun en Alsace-Moselle, mis en place sur une longue période, trente ans par exemple, moyennant des compensations de transition.

– Distinction franche par nature et implantation des activités cultuelles et culturelles.

– Application ferme du principe de neutralité dans un champ étendu du service public et de tout établissement ou entreprise ayant, même partiellement, ce caractère. Clarification des bases d’établissement des règlements intérieurs à partir d’une jurisprudence sûre et ferme.

– Sécularisation des jours fériés et chômés sans qu’il soit nécessaire d’en bouleverser l’ordonnancement.

– Refondation d’un service public de l’enseignement et réorientation à son profit des crédits de l’Éducation nationale.

La laïcité composante majeure de la transformation sociale

La laïcité peut et doit être évoquée dans toutes les actions participant à l’affirmation de la citoyenneté. Réciproquement, tout progrès dans ce domaine permet des avancées de la laïcité.

Ainsi la laïcité est évidemment consubstantielle à notre conception de l’intérêt général, du service public et de la fonction publique. Elle établit l’égalité entre les citoyennes et les citoyens, les dégageant des particularismes communautaires. Elle est à la base même de toute idée de responsabilité puisque celle-ci ne relève ni d’une transcendance ni d’un état de nature ou d’une fatalité, mais de l’émancipation des citoyens et des citoyennes qui fixent les règles de la morale sociale.

Le citoyen est d’abord vis à vis des autres citoyens comme un laïc qui ne se définit pas par des caractéristiques ayant pour effet de fonder l’affirmation sociale de la personne sur  des caractères ethniques, religieux, politiques ou d’autre nature conduisant à faire prévaloir ces communautés sur la communauté des citoyens, sur la nation.  Le citoyen « abstrait » théorisé par Mona Ozouf, ne fait en rien obstacle à l’affirmation des personnalités individuelles, au contraire il en est la garantie juridique. La laïcité doit imprégner la vie en société et fonder les institutions territoriales et nationales.

Il n’est pas étonnant que, sous des formes multiples, la laïcité soit évoquée quasi-quotidiennement dans la crise ; elle s’y définit en dynamique, individuelle, médiatique, organisationnelle. Elle est peu évoquée dans les différentes déclarations des droits de l’homme car, ainsi que l’a écrit le professeur jean Rivero « Les droits de l’homme sont des libertés, les droits du citoyen sont des pouvoirs ». La mondialisation pose inévitablement la question de son avenir pour l’universalité du genre humain. La laïcité, en raison de son caractère « transversal » dans la citoyenneté est un élément essentiel de la recomposition politique.

La laïcité a-t-elle vocation à l’universalité ?

3 - 92a7041iL’affirmation du principe de laïcité accompagne comme on l’a vu la sécularisation du pouvoir politique. La Renaissance et la Réforme en ont été des moments importants. Toutefois, ce mouvement a revêtu des formes différentes selon les pays. Certains comme les États Unis ont conservé une référence forte au Créateur, tandis que d’autres, la France notamment, ne se sont inscrits que dans une « religion civile » donnant la primauté à la Raison et ne conservant qu’une référence formelle à l’Être suprême. Les premiers ont plus ou moins intégré la religion dans leurs institutions, les seconds ont finalement marqué la séparation entre les Églises et l’État. C’est la distinction chère à Régis Debray entre démocrates et républicains. Ces tendances distinguent clairement, en Europe, la France (franche séparation) du Danemark (forte intégration). La situation est encore plus complexe au niveau mondial.

En France, on rappellera que la Déclaration de 1789 se voulait de portée universelle. Elle disposait en son article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »

En Europe, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose, de son côté, dans son article 9 : « Liberté de pensée, de conscience et de religion.

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

 Dans la rédaction introduite par le Traité de Lisbonne, l’article 17 sur le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’énonce ainsi :

« 1. L’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres.

2. L’Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles.

 3. Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l’Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations. ».

 En juillet 2013, la Commission a publié les Lignes directives de la mise en œuvre de l’article 17. Elles traduisent une volonté de coopération très large de l’Union européenne dans ce domaine.

L’élaboration des textes au niveau européen a donné lieu à de vigoureuses prises de positions. Ainsi, Jean-Paul II avait souhaité qu’il fut fait référence à la « culture chrétienne » comme socle commun des peuples européens. Le débat sur les racines chrétiennes de l’Union au moment de l’élaboration de la Charte des doits fondamentaux a traduit une inclination en faveur du maintien d’une imprégnation religieuse. Un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme indique que la liberté de religion représente « l’une des assises d’une société démocratique ».

Quant  au Conseil de l’Europe, il a rappelé aux  États la primauté de la séparation des églises et de l’État et à veiller à ce que le motif religieux ne soit pas invoqué pour justifier des distinctions sociales et notamment des atteintes faites aux femmes.

Il résulte des textes précités comme de la jurisprudence que l’accent est fortement mis au sein de l’Union européenne sur la liberté de conscience, plus généralement sur la problématique des droits de l’homme. Le principe de neutralité de l’État est peu évoqué, la France étant le seul pays à le mentionner formellement dans sa loi suprême, même si des dispositions peuvent être regardées comme équivalentes dans certaines constitutions, celle du Portugal, par exemple.

