La laïcité – Corbeil-Essonne, PCF, 6 avril 2011

LA LAICITE, UN ENJEU

La laïcité court aujourd’hui un grand risque de confusion, d’altération et, par là de régression.

Certains éprouvent le besoin de la qualifier de positive (Nicolas Sarkozy), ou d’ouverte (Marie George Buffet), ou encore raisonnée (Les verts) comme si elle n’était jusque-là que négative, fermée et déraisonnable.

D’autres tiennent à caractériser plusieurs laïcités en fonction des conjonctures géopolitiques : séparatiste, autoritaire, anticléricale, etc. La laïcité serait alors une notion ambivalente ( Laïcités sans frontières de Jean Baubero et Micheline Millet).

Le Front national, de son côté, en fait une argument, à contre-pied de ses fondements idéologiques, en réalité une arme contre « l’islamisation » de la société.

Après la campagne sur l’identité nationale définie cintre l’étranger, le recent colloque de l’UMP sur la laïcité poursuit le même onjectif de stignatisation d’autant plus aisément que la contre-ofensive laïque est insuffisante.

Ol est donc nécessaire de faire le point sur ce concept qui émerge de notre histoire comme principe fondamental de notre société (I), qui aujourd’hui comme hier est à l’épreuve des problèmes de la société (II), mais qui dans cette épreuve également pose la question de son rôle dans la construction de la citoyenneté et l’hypothèse de son caractère universel (III)

I. L’affirmation historique du principe de laïcité

Il s’agit d’un mouvement général des sociétés qui s’inscrit, en France, dans des circonstances particulièrement significatives.

Le « désenchantemen »t du monde

L’affirmation de la laïcité comme principe s’inscrit dans l’histoire longue, pluriséculaire. Celle-ci peut être décrite comme une succession de modes de production. C’est le niveau des techniques qui prévaut dans cette analyse caractéristique de la pensée marxiste. Mais cette remarquable analyse ne nous renseigne pas sur la construction et l’évolution des droits individuels et de l’État.

Dans son ouvrage Le désenchantement du monde (qu’il faut comprendre comme la sortie de la société du monde des croyances ou des superstitions qui l’enchantaient) , Marcel Gauchet analyse le long effort des sociétés pour s’affranchir de toute vision transcendantale. Mouvement qu’il décrit comme celui de l’hétéronomie (une société sacralisée par le droit divin) vers l’autonomie (affirmation de droits de l’individus et de l’État). Son raisonnement est, en résumé, le suivant.

En premier lieu, après des siècles de dogmatisme religieux, à la fin du Moyen Âge, s’amorce la sortie de la religion, la disjonction d’avec le Ciel. La monarchie absolue tend à séculariser le pouvoir politique.

En deuxième lieu, se produit une dépossession de l’incarnation individuelle en la personne du monarque au profit de la collectivité dans le cadre du contrat social développé par Jean-Jacques Rousseau, contrat social qui conduit à une auto-construction de la personne publique remplaçant celle du monarque ; c’est l’affirmation progressive de la nation dont la souveraineté est une version de la souveraineté du peuple adossée à la continuité de la tradition.

En troisième lieu, on assiste ensuite à l’affirmation corrélative et conjointe des droits individuels et de l’État, instrument représentatif de l’entité politique qu’est la nation. Mais l’État n’est pas soluble dans les droits individuels et ces deux entités ne tardent pas à s’affronter : droits individuels contre volonté générale exprimée par la loi.

En quatrième lieu, sous l’effet de ce mouvement et du développement des forces productives, essentiellement au XIXe siècle, l’affirmation d’une historicité de la société développée pose la question de son avenir et de la façon de le construire. La dialectique de l’individuel et du collectif conduit à la dissociation de l’État et de la société et à l’intervention de catégories sociales, voire de classes ou et de masses. La prévalence recherchée de la raison nourrit l’idée d’un changement de société par la réforme ou la révolution.

En cinquième lieu, cette expérience débouche donc sur une crise de civilisation. Car l’action des masses ne s’est pas dépouillée du sacré, ce qui a conduit en leur nom à des démarches totalitaires dans l’expression de l’historicité, à la constitution de « religions séculières ». La chute des totalitarismes sape les bases de l’intérêt collectif au nom de la liberté.

L’affirmation du principe en France

Le « désenchantement » est donc une longue marche que l’on peut «baliser » dans notre histoire de France par quelques dates.

Philippe Le Bel installe en 1309 le pape Clément V en Avignon en réplique au prédécesseur de ce dernier, Boniface VIII qui prétendait affirmer la supériorité du pape sur les rois. Il s’agit là d’un acte fort de sécularisation du pouvoir politique et de séparation de l’État et de l’Église. Il institue également le Conseil d’État du roi contribuant à un clivage franc public-privé.

Pendant tout le Moyen Age l’asile était le monopole de l’Église qui pouvait l’accorder dans ses dépendances à qui elle voulait pour quelque raison que ce soit (Notre Dame de Paris de Victor Hugo) avec la possibilité d’excommunier le souverain qui portait attente à ce monopole. Mais progressivement les autorités religieuses elles-mêmes réduisirent leurs compétences en la matière et, en 1539, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, François Ier abolit l’asile en matière civile.

Les guerres de religions vont créer de profonds bouleversements (la St Barthélemy en 1572) et poser la question des rapports de l’Église et de l’État marquées par l’Édit de Nantes en 1598 et son abrogation en 1685.

La Révolution française de 1789 constitue une étape marquante de la sécularisation du pouvoir politique avec la Constitution civile du clergé dès 1789, l’appropriation de ses biens, en dépit de la tentative de reconstitution religieuse sécularisée avec le culte de l’Etre suprême assimilé au culte de la Raison. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »

Le XIXe siècle qui portera à son origine la marque du Concordat conclu avec la papauté par Napoléon et Pie VII en 1801, verra les aspirations républicaines et socialistes caractérisées par une volonté de rationalisation de la démarche émancipatrice dominée par le marxisme (Manifeste du parti communiste en 1848) tendant à dégager le mouvement social de l’imprégnation religieuse.

Et c’est ainsi que l’on parvient aux grandes lois sur la laïcité : loi du 18 mars 1880 sur la collation des grades à l’État, loi du 28 mars 1882 établissant la gratuité et l’obligation de l’enseignement sans évoquer pour autant la notion de laïcité. « La cause de l’école laïque » figurera dans la lettre de Jules Ferry aux instituteurs du 27 novembre 1883. La loi du 9 décembre1905 « concernant la séparation des Églises et de l’État » posera les deux fondements de la laïcité : liberté de conscience et neutralité de l’État. Le mot c’est introduit dans la constitution qu’en 1946, Il figure dès l’art. 1er de la constitution de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

II. La laïcité à l’épreuve des problèmes d’aujourd’hui

Il est utile, alors qu’aujourd’hui certains proposent de réformer la loi de 1905, de citer ses deux premiers articles :

« Article 1er – La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.

Article 2 – La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. (…) »

Une mise en oeuvre contradictoire

Jusqu’à la deuxième guerre mondiale prévaut la vigilance dans la défense des règles ainsi posées, la figure de l’enseignant de l’instruction publique, le « hussard noir » de la République, symbolisant cette posture républicaine marquée par de nombreux exemples (interdiction faite par Clemenceau aux membres du gouvernement d’être présents au Te Deum célébré à Notre Dame pour la victoire de la guerre 1914-1918).

Néanmoins les exceptions à la règle de neutralité sont nombreuses : situation concordataire de l’Alsace-Moselle, financement public des écoles privées (loi Debré du 31 décembre 1959 intégrant à l’Éducation nationale les établissements privés sous contrats d’association), jours fériés et chômes d’origine catholique, jusqu’au décret du 16 avril 2009 publiant l’accord conclu entre la République française et le Saint Siège sur la reconnaissance des grades et diplômes de l’enseignement supérieur nonobstant le monopole posé par la loi de 1880.

La loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 (loi Jospin) propose- sans doute marquéee par l’esprit des événements de 1968 – une ouverture sur le monde du milieu scolaire que traduit cet alinéa de l’article 10 : « (…) Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement. (…) »

La même année, un avis demandé au Conseil d’État par le ministre de l’Éducation nationale sur la question du port du voile islamique à l’école conduit le Conseil à préciser les conditions d’application du principe de laïcité : celui-ci est fondé à la fois sur la liberté de conscience et la neutralité de l’État. L’exercice de la liberté exclut le prosélytisme et le port de signes ostentatoiress. En cas de contradiction des principes, on a recours à la notion d’ordre public.

La laïcité et l’islam

La portée de cet avis était générale, mais en fait elle a concerné, dans l’opinion la question de l’application du principe de laïcité à la pratique le l’Islam, comme le principe avait eu à connaître antérieurement des conditions d’application vis-à-vis des autres religions. L’interdiction de signes ostentatoires ou d’actions de prosélytisme devait être mis en œuvre au cas par cas et ne pouvait faire l’objet d’une interdiction générale en vertu d’un autre principe prohibant toute interdiction de portée générale en matière de police administrative. Ainsi, il n’était pas possible d’inscrire une interdiction générale de signe ostentatoire dans un règlement intérieur d’un établissement scolaire sans trouble caractérisé au service public ou atteinte spécifiée à l’intégrité des élèves.

Cette orientation a connu de sérieuses difficultés d’application. Elle faisait en effet peser sur les chefs d’établissements la lourde responsabilité de caractériser les infractions ; ils n’ont d’ailleurs pas toujours été activement soutenus par leur administration. Les décisions des juridictions administratives ont pu apparaître contradictoires. Les efforts de la jurisprudence pour répondre aux difficultés, tout comme les dispositions coercitives de la circulaire Bayrou du 20 septembre 1994 sont apparues insuffisantes devant la revendication croissante d’une loi sur le sujet.

La commission Stasi, constituée en 2003 pour faire des propositions sur le sujet a plutôt accru la confusion. Le principe de neutralité y est abordé de manière défensive. Les exceptions au principe de laïcité sont minimisées. Il y est affirmé que le temps de la « laïcité de combat » est dépassé. Surtout le rapport ajoute aux principes de liberté de conscience et de neutralité de l’État un autre principe : la responsabilité qui lui incomberait à l’État d’assurer un traitement égal des options religieuses avec des conséquences (extension des contrats d’association, aumôneries, jours fériés pour les différentes confessions, création d’une école nationale d’études islamiques, etc. ) manifestement contraires à la loi de 1905 qui affirme que la République ne reconnaît aucun culte.

Un certain nombre d’objections pouvaient être opposées à la loi du 15 mars 2004 prohibant en milieu scolaire public le port de signes et de tenues conduisant à se faire connaître immédiatement par son appartenance religieuse (voile, kippa, grande croix …) : le risque de tirer de la référence à’un texte religieux pour fonder l’négalité femme-homme, l’aggravation de la condition sociale de jeunes filles, la multiplication des interdits. Mais une fois l’entrée en vigueur de la loi, il est plus difficile de la contester sans que cela apparaisse comme un recul de la laïcité.

La question pour autant n’a pas disparu de l’espace public. Elle s’est déplacée avec la question du « voile intégral », niqab ou burqa en dépit du caractère très minoritaire de ces manifestations. La loi du 10 octobre 2010 a interdit la dissimulation du visage de l’espace public. Le traitement par la loi de cette question est critiquable : on ne combat un obscurantisme que par la contestation idéologique et politique, la stigmatisation du monde musulman est inévitable et contrarie l’expression de la laïcité en son sein, il s’agit à l’évidence d’une manipulation politique pour brouiller le clivage droite-gauche par le moyen d’une excitation passionnelle.

Dans le même temps des solutions pacifiques sont généralement trouvées concernant : les carrés musulmans dans les cimetières, les abattages rituels, les lieux de culte, etc.

La laïcité en difficulté

Les problèmes rencontrés aujourd’hui par la laïcité ne sauraient se réduire à ses relations avec l’islam dont on peut penser qu’ils servent même à occulter une véritable offensive contre cette spécificité de l’identité nationale. La situation est aggravée par un certain désarroi des forces laïques affectées par la confusion précédemment relevée.

L’inspiration de l’offensive anti-laïque est clairement affichée par nombre de déclarations du président de la République et notamment celle de Latran du 20 décembre 2007 : « l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, car il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ».

La représentativité officiellement reconnue à certaines organisations confessionnelles (CRUF, UOIF) est contraire à la loi de 1905 . L’instrumentalisation de la laïcité par le Front national, par le discrédit qu’elle risque de faire subir au concept, est de nature à faire le jeu des communautarismes ethniques et religieux anti-laïques ; elle vient objectivement à l’appui de la démarche sarkozyste. La campagne sur l’identité nationale ostensiblement dirigée contre l’étranger avait le même but.

Les atteintes à la laïcité sont aussi financières. Depuis longtemps l’enseignement privé sous contrat a reçu d’importants soutiens financiers. Dans la dernière période, on peut aussi citer : la loi Carle de 2009 qui a fait obligation aux maires de financer la scolarité d’enfants souhaitant s’inscrire dans des établissements scolaires privés hors de la commune ; la RGPP épargne les établissements privés sous contrat qui représentent 17 % des postes mais ne connaîtront que 10 % des réductions.

La laïcité est également en danger en raison de la faiblesse des réactions des forces qui lui sont traditionnellement attachées, expression d’un désarroi dans la situation actuelle de perte des repères. Les rapports Stasi et Machelon (appelant au soutien des cultes de l’Islam et de l’Église évangélique) ont été faiblement contestés. Un groupe de travail du Haut Conseil à l’intégration est actuellement à la recherche d’un consensus républicain « a minima ».

Mais c’est surtout du côté des collectivités territoriales que se produisent les « dérapages » les plus importants. Déjà un projet gouvernemental d’élargissement du financement des établissements religieux par les collectivités territoriales avait été avancé 1993, aussitôt mis en échec par une décision du Conseil constitutionnel et une manifestation de plus d’un million de personnes à Paris le 16 janvier 1994. Aujourd’hui, des financements publics multiples reposent sur deux confusions volontairement entretenues. D’une part l’assimilation du culturel au cultuel, notamment lorsqu’ils coexistent en un même lieu. D’autre part en interprétant la disposition de l’article 1er de la loi de 1905 : « L’a République … garantit le libre exercice des cultes … », comme une obligation de moyens de l’État, nonobstant l’article 2 qui écarte toute subvention à un culte. Ces pratiques sont illégales et ceux qui les approuvent et les soutiennent en votant les crédits correspondants justifient, par là, la proposition de ceux qui veulent modifier la loi de 1905 afin de légaliser de telles pratiques inadmissibles. Il y a donc nécessité de réaffirmer les bases du combat laïque.

III. La laïcité, du pacte républicain à la vocation universelle

Les questions qui se posent aujourd’hui sont, d’une part celle de la place de la laïcité dans la formation de la citoyenneté telle qu’elle s’est forgée en France au cours de notre histoire, d’autre part de savoir si cette conception peut prétendre à l’universalité

La laïcité composante majeure de la citoyenneté

Rien ne justifie aujourd’hui que l’on affaiblisse ou que l’on renonce aux deux piliers de la laïcité : liberté de conscience et neutralité de l’État.

Mais le principe de laïcité peut aussi être considéré comme une composante de la citoyenneté, mais on peut tout autant le regarder comme inspirant la totalité de la problématique de la citoyenneté. La laïcité a un caractère « transversal », tant en ce qui concerne les valeurs, les moyens et la dynamique de la citoyenneté.

Il n’y a pas de citoyenneté sans valeurs reconnues par la communauté des citoyens.

La laïcité est évidemment au cœur de notre conception de l’intérêt général déterminé par le débat démocratique, du service public théorisé en France dès la fin du XIXe siècle, de la fonction publique dont le statut s’est explicitement fondé sur des principes républicains.

Elle suppose l’égalité des citoyens. C’est la laïcité qui fonde l’extraction des citoyens de tous les particularismes communautaires établis notamment sur l’ethnie ou la religion, l’égalité homme-femme, le modèle d’intégration sur la base du droit du sol et non du sang. Il est juste que la France n’ait pas signé la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (avis du Conseil d’État du 6 juillet 1995) et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (avis du Conseil constitutionnel du 15 juin 1999).

Elle est au cœur de l’éthique de responsabilité en affirmant que les règles de la morale sociale ne relèvent ni d’un ordre naturel ni d’une transcendance, mais de la seule volonté des citoyennes et des citoyens.

Il n’y a pas de citoyenneté sans exercice effectif doté des moyens nécessaires.

La laïcité a évidemment joué un grand rôle dans le passage du sujet au citoyen et la définition de son statut individuel avec ses droits et ses devoirs. Elle favorise la prise en compte des dimensions économiques et sociales dans ce statut et le recours à la justice sociale plutôt qu’à l’assistance.

L’exercice de la démocratie locale conduit nécessairement à faire référence à la loi Falloux, aujourd’hui formellement abrogée depuis 2000. Je veux néanmoins rappeler la décision du Conseil constitutionnel du 13 janvier 1994 considérant notamment « qu’un financement plus libre des établissements privés par les collectivités territoriales est contraire au principe d’égalité et qu’il risquerait de mettre, dans certaines communes, les établissements privés dans une situation plus favorable que les écoles publiques, ce qui serait contraire à la laïcité en France ». Ce qui n’a pas empêché la manifestation mémorable du 16 janvier de la même année réunissant un million de personnes à Paris.

La laïcité est évidemment partie prenante des institutions. J’ai rappelé à ce sujet l’article Ier de la constitution, mais aussi les exceptions nombreuses au principe de laïcité et le comportement des plus hautes autorités de l’État, notamment le discours de Latran du président de la République.

La laïcité joue un grand rôle dans la dynamique de la citoyenneté

Elle est inévitablement évoquée dans la crise en relation avec la relativisation de l’État-nation, la dénaturation de la notion de classe, les transformations spatiales, l’évolution des mœurs et l’affaiblissement des idéologies messianiques. La crise a néanmoins l’aspect positif de renvoyer la responsabilité d’une recomposition vers le citoyen. Car la laïcité c’est aussi l’apprentissage de la tolérance et l’exercice de l’esprit critique. D’àù l’idée de « génome de citoyenneté » que je développe dans mon, Que sais-je ? sur « La citoyenneté »

Cette dynamique s’inscrit aujourd’hui dans un contexte international et mondia comme en ont témoigné, il faut le dire à notre surprise heureuse, les soul§vements de Tunisie et d’Égypte.

La laïcité a-t-elle vocation à l’universalité ?

L’émergence de dimensions transnationales de la citoyenneté défie le principe de laïcité, la France étant le seul pays à le mentionner formellement dans sa loi suprême, même si des dispositions peuvent être regardées comme équivalentes dans certaines constitutions (Portugal, par exemple).

Le débat sur les racines chrétiennes de l’Union au moment de l’élaboration de la Charte des doits fondamentaux a traduit une inclination en faveur du maintien d’une imprégnation religieuse. L’un des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme indique que la liberté de religion représente « l’une des assises d’une société démocratique ».

Si la notion de laïcité est peu présente dans les textes et que les relations entre les États et les églises soient d’une extrême diversité (séparation, concordats, églises officielles) on assiste dans l’Union européenne à une convergence progressive des règles : non-intervention de l’État, liberté religieuse, pas d’interférence juridique.

La problématique des droits de l’homme incline davantage à la reconnaissance des libertés de la personne qu’à celle de la neutralité des instances publiques qui présentent aujourd’hui de fortes inégalités quant à leurs rapports avec les religions. Elle invite néanmoins à combattre les discriminations.

La charte des Nations Unies ne mentionne pas expressément le principe de laïcité, mais elle bannit toute discrimination fondée sur la race, le sexe, la langue ou la religion et fonde la coopération internationale en son article 55 sur « le respect universel et effectif des Droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous «

Il reste toutefois, qu’à l’évidence, la laïcité serait de nature à créer les condition de résolution s de nombreux conflits dans le monde (Balkans, Moyen-Orient, Afrique, etc.). C’est donc aussi un enjeu important de la mondialisation.

Corbeil-Essonne, PCF, 6 avril 2011

La laïcité, un enjeu !

La laïcité court aujourd’hui un grand risque de confusion, d’altération et, par là de régression.

Certains éprouvent le besoin de la qualifier de positive (Nicolas Sarkozy), ou d’ouverte (Marie George Buffet), ou encore raisonnée (Les verts) comme si elle n’était jusque-là que négative, fermée et déraisonnable.

D’autres tiennent à caractériser plusieurs laïcités en fonction des conjonctures géopolitiques : séparatiste, autoritaire, anticléricale, etc. La laïcité serait alors une notion ambivalente ( Laïcités sans frontières de Jean Baubero et Micheline Millet).

Le Front national, de son côté, en fait une argument, à contre-pied de ses fondements idéologiques, en réalité une arme contre « l’islamisation » de la société.

Après la campagne sur l’identité nationale définie cintre l’étranger, le recent colloque de l’UMP sur la laïcité poursuit le même onjectif de stignatisation d’autant plus aisément que la contre-ofensive laïque est insuffisante.

Ol est donc nécessaire de faire le point sur ce concept qui émerge de notre histoire comme principe fondamental de notre société (I), qui aujourd’hui comme hier est à l’épreuve des problèmes de la société (II), mais qui dans cette épreuve également pose la question de son rôle dans la construction de la citoyenneté et l’hypothèse de son caractère universel (III)

I. L’affirmation historique du principe de laïcité

Il s’agit d’un mouvement général des sociétés qui s’inscrit, en France, dans des circonstances particulièrement significatives.

Le « désenchantemen »t du monde

L’affirmation de la laïcité comme principe s’inscrit dans l’histoire longue, pluriséculaire. Celle-ci peut être décrite comme une succession de modes de production. C’est le niveau des techniques qui prévaut dans cette analyse caractéristique de la pensée marxiste. Mais cette remarquable analyse ne nous renseigne pas sur la construction et l’évolution des droits individuels et de l’État.

Dans son ouvrage Le désenchantement du monde (qu’il faut comprendre comme la sortie de la société du monde des croyances ou des superstitions qui l’enchantaient) , Marcel Gauchet analyse le long effort des sociétés pour s’affranchir de toute vision transcendantale. Mouvement qu’il décrit comme celui de l’hétéronomie (une société sacralisée par le droit divin) vers l’autonomie (affirmation de droits de l’individus et de l’État). Son raisonnement est, en résumé, le suivant.

En premier lieu, après des siècles de dogmatisme religieux, à la fin du Moyen Âge, s’amorce la sortie de la religion, la disjonction d’avec le Ciel. La monarchie absolue tend à séculariser le pouvoir politique.

En deuxième lieu, se produit une dépossession de l’incarnation individuelle en la personne du monarque au profit de la collectivité dans le cadre du contrat social développé par Jean-Jacques Rousseau, contrat social qui conduit à une auto-construction de la personne publique remplaçant celle du monarque ; c’est l’affirmation progressive de la nation dont la souveraineté est une version de la souveraineté du peuple adossée à la continuité de la tradition.

