Refonder la République pour la sauver – La Terre, n°3337, 3 novembre 2008

Entretien réalisé par Olivier Chartrain

 

En 1958, la France se dotait d’une nouvelle Constitution. Cinquante ans après, que devient cette Ve République souvent mise en cause, régulièrement amendée, mais toujours en place ? La Terre a demandé l’avis d’Anicet Le Pors, ministre de la Fonction publique de 1981 à 1984, membre du Conseil d’Etat depuis 1985, spécialiste des questions institutionnelles.

La Terre : 50 ans après, la Ve République connaît-elle une dérive autoritaire ?
Anicet Le Pors : Cette Constitution est née dans le contexte de la décolonisation et du coup de force des généraux d’Alger : les craintes de dérive autoritaire existaient donc dès le début. Ses promoteurs ont fait beaucoup d’efforts à l’époque pour convaincre que qu’il s’agissait encore d’un régime parlementaire, Michel Debré inventant pour ce faire l’expression de « parlementarisme rationalisé ». Mais dès 1962 le panorama a changé avec l’instauration par De Gaulle, grâce au référendum, de l’élection du président de la République au suffrage universel – il était au départ élu par un collège d’environ 80 000 grands électeurs. Il n’était dès lors plus question de « parlementarisme rationalisé ». La contradiction s’est révélée à l’occasion des cohabitations : en fonction du résultat concordant ou non des élections présidentielle et législative, le pouvoir exécutif revenait soit au président de la République, soit au Premier ministre. Ce qui est une incongruité : on ne vote pas à la fois sur les personnes et sur la règle du jeu ! Un constitutionnaliste a inventé l’expression de « monarchie aléatoire », pour caractériser cette dérive présidentialiste survenue depuis 1962. Un phénomène aggravé par la réforme de 2000, instituant le quinquennat et surtout liant législative et présidentielle de façon qu’il n’y ait plus de contradiction entre l’une et l’autre. Mais ce faisant, on n’a fait qu’accentuer – je l’avais dit à l’époque – la tendance au présidentialisme. « Parlementarisme rationalisé », puis « monarchie aléatoire » : aujourd’hui avec Sarkozy, on entre dans une troisième phase.

Laquelle ?
Il ne s’embarrasse pas des institutions, qu’il traite avec désinvolture. Tous ses comportements, qu’il s’agisse de l’usage qu’il fait de ses femmes, de la considération qu’il a pour son Premier ministre et ses ministres, de son interventionnisme en tous domaines sans égards pour la répartition des pouvoirs telle que la Constitution la prévoit… Robert Badinter a parlé de « monocratie », moi de dérive bonapartiste… Je ne sais pas comment on appellera ça, avec le recul. C’est une sorte de pragmatisme institutionnel qui tend à mépriser la règle de droit, et fait donc courir aux institutions des risques importants de dérapage, de renforcement du caractère autoritaire du régime. Un risque qui était présent dès le départ, nous l’avons vu.

Justement : 50 ans après, que reste-t-il des critiques sévères de la gauche sur cette Constitution ?
Il n’en reste pas grand-chose, dans le sens où presque tout le monde semble avoir abdiqué. Le Parti socialiste s’est officiellement rallié aux institutions de la Ve République et n’en critique plus, à la marge, que les dérives autoritaires. Le Parti communiste, lui, est un peu dans le flou. Quand on interroge des responsables, ils maintiennent leur opposition sur le fond à l’élection du président de la République au suffrage universel ; mais ils semblent en même temps considérer que les Français sont acquis à cette pratique, qu’on ne peut donc pas la combattre utilement et que par conséquent, mieux vaut revendiquer pour le moment une démocratisation du régime. Quelqu’un comme Jean-Pierre Chevènement, lui, est ouvertement pour un régime présidentiel classique… En tout cas la gauche, sur les institutions, est absolument divisée. Ce n’est certes pas un préalable pour agir ensemble, mais cela reste problématique, les institutions n’étant rien d’autre que le modèle de la société que l’on souhaite.

Quelles devraient être selon vous les bases d’une vraie réforme institutionnelle, d’une vraie démocratisation de la République ?
Il faut d’abord faire un choix simple : est-on pour un régime parlementaire ou pour un régime présidentiel ? Clairement, je choisis le régime parlementaire.