Mais si la notion de laïcité n’est pas formellement présente  dans les textes et que les relations entre les États et les Églises soient d’une extrême diversité (séparation, concordats, églises officielles) on assiste dans l’Union européenne à une convergence progressive des règles : non-intervention de l’État, liberté religieuse, pas d’interférence juridique, etc.

 

Au niveau mondial, la Charte des Nations Unies ne mentionne pas expressément le principe de laïcité, mais elle bannit toute discrimination fondée sur la race, le sexe, la langue ou la religion et fonde la coopération internationale en son article 55 sur « le respect universel et effectif des Droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous ». La question de la neutralité est laissée à la discrétion de chaque État.

Il n’est pas aisé d’établir une typologie des États au regard du principe de laïcité. On peut toutefois distinguer les quatre catégories suivantes, fort hétérogènes :

– Les pays  théocratiques qui font prévaloir une loi divine sur les lois des hommes. Islamistes, Ils s’échelonnent, pour l’essentiel, de manière continue du Maroc à l’Iran et au Pakistan, puis discontinue au-delà jusqu’en Malaisie : l’Iran sur la base de l’Islam chiite : l’Arabie Saoudite et la plupart des pays de la Ligue arabe au nom de l’Islam sunnite. Mais aussi, même si le rapprochement peut apparaître excessif – il ne l’était pas au Moyen Âge – par référence au catholicisme, en Irlande où la république est proclamée catholique « au nom de la Sainte Trinité ».

– Les pays autoritaires, voire dictatoriaux, qui refoulent les religions – ou certaines d’entre elles – dans l’opposition politique pour affirmer ce qui est présenté comme une neutralité de l’État. Peuvent être classés dans cette catégorie les régimes dirigés par Ben Ali en Tunisie, Hosni Moubarak en Égypte, Bachar el Hassad en Syrie, Saddam Hussein en Irak et, avant son islamisation, le pouvoir en Turquie où l’armée était instituée gardienne de la laïcité ; aux Philippines, où islam et catholicisme exercent une domination religieuse très conflictuelle ; on aurait pu y ajouter l’Union soviétique au nom d’une philosophie athéiste d’État.

– Les pays plus ou moins influencés par des courants religieux avec lesquels est recherchée un dialogue voire une coopération dans certains domaines, les droits de l’homme et la liberté de conscience et de croyance sont les principales références : le Danemark qui a intégré la religion dans ses institutions ; l’Australie ou un concordat définit l’Église catholique comme église préférée ; la Belgique qui reconnaît six religions ; l’ Allemagne où les églises peuvent se voir reconnaître un statut de coopération de droit public, où l’instruction religieuse fait partie des matières enseignées et où il a fallu interdire les crucifix dans les écoles de Bavière ; le Canada qui accorde certaines facilités fiscales au clergé ; en Espagne, le concordat fait du catholicisme une matière d’enseignement ; les États Unis connaissent dans la plupart des aspects de la vie sociale, y compris au sommet de l’État, une forte imprégnation de puritanisme protestant ; en Inde, qui se réclame d’un certain esprit laïque ( secular  ), les principales religions ont leur propre droit civil et un courant important fait de l’Inde la patrie de l’hindouisme ; Israël est en principe un État séculier, mais les orthodoxes juifs sont incontournables et bénéficient d’avantages ; l’Italie est sous régime concordataire avec l’Église catholique dont la religion est enseignée dans les écoles : les Pays-Bas pratiquent la pilarisation, sorte de mixte des valeurs de la nation et de celles des religions ; en Suède, l’Église luthérienne bénéficie d’un statut spécial. Cette catégorie mixte, hybride, ambiguë est sans doute la plus nombreuse, traduisant un stade de compromis qui n’infirme pas le mouvement historique de sortie de la religion.

– Les pays qui, au-delà du respect de la liberté de conscience, affirment la nécessité de la neutralité de l’État assortie parfois du respect de l’égalité de traitement des religions existantes : outre la France, le Mexique pratique une séparation forte ; l’Uruguay ne soutient aucun culte et proclame la liberté religieuse ; le Portugal, sans citer le mot, a retenu, comme on l’a dit, des dispositions constitutionnelles laïques même si ses relations avec le Saint-Siège sur une base concordataire se sont récemment renforcées ; le Japon pratique une neutralité de l’État stricte.

Il faudrait bien sûr nuancer l’analyse, ces différentes catégories pouvant donner lieu à des solutions mixtes. On peut toutefois avancer, sur cette base, des conclusions suivantes :

Premièrement, le mouvement de sécularisation dans l’organisation des sociétés en longue période apparait fondamental. Les expressions d’intégrisme religieux peuvent être analysées comme autant de réactions violentes de survie dans un mouvement historique qui marque leur affaiblissement. La transition de sécularisation passe par des formes très diverses mais qui posent partout la question de la laïcité. Elle apparaît alors comme une préoccupation majeure du genre humain.

Deuxièmement, si la question de la liberté de conscience et de croyance fait l’objet d’un large assentiment, il n’en est pas de même, tout au moins au même niveau, de la neutralité de l’État. C’est donc dans ce cadre que les progrès les plus significatifs peuvent intervenir. L’équilibre auquel la France est parvenue en dépit de nombreuses dérogations aux principes est le résultat d’une longue histoire qui la qualifie parmi les nations les plus avancées dans ce domaine, ce qui lui confère une responsabilité particulière.