En troisième lieu, on assiste ensuite à l’affirmation corrélative et conjointe des droits individuels et de l’État, instrument représentatif de l’entité politique qu’est la nation. Mais l’État n’est pas soluble dans les droits individuels et ces deux entités ne tardent pas à s’affronter : droits individuels contre volonté générale exprimée par la loi.

En quatrième lieu, sous l’effet de ce mouvement et du développement des forces productives, essentiellement au XIXe siècle, l’affirmation d’une historicité de la société développée pose la question de son avenir et de la façon de le construire. La dialectique de l’individuel et du collectif conduit à la dissociation de l’État et de la société et à l’intervention de catégories sociales, voire de classes ou et de masses. La prévalence recherchée de la raison nourrit l’idée d’un changement de société par la réforme ou la révolution.

En cinquième lieu, cette expérience débouche donc sur une crise de civilisation. Car l’action des masses ne s’est pas dépouillée du sacré, ce qui a conduit en leur nom à des démarches totalitaires dans l’expression de l’historicité, à la constitution de « religions séculières ». La chute des totalitarismes sape les bases de l’intérêt collectif au nom de la liberté.

L’affirmation du principe en France

Le « désenchantement » est donc une longue marche que l’on peut «baliser » dans notre histoire de France par quelques dates.

Philippe Le Bel installe en 1309 le pape Clément V en Avignon en réplique au prédécesseur de ce dernier, Boniface VIII qui prétendait affirmer la supériorité du pape sur les rois. Il s’agit là d’un acte fort de sécularisation du pouvoir politique et de séparation de l’État et de l’Église. Il institue également le Conseil d’État du roi contribuant à un clivage franc public-privé.

Pendant tout le Moyen Age l’asile était le monopole de l’Église qui pouvait l’accorder dans ses dépendances à qui elle voulait pour quelque raison que ce soit (Notre Dame de Paris de Victor Hugo) avec la possibilité d’excommunier le souverain qui portait attente à ce monopole. Mais progressivement les autorités religieuses elles-mêmes réduisirent leurs compétences en la matière et, en 1539, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, François Ier abolit l’asile en matière civile.

Les guerres de religions vont créer de profonds bouleversements (la St Barthélemy en 1572) et poser la question des rapports de l’Église et de l’État marquées par l’Édit de Nantes en 1598 et son abrogation en 1685.

La Révolution française de 1789 constitue une étape marquante de la sécularisation du pouvoir politique avec la Constitution civile du clergé dès 1789, l’appropriation de ses biens, en dépit de la tentative de reconstitution religieuse sécularisée avec le culte de l’Etre suprême assimilé au culte de la Raison. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »

Le XIXe siècle qui portera à son origine la marque du Concordat conclu avec la papauté par Napoléon et Pie VII en 1801, verra les aspirations républicaines et socialistes caractérisées par une volonté de rationalisation de la démarche émancipatrice dominée par le marxisme (Manifeste du parti communiste en 1848) tendant à dégager le mouvement social de l’imprégnation religieuse.

Et c’est ainsi que l’on parvient aux grandes lois sur la laïcité : loi du 18 mars 1880 sur la collation des grades à l’État, loi du 28 mars 1882 établissant la gratuité et l’obligation de l’enseignement sans évoquer pour autant la notion de laïcité. « La cause de l’école laïque » figurera dans la lettre de Jules Ferry aux instituteurs du 27 novembre 1883. La loi du 9 décembre1905 « concernant la séparation des Églises et de l’État » posera les deux fondements de la laïcité : liberté de conscience et neutralité de l’État. Le mot c’est introduit dans la constitution qu’en 1946, Il figure dès l’art. 1er de la constitution de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

II. La laïcité à l’épreuve des problèmes d’aujourd’hui

Il est utile, alors qu’aujourd’hui certains proposent de réformer la loi de 1905, de citer ses deux premiers articles :

« Article 1er – La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.

Article 2 – La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. (…) »

Une dénaturation du concept

Jusqu’à la deuxième guerre mondiale prévaut la vigilance dans la défense des règles ainsi posées, la figure de l’enseignant de l’instruction publique, le « hussard noir » de la République, symbolisant cette posture républicaine marquée par de nombreux exemples (interdiction faite par Clemenceau aux membres du gouvernement d’être présents au Te Deum célébré à Notre Dame pour la victoire de la guerre 1914-1918).

Néanmoins les exceptions à la règle de neutralité sont nombreuses : situation concordataire de l’Alsace-Moselle, financement public des écoles privées (loi Debré du 31 décembre 1959 intégrant à l’Éducation nationale les établissements privés sous contrats d’association), jours fériés et chômes d’origine catholique, jusqu’au décret du 16 avril 2009 publiant l’accord conclu entre la République française et le Saint Siège sur la reconnaissance des grades et diplômes de l’enseignement supérieur nonobstant le monopole posé par la loi de 1880.

La loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 (loi Jospin) propose- sans doute marquéee par l’esprit des événements de 1968 – une ouverture sur le monde du milieu scolaire que traduit cet alinéa de l’article 10 : « (…) Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement. (…) »

La même année, un avis demandé au Conseil d’État par le ministre de l’Éducation nationale sur la question du port du voile islamique à l’école conduit le Conseil à préciser les conditions d’application du principe de laïcité : celui-ci est fondé à la fois sur la liberté de conscience et la neutralité de l’État. L’exercice de la liberté exclut le prosélytisme et le port de signes ostentatoiress. En cas de contradiction des principes, on a recours à la notion d’ordre public.

La laïcité et l’islam

La portée de cet avis était générale, mais en fait elle a concerné, dans l’opinion la question de l’application du principe de laïcité à la pratique le l’Islam, comme le principe avait eu à connaître antérieurement des conditions d’application vis-à-vis des autres religions. L’interdiction de signes ostentatoires ou d’actions de prosélytisme devait être mis en œuvre au cas par cas et ne pouvait faire l’objet d’une interdiction générale en vertu d’un autre principe prohibant toute interdiction de portée générale en matière de police administrative. Ainsi, il n’était pas possible d’inscrire une interdiction générale de signe ostentatoire dans un règlement intérieur d’un établissement scolaire sans trouble caractérisé au service public ou atteinte spécifiée à l’intégrité des élèves.

Cette orientation a connu de sérieuses difficultés d’application. Elle faisait en effet peser sur les chefs d’établissements la lourde responsabilité de caractériser les infractions ; ils n’ont d’ailleurs pas toujours été activement soutenus par leur administration. Les décisions des juridictions administratives ont pu apparaître contradictoires. Les efforts de la jurisprudence pour répondre aux difficultés, tout comme les dispositions coercitives de la circulaire Bayrou du 20 septembre 1994 sont apparues insuffisantes devant la revendication croissante d’une loi sur le sujet.

La commission Stasi, constituée en 2003 pour faire des propositions sur le sujet a plutôt accru la confusion. Le principe de neutralité y est abordé de manière défensive. Les exceptions au principe de laïcité sont minimisées. Il y est affirmé que le temps de la « laïcité de combat » est dépassé. Surtout le rapport ajoute aux principes de liberté de conscience et de neutralité de l’État un autre principe : la responsabilité qui lui incomberait à l’État d’assurer un traitement égal des options religieuses avec des conséquences (extension des contrats d’association, aumôneries, jours fériés pour les différentes confessions, création d’une école nationale d’études islamiques, etc. ) manifestement contraires à la loi de 1905 qui affirme que la République ne reconnaît aucun culte.

Un certain nombre d’objections pouvaient être opposées à la loi du 15 mars 2004 prohibant en milieu scolaire public le port de signes et de tenues conduisant à se faire connaître immédiatement par son appartenance religieuse (voile, kippa, grande croix …) : le risque de tirer de la référence à’un texte religieux pour fonder l’négalité femme-homme, l’aggravation de la condition sociale de jeunes filles, la multiplication des interdits. Mais une fois l’entrée en vigueur de la loi, il est plus difficile de la contester sans que cela apparaisse comme un recul de la laïcité.

La question pour autant n’a pas disparu de l’espace public. Elle s’est déplacée avec la question du « voile intégral », niqab ou burqa en dépit du caractère très minoritaire de ces manifestations. La loi du 10 octobre 2010 a interdit la dissimulation du visage de l’espace public. Le traitement par la loi de cette question est critiquable : on ne combat un obscurantisme que par la contestation idéologique et politique, la stigmatisation du monde musulman est inévitable et contrarie l’expression de la laïcité en son sein, il s’agit à l’évidence d’une manipulation politique pour brouiller le clivage droite-gauche par le moyen d’une excitation passionnelle.

Dans le même temps des solutions pacifiques sont généralement trouvées concernant : les carrés musulmans dans les cimetières, les abattages rituels, les lieux de culte, etc.

La laïcité en difficulté

Les problèmes rencontrés aujourd’hui par la laïcité ne sauraient se réduire à ses relations avec l’islam dont on peut penser qu’ils servent même à occulter une véritable offensive contre cette spécificité de l’identité nationale. La situation est aggravée par un certain désarroi des forces laïques affectées par la confusion précédemment relevée.

L’inspiration de l’offensive anti-laïque est clairement affichée par nombre de déclarations du président de la République et notamment celle de Latran du 20 décembre 2007 : « l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, car il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ».

La représentativité officiellement reconnue à certaines organisations confessionnelles (CRUF, UOIF) est contraire à la loi de 1905 . L’instrumentalisation de la laïcité par le Front national, par le discrédit qu’elle risque de faire subir au concept, est de nature à faire le jeu des communautarismes ethniques et religieux anti-laïques ; elle vient objectivement à l’appui de la démarche sarkozyste. La campagne sur l’identité nationale ostensiblement dirigée contre l’étranger avait le même but.

Les atteintes à la laïcité sont aussi financières. Depuis longtemps l’enseignement privé sous contrat a reçu d’importants soutiens financiers. Dans la dernière période, on peut aussi citer : la loi Carle de 2009 qui a fait obligation aux maires de financer la scolarité d’enfants souhaitant s’inscrire dans des établissements scolaires privés hors de la commune ; la RGPP épargne les établissements privés sous contrat qui représentent 17 % des postes mais ne connaîtront que 10 % des réductions.

La laïcité est également en danger en raison de la faiblesse des réactions des forces qui lui sont traditionnellement attachées, expression d’un désarroi dans la situation actuelle de perte des repères. Les rapports Stasi et Machelon (appelant au soutien des cultes de l’Islam et de l’Église évangélique) ont été faiblement contestés. Un groupe de travail du Haut Conseil à l’intégration est actuellement à la recherche d’un consensus républicain « a minima ».

Mais c’est surtout du côté des collectivités territoriales que se produisent les « dérapages » les plus importants. Déjà un projet gouvernemental d’élargissement du financement des établissements religieux par les collectivités territoriales avait été avancé 1993, aussitôt mis en échec par une décision du Conseil constitutionnel et une manifestation de plus d’un million de personnes à Paris le 16 janvier 1994. Aujourd’hui, des financements publics multiples reposent sur deux confusions volontairement entretenues. D’une part l’assimilation du culturel au cultuel, notamment lorsqu’ils coexistent en un même lieu. D’autre part en interprétant la disposition de l’article 1er de la loi de 1905 : « L’a République … garantit le libre exercice des cultes … », comme une obligation de moyens de l’État, nonobstant l’article 2 qui écarte toute subvention à un culte. Ces pratiques sont illégales et ceux qui les approuvent et les soutiennent en votant les crédits correspondants justifient, par là, la proposition de ceux qui veulent modifier la loi de 1905 afin de légaliser de telles pratiques inadmissibles. Il y a donc nécessité de réaffirmer les bases du combat laïque.

III. La laïcité, du pacte républicain à la vocation universelle

Les questions qui se posent aujourd’hui sont, d’une part celle de la place de la laïcité dans la formation de la citoyenneté telle qu’elle s’est forgée en France au cours de notre histoire, d’autre part de savoir si cette conception peut prétendre à l’universalité

La laïcité composante majeure de la citoyenneté

Rien ne justifie aujourd’hui que l’on affaiblisse ou que l’on renonce aux deux piliers de la laïcité : liberté de conscience et neutralité de l’État.

Mais le principe de laïcité peut aussi être considéré comme une composante de la citoyenneté, mais on peut tout autant le regarder comme inspirant la totalité de la problématique de la citoyenneté. La laïcité a un caractère « transversal », tant en ce qui concerne les valeurs, les moyens et la dynamique de la citoyenneté.

Il n’y a pas de citoyenneté sans valeurs reconnues par la communauté des citoyens.

La laïcité est évidemment au cœur de notre conception de l’intérêt général déterminé par le débat démocratique, du service public théorisé en France dès la fin du XIXe siècle, de la fonction publique dont le statut s’est explicitement fondé sur des principes républicains.

Elle suppose l’égalité des citoyens. C’est la laïcité qui fonde l’extraction des citoyens de tous les particularismes communautaires établis notamment sur l’ethnie ou la religion, l’égalité homme-femme, le modèle d’intégration sur la base du droit du sol et non du sang. Il est juste que la France n’ait pas signé la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (avis du Conseil d’État du 6 juillet 1995) et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (avis du Conseil constitutionnel du 15 juin 1999).

Elle est au cœur de l’éthique de responsabilité en affirmant que les règles de la morale sociale ne relèvent ni d’un ordre naturel ni d’une transcendance, mais de la seule volonté des citoyennes et des citoyens.

Il n’y a pas de citoyenneté sans exercice effectif doté des moyens nécessaires.

La laïcité a évidemment joué un grand rôle dans le passage du sujet au citoyen et la définition de son statut individuel avec ses droits et ses devoirs. Elle favorise la prise en compte des dimensions économiques et sociales dans ce statut et le recours à la justice sociale plutôt qu’à l’assistance.

L’exercice de la démocratie locale conduit nécessairement à faire référence à la loi Falloux, aujourd’hui formellement abrogée depuis 2000. Je veux néanmoins rappeler la décision du Conseil constitutionnel du 13 janvier 1994 considérant notamment « qu’un financement plus libre des établissements privés par les collectivités territoriales est contraire au principe d’égalité et qu’il risquerait de mettre, dans certaines communes, les établissements privés dans une situation plus favorable que les écoles publiques, ce qui serait contraire à la laïcité en France ». Ce qui n’a pas empêché la manifestation mémorable du 16 janvier de la même année réunissant un million de personnes à Paris.

La laïcité est évidemment partie prenante des institutions. J’ai rappelé à ce sujet l’article Ier de la constitution, mais aussi les exceptions nombreuses au principe de laïcité et le comportement des plus hautes autorités de l’État, notamment le discours de Latran du président de la République.

La laïcité joue un grand rôle dans la dynamique de la citoyenneté

Elle est inévitablement évoquée dans la crise en relation avec la relativisation de l’État-nation, la dénaturation de la notion de classe, les transformations spatiales, l’évolution des mœurs et l’affaiblissement des idéologies messianiques. La crise a néanmoins l’aspect positif de renvoyer la responsabilité d’une recomposition vers le citoyen. Car la laïcité c’est aussi l’apprentissage de la tolérance et l’exercice de l’esprit critique. D’àù l’idée de « génome de citoyenneté » que je développe dans mon, Que sais-je ? sur « La citoyenneté »

Cette dynamique s’inscrit aujourd’hui dans un contexte international et mondia comme en ont témoigné, il faut le dire à notre surprise heureuse, les soul§vements de Tunisie et d’Égypte.

La laïcité a-t-elle vocation à l’universalité ?

L’émergence de dimensions transnationales de la citoyenneté défie le principe de laïcité, la France étant le seul pays à le mentionner formellement dans sa loi suprême, même si des dispositions peuvent être regardées comme équivalentes dans certaines constitutions (Portugal, par exemple).

Le débat sur les racines chrétiennes de l’Union au moment de l’élaboration de la Charte des doits fondamentaux a traduit une inclination en faveur du maintien d’une imprégnation religieuse. L’un des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme indique que la liberté de religion représente « l’une des assises d’une société démocratique ».

Si la notion de laïcité est peu présente dans les textes et que les relations entre les États et les églises soient d’une extrême diversité (séparation, concordats, églises officielles) on assiste dans l’Union européenne à une convergence progressive des règles : non-intervention de l’État, liberté religieuse, pas d’interférence juridique.

La problématique des droits de l’homme incline davantage à la reconnaissance des libertés de la personne qu’à celle de la neutralité des instances publiques qui présentent aujourd’hui de fortes inégalités quant à leurs rapports avec les religions. Elle invite néanmoins à combattre les discriminations.

La charte des Nations Unies ne mentionne pas expressément le principe de laïcité, mais elle bannit toute discrimination fondée sur la race, le sexe, la langue ou la religion et fonde la coopération internationale en son article 55 sur « le respect universel et effectif des Droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous «

Il reste toutefois, qu’à l’évidence, la laïcité serait de nature à créer les condition de résolution s de nombreux conflits dans le monde (Balkans, Moyen-Orient, Afrique, etc.). C’est donc aussi un enjeu important de la mondialisation.

La Commune de Paris -Hors série l’Humanité

En 1871, les Communards avaient innové en offrant de nouveaux pouvoirs aux citoyens, garants d’une démocratie plus directe : révocabilité des élus, mécanismes autogestionnaires, etc. N’y a-t-il pas à s’inspirer des principes de pouvoir populaire de la Commune pour faire progresser la démocratie et l’implication citoyenne ?

Il convient tout d’abord de préciser que la Commune n’avait pas les moyens de mettre sur pied en 72 jours un nouveau type d’État puisque le centre de celui-ci se trouvait à Versailles. En revanche,les communardss ont puissamment innové dans le traitement des services publics en veillant à leur protection et à leur bon fonctionnement. On évoquera notamment une gestion scrupuleuse des finances publiques, une attention particulière à l’approvisionnement en vivres, à la santé, à l’hygiène, à l’incendie, à la continuité des services de la poste, du télégraphe, des chemins de fer, des monnaies et médailles. Tout cela avec une préoccupation constante de l’intérêt général, du principe d’égalité et d’une grande exigence de responsabilité. Ils ont multiplié des comités d’initiative dans toutes ces activités, en particulier dans l’administration. Ils se sont occupés aussi de la hiérarchie des normes juridiques, de l’élaboration et de la codification d’une législation du travail débouchant sur la création d’un ministère de ce nom. René Bidouze souligne qu’il est peu contestable qu’une véritable « morale révolutionnaire » a inspiré ces choix (1) .La démocratie participative fait aujourd’hui consensus à droite comme à gauche. S’agit-il d’un gadget réservé à des déclinaisons locales, ou au contraire d’une véritable avancée démocratique.


La démocratie participative fait aujourd’hui consensus à droite comme à gauche. S’agit-il d’un gadget réservé à des déclinaisons locales, ou au contraire d’une véritable avancée démocratique
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Les communards n’ont pas eu besoin du concept pour pratiquer une solidarité populaire active. La démocratie participative est sympathique si l’on veut dire par là, ce qui est éminemment souhaitable, que toutes les citoyennes et tous les citoyens doivent être actifs dans la cité. C’est une idée suspecte si elle tend insidieusement à mettre en accusation la démocratie représentative et à escamoter le débat sur le droit, les institutions et l’État. La vogue de la démocratie participative se trouve plus généralement validée dans le cadre de la politique dite du care chère à Martine Aubry. Là aussi, qui peut être contre davantage d’attention accordée à l’autre ? Mais n’est-ce pas aussi un moyen d’esquiver les questions d’une transformation structurelle, fondamentale de la société ? De préférer l’individu au citoyen, le contrat ou l’arrangement à la loi, l’expert au militant, la morale à la politique ? Tout cela nappé de compassion et des meilleurs sentiments dans une réprobation feinte de la politique, l’abandon du débat idéologique et le renoncement à toute définition d’une stratégie de remplacement du capitalisme.

On a vu que le mandat de Nicolas Sarkozy a été marquée par une dérive très personnelle du pouvoir, appelée communément hyper-présidence. S’agit-il de la dérive d’un homme ou celles d’institutions qui ont accordé une place disproportionnée au pouvoir présidentiel ? Partagez-vous l’idée de la convocation d’une Constituante pour changer de République ?

La France est un véritable laboratoire institutionnel : quinze constitutions en deux siècles selon deux lignes de forces : la première démocratique, issue des Lumières avec comme référence la constitution montagnarde du 24 juin 1793, dans laquelle la Commune de Paris s’inscrit de manière significative ; la seconde césarienne avec la constitution de Louis Napoléon Bonaparte du 14 janvier 1852. La Ve République était un hybride de ces deux tendances à l’origine, on parlait alors de « parlementarisme rationalisé ». Elle est devenue « monarchie aléatoire » au moment des cohabitations. Elle connaît aujourd’hui une « dérive bonapartiste ». Le ver du présidentialisme était dans cette constitution dès l’origine, mais il s’est révélé de manière particulièrement extravagante avec ce dernier président. Pour autant, je ne fais pas mienne la revendication d’une VIe République parce que, réclamée de l’extrême gauche à l’extrême droite on ose espérer que ce l’est pas la même ; parce que la plupart des prohets qui s’en réclament se caractérisent surtout par leur insuffisance ; parce qu’il n’y a jamais eu dans notre pays de changement de République sans le drame et le sang. Il faut donc être sérieux. La revendication d’une constituante participe dans une certaine mesure de ce laisser-aller institutionnel même si la question peut se poser un jour si les évènements créent une nouvelle donne, comme en Tunisie par exemple. Aujourd’hui, commençons par répondre clairement à trois questions. Premièrement, quelle place au référendum dans la démocratie directe ? Je suis pour en limiter le recours à la matière constituante. Deuxièmement, quel type d’institutions ? Jed fais le chox du régime parlementaire fondé sur un mode de scrutin proportionnel où le gouvernement, responsable devant l’Assemblée, détermine et conduit la politique de la nation. Troisièmement, quel rôle pour le président de la République ? Il faut abroger son élection au suffrage universel et réduire ses pouvoir à une fonction symbolique.

La Commune s’est singularisée pour ne s’être pas limité à inventer une démocratie citoyenne face à l’autoritarisme des régimes en place, elle a favorisé la mise en place d’une démocratie complète, en ouvrant des droits sociaux et économiques. Cette conception n’est-elle pas résolument moderne à l’heure où les actionnaires semblent dicter leur loi à l’économie ?