On nous répète pourtant qu’un régime parlementaire est par nature instable…
Non. Que la démocratie soit une question difficile, on ne peut le nier ; mais ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il faut récuser – c’est d’ailleurs vrai de toute Constitution. Il ne s’agit donc pas de méconnaître les difficultés qu’il y a à faire fonctionner un régime parlementaire, mais d’avoir le courage de dégager les solutions qui répondent au mieux à ce que l’on souhaite. Premièrement : quel contenu donner à la démocratie directe ? On ne peut plus se réunir sur l’agora, comme les Grecs anciens. La démocratie représentative est donc indispensable. Mais il faut considérer avec sérieux les possibilités d’intervention directe des citoyens. Il y a ce qu’on appelle la démocratie participative, mais ce n’est pas tout : on peut penser à une extension du droit de pétition, à une sorte d’initiative populaire des lois… la Constitution de l’An 1, en 1793, prévoyait ainsi de faire ratifier les lois de la République par des assemblées départementales. De plus en plus de gens utilisent Internet : on devrait pouvoir trouver des formes modernes d’intervention des citoyens – même si le réalisme commande de poser des limites. Il faut aussi réfléchir au contrôle des citoyens sur leurs élus, par exemple en prévoyant, en réglementant des comptes-rendus de mandats. Il faut aussi regarder du côté du raccourcissement des mandats, d’une limitation très sérieuse du cumul, d’un statut de l’élu… Mais la démocratie directe, c’est avant tout le plein exercice des droits et des libertés – qui devraient être étendus – par les citoyens. Si les citoyens utilisent tous leurs droits et exercent toutes leurs libertés, on peut avoir une démocratie directe très vivante : droit de manifestation et de grève, mais aussi développement de la liberté d’opinion, d’association, de publication…

Quelle forme prendrait alors la démocratie représentative ?
Il faut d’abord choisir : la représentation doit-elle d’abord représenter – c’est-à-dire être aussi fidèle que possible à l’opinion publique, à la communauté des citoyens – ou bien d’abord avoir pour objet la création de majorités, c’est-à-dire de dégager des instruments d’exécution ? Pour moi, elle doit d’abord être représentative, le problème de l’exercice exécutif du pouvoir se pose après. Cela suppose la proportionnelle aux élections, sans ambiguïté – ce qui n’empêche pas réfléchir dans quel cadre celle-ci s’exerce. Enfin il y a une troisième question, qui est de donner une cohérence à tout cela, une cohérence à l’Etat de droit ainsi établi. Autrement dit : comment on articule les normes juridiques aux niveaux infranational, national et supranational ? Quelle relation entre les normes européennes et les normes nationales ? C’est sur ce point qu’il y aurait, je pense, le plus de compléments à apporter au projet constitutionnel que le Parti communiste avait élaboré en 1989, pour déterminer comment on répartit les pouvoirs, du village jusqu’au Conseil de sécurité des Nations-Unies.

La V°, et après ? – l’Humanité Dimanche, 2 octobre 2008

50° anniversaire de la constitution de la V° République

La constitution de la V° République est née en 1958 dans un contexte de guerre coloniale et de coup de force militaire. Ses concepteurs ont soutenu qu’elle mettait en place un « parlementarisme rationalisé ». L’illusion n’a pas tenu longtemps et un nouveau coup de force, constitutionnel celui-là, a instauré l’élection du président de la République au suffrage universel en 1962 qui a infléchi radicalement les institutions dans un sens présidentiel qu’elle n’a cessé d’accentuer depuis. Les cohabitations de 1986-1988 et 1997-2002 ont donné naissance à une « monarchie aléatoire » (le pouvoir exécutif étant détenu par le Président de la République ou le Premier ministre au hasard des scrutins) à laquelle il a été répondu en 2000 par le quinquennat et la prévalence de l’élection présidentielle sur les élections législatives. Avec la récente loi constitutionnelle, on est entré dans une troisième phase, celle de la « constitutionnalisation du sarkozysme », sorte de pragmatisme bonapartiste encore non abouti (l’Humanité, 4 août 2008).

Sinon quoi d’autre ? Trois voies sont possibles.

Les tenants démocrates de la V° République préconisent le retour au « parlementarisme rationalisé ». Mais on ne fait pas remonter un fleuve à sa source. La V°, dès sa naissance, portait en elle sa dérive présidentialiste.

Certains invoquent une VI° République. Le plus souvent pour cacher une absence de réflexion sur la question institutionnelle, ou par manoeuvre. On ose espérer que de Besancenot à Le Pen il ne s’agit pas de la même. Au surplus, l’événement n’est pas là : en France, aucune république n’est née en dehors du drame et du sang. On ne joue pas avec les numéros.

Reste à engager un travail sérieux sur la question. Le PCF disposait en 1989 d’une Déclaration des libertés et d’un Projet constitutionnel qui restent pour l’essentiel valables (sauf à approfondir les questions de la citoyenneté et de la subsidiarité). Il les a abandonnés et le « projet de base commune de discussion » en vue de son prochain congrès est vide sur le sujet.

Un tel travail ne s’improvise pas, mais il est pourtant possible d’avancer dès maintenant en répondant sans détour à trois questions.

Est-on favorable à l’élection du président de la République au suffrage universel ?

Est-on favorable au maintien du scrutin majoritaire pour l’élection des assemblées représentatives ?

Est-on favorable au recours au référendum comme mode principal d’expression de la démocratie directe ?

Aux trois questions, ma réponse est : non.