Troisièmement, dans la mondialisation et une situation de crise systémique, la laïcité peut apparaître comme la voie permettant tout à la fois comme le moyen de résoudre de nombreux conflits locaux (Moyen-Orient, Balkans, Afrique, etc.) et de souligner la responsabilité propre des individus, responsables en s’arrachant à toute détermination transcendantales de forger leurs propres règles morales, à l’opposé de ceux qu’évoque Amin Maalouf (Les désorientés, 2012) qui « Parce qu’ils ont une religion (…) se croient dispensés d’avoir une morale ».

 


[1]  Le contenu de ces articles est, en résumé :

Art. 13 : les édifices servant à l’exercice du culte et les objets immobiliers sont laissés gratuitement à la disposition des établissements ou des association de gestion les remplaçant.

– les collectivités publiques propriétaires peuvent engager des dépenses pour leur entretien ou leur conservation.

Art 19 : les associations peuvent recevoir des cotisation pour différents services : location de bancs, objets de funérailles. Plus, des dons et legs ou par testament

– rappel de non attribution de subventions.

[2]  HCI auquel j’avais appartenu de sa création en 1990 à ma démission en 1993 lors de la présentation des lois Pasqua réformant les conditions d’acquisition de la nationalité française.

 

Acte III de la décentralisation : où en est-on ? – Séminaire de la FSU, le 10 décembre 2013

Continuité ou rupture ?

ob_32b49ab2df05b7dd48548c4d10bad3bc_debat-anRépondre à la question : où en est-on de la politique du gouvernement en matière de décentralisation sous le nom de l’Acte III n’est pas facile puisque c’est aujourd’hui même que l’Assemblée nationale entreprend, en séance publique, la discussion en deuxième lecture du projet que lui a soumis le gouvernement et qui porte essentiellement sur les métropoles avec focalisation dur le Grand Paris.

Durant sa campagne électorale, François Hollande avait mis l’accent sur la contractualisation. Le projet de mis au point  à l’automne 2012 était très complexe, il a finalement été divisé en trois : métropoles et grandes villes, région chef de file économique, solidarités territoriales des communes et des départements. Se pose ainsi la question du champ à considérer, plusieurs lois étant concernées  au delà de l’héritage Sarkozy : les trois projets de lois résultant du découpage, la loi sur les modes de scrutin, les lois de finances, les lois sur les fonctions publiques. Le premier projet de loi a été déposé au Sénat dit de « modernisation de l’action publique territoriale et de l’affirmation des métropoles ».

Il convient toutefois d’effectuer quelques rappels historiques au préalable.

Les premiers textes d’aménagement territorial datent de la  fin XIX° siècle : ils concernent le département et la commune, en les conservant sous la tutelle du préfet et des services de l’État.  La déconcentration est préférée à la décentralisation. Il faut aussi évoquer le  référendum du 28 avril 1969 qui portait sur la région et la réforme du Sénat et qui entraina la chute du général de Gaulle. On distingue sommairement les trois actes suivants.

Acte I : engagé par la loi Defferre du 2 mars 1982 il a institué : le contrôle a posteriori du préfet, le recours a postériori au tribunal administratif et à la chambre régionale des comptes, institué la région en collectivité territoriale, transféré l’exécutif du préfet au département, opéré un redéploiement des compétences et des ressources, prévu un statut de l’élu et des garanties aux agents publics des collectivités territoriales.

 – Acte II : constitué par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, dite loi Raffarin, elle a introduit : le référendum local pouvant être décisionnel, un droit de pétition élargi, l’autonomie financière des collectivités,  l’expérimentation législative sous conditions, de nouveaux transferts.

 Acte III : il a été initié par Nicolas Sarkozy (loi 16.12.2010). Il recherche une banalisation de l’aménagement du territoire français ; cette démarche a sans doute eu une influence sur le changement de majorité au Sénat à l’automne 2012.  François Hollande ne change pas l’appellation de l’entreprise : l’acte III.

Dans ces conditions la question se pose : continuité ou rupture ? On organisera l’analyse en trois volets : structures et compétences,, financement décentralisés et déconcentrés, statuts et réformes administratives.

1. Une organisation bouleversée

 Les structures

*** Sarkozy « pôles et réseaux » contre « frontières et circonscriptions » (St-Dizier, 20.10.2009) – « mille-feuilles » contre six niveaux (dominante économique : intercommunalité, région, Europe ; politique : commune, département, nation) – création de métropoles et pôles métropolitains – institution du conseiller territorial (contre parité, pour bipolarisation, perte de proximité) – rôle éminent du préfet de région.

 Principale novation : la création d’une « Conférence territoriale  de l’action publique» (CTAP), avec représentants des collectivités, des métropoles, de l’État.

 La CTAP définira un schéma de développement et un pacte de gouvernance (redéploiement à la carte et sanctions contre les récalcitrants). Interviendra le pilotage de la Banque publique d’investissement. Marylise Lebranchu parle plutôt de quatre-quarts que de millefeuille. Les PLU seront de la compétence des  communautés de communes. Les élections des conseillers généraux-départementaux se feront par binômes homme-femme pour les élections au conseil général. Le seuil de l’élection à la proportionnelle des municipales serait fixé  à 1000hbts. Il y aurait fléchage pour les élections aux intercommunalités. Le seuil pour la constitution des métropoles serait fixé à 400000 hbts.