La contribution de la Commune sur la question de la citoyenneté est essentielle. D’abord, parce qu’elle en a souligné le caractère avant tout politique, reprenant ainsi à son compte l’héritage de la Révolution de 1789 (« Ici on s’honore du titre de citoyen et on se tutoie ! »). Ensuite, comme je l’ai rappelé ci-dessus en accordant la plus grande importance aux questions économiques, veillant à répondre aux besoins de la population sur une base égalitaire, en renforçant les garanties individuelles et collectives au travail, en développant les services publics. Enfin en nourrissant de manière concrète l’idée de République sociale dans laquelle l’économie du profit cèderait la place à l’économie des besoins. Faut-il rappeler que la Commune, non seulement avait développé les secours en faveur des plus nécessiteux, mais qu’elle avait aussi entrepris de limiter les plus hauts salaires et de relever les plus bas au-dessus d’un minimum imposé. Nous sommes là en pleine actualité.

L’irruption populaire est souvent perçue comme un facteur de désordre et de perturbation de la légitimité démocratique d’un gouvernement à agir. Pourtant, n’est-ce pas à une insurrection civique que la gauche devrait appeler face à l’abstention et la désillusion qui menace de faire le jeu de l’extrême droite ? N’est-ce pas cette capacité à s’appuyer sur le peuple qui a manqué aux différents gouvernements de gauche pour oser s’attaquer aux puissances d’argent ?

La citoyenneté ne se décrète pas . Le peuple français est aujourd’hui en grande souffrance et en perte de repères après l’échec du XXe siècle « prométhéen », comme on avait dit des communards qu’ils montaient « à l’assaut du cierl ». Il reste pour autant un peuple très politique mais sans perspectives. La décomposition sociale est profonde et nous nous trouvons dans une situation qu’Alfred de Musset caractérisait ainsi en 1836 dans L confession d’un enfant du siècle : « On ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris ». Bien entendu l’appel au civisme est utile et l’abstention doit être conjurée autant que possible. Dans le même esprit, on peut comprendre les appels à l’indignation et à la révolte, y compris individuelle. Mais cela ne doit pas masquer que la carence est avant tout idéologique et politique. Il faudrait retrouver une capacité de novation comparable à celle des communards sur un certain nombre de questions-clés comme : le service public, la propriété publique, l’immigration et l’asile, la laïcité, la démocratie locale, les institutions et, bien sûr, la mondialisation.

A la lumière de la crise actuelle du capitalisme, comment le politique peut-il reprendre le pouvoir sur le financier ? N’y a-t-il pas des droits nouveaux à accorder aux citoyens et aux travailleurs dans leur ensemble pour le permettre ?

L’expérience montre qu’il ne faut pas tout attendre de l’octroi de droits nouveaux. Certes, il y a encore beaucoup de droits et de libertés à conquérir, mais c’est la volonté de forger un destin qui est déterminante. Cette aspiration a traversé les XIXe et XXe siècle avec la socialisme en perspective. C’est cette perspective qu’il faut refonder en tirant les leçons de l’expérience et les enseignements des échecs. Camper sur des dogmes est une impasse, mais pratiquer la fuite en avant dans le réformisme pour éviter de prendre position sur les transformations structurelles indispensables ne peut conduire qu’à de nouvelles d ésillusions. Il faut donc remettre l’ « hypothèse socialiste » sur le chantier avec pour fondamentaux : l’appropriation sociale, la démocratie institutionnelle et la citoyenneté. (2)(

 

(1) R. Bidouze; 72 jours qui changèrent la cité, Le temps des cerises.

(2) A. Le Pors, La citoyenneté, PUF; coll. Que sais-je ?, 4_ éd. 2011

 

 

Ne pas transiger avec la laïcité – l’Humanité Dimanche, 9 mars 2011

La laïcité est aujourd’hui mise en difficulté de droite comme de gauche. Certains éprouvent le besoin de lala qualifier de « positve », d’ « ouverte », de « raisonnée », comme si elle n’avait été jusque là que négative, fermée et fantaisiste. D’autres suggèrent qu’il y aurait plusieurs laïcités possibles : autoritaire, séparatiste, anticléricale et que chacun pourrait retenir l’acception qui lui conviendrait. Sous différents angles, c’est le principe de laïcité que l’on dénature par volonté délibérée ou renoncement idéologique. Comment s’étonner dans ces conditions que le Front national, jusque-là soutien inconditionnel de l’intégrisme catholique, fasse irruption sur un terrain aussi mal entretenu pour dénoncer, au nom de la laïcité, l’ « islamisation » de la France, stimulant du même coup les pulsions anti-laïques des divers communautarismes ?

Il convient, dans ces conditions, de rappeler tout d’abord que la laïcité n’est pas affaire de circonstances. Le principe à émergé en France d’une sécularisation progressive du pouvoir politique, d’un détachement d’avec le Ciel consacré par la Révolution française. Tout au long du XIXe siècle, les luttes pour une République démocratique et sociale, voire,pour le socialisme, ont souvent été conduites avec la volonté de dégager les perspectives de transformation politique de toute imprégnation religieuse malgré de farouches résistances de l’Église et des forces conservatrices. Dans le même temps où l’École française du service public théorise cette notion à la fin du siècle, surviennent les grandes lois sur l’enseignement public : monopole de l’État sur la collation des grades (1880), instruction obligatoire et gratuite (1882), suivies de la lettre de Jules Ferry aux instituteurs du 27 novembre 1883 évoquant pour la première fois « la cause de l’école laïque ». La loi du 9 décembre 1905 relative à « la séparation des Églises et de l’État » posera des principes qu’il convient toujours de rappeler en ce qu’ils ont d’essentiel et que les partisans de la réforme de la loi voudraient dénaturer : « Art. 1er : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. – Art. 2 : La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (…) ».

Ces principes, parfaitement clairs, ont été fermement appliqués pendant la première moitié du XXe siècle, l’instituteur « hussard noir » de la République étant l’acteur symbolique de cette affirmation. De nombreuses dérogations existaient néanmoins qui n’ont cessé de s’étendre : concordat de l’Alsace-Moselle, jours fériés et chômés d’origine catholique, financement public des écoles privées par la loi Debré de 1959 intégrant à l’Éducation nationale les établissements privés sous contrats d’association. La loi d’orientation sur l’éducation du gouvernement Jospin du 10 juillet 1989, dans l’intention d’ouvrir l’école sur le monde, prévoit que « dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement ». Ces dispositions libérales seront bientôt confrontées au port du « voile islamique » au sujet duquel le gouvernement sera amené à demander un avis au Conseil d’État.. Celui-ci rappellera les deux principes fondamentaux de la loi de 1905 : liberté de conscience et neutralité de l’État, en précisant que l’exercice de la liberté excluait le port de signes ostentatoires et les actions de prosélytisme.

Dès lors, la question du traitement de l’islam en France au regard du principe de laïcité ne quittera pas l’actualité, occultant le fait que les difficultés rencontrées dans le passé avec les autres religions n’avaient pas été moindres. Il est bien vite apparu que l’avis du Conseil d’État ne suffirait pas, Les chefs d’établissements chargés de sanctionner les atteintes au service public de l’éducation et les risques encourus par les personnes n’étaient pas en mesure d’assumer cette responsabilité pour plusieurs raisons ; annulation de règlements intérieurs jugés excessivement rigoureux, décisions contradictoires des juridictions administratives, soutien insuffisant de la hiérarchie. Ces difficultés eurent pour effet de renforcer le courant des partisans du recours à une réglementation générale plus sévère.

Ce fut l’objet d’une circulaire Bayrou en 1994 qui resta sans effet, puis de la constitution de la commission Stasi en 2003 dont les conclusions accrurent la confusion et les risques de nouvelles atteintes à la laïcité. Les dérogations au principe de laïcité y étaient minimisées, il était affirmé que le temps de la « laïcité de combat » était dépassé, mais surtout le rapport avançait un nouveau principe : la responsabilité selon lequel il incomberait à l’État d’assurer un traitement égal des différentes religions , avec pour conséquences : l’extension des contrats d’association, de nouveaux jours fériés et des aumôniers pour les différentes confessions, la création d’une école nationale d’études islamiques. Le soi-disant principe d’égalité invoqué était, à l’évidence, contraire à la loi de 1905, puisque la République ne reconnaissant aucun culte ne peut avoir la responsabilité d’assurer l’égalité entre eux.

Tout cela préparait en fait le terrain de la loi du 15 mars 2004 prohibant en milieu scolaire public des tenues ostentatoires. Cette loi était la reconnaissance d’un échec des pouvoirs publics qui n’étaient pas parvenus à imposer une pratique conforme à la laïcité par la conviction avec l’aide de la jurisprudence. Elle concentrait sur de toute jeunes filles la contradiction entre l’État et la tradition familiale, elle courait le risque de voir le problème se déplacer dans l’espace public. C’est ce qui s’es passé avec l’affaire du « voile intégral » (burqa ou niqab). En dépit du très faible nombre de cas rencontrés, la loi du 10 octobre 2010 a interdit la dissimulation du visage dans l’espace public. Le même résultat aurait pu être obtenu par de strictes réglementations locales et une action d’éducation appropriées : on ne combat réellement un obscurantisme religieux que par des idées d’émancipation, ce qui n’exclut pas la fermeté dans l’application des règles. La loi a été reçue comme une stigmatisation de tous les musulmans, contrariant de ce fait l’expression des progressistes en leur sein. Ces deux lois ont eu, en outre, un effet pervers : une fois promulguées, il est devenu délicat de demander leur abrogation sans que cela apparaisse comme un recul de la laïcité.

Les difficultés rencontrées par la laïcité face à l’Islam ne doivent pas être exagérées : des solutions pacifiques ont généralement été trouvées concernant les cimetières, les abattages rituels, voire les lieux de culte. Il est aussi permis de se demander si la stigmatisation médiatique de l’Islam ne sert pas également à faire diversion à des atteintes plus générales à la laïcité. On se souvient du discours de Latran de Nicolas Sarkozy en décembre 2007 : « L’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur … ». La reconnaissance ostentatoire des représentations confessionnelles catholique, juive,islamique est tout à fait abusive. Les aides financières à l’enseignement privé ont été étendues : la loi Carlee de 2009 a fait obligation aux maires de financer la scolarité d’enfants inscrits dans un établissement scolaire privé situé en dehors de sa commune ; alors que les postes de l’enseignement privé représentent 17 % du total des postes de l’éducation nationale, la révision générale des politiques publiques (RGPP) ne les frappe qu’à hauteur de 10 %. Enfin, un décret du 16 avril 2009 a publié l’accord intervenu entre la République française et le Saint Siège permettant à l’Eglise catholique de participer à la collation de grades et diplômes en infraction caractérisée avec le principe posé en 1880.

La laïcité est également en danger en raison de la faiblesse des réactions des forces qui lui sont traditionnellement attachées, expression d’un désarroi dans la situation actuelle de perte des repères. Les rapports Stasi et Machelon (appelant au soutien des cultes de l’Islam et de l’Église évangélique) ont été faiblement contestés. Un groupe de travail du Haut Conseil à l’intégration est actuellement à la recherche d’un consensus républicain « a minima ». Mais c’est surtout du côté des collectivités territoriales que se produisent les « dérapages » les plus importants. Déjà un projet gouvernemental d’élargissement du financement des établissements religieux par les collectivités territoriales avait été avancé 1993, aussitôt mis en échec par une décision du Conseil constitutionnel et une manifestation de plus d’un million de personnes à Paris le 16 janvier 1994. Aujourd’hui, des financements publics multiples reposent sur deux confusions volontairement entretenues. D’une part l’assimilation du culturel au cultuel, notamment lorsqu’ils coexistent en un même lieu. D’autre part en interprétant la disposition de l’article 1er de la loi de 1905 : « L’a République … garantit le libre exercice des cultes … », comme une obligation de moyens de l’État, nonobstant l’article 2 qui écarte toute subvention à un culte. Ces pratiques sont illégales et ceux qui les approuvent et les soutiennent en votant les crédits correspondants justifient, par là, la proposition de ceux qui veulent modifier la loi de 1905 afin de légaliser de telles pratiques inadmissibles. Il y a donc nécessité de réaffirmer les bases du combat laïque.

La laïcité est une dimension« transversale » de la citoyenneté, tant en ce qui concerne ses valeurs, son exercice que sa dynamique . Elle est évidemment présente dans l’intérêt général et le service public, non seulement en raison de la place qu’y occupe l’éducation nationale, mais plus généralement parce qu’elle fonde les statuts des fonctionnaires et des autres agents sous statuts. Elle suppose l’égalité des citoyens hors des particularismes communautaires et est, avec le droit du sol, à la base du modèle français d’intégration. Elle est au cœur d’une éthique de la responsabilité qui exclut tout déterminisme de nature transcendantale.

Mais comme en ont témoigné les évènements survenus récemment dans les pays arables, la revendication de laïcité dépasse le cadre national. Certes, d’une manière générale, l’accent est davantage mis sur la liberté de conscience que sur la neutralité de l’État dans la Charte des Nations Unies ou les différentes déclarations des droits de l’homme. Au sein de l’Union européenne, seule la France en a inscrit le principe dans sa constitution, même si des pays ont retenu des règles qui vont en ce sens. Mais si la notion de laïcité est peu présente dans les textes et que les relations entre les États et les églises soient d’une extrême diversité (séparation, concordats, églises officielles) on assiste néanmoins dans l’Union à une convergence progressive des règles : non-intervention de l’État, liberté religieuse, pas d’interférence juridique.

Parce que le monde change, parce que le sens de ce changement doit être guidé par la raison, parce que la laïcité c’est la liberté et le respect condition de la paix, elle a vocation à l’universalité. La laïcité est et demaure un combat.

La laïcité, un enjeu – CIDEFE, 10 février 2011

La laïcité court aujourd’hui un grand risque de confusion, d’altération et, par là de régression.

Certains éprouvent le besoin de la qualifier de positive (Nicolas Sarkozy), ou d’ouverte (Marie George Buffet) comme si elle n’était jusque-là que négative et fermée.

D’autres tiennent à caractériser plusieurs laïcités en fonction des conjonctures géopolitiques : séparatiste, autoritaire, anticléricale, etc. La laïcité serait alors une notion ambivalente ( Laïcités sans frontières de Jean Baubero et Micheline Millet).

Le Front national, de son côté, en fait une argument, à contre-pied de ses fondements idéologiques, en réalité une arme contre « l’islamisation » de la société.

Ol est donc nécessaire de faire le point sur ce concept qui émerge de notre histoire comme principe fondamental de notre société (I), qui aujourd’hui comme hier est à l’épreuve des problèmes de la société (II), mais qui dans cette épreuve également pose la question de son rôle dans la construction de la citoyenneté et l’hypothèse de son caractère universel (III)
I. L’affirmation historique du principe de laïcité

Il s’agit d’un mouvement général des sociétés qui s’inscrit, en France, dans des circonstances particulièrement significatives.

Le « désenchantemen »t du monde

L’affirmation de la laïcité comme principe s’inscrit dans l’histoire longue, pluriséculaire. Celle-ci peut être décrite comme une succession de modes de production. C’est le niveau des techniques qui prévaut dans cette analyse caractéristique de la pensée marxiste.

Dans son ouvrage Le désenchantement du monde (qu’il faut comprendre comme la sortie de la société du monde des croyances ou des superstitions qui l’enchantaient) , Marcel Gauchet analyse le long effort des sociétés pour s’affranchir de toute vision transcendantale. Mouvement qu’il décrit comme celui de l’hétéronomie (une société sacralisée par le droit divin) vers l’autonomie (affirmation de droits de l’individus et de l’État). Son raisonnement est, en résumé, le suivant.

En premier lieu, après des siècles de dogmatisme religieux, à la fin du Moyen Âge, s’amorce la sortie de la religion, la disjonction d’avec le Ciel. La monarchie absolue tend à séculariser le pouvoir politique.

En deuxième lieu, se produit une dépossession de l’incarnation individuelle en la personne du monarque au profit de la collectivité dans le cadre du contrat social développé par Jean-Jacques Rousseau, contrat social qui conduit à une auto-construction de la personne publique remplaçant celle du monarque ; c’est l’affirmation progressive de la nation dont la souveraineté est une version de la souveraineté du peuple adossée à la continuité de la tradition.

En troisième lieu, on assiste ensuite à l’affirmation corrélative et conjointe des droits individuels et de l’État, instrument représentatif de l’entité politique qu’est la nation. Mais l’État n’est pas soluble dans les droits individuels et ces deux entités ne tardent pas à s’affronter : droits individuels contre volonté générale exprimée par la loi.

En quatrième lieu, sous l’effet de ce mouvement et du développement des forces productives, essentiellement au XIXe siècle, l’affirmation d’une historicité de la société développée pose la question de son avenir et de la façon de le construire. La dialectique de l’individuel et du collectif conduit à la dissociation de l’État et de la société et à l’intervention de catégories sociales, voire de classes ou et de masses. La prévalence recherchée de la raison nourrit l’idée d’un changement de société par la réforme ou la révolution.

En cinquième lieu, cette expérience débouche donc sur une crise de civilisation. Car l’action des masses ne s’est pas dépouillée du sacré, ce qui a conduit en leur nom à des démarches totalitaires dans l’expression de l’historicité, à la constitution de « religions séculières ». La chute des totalitarismes sape les bases de l’intérêt collectif au nom de la liberté.

L’affirmation du principe en France

Le « désenchantement » est donc une longue marche que l’on peut «baliser » dans notre histoire de France par quelques dates.

Philippe Le Bel installe en 1309 le pape Clément V en Avignon en réplique au prédécesseur de ce dernier, Boniface XIII, qui prétendait affirmer la supériorité du pape sur les rois. Il s’agit là d’un acte fort de sécularisation du pouvoir politique et de séparation de l’État et de l’Église. Il institue également le Conseil d’État du roi contribuant à un clivage franc public-privé.

Pendant tout le Moyen Age l’asile était le monopole de l’Église qui pouvait l’accorder dans ses dépendances à qui elle voulait pour quelque raison que ce soit (Notre Dame de Paris de Victor Hugo) avec la possibilité d’excommunier le souverain qui portait attente à ce monopole. Mais progressivement les autorités religieuses elles-mêmes réduisirent leurs compétences en la matière et, en 1539, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, François Ier abolit l’asile en matière civile.

Les guerres de religions vont créer de profonds bouleversements (la St Barthélemy en 1572) et poser la question des rapports de l’Église et de l’État marquées par l’Édit de Nantes en 1598 et son abrogation en 1685.

La Révolution française de 1789 constitue une étape marquante de la sécularisation du pouvoir politique avec la Constitution civile du clergé dès 1789, la confiscation de ses biens, en dépit de la tentative de reconstitution religieuse sécularisée avec le culte de l’Etre suprême assimilé au culte de la Raison. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »

Le XIXe siècle qui portera à son origine la marque du Concordat conclu avec la papauté par Napoléon et Pie VII en 1801, verra les aspirations républicaines et socialistes caractérisées par une volonté de rationalisation de la démarche émancipatrice dominée par le marxisme (Manifeste du parti communiste en 1848) tendant à dégager le mouvement social de l’imprégnation religieuse.

Et c’est ainsi que l’on parvient aux grandes lois sur la laïcité : loi du 18 mars 1880 sur la collation des grades à l’État, loi du 28 mars 1882 établissant la gratuité et l’obligation de l’enseignement sans évoquer pour autant la notion de laïcité. « La cause de l’école laïque » figurera dans la lettre de Jules Ferry aux instituteurs du 27 novembre 1883. La loi du 9 décembre1905 « concernant la séparation des Églises et de l’État » posera les deux fondements de la laïcité : liberté de conscience et neutralité de l’État. Le mot c’est introduit dans la constitution qu’en 1946, Il figure dès l’art. 1er de la constitution de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
II. La laïcité à l’épreuve des problèmes d’aujourd’hui

Il est utile, alors qu’aujourd’hui certains proposent de réformer la loi de 1905, de citer ses deux premiers articles :

« Article 1er – La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.

Article 2 – La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. (…) »

Une dénaturation du concept

Jusqu’à la deuxième guerre mondiale prévaut la vigilance dans la défense des règles ainsi posées, la figure de l’enseignant de l’instruction publique, le « hussard noir » de la République, symbolisant cette posture républicaine marquée par de nombreux exemples (interdiction faite par Clemenceau aux membres du gouvernement d’être présents au Te Deum célébré à Notre Dame pour la victoire de la guerre 1914-1918).

Néanmoins les exceptions à la règle de neutralité sont nombreuses : situation concordataire de l’Alsace-Moselle, financement public des écoles privées (loi Debré du 31 décembre 1959 intégrant à l’Éducation nationale les établissements privés sous contrats d’association), jours fériés et chômes d’origine catholique, jusqu’au décret du 16 avril 2009 publiant l’accord conclu entre la République française et le Saint Siège sur la reconnaissance des grades et diplômes de l’enseignement supérieur nonobstant le monopole posé par la loi de 1880.

La loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 (loi Jospin) propose- sans doute marquéee par l’esprit des événements de 1968 – une ouverture sur le monde du milieu scolaire que traduit cet alinéa de l’article 10 : « (…) Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement. (…) »

La même année, un avis demandé au Conseil d’État par le ministre de l’Éducation nationale sur la question du port du voile islamique à l’école conduit le Conseil à préciser les conditions d’application du principe de laïcité : celui-ci est fondé à la fois sur la liberté de conscience et la neutralité de l’État. L’exercice de la liberté exclut le prosélytisme et le port de signes ostentatoiress. En cas de contradiction des principes, on a recours à la notion d’ordre public.

La laïcité et l’islam

La portée de cet avis était générale, mais en fait elle a concerné, dans l’opinion la question de l’application du principe de laïcité à la pratique le l’Islam, comme le principe avait eu à connaître antérieurement des conditions d’application vis-à-vis des autres religions. L’interdiction de signes ostentatoires ou d’actions de prosélytisme devait être mis en œuvre au cas par cas et ne pouvait faire l’objet d’une interdiction générale en vertu d’un autre principe prohibant toute interdiction de portée générale en matière de police administrative. Ainsi, il n’était pas possible d’inscrire une interdiction générale de signe ostentatoire dans un règlement intérieur d’un établissement scolaire sans trouble caractérisé au service public ou atteinte spécifiée à l’intégrité des élèves.

Cette orientation a connu de sérieuses difficultés d’application. Elle faisait en effet peser sur les chefs d’établissements la lourde responsabilité de caractériser les infractions ; ils n’ont d’ailleurs pas toujours été activement soutenus par leur administration. Les décisions des juridictions administratives ont pu apparaître contradictoires. Les efforts de la jurisprudence pour répondre aux difficultés, tout comme les dispositions coercitives de la circulaire Bayrou du 20 septembre 1994 sont apparues insuffisantes devant la revendication croissante d’une loi sur le sujet.