 

Anicet Le Pors

François Mitterrand et la Fonction publique (1981-1984)

Le travail du gouvernement dans le domaine de la Fonction publique et des Réformes administratives entre 1981 et 1984 et l’appréciation de François Mitterrand en 1985

Vu par Jacques Fournier dans son ouvrage Itinéraire d’un fonctionnaire engagé (Dalloz, 2008)

Entre 1981 et 1984, François Mitterrand s’est peu intéressé à ce qui se passait dans la fonction publique, ne manifestant un avis personnel que sur certaines questions particulières : la loi du 19 octobre 1982 relative à la réglementation du doit de grève dans les services publics, les projets de réforme administrative surtout évoqués dans des communications en Conseil des ministres, la 3° voie d’accès à l’ENA, la limite d’âge des grands corps. Avocat de formation, il avait peu d’inclination pour les questions concernant l’administration et ses fonctionnaires. L’élaboration législative et réglementaire sur les fonctionnaires et la fonction publique durant cette période a été réalisée en concertation avec les organisations syndicales et en relation étroite avec le Premier ministre Pierre Mauroy et son cabinet.

Les extraits qui suivent sont tirés de l’ouvrage de Jacques Fournier, alors Secrétaire général adjoint à l’Élysée puis Secrétaire général du Gouvernement , Itinéraire d’un fonctionnaire engagé (Dalloz, 2008).

p. 252-253

« Les ministres communistes ont pleinement joué le jeu de la participation au gouvernement. Ils ont comme il était normal défendu leur point de vue. Ils ont voulu marquer leur territoire. Fiterman avec la loi d’orientation sur les transports intérieurs (LOTI) du 30 décembre 1982. Le Pors avec les lois sur la fonction publique du 13 juillet 1983. Mais ils n’ont pas failli à la solidarité ministérielle et on ne peut en aucune manière leur reprocher d’avoir cherché à faire prévaloir des points de vue partisans. »

« Charles Fiterman, ministre d’État, jouera à l’intérieur du gouvernement un rôle dépassant ses attributions, déjà en elles-mêmes importantes de ministre des Transports. Il eu un excellent cabinet au sein duquel mon ami Braibant occupait une place éminente. Avec Anicet Le Pors, je devais, comme je le dirai plus loin, avoir des rapports étroits sur les thèmes de la réforme administrative. C’est Marcel Rigout, ministre de la Formation professionnelle, lui aussi homme de caractère, que j’eus le moins l’occasion de pratiquer. »

p. 263

« Si le programme de la gauche a été mal ou insuffisamment appliqué, il ne faut pas chercher la raison dans le comportement d’une caste bureaucratique … Certes, il y a toujours une certaine inertie de l’administration. Mais le ministre qui le voulait pouvait parfaitement conduire les réformes. Il ne tenait qu’à lui d’afficher clairement ses intentions et d’affirmer son autorité. Anicet Le Pors, ministre communiste de la Fonction publique, a eu de nombreux mois comme directeur général de la fonction publique l’un de mes collègues du Conseil d’État, Marcel Pinet, qui n’était absolument pas de son bord politique. L’un et l’autre se sont parfaitement accommodés de cette situation et ils ont su faire de concert, en prenant chacun les responsabilités qui leur incombaient, un excellent travail. »

p. 324-327

« Certes la notion de réforme administrative apparaissait dans la dénomination du département ministériel confié à Anicet Le Pors dans les gouvernements Mauroy 2 et 3… Dans le gouvernement Fabius, Jean Le Garrec, qui lui succédait, portait le titre de secrétaire d’État « chargé de la fonction publique et des simplifications administratives ». Mais pour les soutenir dans cette partie de leur tâche, ils ne disposaient que d’une petite cellule située à l’intérieur de la direction de la fonction publique.

Je réunis périodiquement dans ce but, d’une manière informelle, un groupe de réflexion de haut niveau associant la direction de la fonction publique, celle du budget et celle des collectivités locales au ministère de l’Intérieur. Anicet Le Pors, aurait pu considérer que, ce faisant, je marchais sur ses plates bandes et en prendre ombrage. Il eut au contraire l’intelligence de donner le feu vert à ses collaborateurs pour participer à ces réflexions et j’ai l’impression qu’il fut heureux de me voir lui proposer des éléments de programme qui pourraient alimenter ses communications sur ces sujets au conseil des ministres.

La grande œuvre de Le Pors pendant ses années de ministère fut la refonte du statut de la fonction publique avec la mise en place d’une nouvelle architecture législative : un texte général sur les droits et obligations des fonctionnaires et trois lois pour chacune des trois fonctions publiques de l’État, territoriale et hospitalière (cette dernière n’aboutira qu’après son départ). C’est à cette construction imposante, que d’aucuns jugent trop systématique et contraignante, mais qui a incontestablement un certain panache, qu’il consacra, avec le concours de son directeur de cabinet René Bidouze venu de la CGT, et des directeurs successifs de la fonction publique, Michel May, venu du budget, et Marcel Pinet, venu du Conseil d’État, l’essentiel de ses efforts.