Le Sénat avait profondément modifié le projet de loi, relativisant notamment le rôle de la CTAP et de son pacte de gouvernance, limité à des débats et des avis. Fin novembre en deuxième lecture, l’Assemblée nationale (commission) a confirmé la création d’un Haut Conseil des Territoire présidé par le Premier ministre, rétabli les prérogatives de la CTAP mais sans prévoir de sanction à l’égard des communes qui ne s’associeraient pas aux décisions de la CTAP, donné une définition complexe du Grand Paris essentiellement constitué de Paris et de la petite couronne.

Les compétences

*** Compétences spécifiques des départements et des régions mais avec possibilité de chefs de file – larges possibilités de conventionnement des métropoles – regroupements de collectivités sous l’autorité des préfets – le préfet de région-gouverneur.

On réaffirme le principe de l’absence de tutelle d’une collectivité sur une autre, mais il y a possibilité de désordre et d’inégalité dans le cadre de fonctionnement de la CTAP.

Les conséquences et les principes d’action

Affaiblissement des structures territoriales traditionnelles (notamment des communes rurales)  et de la démocratie locale au profit des regroupements, des métropoles et des préfets . On peut craindre un risque de bureaucratie.

Il convient d’agir pour le maintien de 36 000 communes, lieux de démocratie. La difficulté est de concilier les principes de l’indivisibilité de la République, celui de libre administration et de subsidiarité. Cette problématique doit être placée dans le cadre d’une réflexion institutionnelle.

2. Des financements propres compromis

Restrictions sur la dépense publique décentralisée

*** Sous Sarkozy : important transfert de charges financières des entreprises vers les ménages et une incertitude à terme sur le financement des collectivités  (compensation de la suppression de la taxe professionnelle) – création d’une contribution économique territoriale se subdivisant en taxes sur foncier et la valeur ajoutée – les collectivités réalisent  73% de l’investissement public et ne sont responsables que de 10% de l’endettement – financements croisés modestes.

Le gouvernement a annoncé une réduction des dotations aux collectivités de 4,5 milliards en 2014-2015. Les fonds propres continueront à représenter une part importante des financements. Il y a difficulté a concilier principe de libre administration et égalité des collectivités. A souligner l’importance des départements dans le service des prestations sociales, mais il y a de  fortes inégalités entre eux.

Restrictions sur la dépense publique déconcentrée

*** La politique du précédent quinquennat s’est caractérisée par la LOLF et la RGPP (374 mesures, 133 programmes, 620 actions, non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite a eu pour effet de réduire les financements déconcentrés

La Modernisation de l’action publique (MAP) prend la suite avec pour objectifs : réforme de l’État, réduction de la dépense publique, motivation des agents, simplification des relations avec les usagers. Des évènements (challenge des administrations 2020) sont envisagés. Le CIMAP du 2 avril à enjoint à tous les ministères d’élaborer leurs programmes de MAP.

Conséquences et principes d’action

Les possibilités des services publics seront atteintes par la combinaison des restrictions financières déconcentrées et décentralisées et les réformes structurelles prévues.

Il faut instaurer une péréquations verticale et horizontale pour la solidarité nationale et des collectivités territoriales entre elles, entreprendre la  réhabilitation de la rationalisation des politiques publiques, remettre en cause la dérive managériale et son vocabulaire associé. Se pose la question du rôle du secteur public et de la propriété publique (pôle public, nationalisations, appropriation sociale).

3. Des acquis statutaires et des pratiques administratives remis en cause

La fonction publique territoriale « maillon faible »

*** la « révolution culturelle » de Sarkozy (IRA de Nantes le 19.9.2009)  – création de la FPT en 1983-84 – loi Galland du 13.7.1987 – rapports Pochard et Silicani – le service public « amortisseur social » dans la crise.

Avec le nouveau président de la République le contexte est plus favorable, mais il reste incertain. Un projet de loi sur la déontologie et une certaine rénovation statutaire a été présentée en conseil des ministres le 17 juillet pour marquer le 30° anniversaire du statut, après un colloque le 13 juillet. Un autre projet de loi est en perspective en liaison avec la  mission Pêcheur sur la réforme de la gestion administrative des fonctionnaires et les perspectives d’évolution de la fonction publique. D’une manière générale il n’y a pas de retour significatif sur les régressions de la droite et on doit relever un manque d’ambition. Toutefois, le contexte d’action apparaît  plus favorable.

Le rapport Pêcheur, remis au Premier ministre début novembre présente des points d’appuis positifs : il réaffirme notamment  les principes sur lesquels avait été établi le statut de 1983-1984-1986, il reconnaît la perte de pouvoir d’achat des fonctionnaires au cours des dernières années considérant qu’une limite est atteinte, il exprime une volonté de programmation à moyen terme dans plusieurs domaines (indemnités, durée du travail, rémunérations, etc.), il propose une gestion coordonnée des trois fonctions publiques grâce au conseil supérieur commun aux trois fonctions publiques. Malheureusement, en particulier, il ne revient pas sur les 210 « transformations souterraines » (Christian Vigouroux) ayant porté atteinte au statut originel, il donne excessivement dans la mode déontologique, fait des proposition très complexes à réaliser des recrutements et déroulements de carrières, il valide le recours aux contractuels de manière excessive, etc.

Des réformes administratives hypothétiques

*** Dans la période antérieure il y avait assujettissement de l’appareil d’État au marché – démantèlement de l’administration rationalisante (CGP, DATAE, CNE, HCEP, etc.) – au plan local, les directions représentant les ministères devaient être réduites au maximum à huit dans les régions et trois dans les départements.