La commission Stasi, constituée en 2003 pour faire des propositions sur le sujet a plutôt accru la confusion. Le principe de neutralité y est abordé de manière défensive. Les exceptions au principe de laïcité sont minimisées. Il y est affirmé que le temps de la « laïcité de combat » est dépassé. Surtout le rapport ajoute aux principes de liberté de conscience et de neutralité de l’État un autre principe : la responsabilité qui lui incomberait à l’État d’assurer un traitement égal des options religieuses avec des conséquences (extension des contrats d’association, aumôneries, jours fériés pour les différentes confessions, création d’une école nationale d’études islamiques, etc. ) manifestement contraires à la loi de 1905 qui affirme que la République ne reconnaît aucun culte.

Un certain nombre d’objections pouvaient être opposées à la loi du 15 mars 2004 prohibant en milieu scolaire public le port de signes et de tenues conduisant à se faire connaître immédiatement par son appartenance religieuse (voile, kippa, grande croix …) : le risque de tirer de la référence à’un texte religieux pour fonder l’négalité femme-homme, l’aggravation de la condition sociale de jeunes filles, la multiplication des interdits. Mais une fois l’entrée en vigueur de la loi, il est plus difficile de la contester sans que cela apparaisse comme un recul de la laïcité.

La question pour autant n’a pas disparu de l’espace public. Elle s’est déplacée avec la question du « voile intégral », niqab ou burqa en dépit du caractère très minoritaire de ces manifestations. La loi du 10 octobre 2010 a interdit la dissimulation du visage de l’espace public. Le traitement par la loi de cette question est critiquable : on ne combat un obscurantisme que par la contestation idéologique et politique, la stigmatisation du monde musulman est inévitable et contrarie l’expression de la laïcité en son sein, il s’agit à l’évidence d’une manipulation politique pour brouiller le clivage droite-gauche par le moyen d’une excitation passionnelle.

Dans le même temps des solutions pacifiques sont généralement trouvées concernant : les carrés musulmans dans les cimetières, les abattages rituels, les lieux de culte, etc.

La laïcité en difficulté

Les problèmes rencontrés aujourd’hui par la laïcité ne sauraient se réduire à ses relations avec l’islam dont on peut penser qu’ils servent même à occulter une véritable offensive contre cette spécificité de l’identité nationale. La situation est aggravée par un certain désarroi des forces laïques affectées par la confusion précédemment relevée.

L’inspiration de l’offensive anti-laïque est clairement affichée par nombre de déclarations du président de la République et notamment celle de Latran du 20 décembre 2007 : « l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, car il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ».

La représentativité officiellement reconnue à certaines organisations confessionnelles (CRUF, UOIF) est contraire à la loi de 1905 . L’instrumentalisation de la laïcité par le Front national, par le discrédit qu’elle risque de faire subir au concept, est de nature à faire le jeu des communautarismes ethniques et religieux anti-laïques ; elle vient objectivement à l’appui de la démarche sarkozyste. La campagne sur l’identité nationale ostensiblement dirigée contre l’étranger avait le même but.

Les atteintes à la laïcité sont aussi financières. Depuis longtemps l’enseignement privé sous contrat a reçu d’importants soutiens financiers. Dans la dernière période, on peut aussi citer : la loi Carrez de 2009 qui a fait obligation aux maires de financer la scolarité d’enfants souhaitant s’inscrire dans des établissements scolaires privés hors de la commune ; la RGPP épargne les établissements privés sous contrat qui représentent 17 % des postes mais ne connaîtront que 10 % des réductions.

Mais l’aspect le plus caractéristique de la situation actuelle est la faiblesse de la réaction des forces de la laïcité. Certes, des associations et les partis favorables à la laïcité ne manquent pas de réagir devant des atteintes caractérisées, mais les travaux d’approfondissement sont rares et les réfutations des rapports officiels (Stasi, Machelon) sont fables et souvent orientées vers la recherche d’un consensus républicain pauvre (groupe de travail du Haut Conseil à l’intégration). Une refondation du concept apparaît ainsi nécessaire.


III. La laïcité, du pacte républicain à la vocation universelle

Les questions qui se posent aujourd’hui sont, d’une part celle de la place de la laïcité dans la formation de la citoyenneté telle qu’elle s’est forgée en France au cours de notre histoire, d’autre part de savoir si cette conception peut prétendre à l’universalité

La laïcité composante majeure de la citoyenneté

Rien ne justifie aujourd’hui que l’on affaiblisse ou que l’on renonce aux deux piliers de la laïcité : liberté de conscience et neutralité de l’État.

Mais le principe de laïcité peut aussi être considéré comme une composante de la citoyenneté, mais on peut tout autant le regarder comme inspirant la totalité de la problématique de la citoyenneté. La laïcité a un caractère « transversal », tant en ce qui concerne les valeurs, les moyens et la dynamique de la citoyenneté.

Il n’y a pas de citoyenneté sans valeurs reconnues par la communauté des citoyens.

La laïcité est évidemment au cœur de notre conception de l’intérêt général déterminé par le débat démocratique, du service public théorisé en France dès la fin du XIXe siècle, de la fonction publique dont le statut s’est explicitement fondé sur des principes républicains.

Elle suppose l’égalité des citoyens. C’est la laïcité qui fonde l’extraction des citoyens de tous les particularismes communautaires établis notamment sur l’ethnie ou la religion, l’égalité homme-femme, le modèle d’intégration sur la base du droit du sol et non du sang. Il est juste que la France n’ait pas signé la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (avis du Conseil d’État du 6 juillet 1995) et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (avis du Conseil constitutionnel du 15 juin 1999).

Elle est au cœur de l’éthique de responsabilité en affirmant que les règles de la morale sociale ne relèvent ni d’un ordre naturel ni d’une transcendance, mais de la seule volonté des citoyennes et des citoyens.

Il n’y a pas de citoyenneté sans exercice effectif doté des moyens nécessaires.

La laïcité a évidemment joué un grand rôle dans le passage du sujet au citoyen et la définition de son statut individuel avec ses droits et ses devoirs. Elle favorise la prise en compte des dimensions économiques et sociales dans ce statut et le recours à la justice sociale plutôt qu’à l’assistance.

L’exercice de la démocratie locale conduit nécessairement à faire référence à la loi Falloux, aujourd’hui formellement abrogée depuis 2000. Je veux néanmoins rappeler la décision du Conseil constitutionnel du 13 janvier 1994 considérant notamment « qu’un financement plus libre des établissements privés par les collectivités territoriales est contraire au principe d’égalité et qu’il risquerait de mettre, dans certaines communes, les établissements privés dans une situation plus favorable que les écoles publiques, ce qui serait contraire à la laïcité en France ». Ce qui n’a pas empêché la manifestation mémorable du 16 janvier de la même année réunissant un million de personnes à Paris.

La laïcité est évidemment partie prenante des institutions. J’ai rappelé à ce sujet l’article Ier de la constitution, mais aussi les exceptions nombreuses au principe de laïcité et le comportement des plus hautes autorités de l’État, notamment le discours de Latran du président de la République.

La laïcité joue un grand rôle dans la dynamique de la citoyenneté

Elle est inévitablement évoquée dans la crise en relation avec la relativisation de l’État-nation, la dénaturation de la notion de classe, les transformations spatiales, l’évolution des mœurs et l’affaiblissement des idéologies messianiques. La crise a néanmoins l’aspect positif de renvoyer la responsabilité d’une recomposition vers le citoyen. Car la laïcité c’est aussi l’apprentissage de la tolérance et l’exercice de l’esprit critique.

Cette dybamique s’inscrit aujourd’hui dans un contexte international et mondial.

La laïcité a-t-elle vocation à l’universalité ?

L’émergence de dimensions transnationales de la citoyenneté défie le principe de laïcité, la France étant le seul pays à le mentionner formellement dans sa loi suprême, même si des dispositions peuvent être regardées comme équivalentes dans certaines constitutions (Portugal, par exemple).

Le débat sur les racines chrétiennes de l’Union au moment de l’élaboration de la Charte des doits fondamentaux a traduit une inclination en faveur du maintien d’une imprégnation religieuse. L’un des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme indique que la liberté de religion représente « l’une des assises d’une société démocratique ».

Si la notion de laïcité est peu présente dans les textes et que les relations entre les États et les églises soient d’une extrême diversité (séparation, concordats, églises officielles) on assiste dans l’Union européenne à une convergence progressive des règles : non-intervention de l’État, liberté religieuse, pas d’interférence juridique.

La problématique des droits de l’homme incline davantage à la reconnaissance des libertés de la personne qu’à celle de la neutralité des instances publiques qui présentent aujourd’hui de fortes inégalités quant à leurs rapports avec les religions. Elle invite néanmoins à combattre les discriminations.

La charte des Nations Unies ne mentionne pas expressément le principe de laïcité, mais elle bannit toute discrimination fondée sur la race, le sexe, la langue ou la religion et fonde la coopération internationale en son article 55 sur « le respect universel et effectif des Droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous «

Il reste toutefois, qu’à l’évidence, la laïcité serait de nature à créer les condition de résolution s de nombreux conflits dans le monde (Balkans, Moyen-Orient, Afrique, etc.). C’est donc aussi un enjeu important de la mondialisation.

Quelle visée communiste pour le XXI° siècle ? – 90ème anniversaire du PCF – espace Oscar Niemeyer – 11 décembre 2010

L’hypothèse socialiste nécessaire à la visée communiste

Le point de départ d’une telle interrogation est nécessairement de porter un jugement sur ce qu’a été la visée communiste du siècle précédent. Je veux simplement rappeler que, selon l’analyse marxiste classique, le communisme était le stade suprême d’un processus historique qui faisaient se succéder des modes de production par dépassement de leurs contradictions et qu’ainsi le communisme était le dépassement du socialisme principalement caractérisé par trois fondamentaux : la propriété collective des grands moyens de production, le pouvoir de la classe ouvrière et de sas alliés, l’émergence d’un « homme nouveau » à la fois acteur et conséquence des transformations structurelles précédentes. Le communisme était alors le stade où étaient surmontées les contradictions qui subsistaient sous le socialisme par : la disparition de classes antagoniques, le dépérissement de l’État, la création des meilleures conditions d’épanouissement de l’homme et de la société tout entière. Dans ce siècle « prométhéen » – l’expression est de René Rémond – ce schéma ne s’est pas accompli. La propriété collective a été accaparée par l’État, le pouvoir de la classe ouvrière s’est fourvoyé en nomenklatura, l’ « homme nouveau » n’a pas émergé. La visée communiste du XXe siècle a donc échoué. Pour ma part, je donne à cet échec un caractère expérimental, dans l’esprit où j’ai écrit il y a une quinzaine d’années Pendant la mue le serpent est aveugle, puis Éloge de l’échec et j’ai intitulé le chapitre central d’un dernier livre Éloge de la décomposition.

Mais on peut aussi partir de l’analyse directe du monde du notre époque. Celle-ci me semble pouvoir être caractérisée comme celle de l’avènement – sans précédent dans l’histoire – d’un « monde commun ». Et ce n’est pas le moindre paradoxe que ce monde commun s’affirme après que se soit effondré le mouvement communiste qui s’en réclamait. Monde commun par l’affirmation de valeurs universelles (la paix, la sûreté, le respect de la dignité humaine, etc.). Monde commun par l’ampleur des processus de globalisation (à commencer par la mondialisation du capital, mais aussi la prise en considération de la nécessité de la protection de l’écosystème mondial, l’organisation de la communication, de la circulation aérienne, etc). Monde commun par l’interdépendance des moyens mis en place (juridiques, politiques, culturels). Monde commun qui transparaît dans le vocabulaire (« Terre patrie » d’Edgar Morin, « Biens à destination universelle » de Vatican II, « Patrimoine commun de l’humanité », ou encore « Manifeste des biens de haute nécessité » des écrivains et poêtes Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant. Simultanément, avec cette révélation d’un exaordinaire potentiel d’humanisation, s’affirme la conscience de l’unité de destin du genre humain. Mais pour autant ce mouvement n’est assorti d’aucune théorisation ni d’aucune stratégie de conduite et de maîtrise.

Ainsi, l’échec conclut la première approche (la visée communiste du XXe siècle) et l’indétermination le seconde (celle de l’émergence du monde commun en ce début du XXIe siècle). Alors « Que faire ? » comme aurait dit un grand ancêtre.

Trois démarches peuvent être observées.

La première s’en tient à la visée communiste XXe siècle sur laquelle il n’y aurait pas lieu de revenir. Cette voie m’apparaît sans issue.

La deuxième est celle de la fuite en avant vers une idée du communisme non identifié, bannissant le moment du socialisme pour cause d’hérédité soviétique. Cette démarche entend fonder sa légitimité sur la célèbre phrase de Marx : « Le communisme, c’est le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses ». Je veux à ce propos rappeler que cette phrase est tirée d’une lettre circulaire de 1879 dans laquelle Marx met justement en garde contre une interprétation dogmatique des modes de production. Sortie de ce contexte, elle-même dogmatisée, cette phrase ne veut rien dire puisqu’elle est applicable à tout gouvernement. Le reproche majeur que l’on peut faire aux partisans de cette démarche c’est qu’elle les dispense de toute proposition sérieuse de transformation structurelle ; c’est donc une facilité.

Entre impasse et fuite en avant je choisis pour ma part de remettre sur le chantier le travail sur le processus, non pas de dépassement mais plutôt de remplacement du capitalisme en crise systémique par un socialisme identifié dans la perspective de cette visée communiste qu’il faut continuer de protéger, même si elle demeure aujourd’hui incertaine quant à son contenu. Reprenons les trois fondamentaux du socialisme précédemment évoqués pour, tirant les enseignements de l’expérience leur donnée sens dans les conditions de notre époque.

La propriété collective des grands moyens de production, d’échange et de financement
est tout aussi importante aujourd’hui que dans les années 1970 où nous proclamions : « Là où est la propriété, là est le pouvoir ! ». Les capitalistes en sont toujours convaincus, mais la proposition a pratiquement disparu ou n’erst formulée que dans une généralité inutile à gauche. Certes, il faut tirer les leçons des expériences en la matière, celle des nationalisations de 1982 notamment, correctement réalisées juridiquement par la loi du 11 février 1982, mais privées de finalités par le tournant libéral amorcé dès 1982, consacré en mai 1983, et coupées de l’intervention des travailleurs puisque la loi de démocratisation du secteur public n’est intervenue qu’en juillet 1983 (soit après le tournant libéral) tandis que les lois Auroux se sont étalées de 19821984. On doit donc en tirer la leçon qu’une appropriation sociale effective – formulation que j’utilise de préférence à la propriété publique – doit nécessairement être articulée à une économie des besoins effective et faire corps avec l’intervention des travailleurs dans la maîtrise de l’outil.

Le pouvoir de la classe ouvrière et de ses alliés
: cette formulation ne peut, à mon avis, être conservée en l’état. Elle était associée aux notions d’ « avant-garde » voire de « dictature du prolétariat » les premières abandonnées. Elle supposait que des moyens de droit soient conférés spécifiquement à la classe ouvrière pour asseoir son pouvoir à l’instar du pouvoir d’État de la bourgeoisie. Une telle conception est indéfendable aujourd’hui. À l’instar de Gramsci qui professait qu’une classe est révolutionnaire si elle est capable de prendre en charge les intérêts de la société tout entière, l État, comme l’intérêt général ou le service public sont des lieux de contradictions qu’il faut savoir investir. Ce qu’appellent les conditions actuelles, c’est que l’on dise quelle est la démocratie institutionnelle que l’on propose. La France dispose d’une riche expérience en la matière (quinze constitutions en deux siècles). Il ne s’agit pas d’élaborer un « projet constitutionnel » complet comme celui qu’avait adopté le parti communiste en décembre 1989 pour marquer le bicentenaire de la Révolution française. Il convient prioritairement de prendre position sur des questions institutionnelles essentielles : quelle démocratie directe (en précisant notamment la place du référendum, généralement de caractère plébiscitaire dans notre pays) ? quelle démocratie représentative (mode de scrutin, parité, cumul des mandats) ? quel exécutif (ce qui suppose aujourd’hui une position très claire sur l’élection du précisent de la République, en en tirant les conséquences). Resterait encore à traiter la question de la subsidiarité entre infra et supranational.

L’homme nouveau n’a pas émergé car il a surtout été considéré comme la conséquence des transformations structurelles et superstructurelles et non comme un objectif en soi. C’est pourquoi il convient de mettre la citoyenneté (plutôt que l’ « homme ») au cœur de la visée communiste. Là également nous avons en France un riche héritage. Des valeurs éprouvées par les luttes : une conception éminente de l’intérêt général, une notion de service public très élaborée, la laïcité à vocation universelle (et qu’il n’est nul besoin de qualifier), le modèle d’intégration fondé sur le droit du sol et l’égalité individuelle des citoyens et des citoyennes qui ne sauraient être enfermés dans des communautés. Nous disposons aussi de moyens de droit et des pratiques : un statut du citoyen avant tout politique (« Ici on s’honore du titre de citoyen et on se tutoie » proclamait-on pendant la Révolution) mais aux dimensions économique set sociales fortes, une démocratie locale active fondée sur de nombreux foyers d’intervention populaire, les références institutionnelles diversifiées que j’ai évoquées. La crise a un effet qui doit être mis a profit : elle renvoie la responsabilité de la recomposition vers le citoyen plutôt qu’il s’en remette par délégation au créateur de génie ou aux appareils. C’est dans cet esprit que j’ai parlé de « génome de citoyenneté ».

Appropriation sociale, démocratie institutionnelle, citoyenneté, tels me semblent être les fondamentaux d’une « hypothèse socialiste » ouvrant la voie d’une « visée communiste pour le XXIe siècle »,

Fonctionnaire : citoyen ou sujet ? (1) – FSU Aquitaine – Bordeaux, le 23 novembre 2010

A. FONCTIONNAIRE, QUELLE IDÉE !
UNE HISTOIRE, DES VALEURS, UN AVENIR

Si l’action au quotidien est indispensable, il est non moins nécessaire de prendre le temps de s’interroger sur les justifications fondamentales de cette action.

I. DES PRINCIPES ISSUS DE NOTRE HISTOIRE

1.1. L’intérêt général

Sur nombre de thèmes participant du débat politique actuel sont évoqués l’intérêt général, le service public, la fonction publique, idées qui se sont forgées au cours des siècles : évocation de la « chose publique par l’empereur Justinien dans son Digeste du début du VIe siècle, création du Conseil d’État du Roi sous Philippe Le Bel à la fin du XIIIe, notion de « bien commun défendu par le prince sous la monarchie, siècle, des intendants au XVe siècle, des ingénieurs des Ponts et Chaussées au XVIIe .. Les articles 1er et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sous la Révolution française évoquent l’ « utilité commune » et la « nécessité publique », sous la révolution de 1848 l’ « ordre général » et le « bien-être commun ». L’École française du service public va théoriser ces notions à la fin du XIXe siècle qui feront l’objet d’une abondante jurisprudence. Le statut général des fonctionnaires interviendra en 1946. Ces notions se sont incarnées dans des personnages historiques importants : de Richelieu à de Gaulle.

Les économistes néo-classiques ne sont parvenus à définir qu’un « optimum social », préférence révélée des consommateurs. Or, le citoyen ne se réduit pas au consommateur ni à au producteur.

Le juge administratif a considéré que c’était au pouvoir politique de le définir dans un débat démocratique. Il en a fait cependant usage mais de façon subsidiaire dans l’application du principe d’égalité. Il a su identifier des activités relevant de l’intérêt général.

Il siège dans les notions de déclaration d’utilité publique, d’ordre public. Les « actions positives » doivent être proportionnées à la différence des situations ou à l’intérêt général invoqué.

1.2. Le service public

C’était une notion simple à l’origine, telle que théorisée dès la fin du XIXe siècle : une mission d’intérêt général, une personne morale de droit public, un droit et un juge administratifs. La couverture devait se faire par l’impôt et non par les prix. On reconnaît des prérogatives de service public.

Une notion devenue complexe par interpénétration public-privé (régie, concession, délégation), hétérogénéité croissante, développement du secteur associatif. Le contrat le dispute à la loi.

La contradiction s’exacerbe dans le cadre de l’Union européenne dont les critères sont essentiellement économiques (« Économie de marché ouverte où la concurrence est libre et non faussée »), le service public est ignoré (sauf art. 93 du traite sur le fonctionnement de l’Union européenne – TUE). On ne retient que les notions de services d’intérêt économique général (SIEG) et de services d’intérêt général (SIG). La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) tend cependant à faire une place aux acticités d’intérêt général. À relever également que le régime de la propriété n’est pas préjugé (art. 345). L’attachement aux services publics a joué un rôle important dans le rejet du traité constitutionnel le 29 mai 2005. Depuis un protocole n° 26 au TUF a introduit la notion de service non économique d’intérêt général.

1.3. La fonction publique

Sous la monarchie, création d’une administration centralisée fortement structurée. Le principe hiérarchique est longtemps dominant. On assiste à la multiplication de règles jurisprudentielles et au rejet de la notion de « statut carcan » par les syndicats pendant la première moitié du XXe siècle. Le premier statut des fonctionnaires voit le jour sous forme de la loi du 14 septembre 1941 reprenant les dispositions hostiles aux juifs et aux francs-maçons dans l’esprit de la Charte du travail de Vichy. La loi du 19 octobre 1946 est le premier statut démocratique. On assiste à une redistribution entre matière législative et réglementaire en 1959, par conséquence des dispositions de la Ve République.

L’élaboration du statut actuel en 1981-1986 s’opère sur la base des trois principes d’égalité, d’indépendance, de responsabilité. Dans les années 1950, Michel Debré donnait sa définition du fontionnaire : « Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait », c’était la conception du fonctionnaire-sujet, héritage d’une conception dominante tout au long du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle. Nous avons choisi en 1983 la conception du fonctionnaire-citoyen en lui reconnaissant, en raison même de sa vocation à servir l’intérêt général et de la responsabilité qui lui incombe à ce titre, la plénitude des droits du citoyen..

Une fonction publique est mise sur pied, à « trois versants » (État FPE, territoriale FPT, hospitalière FPH).

Cette réforme se traduit par la montée en puissance des personnels sous statut : 200 000 fonctionnaires début XXe siècle, 1 million en 1946, 2,1 millions en 1981, 5,3 millions aujourd’hui ; ou encore, 146 articles législatifs en 1946, 57 en 1959, plus de 500 aujourd’hui. Ler statut actuel est celui qui connaît la plus grande longévité, contre la prévision de F. Mitterrand en 1986.

II. UNE OFFENSIVE SANS PRÉCÉDENT

Selon le philosophe Marcel Gauchet, la stratégie finale du sarkozysme c’est la « banalisation » de la France. La Franceapparaîtrait comme une somme d’ « anomalies » qu’il conviendrait de résorber : le modèle d’intégration, la laïcité, le service public, les collectivités territoriales, etc.