Sur la réforme administrative il était plus sec. Je l’aidai à définir ses orientations, qu’il présenta au conseil des ministres du 16 février 1983 : élaboration d’une charte des relations entre l’administration et les usagers ; développement de l’utilisation des technologies nouvelles ; simplifications administratives ; déconcentration des services de l’État ; amélioration des instruments d’analyse et de contrôle de l’activité administrative. La charte pris finalement la forme d’un décret qui n’apportait que des améliorations limitées aux droits des citoyens face à l’administration. Elle n’a pas vraiment marqué une date entre les lois qui, sous le septennat de Giscard d’Estaing, avaient introduit des innovations intéressantes (motivation des décisions administratives, accès aux documents administratifs, CNIL, médiateur), et celles qui reviendront sur ces thèmes à la fin des années quatre-vingt-dix.(1)

Il en fut de même de l’étude que nous avions demandée au Conseil d’État, dans le cadre de sa nouvelle section du rapport, sur les structures gouvernementales et l’organisation administrative. Le rapport du Conseil fut établi en décembre 1985. Il avait été préparé par un groupe de travail présidé par Bernard Tricot et auquel Anicet Le Pors avait pris une part active. Il faisait, sur ce sujet qui revient périodiquement au premier plan lors des changements de président ou de gouvernement, des propositions fort intéressantes. Il se prononçait notamment pour une forte réduction du nombre des ministères et une articulation plus précise des ministres et des secrétaires d’État. Commandé par Pierre Mauroy à la veille de son départ de Matignon, remis à Laurent Fabius peu de temps avant le changement de majorité du printemps 1986, il n’aura eu aucune suite directe. »

p. 349-350

« Anicet Le Pors, lui, n’était plus au gouvernement lorsque le président s’interrogea à haute voix, le 29 mai 1985, sur l’utilité de l’ensemble législatif concernant le statut de la fonction publique dont il avait été l’artisan. Passait ce jour-là en conseil des ministres le projet de loi sur la fonction publique hospitalière, dernier volet de cet ensemble. Le commentaire de Mitterrand est en demi-teinte :  » L’adoption de ce texte s’inscrit dans la logique de ce que nous avons fait. À mon sens ce n’est pas ce que nous avons fait de mieux.  » Il évoque une  » rigidité qui peut devenir insupportable  » et des  » solutions discutables « . On ne peut plus recruter un fossoyeur dans une commune sans procéder à un concours.  »  » Il est vrai que j’ai présidé moi-même à l’élaboration de ces lois. Peut-être n’ai-je pas été suffisamment informé. Tout ceci charge l’administration et conduit à la paralysie de l’État. Il reste que c’est la quatrième et dernière partie d’un ensemble. Je ne suis pas sûr, en définitive, que ces lois aient longue vie.  »

C’était il y a 23 ans …

(1) Sur la question des réformes administratives voir : A. Le Pors, « Chronique d’une mort annoncée : le décret du 28 novembre 1983 », La Semaine Juridique, n° 6 du 5 février 2007 et sur ce blog, article n° 10.

Le projet de loi constitutionnelle – L’Humanité, 20 mai 2008

« LE RETOUR AU DISCOURS DU TRÔNE MONARCHIQUE »

Un entretien avec Anicet Le Pors, ancien ministre, conseiller d’État, réalisé par Olivier Mayer

La réforme proposée ne modifie-t-elle pas l’organisation des pouvoirs de la V° République ?

Il est difficile aujourd’hui de dire quel sera l’avenir de ce texte, tant sont fortes les contradictions qui existent au sein des deux principaux groupes du Parlement. En tout état de cause, je pense que nous sommes entrés dans une troisième phase de la V° République dont la réforme proposée ne révèle pas complètement la nature. La V° est née en 1958 sous le thème du « parlementarisme rationalisé », rapidement dénaturé par l’instauration de l’élection du Président de la République au suffrage universel. Les cohabitations de 1986-1988 et de 1997-2002 l’ont transformée en « monarchie aléatoire » selon l’expression pertinente d’un constitutionnaliste gaulliste Jean-Marie Denquin. J’ai, provisoirement, qualifié la nouvelle phase de « dérive bonapartiste » (1).

Le rôle du Parlement se trouve-t-il renforcé ?

Au stade actuel on pourrait retenir quelques mesures techniques qui iraient dans ce sens : ordre du jour partagé avec le gouvernement, discussion sur la base du texte issu de la commission compétente, délai d’un mois entre le dépôt d’un projet de loi et son examen en séance, assistance de la Cour des comptes, etc. Mais cela ne fait pas le poids devant la disposition hautement symbolique autorisant le Président à prendre la parole devant la représentation nationale. Cette faculté, qui s’apparente au « discours du trône » monarchique, s’exerçait jusque-là sous forme de messages aux assemblées ; son retour ne peut être interprété que comme une faculté d’injonction à la représentation nationale. En réalité, on ne peut comprendre ce qui se passe aujourd’hui à ce sujet qu’en rappelant que le comité Balladur avait mis en perspective, l’évolution de la V° République en distinguant quatre étapes : la première décide l’élection du Président de la République au suffrage universel en 1962 ; la deuxième instaure le quinquennat en 2000 pour éviter la cohabitation et assurer la prééminence présidentielle ; la troisième, c’est maintenant, qui focalise sur les droits du Parlement ; elle ne s’explique que par la quatrième, à venir, qui supprimerait la responsabilité de l’exécutif devant le Parlement et instaurerait un véritable régime présidentiel (2).