Il y a retour partiel sur cette orientation : création du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) à la mission floue et contraire à l’orientation générale.

Conséquences et principes d’act

Il y a un risque de recul de la démocratie locale, régression des services publics dont les segments les plus rentables risquent d’être accaparés par le secteur privé avec réduction corrélative des effectifs statutaires et un recours accrus à la contractualisation accompagné d’un  développement du clientélisme et un risque accru de corruption. Un projet de loi sur la simplification des relations administrations-citoyens est prévu.

Il faut poursuivre la défense des valeurs et des principes républicains forgés par l’histoire. Il convient de revenir sur toutes les régressions introduites dans le statut par la droite, de promouvoir des revendications structurelles (gestion prévisionnelle, multi-carrières, mobilité, etc.). On doit également s’intéresser à l’élaboration d’un statut législatif des travailleurs salariés du secteur privé. Des réformes administratives doivent également être engagées : codification, rationalisation, efficacité des structures gouvernementales. Le XXI° siècle peut et doit être l’« âge d’or » du service public. A cette fin, il convient de veiller à une étroite convergence des actions de la population, des élus et des fonctionnaires.

« Les jours heureux » – Caisse des dépôts et consignations – FSU, 10 décembre 2013

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à l’ordre du jour

Le documentaire de Gilles Perret sur le Programme du Conseil National de la Résistance (CNR) a donné lieu, en sa présence, à un débat intéressant témoignant que ce grand acte politique datant bientôt de soixante ans comporte toujours pour de précieux enseignement.

J’ai ici, sans doute, le  nostalgique privilège d’être le seul à avoir vécu concrètement et consciemment l’époque dont le Programme du Conseil National de la Résistance témoigne puisque j’avais treize ans au moment de sa rédaction finale, le 15 mars 1944.

 Le programme du CNR ne doit pas être fétichisé. Il ne doit pas être réduit à la lettre aussi importantes soit elle (droit au travail, à la sécurité sociale, amélioration du pouvoir d’achat, des retraites …).  Il est vivant autant par ce qu’il contient que par ce qu’il suggère des valeurs de l’époque qui portent enseignement aujourd’h

 Le programme du CNR porte la marque de son époque.

On peut tout d’abord s’étonner qu’il ait fallu si longtemps pour voir un film documentaire sur un moment aussi important de notre histoire et de conserver le témoignage de grands acteurs de l’époque dont la plupart sont aujourd’hui disparus. À si longue distance il y avait le risque de les traiter de manière hagiographique, en les statufiant en quelque sorte dans la posture  qui avait été alors la leur. Fort heureusement ce n’est pas le cas, en témoigne la vigueur avec laquelle ils ont continué à débattre jusqu’à la fin de leur vie.

Dans le même esprit, je suis également reconnaissant à Gilles Perret d’avoir bien mis en lumière les contradictions nombreuses et fortes qui existaient entre les membres du CNR. Comment imaginer qu’aient pu souscrire au même texte des hommes aussi différents que Georges Bidault, Joseph Laniel, Pierre Villon ou Robert Chambeiron ? Leur but n’était pas le consensus, mais l’idée de ce qu’ils pouvaient consentir dans le service de l’intérêt général. Ce film souligne les contradictions existant entre eux et fait dépendre la qualité du texte de la confrontation des idées.  Les situations molles ne peuvent pas produire de grandes œuvres. Et il y faut l’événement ; c’était le cas.

Pour autant, le texte porte la marque de son époque. Ainsi, pas une femme dans le CNR et aucun témoignage féminin dans le film. Il est vrai que les femmes n’avaient pas encore obtenu le droit de vote. Des esprits peu avertis s’étonneront aussi que l’on y parle des « populations indigènes et coloniales » sans condamner la colonisation elle-même. Mais, dans une période où il n’y avait pas d’institutions en place – la constitution de la IV° République ne sera adoptée que deux ans et demi plus tard – le texte fait preuve d’un grand sens politique en distinguant les mesures immédiates de celles à appliquer « dès la Libération « .

Certaines de ses dispositions formelles sonnent aujourd’hui comme un rappel à l’ordre.

Ainsi, il y affirme à deux reprises la supériorité de l’intérêt général sur les intérêts particuliers dont il n’est pas la somme. Qui contestera que l’échec qui a conclu le « XX° siècle prométhéen » a sapé les bases de l’intérêt collectif. Il reste aujourd’hui à reconstruire. La question des services publics pour la satisfaction des besoins fondamentaux reste de grande actualité.

L’une des conséquences de cette affirmation c’est la place faite à la propriété publique des moyens de production et de financement (énergie, sous-sol, banques et assurances) pour conduire une politique volontariste. Dans les années 1970 on disait encore, en écho : « Là où est la propriété, là est le pouvoir ! ». Que dit-on aujourd’hui sur ce sujet ? Pas grand chose. Je pense qu’il faut remettre la question sur le chantier.

Autre affirmation majeure : la place faite aux travailleurs dans la définition de la politique économique, la gestion des entreprises, voire leur direction. On est aujourd’hui sur une autre planète ! Mais nous tirons de ce programme comme de l’expérience de 1981-1984 l’idée de la nécessité de lier étroitement : satisfaction des besoins essentiels – appropriation sociale des grands moyens de production, des instruments décisifs de l’économie – intervention des travailleurs.