Il procède par « pragmatisme destructeur » qui contraste avec l’ « ardente obligation » de la planification gaulliste d’autrefois. La campagne sur l’ « identité nationale » apparaît alors comme le contre-feu de sa destruction effective. On en examinera trois aspects.

2.1. La réduction de la dépense publique

L’objectif de la RGPP est le plus souvent énoncé sous la forme triviale de la suppression d’un emploi sur deux des fonctionnaires partant à la retraite au cours des prochaines années. Aucune justification rationnelle n’est donnée du taux ainsi arbitrairement retenu. Les dépenses de personnel de l’État sont en baisse dans le budget général : 43 % pour 119,6 milliards d’euros en 2008 dans un budget de 278,2 milliards d’euros (43,6 % en 2006). Le total des dépenses des administrations centrales de l’État s’établit à 6 % du PIB (1950 euros) en 2008, proportion en baisse. Si la rémunération moyenne des fonctionnaires de l’État est supérieure de 11 % à celle du secteur privé, c’est en raison d’une qualification moyenne supérieure. En revanche, les salaires des cadres sont 58 % plus élevés dans le privé que dans le public, de 31 % pour les professions intermédiaires, mais inférieurs de 11 % pour les employés (2).

Y a-t-il trop de fonctionnaires comme on l’entend dire parfois ? Une étude du Centre d’analyse stratégique d’avril 2008étude précitée montrait que le nombre d’agents publics (en entendant par là les salariés financés par prélèvements obligatoires pour éviter les comparaisons basées sur des statuts différents d’un pays à l’autre) pour 1000 habitants plaçait la France en position moyenne dans l’ensemble des pays développés, avec 93 de ces emplois, entre un minimum de 41 au Japon et un maximum de 154 au Danemark. Plus généralement, la plupart des organismes statistiques et d’étude économique ont montré que la part des salaires dans le PIB a régressé depuis un quart de siècle (rapport Ph. Cotis). Pour les fonctionnaires, il convient de rappeler le renoncement à la clause de sauvegarde initiée par J. Delors en mai 1983 lors du tournant libéral de F. Mitterrand.

Il y a eu des précédents : la commission de la Hache dans les années 1950, la RCB, la LOLF (34 missions, 132 programmes, 620 actions) assortie de sa « fongibilité asymétrique » perverse car elle agit contre l’emploi.

La RGPP c’est donc une somme de 374 mesures administratives de réduction de la dépense publique, sans cohérence, prises sans concertation. Il faudrait encore évoquer la multitude des organismes relevant de ce que l’on pourrait appeler l’ « administration rationalisante » supprimés au cours des dernières années (3).

L’objectif, c’est d’assurer la primauté à la « main invisible » sur la « main visible » . D’où, à l’inverse, la nécessité de réhabiliter la planification, les nationalisations, les institutions.

2.2. Démantèlement des services publics et de la fonction publique

Il s’agit d’u !ne spécificité française : une fonction publique de 5,3 millions d’agents, environ 6 millions avec les entreprises et organismes publics (un quart de la population active). C’est un môle de résistance au marché et à la contractualisation.

L’attaque n’a pas commencé acec Sarkozy. Citons, la loi Galland du 13 juillet 1987 (suppression de la 3° voie d’accès à l’ÉNA, de la loi sur droit de grève 19 octobre 1982), la réforme de la Poste et de France Télécom en 1990 (P. Quilès), Air France 1999 (J-C. Gayssot), le rapport du Conseil d’État 2003 préconisant la contractualisation comme « source autonome du droit » de la fonction publique. Des tteintes sectorielles ont également été portées par les lois de modernisation du 2 février 2007, sur la mobilité du 3 août 2009, sur le dialogue social du 5 juillet 2010. Les gouvernements de gauche ne reviennent pas sur les atteintes de la droite.

Une « révolution culturelle » dans la fonction publique a été annoncée par Nicolas Sarkozy 19 septembre 2007. Il a diligent& à cette fin le Livre Blanc de J-L. Silicani (le contrat contrela loi, le métier contre la fonction, la performance individuelle contre l’efficacité sociale) .(4) Mais la crise qui a débuté à l’automne 2008 a été révélatrice du rôle d’ « amortisseur social » du service public (concernant l’emploi, le pouvoir d’achat, la protection sociale et les retraites, et d’un point de vue éthique). Dans les conditions nouvelles, le « Grand soir statutaire » n’aura pas lieu, mais le cap est maintenu et les atteintes se poursuivront. On peut penser, dans ces conditions, que si la remise en cause du statut général sera poursuivie par des projets spécifiques (type lois sur la modernisation ou sur la mobilité, ou encore les propositions de loi Gorge ou Poisson dans la fonction publique territoriale), l’attaque frontale du statut général est devenue plus difficile et que le « grand soir statutaire » n’aura pas lieu.

2.3. La réforme des collectivités territoriales

La justification évoquée par le Président de la République a été la compétition internationale (St-Dizier, le 20 octobre 2009) : il faut créer de meilleures conditions d’implantation pour les entreprises. La priorité est donnée aux « pôles et aux réseaux » sur les « circonscriptions et les frontières ». L’invocation de l’extérieur (délocalisation, régions, métropoles) comme justification de l’aménagement du territoire est une démarche tout à fait nouvelle.

Le « mille-feuilles » souvent évoqué n’existe pas, mais on peut en réalité distinguer deux triptyques : commune-département-nation (politique) contre agglomération-région-Europe (économique). La réforme tend à lrimauté de l’agglomération sur la commune, de la région sur le département, de l’Europe sur la nation, de la métropole sur les collectivités géographiques.

Je en retiendrai que trois dispositions majeures de la réforme envisagée.

– les conseillers territoriaux : leurs effectifs seront réduits de moitié affaiblissant le lien avec les citoyens ; le mode de scrutin retenu est une atteinte à la parité, il favorisera la bipolarisation, il court un risque d’inconstitutionnalité.

– les métropoles : cette nouvelle collectivité territoriale sera profondément déstabilisante ; elle ne dispose pas de clause de compétence générale, mais d’un large pouvoir conventionnel.

– la suppression de la taxe professionnelle. : les collectivités territoriales réalisent 73 % de l’investissement public mais ne représentent que 10 % de l’endettement, les financements croisés sont faibles. Les financements obligatoires et l’équilibre des budgets de fonctionnement sans les compensations financières des missions transférées pèseront de plus en plus sur les populations. La compensation par la contribution économique territoriale (CET) n’est pas garantie au-delà de 2011. Cette réforme se traduira par un avantage pour la quasi-totalité des entreprises.

Des conséquences très déstabilisatrices vont s’ensuivre.

– une détérioration de la situation matérielle et morale des fonctionnaires : effectifs, contractualisation, clientélisme. Propositions de loi Gorge (le contrat comme modalité de droit commun, le statut comme exception), et Poisson (marchandisation des emplois public-privé). Lois sur la modernisation et la mobilité. Décret Woerth et possibilité de licenciement des agents publics. Affaiblissement continué du « maillon faible », la FPT.

– l’affaiblissement des services publics déconcentrés (8 directions dans les régions, 2 à 3 dans les départements) comme conséquence de la RGPP, se combinant avec l’affaiblissement des services publics décentralisés par réduction des compétences et des moyens des collectivités territoriales. Intrusion du privé sur les segments les plus rentables

– présidentialisation accrue avec le rôle dévolu aux préfets et spécialement au préfet de région véritable proconsul (carte des regroupements de communes, périmètre des métropoles, conventions départements-régions).

III. OUVRIR DES PERSPECTIVES

Il convient de défendre les services publics, mais surtout d’inscrire leur promotion dans une perspective.

3.1. Se positionner sur les valeurs et principes

Le pouvoir ne néglige pas les valeurs : 75 des 146 pages du Livre Blanc Silicani y sont consacrées sans qu’il en tire les conséquences. Il s’agit donc d’un trompe-l’œil.

Il convient de réaffirmer les valeurs et principes de l’intérêt général, sur le service public et la fonction publique précédemment évoqués, mais aussi l’unité et l’indivisibilité de la République et la libre administration des collectivités territoriales.

Plus généralement : il revient au peuple français de se réapproprier son histoire, la démarche scientifique, la morale républicaine.

3.2. Faire des propositions constructives à tous niveaux

Ce pouvoir peut être tenu en échec : de la révolution culturelle, de la suppression du classement de sortie des écoles de la fonction publique ; il y a aussi des critiques de tous bords, celle, par exemple, du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux par Philippe Séguin. Il y a des dissensions internes à la majorité présidentielle sur la taxe professionnelle, l’élection des conseillers territoriaux. Rappelons aussi que N. Sarkozy a fait la promesse aventureuse de titularisation des contractuels …

Il faut donc faire des propositions concernant le service public et la fonction publique : par exemple reclassement indiciaire, fin de la contractualisation, instauration de la double carrière, amélioration des conditions de mobilité, du dialogue social, promotion de l’égalité hommes-femmes, etc. Mais aussi faire progresser l’idée d’un « statut des travailleurs salariés du secteur privé » (cf infra. Robert Castel, revendication majeure d’un « nouveau statut du travail salarié » de la CGT à son dernier congrès). et la convergence organisée dans l’action avec l’amélioration du statut général des fonctionnaires.

Cette démarche invite également à l’approfondissement de questions majeures : planification, nationalisations, institutions, laïcité, etc. Les États généraux du service public, lancés à la Mutualité, à Paris, le 17 décembre 2009, tiendront des assises nationales les 29 et 30 janvier prochains autour de quatre thèmes : quels champs de services publics, à quel niveau ? quelle démocratie ? quels financements ? quels agents ?

3.3. Le service public « valeur universelle » ?

Notre époque est marquée par la montée de l’ « en commun » sous diverses exigences : protection de l’écosystème mondial, propriété des ressources du sol et du sous-sol, des produits alimentaires, projets industriels internationaux, mondialisation de services, des échanges, de la culture, etc.

La prise de conscience de l’unité de destin du genre humain caractéristique majeure du moment historique de notre époque : « Terre-Patrie » d’Edagard Morin , le « Tout-Monde » des poëtes antillais Patrick Chamoiseau et Edouard Glissant, « Patrimoine commun de l’humanité » constamment évoqué, « destination universelle des biens » de Vatican II, etc.

Le service public, valeur universelle ? La contribution de la conception et de l’expérience françaispeut être éminente dans un XXIe siècle « âge d’or » du service public.

B. FONCTIONNAIRE, UN SALARIÉ COMME LES AUTRES ?
LA DÉONTOLOGIE DU FONCTIONNAIRE


I. FAUT-IL RAPPROCHER LES SITUATIONS DES FONCTIONNAIRES ET DES AUTRES SALARIÉS ?
(5)

Question souvent posée : « Les fonctionnaires et les autres agents publics à statut ne sont-ils pas des privilégiés par rapport aux salariés du secteur privé régis par le contrat (sous forme individuelle et/ou collective) tel que réglementé par le code du travail, et ne convient-il pas de réduire la différence des situations ainsi caractérisées ? ». Dès lors surgit une autre question : « Le « rapprochement » des situations doit-il se faire vers le haut ou vers le bas, en « rapprochant » le fonctionnaire du salarié du secteur privé ou l’inverse ? ».

1.1. La position statutaire et réglementaire du fonctionnaire

Précisons d’abord la notion de statut ici retenue. « Le fonctionnaire est, vis-à-vis de l’administration, dans une situation statutaire et réglementaire » selon l’article 4 du titre 1er du statut général des fonctionnaires qui est la base législative réglementant les 4,3 millions de fonctionnaires de l’État, des collectivités territoriales et des établissements public hospitaliers, auxquels on doit associer près d’un million de contractuels de droit public ainsi qu’un million d’agents publics travaillant dans les entreprises et organismes publics. La caractéristique commune de tous ces salariés du secteur public (le quart de la population active en France) est que leur situation est définie par la loi et les textes réglementaires correspondants, et non par le contrat. Il en est ainsi parce que les fonctions et activités exercées relèvent de missions de service public, elles-mêmes inspirées par l’intérêt général exprimé sur le terrain politique. C’est cette spécificité qui caractérise l’agent public et qui fonde la logique statutaire. Spécificité qui conduit à doter l’État, les autres collectivités publiques et les entreprises publiques de prérogatives de puissance publique dans la gestion des personnels, entraînant pour ceux-ci des sujétions appelant, en contrepartie, des garanties individuelles et collectives inscrites dans le statut général des fonctionnaires et dans les autres statuts. On notera d’ailleurs que les garanties statutaires ont eu un effet protecteur pour l’ensemble des salariés, la différence des situations ne pouvant excéder certaines limites. Un « scénario gris », initié par la loi dite « de modernisation » du 2 février 2007 et celle relative à la mobilité du 3 août 2009, entraînerait une confusion public-privé qui pourrait faire disparaître ces garanties.

Dès lors la contradiction à résoudre est la suivante : comment sécuriser et améliorer la situation sociale de l’ensemble des salariés, tout en respectant la spécificité des missions de l’agent public ? La réponse apportée par les libéraux est claire : la situation des fonctionnaires et des travailleurs des entreprises publiques sous statuts est excessivement dérogatoire du droit commun, la spécificité statutaire n’est que « particularité », voire « anomalie » qu’il convient de réduire autant que possible ; le contrat est la modalité principale de leur alignement sur le droit commun. J’ai rappelé précédemment les étapes de cette offensive.

1.2. La réappropriation sociale des salariés

Pour autant demeure la question de la comparaison des situations respectives des travailleurs du secteur public et du secteur privé. Le sociologue Robert Castel a spécialement analysé l’évolution sur le long terme des conditions du salariat en France (La montée des incertitudes, Seuil, 2009), caractérisant une crise à partir du début des années 1970 marquant la fin d’un certain compromis social qui s’était installé dans l’économie industrielle des décennies de croissance antérieures. Désormais un capitalisme sauvage fait de la précarité un état permanent largement répandu, développe une nouvelle condition infrasalariale, porte atteinte à la cohésion sociale, réduit les droits du travail, provoque une dynamique de « décollectivisation », isole l’individu. Il propose en conséquence un renforcement de l’intervention de l’État et une réappropriation sociale de la condition du salarié dans la perspective d’un nouveau compromis social. Lors de son récent congrès, la CGT a également retenu comme revendication majeure un « nouveau statut du travail salarié » prévoyant la garantie de droits cumulables et transférables au fur et à mesure des mobilités, des évolutions de carrière et de salaire tout au long de la vie professionnelle. Cette option pose d’abord, à mon avis, la question de la base législative, expression d’une volonté politique nationale, susceptible de fonder durablement un tel « nouveau statut ». La voie retenue par la confédération semble, à l’inverse, d’une part de privilégier l’amélioration des conventions collectives existantes par rapport à la revendication législative et, d’autre part, traiter de manière indifférenciée les salariés du privé et les fonctionnaires et autres agents publics (Le Peuple, n° 1686, juin 2009). Dans le même esprit on relèvera la faiblesse de la réaction des organisations syndicales aux rattachements récents du ministère de la Fonction publi au ministère du Travail puis du Budgent, sans précédent dans l’histoire de la fonction publique.

La comparaison des conditions matérielles et morales des agents publics et des autres salariés est incontournable. Elle alimente les campagnes de dénigrement contre les fonctionnaires et les agents publics sous statuts, encouragées par les libéraux adversaires des statuts législatifs, partisans de la généralisation du contrat. Pour autant, en raison de la gravité de la crise du système, du développement du chômage et de la précarité, la question ne sautait être ignorée, quand bien même certaines des critiques visant les soi-disant privilèges des fonctionnaires et des autres agents publics seraient profondément injustes. Ceux-ci doivent, eux-mêmes, s’intéresser au « statut » des travailleurs qui n’ont pas de statut. Une évolution des esprits est nécessaire pour, à la fois, garantir les droits des salariés au long de leur vie professionnelle tout en maintenant la spécificité des agents publics tenant à leurs missions de service public qui impliquent qu’ils soient protégés par la loi des influences politiques, des pressions économiques, de l’arbitraire administratif. Cette évolution peut être contrariée par plusieurs facteurs historiques : les organisations syndicales et les associations de fonctionnaires ont dénoncé pendant la première moitié du XXe siècle l’idée d’un « statut carcan », la « deuxième gauche » (Michel Rocard, la CFDT) sans s’opposer à l’idée, n’a cessé de marquer une réserve vis-à-vis de la spécificité statutaire, jusqu’aux anciens pays du « socialisme réel » qui considéraient qu’il ne pouvait exister qu’une seule condition salariale. Ajoutons que si certaines dispositions statutaires sont largement inspirées du code du travail, elles sont appliquées dans la fonction publique et les entreprises publiques de manière particulièrement défavorable concernant, par exemple, la durée du travail, les modalités de prise en charge des déplacements et missions à la demande de l’employeur, des déplacements domicile-travail, la rémunération du travail de nuit, des dimanches et jours fériés, la retenue du trentième indivisible pour tout arrêt de travail inférieur à la journée, le droit de retrait intervenu tardivement dans la fonction publique, etc.

1.3. Pour un statut des travailleurs salariés du secteur privé

Ma conviction sur la nécessité d’un « statut des travailleurs salariés du secteur privé » à côté du statut général des fonctionnaires et des statuts des agents des entreprises publiques, s’est faite sur la base d’une expérience concrète. Ayant été chargé en 1999 d’un rapport sur la formulation de « propositions pour l’amélioration de la situation sociale et professionnelle des travailleurs saisonniers du tourisme » par la ministre de l’Emploi et de la Solidarité et la secrétaire d’État au Tourisme, j’étais a priori réservé sur l’idée d’un « statut » afin d’éviter la confusion avec le statut général des fonctionnaires. Parvenu à la définition de trente et une propositions, ce sont les travailleurs saisonniers eux-mêmes et leurs organisations syndicales qui ont demandé la mise en cohérence de ces propositions sous forme d’un « statut des travailleurs saisonniers du tourisme », ce qui a été réalisé par la structuration d’un ensemble de dispositions législatives auxquelles étaient associées les mesures réglementaires nécessaires, des recommandations concernant l’amélioration et la généralisation des conventions collectives du secteur ainsi que d’autres propositions relatives à différents partenariats envisageables. Je tire de cette expérience, replacée dans une réflexion plus générale, l’affirmation que l’on ne saurait valablement parler de « statut des travailleurs salariés » que par l’élaboration d’un corpus de dispositions législatives du code du travail ayant cette destination, des dispositions réglementaires nécessaires, accompagnées d’accords contractuels négociés par branches et entreprises et de partenariats pertinents.

Sur ces bases, à la fois homogènes et différenciées, pourrait alors être organisée la convergence des politiques sociales et des actions revendicatives tendant à l’amélioration conjointe du statut général des fonctionnaires, des statuts des agents des entreprises publiques et du « statut des travailleurs salariés du secteur privé ».

II. DÉONTOLOGIE DES FONCTIONNAIRES ET CITOYENNETÉ (6)

Si, aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de 1789, les citoyens sont également admissibles « à toutes dignités, places et emplois publics », ils le sont « selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». On doit dès lors considérer que ce qui est exigé à l’entrée – la preuve de la capacité, des vertus et des talents – est a fortiori valable sur l’ensemble de la carrière professionnelle du fonctionnaire. Dès lors, dans cette acception, la déontologie se confond avec le bon exercice par le fonctionnaire de sa mission de service public, quelle que soit sa position dans la hiérarchie administrative.

Ce n’est pourtant pas le sens courant donné à la déontologie, principalement évoquée à propos des cadres, surtout des plus hauts fonctionnaires, et dans une définition réduite au non-cumul des emplois publics et privés et au « pantouflage ». Nous ne retiendrons pas ici cette double restriction pour considérer l’ensemble des règles statutaires valables pour tous les fonctionnaires pouvant relever d’une conception large de la déontologie.

2.1. Dépasser une conception étroite de la déontologie

La table des matières du Code de la fonction publique des Éditions Dalloz au mot « déontologie » renvoie au décret n° 2006-781 du 2 février 2007 et à une circulaire du 31 octobre 2007 placés sous l’article 25 du titre 1er du statut général des fonctionnaires (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983) qui enjoint aux fonctionnaires et aux agents non-titulaires de droit public de consacrer l’intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Mais si la déontologie est, selon le dictionnaire Le Robert, « l’ensemble des règles qu’impose à des professionnels l’exercice de leur métier », on ne voit pas pourquoi on ne prendrait pas en compte également, dans le champ des règles de la déontologie, les dispositions de l’article 26 traitant du secret professionnel et de la discrétion professionnelle, de l’article 27 relatif au devoir du fonctionnaire de satisfaire aux demandes d’information du public dans le respect des règles précédentes, enfin les dispositions de l’article 28 concernant ce que l’on dénomme généralement le « devoir d’obéissance ». D’autres articles devraient sans doute être également cités et, à la limite, l’ensemble du titre premier relatif aux « droits et obligations des fonctionnaires ». On se concentrera néanmoins sur les articles précités comme base juridique centrale de la déontologie des fonctionnaires. Précisons aussi que des règles de même nature mais spécifiques existent également dans le secteur privé.

Si le statut général de 1946 avait donc prévu qu’un décret préciserait les conditions dans lesquelles le fonctionnaire doit consacrer l’ensemble de l’activité à la fonction qui lui était dévolue, ce décret n’ayant pas été pris, ce sont les dispositions d’un décret-loi du Front populaire de 1936 concernant les dérogations à cette règle, complétées par une abondante jurisprudence qui ont précisé, au fil du temps, la réglementation du non cumul d’un emploi public et d’un emploi privé. Ces dispositions, reprises pour l’essentiel et de manière stricte par l’article 25 du titre 1er du statut général de 1983, ont été profondément modifiées par la loi dite « de modernisation » du 2 février 2007et celle relative à la mobilité du 3 août 2009. Les modifications introduites caractérisent une conception plus laxiste de la déontologie. Ainsi, les règles de délai d’incompatibilité entre les activités exercées par un fonctionnaire cessant ses fonctions et une activité lucrative dans une entreprise, un organisme privé ou une activité libérale est ramené de cinq à trois ans ; les cumuls entre activité publique et privée sont considérablement assouplis pour un fonctionnaire en vue de créer ou de reprendre une entreprise, ou pour un dirigeant de société privée embauché en qualité de non titulaire de droit public (jusqu’à deux ans) ; la détention de parts sociales de capital par les fonctionnaires est mise sur le même plan que la production d’œuvres d’art ; les agents titulaires et non titulaires à temps incomplet peuvent simultanément exercer une activité privée lucrative (7); il peut être fait recours à l’intérim. Par ailleurs, une loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques avait institué, dans chaque fonction publique, une commission dite « de déontologie » chargée de donner un avis sur la compatibilité avec les fonctions antérieures d’un fonctionnaire des activités privées qu’il souhaitait exercer. La loi de 2007 a regroupé les trois commissions en une seule, placée auprès du Premier ministre (8).