N’assiste-t-on pas à cette occasion à un renforcement du bipartisme ?

C’est la V° République, dès l’origine, qui a favorisé cette tendance en centrant la légitimité de la représentation sur un homme, en personnalisant à outrance la souveraineté nationale et populaire, en contraignant les partis et la société civile à se plier à la prééminence de l’élection du président de la République au suffrage universel, en appauvrissant de ce fait le débat d’idées, en aggravant ainsi la décomposition sociale. Comme on peut le constater, l’étape actuelle institutionnalise le face-à-face PS-UMP à l’exclusion de toute autre représentation.

Que serait une bonne réforme ? Une VI° République ?

Je ne reprends pas à mon compte l’idée d’une VI° République pour les raisons suivantes. Elle vise le plus souvent à couvrir le vide de la réflexion. Soutenue d’Olivier Besancenot à Jean-Marie Le Pen en passant par Marie-George Buffet et Dominique Voynet, on ose espérer que ce n’est pas la même ; c’est donc une proposition confuse. Enfin, on n’a jamais changé de République en France que dans le drame et le sang, il manque donc : l’ »Évènement ». Je n’en déduis pas qu’il y a là une loi de l’histoire, mais je pense que l’on ne peut se débarrasser de façon aussi légère – sinon irresponsable – d’une question aussi importante par un changement de numéro. Qu’il me soit permis de rappeler que le Parti communiste disposait depuis 1975 d’une Déclaration des libertés et depuis 1989 – pour marquer le bicentenaire de la Révolution française – d’un Projet constitutionnel entièrement rédigé. Aujourd’hui, d’autres choses devraient être dites, mais c’est peut-être de là qu’il faudrait repartir, avec comme idée-phare, sans laquelle nul ne peut prétendre à un changement constitutionnel significatif : la dénonciation de l’élection du président de la République au suffrage universel.

 

(1) L’Humanité, 27 août 2007.

(2) Rapport « Une V° République plus démocratique » et Le Monde, 25 septembre 2007.

Institutions : comment sortir de l’enfermement ? – Rouges vifs – Mairie du II° arrondissement de Paris, 17 mai 2008

Cette réunion est véritablement en situation puisque c’est mardi prochain que commence le débat parlementaire sur le projet de loi constitutionnelle dit « de modernisation de la V° République » sur lequel je reviendrai.

 

Je voudrais d’entrée lever un malentendu possible. Il est parfois considéré que la question institutionnelle n’est pas une question prioritaire et qu’elle doit s’effacer devant la question sociale. Deux attitudes sont alors possibles pour ceux qui défendent de point de vue : ou bien on n’en parle pas et on renvoie à plus tard la réflexion sur le sujet, ou bien on l’esquive en parlant d’autre chose, ainsi pour ne pas prendre position sur les institutions on parlera du droit des travailleurs dans l’entreprise, ce qui évitera toute discussion sur une position de classe aussi incontestable. Que vous ayez voulu organiser un débat sur la question institutionnelle est à mon avis le signe que vous ne vous situez pas sur cette position, point de vue que je partage, mais je voulais le préciser pour écarter toute diversion, à mes yeux démagogique, pour clarifier le débat.

 

Dans la campagne des élections présidentielles de 2007, l’actuel président de la République n’a pas hésité à opposer son « pacte républicain » au « pacte présidentiel » de sa rivale . On sait mieux aujourd’hui ce qu’il fallait en penser. Car c’est aussi à son sujet que l’on parle de monarchie élective, de césarisme, et pour ce qui me concerne, de « dérive bonapartiste » dans un article de l’Humanité en août dernier. De différentes façons, la question institutionnelle est revenue à l’ordre du jour, notamment par la perspective du proche débat parlementaire sur un projet issu des travaux de la commission Balladur qui suscite des interrogations. Sur ce terrain éminemment politique, il faut être évidemment présent, mais sans se payer de mot comme par l’évocation trop facile d’une VI° République, afin de masquer en réalité une absence de réflexion au fond.

 

Je commencerai par m’interroger sur la pratique actuelle du pouvoir : peut-on, comme je l’ai fait, parler de « dérive bonapartiste » ? Je dirai ensuite pourquoi je ne reprends pas à mon compte l’idée d’une VI° République, avant de m’interroger sur le fond d’une réforme institutionnelle démocratique susceptible de nous sortir du carcan actuel.

 

1. Sommes-nous menacés d’une « dérive bonapartiste » ?

 

L’histoire ne se répète pas, il faut se garder de tout excès dans la recherche d’analogie. Néanmoins, nous ne devons pas écarter ses leçons. La France a connu deux « bonapartismes » si le concept a été formé surtout par le second.