Mais pour moi le programme du CNR vaut aussi, et peut être surtout, par l’esprit qui a animé ses rédacteurs et l’élan qu’il encourage

Ainsi, il faut se garder de tout anachronisme. Si le programme du CNR ne parle pas des institutions, par exemple, c’est qu’il y avait sur ce point des avis très contradictoires : le général de Gaulle – et donc ses représentants – inclinait en faveur d’un régime présidentiel du type de celui des États Unis, tandis que la plupart des partis représentés (communiste, socialiste, démocrate chrétien) inclinaient en faveur d’un régime parlementaire. Mais cela ne diminue évidemment en rien l’importance de la question et la nature, profondément démocratique, du programme qui faisait une large place à l’intervention des citoyens, qui était fondatrice du débat. Son influence sur la rédaction du Préambule – toujours en vigueur – de la Constitution du 27 octobre 1946, de la IV° République, est évidente.

Il n’est pas non plus question du statut général des fonctionnaires qui ne naitra, dans sa nature démocratique, qu’avec la loi du 19 octobre 1946, deux ans et demi plus tard. La raison est que, jusque-là, les organisations syndicales de fonctionnaires étaient hostiles à ce qu’elles appelaient un statut-carcan ; d’ailleurs le premier statut des fonctionnaires avait vu le jour le 19 septembre 1941 sous Vichy. Il a donc fallu beaucoup de courage et de lucidité aux acteurs de l’époque pour effectuer ce contre-pied démocratique. Je n’ai pas de doute : c’est le contexte créé par le programme du CNR qui y a conduit.

 Mais ce qui nous est le plus utile aujourd’hui, c’est le refus de la fatalité. Le programme du CNR ne s’attarde pas sur les souffrances et l’oppression alors subies. Les dangers de 1944 ne sont plus ceux d’aujourd’hui avec la crise, économique mais aussi systémique et de civilisation. « Les jours heureux ! » restent à l’ordre du jour, comme en 1944 nous avons la responsabilité de recomposer un intérêt collectif, et c’est le grand mérite de Gilles Perret de nous l’avoir rappelé avec compétence, talent et conviction.

Peut-on vraiment parler de citoyenneté européenne ? – Eglise réformée du 8° arrdt. de Paris – 26 novembre 2013

Il ne s’agit pas d’une première réunion de la campagne des européennes de 2014. Il s’agit de réfléchir à ce concept non purement juridique mais aussi politique et philosophique.  On s’efforcera de dégager tout d’abord une problématique plutôt que de tenter une définition. Je me propose de l’appliquer ensuite à l’Europe pour tenter de faire émerger une idée de citoyenneté européenne. Je m’interrogerai enfin sur sa place entre nation et monde.

1. Selon quelle problématique parler de citoyenneté ?

Généalogie de la citoyenneté

La démocratie athénienne nous a légué la démocratie directe, mais elle était discriminante. Rome nous a apporté la notion de droit et a fait de la citoyenneté un instrument d’assimilation (Caracalla 212).

 Éclipse du concept pendant un millénaire sous le régime féodal.  Les commerçant réclament à la fin du Moyen Age des franchises commerciales et des libertés individuelles. L’Université reprend l’étude des anciens et l’enseignement du droit romain. Paraissent La Politique d’Aristote, La République de Bodin, le traité du citoyen et Le Léviathan d’Hobbes, l’idée républicaine avec Machiavel, etc. Viendront ensuite L’Esprit des lois de Montesquieu et Du Contrat social de Jean-Jacques  Rousseau.

Le citoyen fait une entrée sur la scène de l’Histoire avec la Révolution française. 1848 enrichit le contenu. Les dimensions économiques, sociales et politiques se développent au XIX° et au XX° siècle.

La problématique consiste à associer sur cette base : Valeurs-exercice-dynamique, applicable à la citoyenneté « à la française

1.1.        Les valeurs

On retiendra : intérêt général et service public ; principe d’égalité et actions positives ; exigence de responsabilité et principe de laïcité.

 1.2. L’exercice

 C’est d’abord le statut politique à base nationale (droit de vote), assorti de droits économiques et sociaux ; puis la démocratie locale, enfin la nature des institutions.

1.3.  La dynamique

C’est celle d’une situation de crise de l’individualité, des médiations, des idéologies messianiques, des droits de l’homme comme substitut éventuel.

Des questions connexes se posent  : dimensions infra et supranationale, bi-nationalité, droit d’asile, développement des dimensions transnationales ?

2. La citoyenneté européenne dans cette problématique

Selon l’article 20 du traité sur lr fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) : « Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre [Maastricht]. La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas [Amsterdam]. » (même rédaction de l’art. 9 du traité sur l’Union européenne (TUE), amputée de sa première phrase …).

2.1. Valeurs de la citoyenneté européenne

Article 2 TUE : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que du respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes ». La Charte des droits fondamentaux reprend ces valeurs dans une forme voisine.

On doit souligner l’extrême généralité de ces énoncés. Ils s’appliquent à d’autres pays ou ensembles régionaux dans le monde. Il y a nécessité de caractères identifiants pour qu’existe une citoyenneté (cf. service public, modèle d’intégration, laïcité). Les concepts retenus sont d’une grande faiblesse conceptuelle.