Si le devoir du fonctionnaire de satisfaire les besoins d’information du public ne pose pas de problème particulier (art. 27), son appréciation devant se faire dans les circonstances de chaque espèce, il n’en est pas de même de l’obligation de réserve dont il n’est pas fait mention dans le statut, mais qui provoque maintes prises de positions confuses. Aux termes de l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983 : « La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires » (9). Pour avoir conduit l’élaboration du statut général des fonctionnaires entre 1981 et 1984, je crois pouvoir témoigner utilement sur le sens des dispositions en vigueur. C’est à tort que l’on évoque à ce propos l’article 26 du statut général des fonctionnaires qui traite du secret professionnel et de la discrétion professionnelle (10). Les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel, soit que les faits qu’ils apprennent dans l’exercice de leurs fonctions leur aient été confiés par des particuliers, soit que leur connaissance provienne de l’exercice d’activités auxquelles la loi, dans un intérêt général et d’ordre public, a imprimé le caractère confidentiel et secret. Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tout ce dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Même si ce n’est pas sans rapport, on ne saurait non plus se référer principalement à l’article 28 qui pose le principe hiérarchique d’obéissance du fonctionnaire dans les termes suivants : « Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ». Le fonctionnaire garde donc une marge d’appréciation des ordres qu’il reçoit. On ne saurait sans méconnaître la loi contester au fonctionnaire ce libre-arbitre qui rejoint la liberté d’opinion et qui, avec la bonne exécution des tâches qui lui sont confiées, participe de sa responsabilité propre. Ce principe a été repris dans la loi de 1983 et un large débat s’est ouvert aussi bien avec les organisations syndicales qu’au Parlement sur la portée et les limites de la liberté d’opinion qu’il convenait éventuellement de faire figurer dans le statut lui-même, sous la forme, d’une part, de la liberté d’expression et, d’autre part, de l’obligation de réserve . Ainsi, l’obligation de réserve ne figure pas dans le statut général et, à ma connaissance, dans aucun statut particulier de fonctionnaires, sinon celui des membres du Conseil d’État qui invite chaque membre à « la réserve que lui imposent ses fonctions » (11).

En définitive, la question est plus politique que juridique et dépend de la réponse à la question simple : le fonctionnaire est-il un citoyen comme un autre ? venant après l’interrogation précédente : le fonctionnaire est-il un salarie comme les autres ? Au sein de notre construction sociale, est-il un sujet ou un citoyen ?(

2.2. L’utilité discutable d’un code de déontologie

Face aux difficultés rencontrées dans l’appréciation des notions qui viennent d’être évoquées, l’idée est parfois émise d’un code qui ferait la clarté sur des questions difficiles car elles épousent toute la complexité de la vie. Il faut d’abord s’entendre : s’agirait-il d’un véritable code opérant une remise en ordre et une clarification de dispositions législatives et réglementaires à droit constant au sens de la commission supérieure de codification ? Probablement pas, car cela reviendrait à codifier des sous-parties de codes existants ou envisagés. On sait que la loi sur la modernisation de la fonction publique du 2 février 2007 ; la question a été reprise par la loi du 5 juillet 2010, elle est aujourd’hui en chantier à la DGAFP et au Conseil d’État. Ou bien s’agirait-il d’une présentation ordonnée des textes en vigueur, éventuellement commentés, comme il en existe déjà ? (12) Il y a aussi des codes de l’administration qui débordent la fonction publique proprement dite (13). Quelle que soit la solution retenue de cette nature, aucun code ne pourrait ajouter aux normes existantes. On doit donc se demander quelle serait l’utilité d’un sous-ensemble de ces codes qui appellerait inévitablement la codification d’autres sous-ensembles thématiques, ce qui au bout du compte accroîtrait la confusion de l’état du droit. Si ce n’est pas de cela qu’il s’agit, on peut alors penser à un guide, sorte de « code de bonne conduite » à finalité pédagogique ou moralisatrice – dans l’esprit du « code de bonne conduite des traders » évoqué au plus fort de la crise financière – qui pourrait se fonder sur quelques cas concrets ayant donné lieu à des décisions jurisprudentielles particulièrement significatives, facilitant la compréhension des règles précédemment analysées. On pourrait même penser à une expression de ces exemples sous forme d’illustrations, voire de bandes dessinées (14)…

Il importe de souligner que, quelles que soient les modalités envisagées, les préceptes exposés doivent concerner tous les fonctionnaires et agents publics, quelle que soit leur place dans la hiérarchie, même si on sait bien que le contrôle du juge, en cas de contentieux, prend évidemment en compte le niveau de responsabilité de l’agent pour caractériser une infraction éventuelle. Mais une autre difficulté réside dans la diversité des préoccupations et des priorités des ministères. Une tentative de code de déontologie avait été tentée, il y a une douzaine d’années par la direction générale de l’Administration et de la Fonction publique. Elle avait surtout mis en évidence la complexité d’une telle opération qui devait concerner tous les fonctionnaires, mais qui devait aussi répondre aux préoccupations spécifiques de chaque ministère en matière de déontologie : les finances s’intéressant plus particulièrement à la probité, l’éducation nationale aux mœurs et aux incivilités, la police à la discipline, l’équipement au risque (15), la justice aux menaces contre l’indépendance des juges (16), etc. L’entreprise n’avait alors pu aboutir (17).

L’évocation d’un code de la déontologie présente aussi l’inconvénient de focaliser la responsabilité d’une éventuelle transgression sur le sujet alors que celle-ci est étroitement dépendante du contexte politico-administratif. La vogue de l’idéologie managériale change considérablement les conditions d’exercice de la responsabilité du fonctionnaire ; celle-ci n’est pas vécue de la même façon selon qu’il se considère au service de l’intérêt général ou qu’il est mis en demeure de satisfaire à des obligations de résultats matérialisés par des batteries de critères de pure gestion, ce qui le distingue peu ne n’importe quel salarié du secteur privé. Tout cela va dans le sens d’une banalisation de l’activité du fonctionnaire qui ne peut qu’affecter gravement la spécificité de la déontologie exigible à son endroit et, par là, le sens de la responsabilité de l’agent public.

Dans un tel contexte où la concertation est faible et où les organismes paritaires ne jouent plus véritablement leur rôle, l’idée d’un code de déontologie prendrait – quelles que soient les intentions de ses promoteurs – une tout autre signification, celle d’un règlement managérial, d’un instrument de régulation du conformisme sous contrainte (18) Il s’ensuivrait une stigmatisation croissante des comportements déviants. J’ai dû rappeler publiquement la portée et les limites de la liberté d’expression et de l’obligation de réserve en plusieurs occasions récentes. Il ne s’agit certes pas de faits sans précédent, l’abondance de la jurisprudence en témoigne et tous ces faits ne sont pas de même nature, mais il est permis de penser que l’accentuation du pouvoir hiérarchique peut être à l’origine de leur multiplication ; tandis que se brouille la frontière public-privé et qu’une complaisance croissante scandaleuse marque la pratique du « pantouflage ». Un code de déontologie ne pourrait dès lors apparaître que comme une diversion coercitive rappelant les interdictions et les sanctions encourues. Tout au plus peut-on envisager de mieux expliquer le sens du droit existant à partir de cas concrets, par la voie de circulaires ou par des moyens de communication modernes.

2.3. La déontologie du fonctionnaire-citoyen

La notion de déontologie est inséparable des valeurs servies. Celles du pacte républicain qui fonde notre citoyenneté : une certaine conception de l’intérêt général avec le service public comme vecteur principal, une affirmation du principe d’égalité qui s’efforce de réunir égalité juridique et égalité sociale par le moyen d’actions positives, une éthique de la responsabilité fondée sur le principe de laïcité (19). Les valeurs du service public théorisées par l’école française du service public : égalité, continuité, adaptabilité, complétées depuis par d’autres valeurs (20). La conception française de la fonction publique précédemment évoquées qui ont été à la base de l’élaboration statutaire de 1983-1984-1986. Il reste que la question de la déontologie continuera de se poser dans une situation très conflictuelle.

En ces temps de décomposition sociale profonde, marqués par une « perte des repères », le devoir d’obéissance et l’observation des règles de secret, de discrétion, de non cumul, de neutralité risquent fort d’être insuffisants pour guider le fonctionnaire dans l’exercice démocratique et efficace de sa mission de service public. Mais cette situation de crise peut être aussi l’occasion de ne pas réduire l’exercice des missions de service public au simple respect des règles posées par les textes, mais de renvoyer, plus que par le passé, la responsabilité publique vers le citoyen, en l’espèce le fonctionnaire-citoyen. Cela ne me conduit pas pour autant à légitimer les démarches individuelles type « désobéisseurs » qui surgissent ici ou là, en marge de l’action syndicale et prétendent s’ériger en exemples édifiants, pour en appeler finalement à la solidarité. Je ne comprends pas non plus la démarche de ces pétitionnaires qui contestent que l’on puisse s’assure au concours d’agrégation de philosophie que les candidats aient une bonne connaissance des principes sur lesquels est fondée la conception franbçaise de la fonction publique (21). Quand bien même la cause serait juste, je ne pense pas que nous soyons dans la situation de l’article 35 de la constitution de l’an I (qui n’est jamais entrée en vigueur mais qui est pour moi une référence républicaine majeure) : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs3.

L’autoritarisme et le conformisme – couple infernal dans l’histoire de la fonction publique – sont des contraires de la déontologie d’une citoyenneté pleinement assumée. Le fonctionnaire a le droit et le devoir de forger son opinion sur la politique qu’il est chargé de mettre en œuvre et, le cas échéant, de la critiquer par la voie syndicale ou politique sous des formes appropriées qu’aucune règle juridique, qu’aucun code de déontologie ne parviendront jamais à circonscrire de façon définitive. La bonne exécution des tâches qui lui sont confiées et le développement de l’esprit critique dans l’exécution de ces tâches sont des qualités de service public qui doivent être développées conjointement (22). Je sais, par expérience, que cela conduit parfois à frôler les limites de l’interdit, ce qui suppose esprit de responsabilité et sang-froid. C’est, à mon avis, un risque qu’il faut savoir courir.

 

(1) Formule reprise de l’ouvrage de René Bidouze : Les fonctionnaires : sujets ou citoyens ? Éditions sociales, 1979 et 1981.
(2) Rapport annuel sur l’état de la fonction publique 2008-2009, la Documentation française, 2009.
(3) C’est ainsi que, sous couvert de modernisation, le Conseil de modernisation des politiques publiques du 12 décembre 2007 a, parmi les 96 mesures de réforme de l’État qu’il a retenues, prévu en tête de celles-ci : la suppression du Haut conseil du secteur public, du Conseil national de l’évaluation, du Haut Conseil à la coopération internationale, de huit des neuf centres interministériels de renseignements administratifs (CIRA) ; également : le transfert de la direction générale de l’Administration et de la Fonction publique au ministère du Budget, l’intégration du Comité d’enquête sur les coûts et les rendements des services publics à la Cour des comptes. Ces suppressions et restrictions venant après l’intégration de la direction de la Prévision dans la direction générale du Trésor et de la Politique économique et surtout l’emblématique disparition du Commissariat général du Plan créé au lendemain de la Libération en 2006 et de la DATAR en 2005 (créée en 1963). Ajoutons-y aujourd’hui la délocalisation partielle de l’INSEE à Metz, la suppression de plusieurs dizaines de centres météorologiques départementaux, la perte d’identité des Archives de France (création de la Révolution française) dans une vaste direction du Patrimoine. Ajoutons encore le projet de la loi organique prise en application de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui va supprimer la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), laquelle rendait public les abus des forces de sécurité (mal vue pour cette raison du ministère de l’Intérieur) et la mission de défense des enfants.
(4) J-L. Silicani, Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique, La Documentation française, 2008.
(5) Développement d’extraits d’un article paru dans une rubrique intitulée Controverse sous le thème : « Faut-il rapprocher les statuts d’agents publics et de salariés ? Revue de droit du travail – mars 2010
(6) Extraits d’un article à paraître dans un ouvrage collectif sous le titre Éthique et déontologie des cadres publics
(7) A. Le Pors, « Une loi de dénaturation de la fonction publique », La semaine juridique, n° 12, mars 2007.
(8) L’affaire de la nomination de François Perol, directeur général adjoint de l’Élysée, à la tête des Caisses d’épargne et des Banques populaires, marquée par l’avis personnel donné par le président de la commission de déontologie suivi de la démission de deux de ses membres, a montré que l’instrument ne présentait pas, à ce stade, toutes les garanties que l’on pouvait en attendre.
(9) On rappellera dans cet esprit l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne doit être inquité pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public, établi par la loi ».
(10) J’ai rejeté à l’Assemblée nationale le 3 mai 1983 un amendement tendant à l’inscription de l’obligation de réserve dans la loi en observant que cette dernière « est une construction jurisprudentielle extrêmement complexe qui fait dépendre la nature et l’étendue de l’obligation de réserve de divers critères dont le plus important est la place du fonctionnaire dans la hiérarchie » et qu’il revenait au juge administratif d’apprécier au cas par cas.
(11) A. Le Pors, « Les fonctionnaires, citoyens de plein droit », Le Monde, 1er février 2008.
(12) Citons notamment le Code de la fonction publique, présenté et commenté par Serge Salon et Jean-Charles Savignac, Dalloz, 9e édition, 2010, auquel l’auteur de cet article se réfère régulièrement.
(13) Par exemple le Code de l’administration par Bernard Stirn et Simon Formery, LexisNexis, Litec, 3e édition, 2008.
(14) Dans l’esprit des Scènes de la jurisprudence administrative de Jean-François Thery illustrant quelques grands arrêts de la jurisprudence administrative, préface de Marceau Long, LexisNexis, Litec, 2008.
(15) Responsabilité et déontologie, Guide de référence pour les chefs de service et l’encadrement, ministère de l’Équipement, des Transports et du Logement, janvier 1998.
(16) Recueil des obligations déontologiques des magistrats, plutôt un guide qu’un code normatif, rendu public par le Conseil supérieur de la magistrature le 10 juin 2010.
(17)Elle se poursuit néanmoins dans certaines administrations. Ainsi l direction du travail du ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille de la Solidarité et de la Ville a publié en février 2010 : Principes de déontologie pour l’inspection du travail.
(18) La situation des agents de France Télécom en est une illustration
(19) A. Le Pors, La citoyenneté, collection Que sais-je ?, PUF, 3e édition 2002.

(20) R. Denoix de Saint Marc, Le service public ; rapport au Premier ministre, la Documentation française, 1996.

(21) A. Louangvannasy, « Il est légitime d’être interrogé sur les valeurs de la fonction publique », Le Monde, 3 juillet 2010 et « Débat en philosophes des valeurs de l’État », l’Humanité,

(22) Qu’il me soit permis ici d’évoquer l’exemple de deux amis appartenant à des familles politiques différentes et qui ont su, chacun à leur manière, témoigner tout à la fois d’un dévouement exemplaire .au service public au plus haut niveau de l’État et d’un engagement politique clairement assumé :
– Bernard Tricot, ancien secrétaire général de l’Élysée sous le général de Gaulle, auteur de Mémoires, éditions Quai Voltaire, 1994. Bernard Tricot est décédé en 2000.
– Jacques Fournier, secrétaire général adjoint de l‘Élysée puis secrétaire général du Gouvernement sous François Mitterrand, pdg de GDF et de la SNCF, auteur de Itinéraire d’un fonctionnaire engagé, éditions Dalloz, 2008.

Asile et citoyenneté – Chartres – Assises pour l’identité clandestine, 13 novembre 2010

LE DROIT D’ASILE AUJOURD4HUI EN FRANCE

’asile est-il aujourd’hui en danger en France ? Il n’y a pas de réponse catégorique à cette question. Certes, il est plus confortable, dans le culte entretenu d’une bonne conscience, de répondre péremptoirement par l’affirmative. Mais c’est quelque part sous-estimer – et aussi mépriser – l’effort de ceux qui, devant des situations complexes, ne nient pas la difficulté de rendre une justice aussi bonne que possible dans un État de droit souvent critiquable dans nombre de ses dispositions. C’est encore tenir pour inexistante une tradition de l’asile, qui a beaucoup compté dans la formation historique de notre citoyenneté, de notre identité nationale, et dont il subsiste de multiples expressions. C’est aussi un domaine où l’on ne peut trancher sous la forme du bilan « globalement » négatif ou positif. Reste alors à faire un point, inévitablement contradictoire, dans les principaux domaines d’appréciation.


Une réforme positive de la juridiction de l’asile sous des réserves avec durcissement des procédures

Rappelons tout d’abord le parcours compliqué du demandeur d’asile ; il comporte de nombreux obstacles. S’il se présente à la frontière sans visa l’étranger est mis en zone d’attente. S’il demande l’asile, un minimum d’instruction appréciera si sa demande n’est pas « manifestement infondée », le délai de placement en zone d’attente est de quatre jours, mais il peut être prolongé jusqu’à 26 jours. Si cette appréciation est favorable, il recevra un visa provisoire pour se présenter en préfecture dans les huit jours. Il y retirera un dossier de demande d’asile et se verra remettre une autorisation provisoire de séjour d’un mois pour déposer sa demande à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) sous 21 jours. Son autorisation de séjour sera ensuite renouvelée tous le trois mois. Il sera convoqué à un entretien à l’OFPRA, assisté d’un interprète. Si sa demande est rejetée, il disposera d’un mois pour faire un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). S’il est entré irrégulièrement en France, son parcours est le même à partir du moment où il se présente en préfecture (à condition qu’il ne se soit pas fait intercepter avant, auquel cas ila procédure est dite « prioritaire » avec des garanties moindres). Délais et procédures ont été constamment durcis au cours des dernières années.

La CNDA est constituée d’un président (conseiller d’État, conseiller maître à la Cour des comptes, magistrats du judiciaire), d’un assesseur nommé par le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le HCR (sur avis conforme du vice-président du Conseil d’État ; c’est une exception à la fois dans notre État de droit et dans le monde, qu’un magistrat nommé par une instance internationale siège dans une formation de jugement nationale) et d’un assesseur nommé par le vice-président du Conseil d’État, issu des administrations concernées. Elle est assistée par un rapporteur et un secrétaire de séance. La CNDA juge les recours des demandeurs d’asile déboutés par l’OFPRA. Au-delà, une cassation est possible devant le Conseil d’État.

Depuis le 1er janvier 2008, la CNDA a remplacé la Commission des recours des réfugiés (CRR) qui était soumise administrativement, budgétairement et statutairement à l’OFPRA ; situation aberrante d’une juridiction placée sous la tutelle de l’organisme administratif dont elle contrôlait les décisions et que plusieurs rapports avaient dénoncée .

La CNDA est désormais rattachée au Conseil d’État depuis le 1er janvier 2009. C’est une normalisation et un progrès. Avec toutefois des réserves : la titularisation des rapporteurs (pour la plupart officiers de protection de l’OFPRA, mais près de la moitié des rapporteurs sont des contractuels) qui exercent une mission évidente de service public est effectuée selon des modalités trop lentes ; la titularisation des contractuels de toutes catégories n’est pas engagée et on en recrute de nouveaux ; l’effet de la nomination de dix présidents permanents sur la jurisprudence, si elle peut concourir à son unification, peut aussi en modifier la teneur, d’autant plus qu’une proposition de loi (pendante au Parlement) prévoit à partir du 1er septembre 2011, l’intervention de la CNDA en recours des décisions de refus d’entrée sur le territoire au titre de l’asile déposées en zone d’attente. Ces derniers éléments peuvent faire dériver le droit d’asile vers les normes de la police administrative qui prévalent dans le droit des étrangers.

Depuis le 1er décembre 2008 les demandeurs d’asile, même entrés irrégulièrement, peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle ; c’est un progrès incontestable. Ils sont assistés d’un interprète. Le fonctionnement de la juridiction spécialisée qu’est la CNDA souligne l’importance de l’oralité dans l’administration de la justice.

La reconnaissance de la qualité de réfugié (pour l’essentiel par référence aux motifs de persécution de la Convention de Genève : race, religion, engagement politique, nationalité, appartenance à un certain groupe social), ouvre un droit à un titre de séjour permanent de dix ans renouvelable. Le bénéfice de la protection subsidiaire (menaces graves hors Convention de Genève) à un an renouvelable sous réserve de l’actualité des craintes. La protection subsidiaire a été introduite en droit interne par le droit communautaire, mais aucune justification réellement fondée n’est apportée au fait que les durées des titres de séjour soient si inégales, les craintes étant pareillement établies, seuls différant les motifs. Dès lors la protection subsidiaire apparaît bien comme une protection … subsidiaire, dévalorisée, de substitution.


L’état statistique de la politique du droit d’asile présente des résultats contrastés

Le HCR évalue à 10 à 12 millions dans le monde le nombre de réfugiés sous sa protection au cours des dernières années (10,4 en 2009). En 2009, 76 % des réfugiés sont en Asie et en Afrique, seulement 16 % en Europe . La France en protège 196 364, soit à peine plus que son poids démographique relatif dans le monde ; c’est beaucoup moins que le Royaume Uni (269 363) et que l’Allemagne (593 799). La France est donc loin d’accueillir « toute la misère du monde ». Et si elle en prend une part, celle-ci reste modeste.

En 2009, il y a eu en France 47 690 demandes d’asile devant l’OFPRA (y compris les mineurs accompagnants et les demandes de réexamens), dont 33 275 primodemandeurs. Les flux de demandeurs d’asile sont donc repartis à la hausse car on avait observé une baisse de 52 200 en 2003 à 23 500 en 2007. Sur la base du nombre de demandes enregistrées, la France serait la première destination en Europe pour cette année.

Les entrées irrégulières sur le territoire, principalement par voie terrestre, sont très largement majoritaires. À la frontière, en 2009, le plus souvent en aéroport (la quasi-totalité des demandes examinées sont déposées à Roissy-Charles de Gaulle), l’OFPRA a eu à donner 2 796 avis d’entrée sur le territoire en zone d’attente. Il a estimé que seulement 749 des demandes correspondantes n’étaient « pas manifestement infondées ».

L’OFPRA a pris 35 420 décisions en 2009, (la CNDA 20 040). Ensemble les deux instances ont prononcé 10 373 accords (dont 23,6 % au titre de la protection subsidiaire, en hausse vive, 9 % en 2007)). Le taux d’accord global est de 29,4 % des décisions (14, 3 % directement par l’OFPRA et 15,1 % par annulation par la CNDA de décisions de rejet de l’OFPRA, le taux d’annulation de ces décisions s’étant élevé, en 2009, à 26,5 % ; en légère hausse). Ce taux est voisin de 60 % – soit le double – pour les pays d’origine sûrs (32,9 % par l’OFPRA, 26,3 % au titre des annulations de la CNDA), ce qui invalide le concept lui-même.