 

1.1. Qu’est-ce que le bonapartisme ?

 

Une démarche autocratique

 

Je veux simplement rappeler l’ascension de Napoléon 1er : son intervention militaire au Conseil des Cinq Cents et le coup d’État du 18 Brumaire an VIII ; son institution comme Premier Consul. Il instaure le concordat avec l’église catholique de Pie VII en 1801. Consul à vie, puis Empereur ; l’autocratisme du Consulat (suppression du Tribunat en 1807) avant l’Empire.

 

Louis-Napoléon Bonaparte est tout d’abord élu Président de la République en 1848 ; il renvoie ses ministres fin octobre 1949, les remplace par des personnalités prises à l’extérieur de l’Assemblée. Puis c’est le coup d’État du 2 décembre 1851 et l’instauration de la constitution césarienne élaborée dans la précipitation et signée par le seul Président le 21 décembre 1852. Le second Empire est également marqué par un réveil catholique (Bernadette Soubirous et ses apparitions en 1858).

 

Une sollicitation démagogique

 

L’auréole des victoires révolutionnaires et la campagne d’Égypte favorisent la montée en puissance de Bonaparte. Il est important de relever qu’il rétablit le suffrage universel pour aussitôt le stériliser en ne l’appliquant qu’à l’élection de notabilités. Puis c’est le recours répété au plébiscite-référendaire (Olivier Duhamel : « Le référendum peut être liberticide, les Bonaparte en ont apporté la preuve »).

 

Louis-Napoléon Bonaparte, lui, est passé par le suffrage universel (élu successivement député puis Président de la République). La constitution de la II° République (art. 52) lui permet de présenter chaque année, par un message à l’Assemblée nationale, « l’exposé de l’état général des affaires de la République », il s’en servira. Il procède par plébiscite : celui du 21 novembre 1852 sur le sénatus-consulte qui le fait Empereur et sénatus-consulte du 20 avril 1870 qui parlementarise l’Empire à quelques mois de son effondrement.

 

Une logique aventurière

 

Les deux Bonaparte ont fait la démonstration que la concentration du pouvoir exécutif ne garantit pas la stabilité : le premier finit à Waterloo puis Ste Hélène, le second à Sedan avant la Commune de Paris

 

1.2. La qualification « bonapartiste » est-elle pertinente dans le contexte actuel ?

 

Sur l’autocratisme

 

* La pratique des institutions de la V° République

 

Son avènement sur le thème de la « rupture » semble répondre à une loi de nécessité après des années d’immobilisme de Chirac. Chacun a pu relever, les exemples maintenant innombrables de la désinvolture avec laquelle il use des institution : Cecilia en Libye et son refus de comparaître devant la commission d’enquête condamnée par tous les constitutionnalistes (sauf Pierre Mazeaud) ; le rôle du Secrétaire général de l’Élysée Claude Guéant ; son action permanente en contradiction avec l’article 20 de la constitution : « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation » ; les ministres commis, le Premier ministre simple « collaborateur » ; l’occupation de tous les postes : Assemblée nationale et Sénat, Conseil constitutionnel, CSA, etc. ; le compte-rendu du sommet de Lisbonne fait par lui devant l’UMP ; l’autodéfinition de la « rupture », etc.

 

Plus récemment : ses initiatives sur la suppression de la publicité dans le service public de la radiotélévision ; son initiative en direction des élèves de CM2 sur la mémoire de la Shoah, puis sur l’esclavage ; la demande adressée à la Cour ne Cassation de contourner la décision du Conseil constitutionnel sur la rétroactivité des peines de la loi de Rachida Dati, fait sans précédent, la proposiion d’un service minimum dans les entreprises et services publics en méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales (art. 72 de la constitution), etc.

 

* La réforme constitutionnelle

 

Le Comité Balladur de réflexion sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la V° République peut préparer un véritable changement de régime constitutionnel dont il veut être le seul maître. Les propositions du comité ont été largement prédéterminées par le discours d’Épinal du 12 juillet 2007 vers un régime présidentiel. E. Balladur a situé le moment actuel dans un processus en quatre étapes : 1/ 1962 (la « forfaiture » selon G. Monnerville) 2/ L’instauration du quinquennat avec inversion de septembre 2000 3/ Le renforcement des droits du Parlement (thème-clé, « l’essentiel de nos réflexions » dans Le Monde du 25 septembre 2007) 4/ La suppression de la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. Après le « parlementarisme rationalisé » (quelque peu dénaturé dès 1962), la « monarchie aléatoire » initiée en 1986 (1ère cohabitation), la « dérive bonapartiste » (ou « tentation autoritaire ») ne constituerait-elle pas la 3° phase de la V° République ? Quoi qu’il en soit, Bertrand Le Gendre écrit dans Le Monde du 17 octobre 2007 : « Depuis Napoléon III, le régime présidentiel est synonyme de césarisme », et il ajoute : « Nicolas Sarkozy est surtout fort, tout bien pesé, de la faiblesse du Parlement ».