On peut penser aussi à des valeurs européennes possibles : creuset spécifique de l’antiracisme, de la protection de l’environnement, du dialogue des religions, de la coopération et des politiques migratoires, etc. S’agissant de l’UE la spécificité est peu marquée. Sur  France Inter les 23-24 mai 2009 : « La culture ne pourrait-elle pas fonder l’identité européenne ? ».

2.2. Moyens et exercice effectif de la citoyenneté européenne

C’est d’abord le droit de circulation et de séjour (art. 21) : mais pas pour les étrangers non communautaires (Espace Schengen, convention de Dublin II de 2003).


Des droits politiques : droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et aux élections européennes (art. 22,) ; droit de pétition (art. 24) ; d’autres droits existent ailleurs : élection du Parlement au suffrage universel, ouverture partielle des fonctions publiques, égalité de rémunérations des hommes et des femmes, utilité partis politiques

Des garanties juridiques : droit à la protection diplomatique et consulaire des États (art. 23, non de l’Union européenne) ; recours au médiateur (art. 24).

Moyens figurant ailleurs : interdiction des discriminations, référence aux droits fondamentaux et les principes généraux du droit communautaire. On peut aussi retenir des droits économiques et sociaux épars ailleurs- Des attributs sont rattachables : euro, drapeau, hymne, permis de conduire, passeport, carte verte, etc.

Les moyens de la démocratie locale demeurent largement sous l’autorité des États.

Les institutions apparaissent complexes, sans séparation des pouvoirs. L’adoption du traité de Lisbonne a été problématique par contournements parlementaires contre les rejets directs.

Si 80 % des nouveaux textes sont d’origines bruxelloise, c’est toujours avec l’accord des gouvernements des États membres.

Mentionnons les contributions effectives de la CJCE et de la CEDH (art. 3, 6, 8 de la Convention des droits)

La citoyenneté européenne est décrétée, de faible densité, ube citoyenneté de superposition assortie de réserves et de délégations aux États le plus souvent fondées en fait ou en droit sur la réciprocité, sans autonomie véritable. On a pu parler d’« objet politique non identifié », de citoyenneté « de conséquence ». Paul Magnette et Mario Telo estiment : « Évoquer une citoyenneté européenne reste largement une ambition incantatoire, sinon un abus de langage ». Il en est ainsi car les options économiques et financières sont dominantes. Le but non évoqué : une organisation fédérale de l’Union européenne.

La ossibilité hypothétique de nouveaux droits est envisagée (art. 25) : Conseil statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission après consultation du Parlement.

2.3. Dynamique propre de la citoyenneté européenne

Lapratique du droit de vote est emblématique, or il y a eu : 59,4 % d’abstentions en France, 56,9 % en UE.

Hubert Védrine (Le Monde 1er juin 2009) soulignait la complexité du fonctionnement des institutions européennes, les jeux politiciens autour de la nomination du président de la Commission, l’absence de véritable communauté politique des 495 millions d’habitants des pays concernés, prévalence des questions de politique intérieure, ignorance des votes émis par référendum de la France, de l’Irlande et des Pays Bas sur le projet constitutionnel, la connivence dont font preuve dans leur votes et le partage des places entre partis PPE et PSE au Parlement européen, le découpage des huit circonscriptions électorales.

 L’UE présente trop de marché, trop de droit, pas assez de politique et de social ? Cette conception repose sur le choix de privilégier les niveaux infra et supranationaux (principe de subsidiarité). Le problème me semble mal posé.

3. L’idée d’une citoyenneté mondiale : faux-fuyant ou perspective ?

La divergence citoyenneté-nationalité est ancienne : Thomas Paine, Anacharsis Cloots (« citoyen de l’humanité ») avaient les droits des citoyens français et étaient députés à la Convention. Garibaldi a été élu député dans quatre départements français.

K. Renner au début du XX° siècle a proposé de reconnaître une  citoyenneté aux ressortissants de l’Autriche-Hongrie respectant les minorités nationales. La citoyenneté soviétique recouvrait plusieurs nationalités. Le Conseil constitutionnel a récusé en revanche  le « peuple corse » en 1991. L’accord sur la Nouvelle-Calédonie en 1998 prévoit une  divergence progressive des citoyennetés française et néocalédonienne pouvant conduire à des nationalités différentes à terme. Les notions de nationalité, citoyenneté, origine, résidence, sont fréquemment confondues.

3.1. L’aspiration aux « valeurs universelles »

Les valeurs nationales se conçoivent souvent comme ayant une valeur universelle (1789). Aujourd’hui encore : service public, modèle français d’intégration, laïcité sont spécifiques. Il y a nécessité d’un long processus de confrontation-convergence des opinions publiques pour faire progresser la citoyenneté.

Des valeurs pourraient s’imposer au niveau mondial : à la paix, la sécurité, le droit au développement, à la protection de l’écosystème mondial, à la maîtrise scientifique, aux droits de l’homme et du genre humain. Le niveau mondial est borné : c’est une facilité méthodologique par rapport au niveau continental ou régional.

3.2. Des bases pour l’exercice d’une citoyenneté mondiale

La mondialisation du capital et l’exploitation qui lui correspond participent aux bases de globalisation objective des problèmes.

Il y a des bases factuelles : Internet, 5000 ONG, développement des solidarités et des échanges internationaux.