La procédure prioritaire (comportant de moindres garanties) représente 22, 2 % du total des affaires instruites ; elle est en baisse (30,7 % en 2008) après une vive progression.

14, 6 % des décisions de la CNDA étaient prises par voie d’ordonnances en 2009 (9,4 % pour les ordonnances dites « nouvelles », c’est-à-dire ne comportant aucun élément jugé sérieux de contestation de la décision de l’OFPRA), par un juge unique, sans procédure orale. Ce taux est en légère baisse par rapport à 2008 (16 %).

Ainsi, si certaines données (notamment le taux global d’accords) caractérisent une relative ouverture à l’asile, d’autres comme le recours important à la procédure prioritaire, la vive hausse de la protection subsidiaire et l’importance (bien qu’en baisse) des décisions prises par ordonnances caractérisent une précarisation de la procédure et de la protection accordée.

Une évolution jurisprudentielle inquiétante

Les démarches des politiques de l’asile des États membres de l’Union européenne s’inscrivent dans une longue marche vers un régime d’asile européen commun marquée par le renforcement de préoccupations sécuritaires et de contrôle des frontières extérieures. Elles se traduisent par la définition stricte de l’État responsable de l’examen de la demande d’asile par la procédure dite de Dublin II, l’introduction de notions telles que celles de l’asile interne ou de pays d’origine sûrs. C’est aussi, plus récemment, le durcissement envisagé des conditions de rétention (durée maximale portée à dix-huit mois, possibilité d’enfermement des mineurs y compris isolés, interdiction de séjour de cinq ans), l’externalisation à l’est de l’Europe et au nord de l’Afrique des demandeurs d’asile.

Le gouvernement français a anticipé certaines de ces mesures restrictives, notamment à l’occasion de la loi du 10 décembre 2003. La création d’un ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire a contribué à mettre l’accent sur le contrôle des flux plutôt que sur la protection du demandeur d’asile. Les mesures prise au plan national ont eu pour effet de rendre plus difficile la pratique du droit d’asile : réduction des délais, durcissement des conditions de recevabilité, recours aux ordonnances et à la procédure prioritaire, restriction de l’accès aux droits sociaux, application de Dublin II sans considération des critères humanitaires et des possibilités offertes par la clause de souveraineté.

L’évolution jurisprudentielle est de plus en plus restrictive. Par décision du Conseil d’État, le principe d’unité de famille a été strictement réservé aux demandes relevant de la Convention de Genève (non à la protection subsidiaire) . Par décision de la CNDA , la reconnaissance du groupe social persécuté a été réduite (au profit de la protection subsidiaire) pour des parents maliens d’une fille née en France ; la protection subsidiaire a également été préférée à la reconnaissance de la qualité de réfugié au Sri Lanka, avant l’effondrement de la rébellion tamoule en 2009 .

À l’inverse, plusieurs décisions du Conseil constitutionnel apparaissent constructives : affirmation de la souveraineté nationale, droit de la défense, plénitude des garanties légales, indépendance de la juridiction administrative, encadrement strict des notions d’asile interne et de pays d’origine sûrs. Elles apparaissent tout à fait conformes à la tradition de la France terre d’asile, telle que la proclamait la constitution de 1793 : « le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres » (art. 118) ; « il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans. » (art. 120), que reprend le 4° alinéa du préambule de 1946 : « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Ce motif caractérise l’asile dit constitutionnel, repris à l’article L. 711-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) mais il n’est malheureusement que très rarement retenu (une douzaine d’annulations en 2009).

Enfin, on relève des décisions audacieuses comme l’interprétation par les sections réunies de la CNDA de l’article 1 D de la Convention de Genève concernant des Palestiniens demandeurs d’asile , malheureusement cassée récemment par le Conseil d’État .

Malgré quelques exemples constructifs de ce type et le rappel des principes constitutionnels, on assiste donc à une dérive en faveur de la protection subsidiaire, moins protectrice (durée de séjour réduite avec comme conséquences de plus grandes difficultés en matière d’emploi et de logement notamment), qui tend à l’alignement de la France sur la moyenne européenne (51 % des décisions favorables le sont au titre de la protection subsidiaire, contre seulement 16 % en France en 2008).


La formation de l’intime conviction du juge : une question culturelle, juridique, politique

Trois questions peuvent être évoquées.

Nécessite de la preuve ou intime conviction ?

Aucun texte juridique relatif au droit d’asile n’évoque la nécessité de la preuve. Nombre de juges de l’asile admettent difficilement qu’ils forment leur intime conviction sous l’éclairage de ce que la vie les a faits, quelle que soit leur volonté d’indépendance et le souci d’honnêteté qui peuvent présider à leurs décisions. En prendre conscience est encore le meilleur moyen de faire la part de ce qui relève du subjectif dans l’appréciation des faits qui pèsent lourd en matière d’asile et d’en tirer les conséquences dans le jugement de la cause. Les convictions philosophiques, religieuses, politiques, voire les préjugés du juge jouent évidemment un rôle dans l’interprétation de cultures, des motifs et des faits eux-mêmes rapportés par le citoyen venu d’ailleurs.

Appliquer le droit ou rendre la justice ?

L’intime conviction n’est pas non plus indépendante de la situation politique générale du pays d’accueil et des campagnes qui y sont menées à un moment donné, comme celle sur l’ « identité nationale » lancée par le ministre chargé de l’immigration et de l’asile à l’automne 2009. La pratique du droit d’asile est évidemment un domaine où le poids des cultures, des mentalités, des préjugés est important. Car il ne s’agit pas seulement d’appliquer le droit existant mais de rendre la justice « Au nom du peuple français », le droit positif n’en étant que l’instrument.

Le mensonge est-il indispensable ?

De fait, on observe une forte dispersion statistique des décisions des formations de jugement selon la composition de celles-ci. Certaines études ont même caractérisé un mythe du « réfugié menteur », justifié du côté du demandeur d’asile par la difficulté à franchir des obstacles sécuritaires et juridiques de plus en plus élevés et, du côté du juge, par le confort que lui permet l’idée qu’il est détenteur d’une prérogative de souveraineté nationale et que, face au mensonge, fut-il présumé, occasionnel ou appelé par la pression des circonstances, il juge à bon droit, en juge « bien pensant » . Par ailleurs, il existe aussi des écarts notables persistants entre les taux d’accord de l’OFPRA et de la CNDA pour quelques pays (Serbie, Turquie, Angola, Sri Lanka, Bangladesh), ce qui indique une certaine résistance de l’établissement public à appliquer, pour ces pays, la jurisprudence de la juridiction. En ce domaine des mentalités, étroitement dépendantes du contexte social et politique dans lequel elles se forment et s’expriment, l’évolution ne peut se développer qu’à l’échelle de l’histoire.

En conclusion, il convient donc de prendre la mesure des atteintes, mais ne pas ignorer pour autant les points d’appui : une réforme de la juridiction de l’asile plutôt positive, mais avec des inquiétudes sur la séparation des politiques d’asile et d’immigration ; des chiffres qui caractérisent un dispositif sélectif, mais des résultats contrastés ; une évolution défavorable du droit, mais une tradition qui existe et qui résiste.

Citoyenneté d’ici, citoyenneté d’ailleurs

Le droit d’asile n’est pas seulement l’instrument juridique qui permet d’apprécier le bien fondé d’une demande d’asile. Il juge le juge lui-même. De quel droit le citoyen d’ici peut-il, en effet, se prévaloir pour donner ou refuser l’hospitalité à un étranger, si ce n’est celui de membre d’une communauté historiquement constituée sur un territoire déterminé. Le droit du premier occupant que les générations dont il est issu ont affirmé et qu’elles ont opposé avec plus ou moins de rigueur à tout nouvel arrivant. Dès lors, droit de cité et droit d’asile ne sont que les deux versions d’une même question. Il s’ensuit que le droit de cité détermine le droit d’asile tout autant que le droit d’asile rend compte du droit de cité.

Lorsque la Révolution française proclame que « le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres […]. Il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans », ce peuple se définit autant qu’il accueille et il est heureux que l’écho s’en soit propagé à travers certaines de nos constitutions, jusqu’à quelques-unes des plus récentes décisions du Conseil constitutionnel en matière d’asile. À l’opposé de tout repli nationaliste, la vocation du droit de cité est de produire de l’universalité et de proposer en partage des valeurs, spécifiques dans leur production, à vocation universelle dans leur destination. La conception française du service public permet une approche politique de l’asile et de l’immigration, affranchie des intérêts particuliers et de la seule régulation du marché. L’affirmation du principe d’égalité, fondé sur le droit du sol et l’égalité individuelle des citoyens et des citoyennes, a forgé un modèle d’intégration récusant l’identification par le droit du sang et l’appartenance communautaire. L’exigence de responsabilité a permis de faire des citoyennes et des citoyens les seuls créateurs des règles de la vie en société sur la base du principe de laïcité et d’ouvrir ainsi à tous la voie de l’émancipation de toute fatalité, de toute oppression fondée sur la race, la nationalité, la religion ou tout autre critère arbitrairement érigé en valeur absolue et donc totalitaire.

Réciproquement, le droit d’asile interpelle le citoyen, car nul ne peut se réserver l’exclusivité d’ériger ses propres valeurs en valeurs universelles. La solidarité familiale ou villageoise qu’évoquent de nombreux demandeurs d’asile, questionne nécessairement notre conception restrictive de l’unité de famille. La compréhension des différences culturelles, sociales ou politiques à laquelle invitent les demandes d’asile, encourage la tolérance à l’égard des différences observées à l’intérieur de notre propre pays. La prise en compte dans la formation de la citoyenneté de l’infinie diversité du monde est la meilleure façon de poser la question des convergences pacifiques à opérer entre la citoyenneté d’ici et celles d’ailleurs. Pour peu qu’elle ne soit pas réduite à la chasse au mensonge, la pratique du droit d’asile est une extraordinaire expérience de connaissance de l’humanité, de la psychologie des hommes et des souffrances physiques et morales qu’ils sont capables d’endurer, de leur courage aussi que l’on peut parfois ériger en exemple. Une telle attitude n’oblige en rien à renoncer à ses propres valeurs et principes, elle ne peut que les valoriser et en favoriser l’évolution à la lumière de l’expérience et des contradictions lucidement identifiées.

« Dis-moi qui et comment tu accueilles et protèges, je te dirai qui tu es. »

PROPOSITIONS

Il ne s’agit pas ici d’exposer ce que pourrait être une autre politique de l’asile que celle qui est conduite aujourd’hui, mais d’évoquer quelques propositions que suggèrent les analyses qui précèdent dégagées d’une expérience dix années de « juge de l’asile ». On peut distinguer les trois domaines de la gestion administrative, de la procédure et du fond.

Une gestion administrative respectant rigoureusement les principes du service public

On pourra s reporter utilement à ce sujet aux conclusions du rapport que j’avais remis au président de la CRR en 2006 sur la situation statutaire des personnels de la CRR et la juridiction elle-même. Je ne retiendrai aujourd’hui que trois recommandations

Les activités concourant à l’instruction des demandes d’asile doivent être exercées par des fonctionnaires dont la professionnalisation doit être assurée. Les contractuels en fonction à la CNDA doivent être titularisés dans les corps du Conseil d’État et de nouveaux recrutements de contractuels prohibés. Une formation initiale et continue approfondie des secrétaires de séance et des rapporteurs doit être mise en place. Les conditions de travail des rapporteurs doivent être aménagées pour adapter leur charge de travail à l’importance des dossiers traités.

Les juges doivent bénéficier d’une formation et d’une information approfondies leur permettant une étude méthodique des dossiers inscrits à l’audience. La spécificité des activités juridictionnelles du droit d’asile, souligne l’importance de l’oralité et de la collégialité. La professionnalisation des juges doit être développée afin de créer les conditions d’une expérience se développant sur une période suffisamment longue. La diversité des regards des membres de la formation de jugement est indispensable à l’appréciation la plus complète des situations.

L’application de la jurisprudence du droit d’asile dégagée par la CNDA et le Conseil d’État doit être accompagnée d’une concertation soutenue entre la CNDA et l’OFPRA afin d’améliorer les fonctionnements respectifs de l’établissement public et de la juridiction. Cette concertation peut être favorisée par la coordination conjointe de moyens d’information et de traitement des données et des échanges périodiques sur les problèmes rencontrés.

La procédure pourrait connaître plusieurs aménagements

Le recours suspensif en zone d’attente doit être effectif. L’appréciation de la recevabilité de la demande d’entrée à la frontière des demandeurs d’asile ne doit pas aller au-delà de l’évaluation du simple caractère « manifestement infondé » de la demande. Le recours contre la décision refusant l’entrée sur le territoire doit pouvoir être exercé dans un délai raisonnable. L’appréciation au fond après instruction doit rester de la compétence de l’OFPRA et de la CNDA dont il n’est pas souhaitable, dans ces conditions qu’elle intervienne en recours contre les refus d’entrée sur le territoire.

Le recours à la procédure prioritaire doit être l’exception. Le recours à la procédure prioritaire qui prive le demandeur d’asile de droits essentiels s’il a diminué demeure très élevé. Les délais d’instruction doivent être élargis et un droit de recours suspensif instauré. Il convient à cette fin que soient mieux définis les critères conduisant les services préfectoraux à décider de cette procédure.

Le recours aux ordonnances nouvelles doit être strictement limité. L’expérience a maintes fois montré que le rejet par ordonnance d’un juge unique des recours qui ne présentent « aucun élément sérieux » susceptible d’infirmer la décision de l’OFPRA pouvait conduire à des appréciations erronées. Se trouve par là soulignée l’importance d’un recours effectif devant les formations collégiales de la CNDA faisant toute sa place à l’oralité des débats.

Le demandeur d’asile n’a pas la charge de la preuve ; sous réserve de la crédibilité de son récit, il doit bénéficier du doute. La spécificité du droit d’asile entraîne une exception au principe général du droit mettant la preuve à la charge du demandeur. L’établissement des faits doit résulter de l’effort conjoint du demandeur et du juge. La crainte de persécution doit être fondée sur la prise en compte simultanée de la perception subjective du demandeur et de la situation objective du pays d’origine.

Les formations de jugement doivent créer des conditions permettant à tout demandeur d’asile de comprendre la procédure pour être en mesure d’en mesurer l’enjeu, d’être complètement informé, de formuler ses observations en toute sécurité et de s’exprimer sans crainte. Les comportements de domination des membres des formations de jugement vis-à-vis des demandeurs d’asile et de leurs conseils doivent être bannis. Les règles d’un procès équitable doivent être respectées, avec impartialité et sans préjugé. L’asile est accordé « Au nom du Peuple français » ce qui confère aux formations de jugement la responsabilité importante d’assurer la continuité de la tradition de la France terre d’asile.

Sur le fond, la France doit demeurer fidèle à sa réputation de terre d’asile

En premier lieu, la spécificité du droit d’asile au regard du droit des étrangers doit être respectée. La juridiction administrative spécialisée du droit d’asile doit demeurer distincte des juridictions administratives de droit commun traitant de l’entrée, du séjour et de la reconduite à la frontière. La différenciation du droit d’asile et du droit des étrangers qui a marqué l’évolution du système français de l’asile dans le but de soustraire le droit d’asile aux règles restrictives de la police administrative doit être préservée.

La pratique du droit d’asile doit s’inscrire dans une conception ouverte et généreuse. La France n’est en aucune manière menacée d’une invasion du Sud ou de l’Est. La part des réfugiés dont elle assure la protection est du même ordre de grandeur que son poids démographique dans le monde, la moitié de celle du Royaume Uni et le quart de celle de l’Allemagne. Le système mis en place dans les années 1950 a pour objet d’accorder l’asile conformément à une tradition ancienne de notre pays consacrée par ses dispositions constitutionnelles.

La convention de Genève doit rester le mode d’accès prioritaire à l’asile. La protection conventionnelle est la seule à offrir la garantie d’une protection internationale. Elle doit être appliquée de manière conforme à l’esprit et à la lettre de la Convention de Genève, telle qu’elle a été notamment interprétée dans le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du HCR.

L’asile constitutionnel doit exprimer l’attachement historique de la France aux combattants pour la liberté. Réintroduit par la loi en 1998 en droit positif, l’asile constitutionnel, rappelé à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel, doit faire l’objet d’une élaboration jurisprudentielle qui pourrait le conférer aux étrangers ayant manifesté un engagement exemplaire pour cette cause, quand bien même ce motif pourrait également relever de l’asile conventionnel.

La protection subsidiaire doit rester limitée aux cas ne relevant en aucune façon des motifs de la protection conventionnelle et bénéficier du même niveau de protection La loi en limite strictement le champ aux demandes des personnes qui ne remplissent pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié. Rien ne justifie que la protection accordée au titre de la protection subsidiaire soit contaminée par des considérations sécuritaires et soit inférieure à celle de la protection conventionnelle : elle doit donc ouvrir droit également à un titre de séjour de dix ans.

Le principe d’unité de famille doit s’exercer de manière étendue et sûre. Le principe d’unité de famille doit être érigé en principe général du droit d’asile et s’appliquer en matière de protection subsidiaire. La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire doivent être conservés par le conjoint et le mineur sous tutelle en cas de rupture de leur lien avec le réfugié principal.

Les catégories d’ « asile interne » et de « pays d’origine sûrs » doivent être rendues inopérantes. Ces concepts, d’origine communautaire en France, extraits de la problématique d’ensemble de la reconnaissance de la qualité de réfugié, se sont révélés d’utilisation difficile et arbitraire, susceptibles d’avoir de graves conséquences individuelles. La liste des pays d’origine sûrs établie par l’OFPRA, déjà partiellement censurée par le Conseil d’État, doit être supprimée et la notion d’asile interne réintégrée dans l’instruction générale de la demande.

Le droit d’asile n’est pas seulement l’instrument juridique qui permet d’apprécier le bien fondé d’une demande d’asile. Il juge le juge lui-même. De quel droit le citoyen d’ici peut-il, en effet, se prévaloir pour donner ou refuser l’hospitalité à un étranger, si ce n’est celui de membre d’une communauté historiquement constituée sur un territoire déterminé. Le droit du premier occupant que les générations dont il est issu ont affirmé et qu’elles ont opposé avec plus ou moins de rigueur à tout nouvel arrivant. Dès lors, droit de cité et droit d’asile ne sont que les deux versions d’une même question. Il s’ensuit que le droit de cité détermine le droit d’asile tout autant que le droit d’asile rend compte du droit de cité.

« Dis-moi qui et comment tu accueilles et protèges, je te dirai qui tu es. »

La citoyenneté française en péril ! Quelle réplique ? – AGORA-AGLO, Pau le 16 septembre 2010

(Schéma) 

Une longue « généalogie » : Athènes (1/10), Rome (Oligarchie et assimilation, la loi), les villes du Moyen-Age (l’Université, La Politique d’Aristote, libertés commerciales, La République de Bodin, Le Léviathan de Hobbes, Le Prince de Machiavel… L’Esprit des lois de Montesquieu, le Contrat social de Rousseau), la Révolution française (DDHC et 1793 : « Ici, on s’honore… »), 1848 (esclavage, s. u. masculin, liberté de la presse…), 1871, 1944, 1958, 1962… Différenciation coloniale.  La citoyenneté européenne. Réactivation dans la crise. Le triptyque : valeurs-exercice-dynamique.

1.    LES VALEURS DE LA CITOYENNETE

1.1.    Une conception de l’intérêt général

1.1.1.    Une définition problématique.

– optimum social, préférence révélée des consommateurs, formalisation mathématique.

– la prudence du juge administratif en droit positif : responsabilité politique + subsidiaire du principe d’égalité ; défense nationale, justice … ; DUP, ordre public (« lancer de nain ») ; pas de détournement de pouvoir ; divergences internationales ; Conseil constitutionnel ; «  Le service public comme vecteur (Ph. Le Bel, P/p ; les grandes figures).

1.1.2.    La crise du service public.

– une notion simple devenue complexe : l’intérêt général différent de la somme des intérêts particuliers. Mission x personne morale de droit public x droit et juge administratif. Impôt. Prérogatives. Extension et hétérogénéité (régie, EPIC c. concession, SS, fédés. sport.. Contractualisation c. réglementation par la loi.

– service d’intérêt général et construction européenne. Objectif de « cohérence économique, sociale et territoriale » (art. 4 TFUE) pose le principe de concurrence pour services publics mais dans des conditions leur permettant d’accomplir leurs missions.  Marginalisation : art. 93 ; intervention de la Commission auprès des États en cas de non observation (art. 106) ; jurisprudence extensive du champ de concurrence  mais aussi reconnaissance des services d’intérêt général ; exemple des télécommunications ; protocole n° 26 du TFUE sur les SNEIG. Régime de propriété dans les États membres non préjugé (art. 345).

1.1.3.    Service public et secteur public.

– refondation du service public : monopole-spécialisation. Complexification. Dérégulation. AAI. EPA-EPIC-SEM … La Poste, France-Télécom. Réformes par accumulation de principes ; séparation doctrine s.p. …

– notion d’appropriation sociale : les trois générations de la propriété ; patrimoine commun de l’humanité ; biens à destination universelle.

1.2. Une affirmation du principe d’égalité

1.2.1. Élaboration du principe.

– un principe fondateur : de l’affirmation du principe à la réalité sociale. Art. 1er DDHC. Nombreuses décisions du juge administratif (fiscalité, H/F, usagers s.p…).

– sa consécration constitutionnelle : égalité des citoyens devant la loi sans distinction d’origine, de race ou de religion. 40 % des décisions du CC. Vote patronal prudhommales. Quotas de femmes. Pas pour découpage circonscriptions.

– application du principe en tenant compte des différences de situations selon une certaine proportionnalité (maximum-minimum).

1.2.2. Confrontation du principe et de la réalité.

– égalité et différenciation : discriminations interdites ; 1+2+3° voie ENA ; écoles de musique. Pas de « peuple corse ». Accès en fac. Ou thérapie en cas de pénurie. Conséquences sociales de la connaissance du génome. « affirmative action » et effet de signalisation. Intercommunalité et péréquation ou aménagement rationnel du territoire. « Égalité des chances ? »

– égalité et parité : 1944-1946 ; sous représentation politique ; « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions et mandats électifs ». « nature » ou « conditions déterminantes » des fonctions ; recrutements séparés. Art. 141 traité d’Amsterdam. Art. 3 Constitution. Loi 6 juin 2000 sur dispositions scrutins de listes et pénalités financières.

1.2.3. Égalité et intégration.

– le modèle français d’intégration : droit du sol et égalité c. droit du sang et logique des minorités. Contre Bonaparte transmission de la nationalité par la filiation. 1851 : double droit du sol. Simple droit du sol à majorité depuis 1889. France : longtemps pays d’émigration ; d’immigration au XIX° . Arrêt de l’immigration du travail en 1974.