 

C’est à la lumière de ces considérations qu’il faut, à mon avis, juger le projet actuellement soumis le Parlement. La difficulté de réunir la majorité des trois cinquièmes des voix du congrès (ce qui suppose au moins le débauchage d’un certain nombre de voix du PS) a conduit à renoncer à certaines dispositions, comme celle qui prévoyait une différenciation entre la détermination et la conduite de la politique de la nation (art. 20 de la constitution). Il reste un projet regroupant une vingtaine de propositions essentiellement techniques dont quelques-unes pourraient être regardées comme de bons ajustements ( fixation à un mois le délai entre le dépôt d’un projet de loi et son examen en séance, discussion sur le texte amendé par la commission compétente, assistance de la Cour des comptes, partage de l’ordre du jour entre le Gouvernement et le Parlement, etc) mais qui ne changent rien ou presque à l’équilibre des pouvoirs et qui surtout sont dominées par une proposition fortement symbolique : la possibilité donnée au Président de la République de s’exprimer devant le Parlement. Cette initiative peut apparaître anodine, en réalité elle a une histoire. Le « discours du trône », dans les conditions de l’époque, avait été prévu dans la constitution de 1791, pratiqué par Charles X le 2 mars 1830 sur le mode menaçant après la nomination d’un ministère impopulaire (le cabinet Polignac), la comparaison n’est pas déplacée. Dans ces conditions, l’octroi de droits nouveaux aux citoyens (exception d’illégalité devant le Conseil constitutionnel) n’est que trompe l’œil.

 

L’essentiel me semble être de replacer le débat actuel dans le processus de long terme formulé par Édouard Balladur : la symbolique du présidentialisme est renforcée en attendant une déconnection de la responsabilité de l’exécutif devant le législatif.

 

Sur le populisme

 

* Le recours permanent au compassionnel

 

On pourrait multiplier les exemples ciblés : les infirmières bulgares, Ingrid Bettancourt, le pédophile, les récidivistes, les aliénés, les chiens dangereux, les faits divers. Cela s’accompagne de l’annonce de textes conséquents dans l’impréparation et le mépris du Parlement. Cette hyperactivité empêche la réplique, le débat contradictoire, l’expression de l’opposition, la préparation sérieuse de réformes véritablement nécessaires.

 

* La communication sur des thèmes appropriés

 

On connaît ses thèmes de prédilection : « travailler plus pour gagner plus », la sécurité, les immigrés. Le recours aux sondages d’opinion s’il n’est pas nouveau est devenu in véritable instrument de régulation de l’activité politique. L’accaparement sans précédent des médias est une autre caractéristique essentielle, prolongée par une réforme définie par lui seul (suppression des recettes publicitaires de Radio France).

 

* La vulgarité.

 

Sur l’aventurisme

 

* Son atout est sa faiblesse : il a du talent.

 

Sa singularité par rapport à ses prédécesseurs ? de Gaulle avait une stature, Pompidou une solidité, Giscard d’Estaing de l’intelligence, Mitterrand une culture politique, Chirac un enracinement …

 

Sarkozy a du talent, mais il n’a que du talent, qualité précaire s’il en est. Le talent médiatique est particulièrement évanescent et les retournements de l’opinion et de ceux qui la font peuvent être brutaux.

 

* L’absence de culture historique

 

Je pense en avoir fait la démonstration s’agissant de la fonction publique. Il en ignore à l’évidence les trois principes d’égalité, d’indépendance, de responsabilité ; tout comme l’existence d’une école française du « service public ». La concurrence, le marché, le contrat contre la loi, l’argent sont ses choix. J’ai dénoncé sa « forfaiture » (Le Monde, 26 septembre 2007) comme exemple d’autodéfinition de la réforme par blanc-seing de l’élection présidentielle.

 

C’est également vrai en ce qui concerne un autre exemple : le droit d’asile : la création du ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Co-développement comme le recours aux tests ADN de la loi Hortefeux contestent le droit du sol de l’Ancien Régime et de la Révolution française (L’Humanité, 19 septembre 2007).

 

Nicolas Sarkozy n’a pas la culture du pacte républicain (mise en cause du service public, du modèle français d’intégration et d’asile, de la laïcité, etc.), ce qui nous fait courir le risque de l’aventure, débouchant soit sur la désagrégation de l’État soit sur la dérive autoritaire du régime.

 

2. La proposition d’une VI° République n’est pas la bonne réponse

 

Dans la crise des institutions qui répercute la crise plus générale de la société, la revendication déclamée d’une VI° République est l’exemple même de la facilité qui le plus souvent dispense d’une réponse sérieuse au fond. Réclamée d’Olivier Besancenot à Jean-Marie Le Pen en passant par Marie-George Buffet et Dominique Voynet, on ose cependant penser qu’il ne s’agit pas de la même VI° République, mais on ne peut sérieusement le vérifier, car les projets présentés sont le plus souvent formulés de manière lacunaire, multipliant les slogans, abondant en propositions alternatives, sans aucune preuve de cohérence. L’exemple le plus frappant de cette vanité confuse est le projet de VI° République dont Alain Montebourg a fait un fonds de commerce et qui, à l’examen, de contours en concession, se révèle n’être rien d’autre qu’une V° République-bis.