Il y a aussi des bases juridiques montantes : l’article 1er  de la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 se prononce pour la paix et le règlement pacifique des différends, la coopération entre les nations. L’article 2, se prononce pour la première fois dans l’histoire, pour l’interdiction faite aux États de recourir à la force et avance l’idée de sécurité collective. La  Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 – Convention de Genève relative aux réfugiés du 28 juillet 1951 est un autre grand texte. Comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 19 décembre 1966, tout comme la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 janvier 1990. Évoquons enfin la Cour pénale internationale créée par le traité de Rome le 17 juillet 1998, etc.

La Déclaration universelle de 1948 prévoit des droits étendus : non-discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, les opinions politiques et l’origine ; interdiction de l’esclavage, de la torture de la détention arbitraire ; droit d’être jugé équitablement ; protection de la vie privée ; droit de circulation ; droit d’asile ; droit à une nationalité, au mariage, à la propriété, à l’éducation, à la sécurité sociale, au travail et à une rémunération équitable ; liberté de penser, de conscience et de religion ; liberté de réunion et d’association, d’égal accès aux fonctions publiques ; droit syndical ; droit de vote ; auxquels on peut ajouter le droit d’ingérence.

De nombreuses déclarations  des droits constituent un ensemble incertain. Des « logiques floues » entre systèmes de droits sont évoquées par  M. Delmas-Marty. Tous les pays n’ont pas souscrit à toutes les déclarations des droits leurs formulations sont très générales ne constituent pas à elles seules des règles juridiques opérationnelles ; avec de nombreuses réserves, des dérogations, des exceptions, des restrictions. Hannah Arendt est sceptique sur leur contenu réel. Pour Marcel Gauchet, l’idéologie des droits de l’homme, a-historique, n’est pas porteuse de projet, fonctionne sur la base de l’indignation spontanée, combinée au pouvoir médiatique, s’inscrit dans une autorégulation des rapports sociaux qui n’est pas sans rapport avec celle du marché dans la sphère des rapports économiques. Jean Rivero écrit : « Le droits de l’homme sont des libertés, les droits du citoyen sont des pouvoirs ». Ces pouvoirs existent bien au niveau mondial, mais leur effectivité est loin d’être assurée partout.

3.3. La montée de l’ « en-commun » comme dynamique d’une citoyenneté mondiale

 Il y a accélération du processus de « mise en commun » dans de très nombreux domaines : protection de l’écosystème mondial, télécommunication, navigation aérienne, météorologie, police, etc. Les progrès scientifiques ne se conçoivent plus sans échanges internationaux des connaissances et des avancées. La culture se nourrit de l’infinie diversité des traditions et des créations mondiales. Les mœurs évoluent pas comparaisons, échanges, interrogations nouvelles. Au-delà du développement inégal, des frontières existantes, la mobilité tend à devenir un droit, au sens qu’envisageait Emmanuel Kant : « La Terre étant une sphère, ne permet pas aux hommes de se disperser à l’infini, mais les contraint, malgré tout, à supporter leur propre coexistence, personne, à l’origine, n’ayant plus qu’un autre le droit de se trouver en un endroit quelconque de la Terre ». D’où le devoir d’hospitalité.

Pour une « citoyenneté mondiale » on peut avancer : donner une traduction juridique et institutionnelle à ce que désignent des expressions comme « patrimoine commun de l’humanité », « bien à destination universelle » selon Vatican II, avec Edgar Morin « Terre-Patrie », le « Tout Monde des écrivains Patrick Chamoiseau et Edouard Glissant (« Manifeste pour des biens de haute nécessité »). La notion d’appropriation sociale des biens publics : l’eau, des ressources du sol et du sous-sol, des productions agricoles et alimentaires, des ressources énergétiques, certains secteurs-clés de production de biens et de services pourrait entrer dans les faits. Il faut leur faire correspondre pour cela  des services publics organisés à ce niveau. C’est la même problématique avec la proposition de Gabriel Zukman d’élaboration d’un « cadastre financier » selon Gabriel Krugman. Le XXI° siècle peut et doit être l’« âge d’or » des services publics.

En conclusion,

Notre époque est celle d’une décomposition (relativisation États-nations, classes, espaces, mœurs, idéologies messianiques). Il convient de procéder d’abord à l’analyse des contradictions (« Pendant la mue le serpent est aveugle », « Éloge de l’échec » – A.LP), avec conservation de l’héritage et premiers pas de la recomposition sur le thème fédérateur de la citoyenneté. Cette analyse présente deux caractères nouveaux : d’une part une prise de conscience de l’unité de destin du genre humain, d’autre part un renvoi de la responsabilité politique vers l’individu (Amartya-Sen, « génome de citoyenneté »).

Cela n’invalide pas le rôle de la nation qui est et demeure le niveau le plus pertinent d’articulation du particulier et du général. Il faut partir de la citoyenneté nationale vers une réflexion sur l’universalité des valeurs et des moyens, pour revenir dans un cadre de convergence européen, c’est la dynamique nouvelle proposée.

Il faut également se garder de toute impatience en la matière : la citoyenneté ne se forme que dans le temps long. Renan disait : « Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel, elles ont commencé, elle finiront […] La confédération européenne probablement les remplacera. Mais telle n’est pas la loi du siècle où nous vivons ». C’était dans son célèbre discours à la Sorbonne « Qu’est-ce qu’une nation ? », le 11 mars 1882, il y a …  131 ans.