– logique des minorités et multiculturalisme : les quatre critères définissant les minorités (culture, langue, religion, ethnie), les trois revendications (autonomie de gestion des affaires propres, langue et administration, diaspora transnationale). Convention cadre pour la protection des minorités nationales au CE en 1995. Charte européenne des langues régionales et minoritaires au CC en 1999. Révision const. de la loi du 23 juil. 2008 : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Du droit à la différence à la différence des droits.  Cicéron.

1.3. Une éthique de la responsabilité

1.3.1. Dimension juridique de la responsabilité.

– responsabilité pénale : « vengeance » ou « justice » privée. art. 121-1 du CP  « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ». socialisation des risques et mise en cause élus et fonctionnaires. Mise en cause personnes morales (environnement) et collectivisation de la responsabilité qui la dilue. Délit si pas diligences normales. Responsabilité du propriétaire d’un véhicule (auteur de l’infraction non identifié).

– responsabilité civile : réparation d’un dommage causé (art. 1382 CC). Personne ou chose que l’on a sous sa garde (art. 1384 CC). Inexécution d’un contrat (art. 1134 CC), exécution ou dommages et intérêts ; mais obligation de moyens ou de résultats ?

– responsabilité administrative : «  le roi ne peut mal faire ». Arrêt Blanco 1873. Faute de/du service, individuelle. Faute simple, lourde (en réduction : police, impôts, contrôle administratif). Responsabilité de l’État sans faute pour le bien des victimes ou des usagers.

1.3.2. Dimension éthique de la responsabilité.

– responsabilité politique : Ancien Régime, réformes qui échouent. Séparation des pouvoirs sous la Révolution. Art. 71 constitution de l’an VIII. 10 ministres inquiétés depuis la Révolution. Gouvernement et art. 49-3 ; motion de censure. Président de la République : haute trahison, décision CC du 22 janvier 1999 ; puis révision en 2007 : destitution par le Parlement pour « manquement à ses devoirs ». Sanction électorale. Fonctionnaires et art. 28 SGF t.II. Crime de bureau ?

– responsabilité morale : globalisation des risques et responsabilité personnelle. Qui fait les règles de la morale sociale ?

1.3.3. La laïcité.

– lois sur l’enseignement laïque de 1880-83 de J. Ferry. 1905. Loi du 10 juillet 1989 (pluralisme, information). Une forte dialectique : liberté de conscience et neutralité de l’Etat. Contradictions et ordre public. Commission Stasi et égalité des religions. Dérogations (calendrier, financements, Alsace-Moselle). Décret du 16 mai 2009 sur la collation des grades ; aussi esprit critique.

– Islam et laïcité. Principe d’ordre public et principe de police administrative de non interdiction de portée générale et absolue. Foulard islamique et existence d’une loi : réserves (Coran, jeunes filles, non exhaustivité) ; finalement loi du 15 mars 2004 ? Question du « voile intégral ». Carrés musulmans et lieux de culte.

– laïcité valeur universelle. France singulière (Portugal). Convergence sur non-intervention de l’État, liberté religieuse et absence d’interférence juridique. Accent mis sur la liberté religieuse dans l’UE.

Ces trois valeurs : force idéologique ; capacité de rassemblement ; isolement en Europe.

2.    L’EXERCICE DE LA CITOYENNETE

2.1.    Le statut du citoyen

Le citoyen « saint laïc ». Les droits civiques : Burdeau. Enfant et privation de droits civiques. La constitution l’évoque peu.

2.1.1.    Un concept politique.

– la Déclaration DHC mêle droits de l’homme et droits du citoyen. Le citoyen peu présent dans texte constitutionnel (art.1, 34, 75 et 88-3). Renvoi à CP (vote, fonction publique, décoration, armes, impôts …). Exercice des libertés publiques. Création d’un défenseur des droits par la loi du 23 juil. 2008.

– avant tout nationale : art. 3 de la constitution. Restriction droit de vote (sauf communautaires art. 88-3, sauf maire et adjoint). Tous les nationaux ne sont pas citoyens. Mode de scrutin. Mineurs et interdits de droits civiques exclus du vote (art. L. 6 du code électoral).

2.1.2.    La dimension économique.

– travail et cohésion sociale : déficits publics et santé, école, protection. Substitution capital-travail. Droit au travail, droit constitutionnel. Droit à la formation.

– citoyenneté dans l’entreprise : importance des droits du travail. Intervention sur les conditions de travail et sur la gestion. 1864, 1884… Travail du dimanche. Statut du travail salarié. Citoyenneté de ou dans l’entreprise. Ethic Business.

2.1.3.    La dimension sociale.

– le social dans la citoyenneté. Caractère cumulatif des carences et « vies » inégales. LDH.

– revenu de citoyenneté ? travail et activité ; citoyen-travailleur-allocataire social.

2.2. Le citoyen dans la cité

2.2.1. La libre administration des collectivités territoriales.

– la mise en oeuvre du principe : art.72 Const. , loi du 2 mars 82 (exécutif et contrôle a posteriori). Garanties statutaires et statut de l’élu.
Loi constitutionnelle du 28 mars 2003 : organisation décentralisée de la République ; expérimentation possible sous conditions ; droit de pétition pour inscription à l’ordre du jour d’une assemblée délibérante ; référendum y compris décisionnel dans certains cas ; autonomie financière de principe ; compensations financières si transfert de compétences.
Projet de réforme des collectivités territoriales actuel (acte III) : regroupesments, métropoles, conseillers territoriaux, suppression de la taxe professionnelle.

– un principe de portée limitée : par d’autres principes (indivisibilité de la République), par l’absence de domaine législatif propre, par le contrôle de légalité et le contrôle budgétaire (CRC), par la contractualisation.

2.2.2. La démocratie représentative locale.

– un équilibre des pouvoirs favorable aux exécutifs : disparité des modes de représentation. Désaffection électorale. Le chef de l’exécutif irresponsable après élection.

– des élus entre administration et management : extension des possibilité et des droits. Cumul des mandats. Développement de la gestion privée. Effet de l’intercommunalité (90%, rôle des experts). Dégradation du statut des fonctionnaires territoriaux (loi Galland, et depuis : de modernité, de mobilité).

2.2.3. La difficile intervention des citoyens.

– recherche de la transparence. Participation institutionnelle (art. L300-2 CU). Consultations obligatoires. Commissions extra-municipales. Comités d’initiative et de consultation d’arrondissement PLM.

– référendum communal très encadré, purement consultatif à l’origine peut être décisionnel depuis la réforme de la loi  constitutionnelle de 2003. Rôle des associations.

2.3. Le citoyen et les institutions

15 constitutions. Montesquieu, Voltaire, Rousseau. 2 lignes de forces Louis-Napoléon Bonaparte 14 janvier 1852 et Constitution du 24 juin 1793 (assemblées primaires, députés élus pour un an). V° hybride. 24 modifications depuis 1958, 19 depuis 1992, la plus importante le 28 juillet 2008.

2.3.1. Le peuple souverain.

– souveraineté nationale (dr) et souveraineté populaire (dd). Indivisibilité et compétences déléguables. V° République (art. 3). La citoyenneté, co-souveraineté régie par le contrat social est une création continue.

– les moyens de la démocratie directe : plein exercice droits et libertés, démocratie représentative et participative, droit de pétition, initiative populaire des lois. Pas de réglementation excessive. Loi de 2003 : référendum et pétition au niveau territorial ; loi de 2008 : possibilité de référendum sur proposition de loi soutenue par un cinquième des membres u Parlement et un dixième des électeurs sur sujet de l’art. 11.

– la question du référendum : confine au plébiscite. Art. 11 et 89 de la C. « Le référendum peut être liberticide, les Bon aparte en ont administré la preuve » (O. Duhamel). 3 perdus sur 27 depuis la Libération ; 2/10 de 1958-2005.

2.3.2. La loi expression de la volonté générale.

– taux d’abstention croissant à toutes les élections (sauf présidentielle). La loi est votée par le Parlement. L’élaboration de la loi est entre les mains du gouvernement (ordre du jour, amendements téléguidés, y c. propositions de lois). Transferts de compétences à l’UE. Politique spectacle.

– le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation.

– la clé de voûte sous la V° R : le Président de la République. Les cohabitations (86-88, 93-95, 97-2002). Possibilité de s’exprimer devant le congrès depuis 2008.

2.3.3. La cohérence de l’Etat de droit.

– facteurs externes de cohérence : art. 55 C. Arrêt Nicolo du CE en 89. Art 88-4 : transmission aux assemblées des propositions communautaires de valeur législative.

– facteurs internes : dualité des ordres juridictionnels. CSM, CE, CC. Montée en puissance du rôle du Conseil constitutionnel, organisme politique en forme juridictionnelle. Possibilité pour les citoyens de saisir le CC de l’inconstitutionnalité d’une loi (filtrage du CE et de la CC).

– cohérence controversée : cohabitation, élection du PR au suffrage universel, mode de scrutin, instabilité constitutionnelle.

–  parlementarisme rationalisé-monarchie aléatoire-dérive bonapartiste ?


3.    LA DYNAMIQUE DE LA CITOYENNETE

3.1.    La crise de la citoyenneté

3.1.1.    Crise de l’individualité.

– civisme et incivilité ; jeunes sans identité historique ; causes selon S. Roché : tolérance aux petits délits, départ gauche, réassurance, déclin du courage d’aide à ordre public.

3.1.2.    Crise des représentations.

– “ Là ou est le représenté … ” (J-J. Rousseau). désuétude de la forme parti : affaiblissement bipolarisation D/G (socio., éco., idéol.).

– altération des médiations : associations (ambivalence, lobbying, scandale) : médias (audimat, manipulation, marché-journalistique-culturel).

3.1.3. Crise de système : pertes des repères : au-delà des symptômes : Etat-nation (entre infra et supranationalité), classe, cadre géographique,  famille et moeurs, idéologies messianiques.

3.2. Les droits du citoyen et les droits de l’homme

Rivero. Divergences possibles entre libertés et pouvoirs.

3.2.1. Le modèle de citoyenneté en question

– métamorphose ou mutation (E. Morin). Identité nationale et citoyenneté.

– citoyenneté à la française : par héritage ou par scrupules (S. Duchesne). Nouvelle citoyenneté. Vers le « régime des identités » de P. Nora ? Légitimation supranationale.

3.2.2. Les droits de l’homme en substitut ?

– le champ large de la Déclaration universelle de 1948. Problème de l’art. 28 du droit d’ingérence.

– les déclarations constituent un ensemble incertain. Dénominateur minimal commun. Difficulté à penser le multiple (M. Delmas-Marty). Nombreuses réserves et dérogations. Peu de droits à protection absolue (torture, esclavage, non rétroactivité).

– faiblesse face à la raison d’État. Les droits de l’homme comme régulateurs dans la sphère sociale (M. Gauchet).

3.2.3. Face à la raison d’État

– la raison d’État légitime (t. echnologie du pouvoir) et illégitime. La citoyenneté sur le terrain du pouvoir, les droits de l’homme sur celui des libertés.

– des moyens de coercition existent : déclaration de violation de la Convention européenne avec « satisfaction équitable », sanctions économiques. En interne, le contrôle de la raison d’État souvent conduit à des impasses (secret de l’instruction et secret défense).

3.3. La citoyenneté dans la mondialisation

Renan « Qu’est-ce qu’une nation ? » 11 mars 1882.

3.3.1. Du national à l’universel

– liaison citoyenneté-nationalité : Thomas Paine, Garibaldi, K. Renner, URSS, Nouvelle-Calédonie, peuple corse. Progressiste puis identitaire (nombre lié à décolonisation et effondrement bloc soviétique ; réflexes nationalistes). “ La nation est et demeure … ”.

– renvoi à responsabilité propre. Recours pour excès de pouvoir. « Génome » de citoyenneté et Amartya-Sen. Nouvelle centralité ?

3.3.2. L’institution d’une citoyenneté européenne

– après une longue marche, une citoyenneté a minima, une définition problématique.

– une faible densité : « Il est institué une citoyenneté de l’Union … ». Circulation, séjour, vote pétition, protection diplomatique, médiateur. Hymne, drapeau, passeport, carte verte, assurance, etc. Droit de vote aux étrangers non communautaires ?

– une citoyenneté de superposition. OPNI, sans autonomie (s’ajoute), réserves, options économiques et financières. La Charte des droits fondamentaux n’apporte pas grand chose de nouveau. Options économiques et financières essentielles (trop de droit et d’économie, pas assez de politique et de social).

– pour quelle communauté politique ? Quel triptyque VxExD ? Des perspectives de développement (art. 25 TUE). Résultat du référendum du 26 mai 2005 sur traité de Lisbonne, puis, Pays-Bas, Irlande …

3.3.3. La perspective d’une citoyenneté mondiale.

– la nation n’est légitime que par sou ouverture sur l’universel. Espace fini géographique et anthropologique.

– l’émergence de valeurs universelles : certaines communément admises (paix, sécurité, développement, protection de l’écosystème, droits de l’homme …). D’autres plus discutés (intérêt général, service public, droit du sol, laïcité …). Confrontation convergence.

– un processus diversifié de mondialisation : du capital, post-moderne par la consommation, ONG ; Internet et civilité mondiale, Bases du droit international : Déclaration de 1948, Charte des Nations Unies, CG sur réfugiés de 1951 …

– la conscience d’une communauté de destin : croissance de l’en-commun appelant progrès de l’unité de destin du genre humain. Synergie des citoyennetés nationales et continentales.

Réponse à l’analyse de Jacques Fournier sur « Les racines et les rêves »

Merci pour ce texte qui m’a intéressé car il est toujours un peu surprenant de se découvrir dans la vision d’un autre. Je le mettrai aussi sur mon blog.

http://jacquesfournier.blog.lemonde.fr/

En revanche tes deux remarques finales ne m’ont pas surpris.

J’ai laissé la notion de « bien réel » dans le flou délibérément. De façon élémentaire on peut considérer que c’est le pouvoir direct d’un sujet de droit sur une chose. Dans cet esprit la propriété publique est un pouvoir sur le capital au niveau de l’ensemble de la société Mais je pense qu’il ne faut pas s’en tenir à cela, il existe d’autres formes de ce pouvoirs : des servitudes, des déclarations d’utilité publique, des droit de préemption, etc. Ce que je veux signifier par là c’est, d’une part que c’est de la combinaison de ces formes de pouvoirs que doit résulter la maîtrise, et, d’autre part, que cette diversification des pouvoirs implique une explicitation des finalités qui a beaucoup de parenté avec ce que tu dis de l’économie des besoins et que je partage pleinement. Ce n’était pas ignoré du programme commun mais largement sous-estimé.

La deuxième question est celle de la place de la propriété publique selon, précisément, les finalités (les besoins notamment). Je suis d’accord avec cette diversification. Sauf qu’elle méconnaît, en restant essentiellement analytique (entreprise par entreprise, secteur par secteur, région par région, etc.) la nécessité macropolitique et macroéconomique d’établir au niveau de la société tout entière (nation, continent, monde) un rapport de forces avec le capital donc l’affaiblissement de la propriété est un moyen incontournable sinon suffisant (« La où est la propriété, là est le pouvoir ! »).

C’est la mise en forme et en cohérence de tout ce qui précède que j’appelle « appropriation sociale ».

Je ne pense donc pas du tout que nos réflexions respectives soient antagoniques, je les crois au contraire tout à fait complémentaires. Pour ma part je ne suis pas bloqué sur ce qui précède, je souhaite seulement qu’un débat se développe sur ces questions ce qui n’est nulle part le cas en ce moment.

Point de vue de Jacques Fournier sur « Les racines et les rêves », 9 juillet 2010

« Les racines et les rêves »: c’est le titre, joliment choisi, du dernier livre d’Anicet Le Pors, publié aux éditions Le Télégramme. Il se présente sous la forme d’un entretien avec un journaliste, Jean-François Bège. A priori je me méfie de ce type d’ouvrage, qui offre aux hommes politiques pressés une solution facile pour s’exprimer. Le contenu véhiculé de cette manière est le plus souvent aussi banal en la forme que superficiel dans l’analyse.
L’ouvrage d’Anicet Le Pors échappe à cette critique. Il a manifestement été pensé et contrôlé de bout en bout. On ne s’en étonnera pas si l’on connaît un peu l’auteur, qui me disait un jour : « on n’improvise bien que ce que l’on a préparé ».

« Les racines et les rêves » nous présentent un parcours atypique et des idées rafraichissantes.

Au nom d’Anicet Le Pors on a coutume d’associer sa qualité de ministre communiste de la fonction publique dans le gouvernement de la gauche mis en place après l’élection de François Mitterrand en 1981.
Et il est vrai que ce fut là un moment particulièrement important dans son itinéraire. Recoupant mes propres souvenirs de cet épisode, le livre rapporte les conditions dans lesquelles la participation des communistes a été négociée avec Mitterrand et Mauroy, et il revient, comme on pouvait s’y attendre, sur ce que furent les grands chantiers de son ministère.
Mais la vie politique d’Anicet Le Pors ne se réduit pas à ces trois année, aussi denses qu’elles aient pu être.
Son livre nous montre qu’il n’aura pas été un communiste standard. Son premier engagement fut à la « Jeune République » petite formation d’inspiration chrétienne, dans le sillage de Marc Sangnier. Il n’a adhéré au parti communiste qu’ en 1958, au lendemain du réferendum sur la constitution de la cinquième République à laquelle le PCF était le seul parti à s’opposer. Il s’est assez rapidement taillé une place dans l’appareil, mais sans s’y inféoder. Il n’aura jamais été un « permanent » du parti et l’exercice de fonctions publiques, d’abord dans la prévision météorologique, au Maroc, ensuite dans la prévision économique, au ministère des finances, enfin, après son départ du gouvernement, au Conseil d’Etat, lui aura permis, avant comme après, d’asseoir son autonomie.
L’entrée au Conseil d’Etat et surtout la façon dont elle fut vécue par Le Pors constitue une autre originalité de ce parcours. « Ma nomination au Conseil d’Etat » dit-il « a été le plus grand événement de ma vie professionnelle mais aussi de ma vie politique. J’en ai tiré plus de satisfaction et, disons le, de fierté, que de mon entrée au gouvernement ». Pour avoir connu d’autres hommes politiques nommés au tour extérieur au Conseil d’Etat, et souvent pressés d’en ressortir, j’apprécie à sa juste valeur cette prise de position et puis témoigner de sa réalité.
Anicet Le Pors a trouvé au Conseil d’Etat une institution qui défendait et promouvait des valeurs auxquelles il s’identifiait – service public, égalité, laicité, responsabilité – en même temps qu’un lieu où pouvait s’affirmer sa puissance de travail et son esprit d’équipe. Il s’y est complètement investi, sans, là encore, abdiquer de sa liberté d’agir ou de penser, continuant à écrire, à prendre position, au service des causes en lesquelles il croit.
Son avant-dernier ouvrage, « Juge de l’asile » (Michel Houdiard, 2010) , qui rend compte de son expérience en tant que président de l’une des formations de la Cour nationale du droit d’asile, atteste de la diversité et de la richesse de ses engagements.

Anicet Le Pors a contribué à mettre au point, et il a donc partagé, les analyses du parti communiste français – sur le « capitalisme monopoliste d’Etat », sur les conditions du passage au socialisme – au cours des deux décennies qui ont précédé le retour de la gauche au pouvoir en 1981. Il a aujourd’hui pris du recul. Ses positions ont évolué. Il reconnait le côté trop mécaniste des concepts alors retenus. Il accorde plus d’importance que par le passé à la question institutionnelle. Il a approfondi sa réflexion sur la citoyenneté. Il développe une vision de l’évolution de la société humaine à laquelle la prise en compte du long terme et l‘acceptation de l’aléa donnent une beaucoup plus grande plasticité.
Pour autant, et c’est en cela que ses idées sont toniques au sein du concert néolibéral qui nous assourdit, il reste fidèle au projet d’une transformation en profondeur de l’ordre existant. Les mots socialisme et communisme n’ont pas disparu de son vocabulaire, même si le second n’est avancé, c’est le cas de le dire, qu’avec beaucoup de précaution.
« Le mouvement communiste du XXème siècle a été chargé d’erreur et de fautes graves. Il a été marqué également par l’abnégation et le courage d’innombrables communistes qui, en tout état de cause, méritent le respect et laisseront une trace forte dans l’histoire..…. La conviction que j’exprime et l’hypothèse que je fais ici est qu’aucun autre mot ne pourra mieux que « communisme » dire au XXIème siècle le primat de la raison et l’espérance du genre humain. Bref, dans ces temps ingrats, un mot à protéger. Au nom du principe de précaution si l’on veut ».
Parmi les conditions de réalisation d’un projet socialiste (dont il considère au passage que le parti du même nom « n’a pas le moindre souci de lui donner quelque contenu que ce soit »), Anicet Le Pors fait figurer l’ « appropriation sociale » d’un certain nombre de biens publics. C’est un sujet sur lequel il revient à plusieurs reprises et dont je sais qu’il lui tient à cœur. L’appropriation sociale représente pour lui la « troisième génération » du droit de propriété après la propriété privée de la déclaration des droits de 1789 et la propriété collective du préambule de la constitution de 1946.
J’aimerais lui poser deux questions à ce propos.
La première porte sur la définition même de cette notion d’appropriation sociale dont l’auteur nous dit que, « au delà du transfert juridique », qui est nécessaire mais ne suffit pas, elle devrait être assortie de « droits réels » « permettant de faire prévaloir la maitrise sociale sur les intérêts privés ». Je ne saisis pas bien quels sont ces droits réels, qui les exerce et quels instruments devraient être mis en place à cet effet.
La seconde question concerne le champ que devrait couvrir cette appropriation sociale présentée comme « la base matérielle nécessaire de services publics nationaux, internationaux et mondiaux, dont le XXIème siècle pourrait être l’âge d’or ». Faut-il aller jusqu’à dire qu’il ne devrait pas y avoir service public sans propriété publique et opérateur public ?

Je pense, comme Anicet Le Pors, que le dépassement du capitalisme implique une extension progressive des domaines dans lesquels l’action publique, la décision collective, même si elles lui laissent une place, prennent le pas sur le jeu du marché. C’est le champ de ce que j’ai proposé d’appeler l’économie des besoins.
Quelles formes doit prendre l’intervention publique en ces domaines ? Quelle est la condition première de son efficacité? Quelles modalités d’organisation doivent être privilégiées et sont-elles les mêmes d’un secteur à un autre ? Quelle place, dans tout cela, faut-il faire à la propriété publique ou sociale telle qu’il l’entend ?
Ces thèmes de discussion mériteraient d’être approfondis. Le livre d’Anicet Le Pors ouvre largement le débat. Il faudra le poursuivre et le concrétiser si l’on veut que prennent un jour consistance les « rêves » qu’il nous invite à partager.