 

2.1. L’importance de l’événement historique

 

Mais il existe une autre raison qui fait de la VI° République une revendication illusoire : aucune des cinq républiques qui ont marqué notre histoire récente n’est née d’une gestation spéculative. La Convention déclare le 21 septembre 1792 : « La royauté est abolie en France » et un décret du 25 septembre proclame : « La République est une et indivisible » ; ainsi est née la première République parachevant la Révolution française. La deuxième est issue des émeutes de février 1848 aboutissant à l’abdication de Louis-Philippe et à la constitution républicaine du 4 novembre 1848 ; elle sera, on le sait et l’on doit s’en souvenir, balayée par le coup d’État du 2 décembre 1852 et le référendum-plébiscite de Louis-Napoléon Bonaparte des 21 et 22 décembre. La troisième émerge à une voix de majorité de la confrontation des monarchistes et des républicains moins de quatre ans après l’écrasement de la Commune de Paris. La quatrième est issue de la seconde guerre mondiale, de l’écrasement du nazisme et de la résistance, après un premier référendum négatif le 5 mai 1946, elle est promulguée le 27 octobre 1946. La cinquième voit le jour par le référendum du 28 septembre 1958, portée par le putsch d’Alger dans un contexte de guerre coloniale. S’il y a bien crise sociale aujourd’hui, qui oserait soutenir qu’elle s’exprime du niveau des évènements qui viennent d’être évoqués ? Jamais en France on a changé de république sans événement dramatique. Dans une société en décomposition sociale profonde, il manque encore l’Évènement.

 

Cela ne veut pas dire qu’il ne surviendra pas, mais on doit au moins inviter à la prudence et au refus de la démagogie qui masque la vacuité des projets de VI° République. La question des institutions est une question sérieuse qui doit être traitée avec rigueur. Loi suprême, loi des lois, la constitution n’est pas pour autant un texte sacré. Cela est si vrai que la France a connu quinze textes constitutionnels depuis la Révolution française, soit une moyenne d’âge de quatorze ans par constitution. On est donc en droit de se demander si dans une société qui change rapidement, dans une Union européenne qui impose de plus en plus ses normes juridiques en droit interne, dans un contexte de mondialisation à la fois financière et culturelle, la constitution de la V° République, qui aura bientôt cinquante ans, est bien adaptée aux besoins actuels de la nation française.

 

2.2. Une constitution qui a fait son temps.

 

La constitution de la V° République peut être regardée comme le produit hybride de deux lignes de forces qui ont marqué l’histoire institutionnelle de la France. L’une, césarienne, peut prendre comme référence la constitution du 14 janvier 1852 de Louis-Napoléon Bonaparte. L’autre, démocratique, retiendra la constitution montagnarde du 24 juin 1793, qui n’a malheureusement pas pu s’appliquer en raison de la guerre. L’actuelle constitution a été présentée à l’origine comme un essai de parlementarisme rationalisé ; on a dénoncé ensuite son caractère présidentiel en raison de la personnalité de son initiateur, le général de Gaulle, et de l’instauration de l’élection du Président de la République au suffrage universel en 1962.

 

L’inadéquation de cette constitution à la réalité sociale est effectivement attestée par la constatation qu’elle aura fait l’objet de quatorze modifications, engagées ou abouties, depuis 1992. Dans le débat récurrent sur le sujet, jusqu’à l’émergence récente du discours éclectique sur une VI° République, la discussion principale a lieu entre ceux qui se contenteraient d’une modification mineure de la constitution existante et ceux qui souhaiteraient une évolution vers un présidentialisme moins ambigu sur le modèle américain (le Président est détenteur de l’exécutif ; il n’est pas responsable devant le Parlement ; il ne peut le dissoudre). Mais le véritable débat n’est pas entre deux formes de présidentialisme ne différant que par le degré de prééminence de l’exécutif, mais entre les deux modèles fondamentaux prolongeant à notre époque les lignes de forces précédemment évoquées : régime présidentiel ou régime parlementaire.

 

Il est donc temps de remettre sur le chantier une réflexion délaissée par intérêt ou négligence et reprise avec désinvolture (1). L’originalité d’un travail sur les institutions tient au fait qu’il n’est pas possible de le mener sérieusement sans replacer chaque proposition dans l’analyse d’ensemble du système institutionnel qui, en retour, confère à toute proposition constitutionnelle ainsi traitée, la force de la cohérence de l’ensemble. Car une constitution n’est rien d’autre qu’un modèle exprimant la conception de l’organisation des pouvoirs existant dans une société déterminée. Son schématisme en fait la force et en relativise l’importance : l’Etat de droit ne résume pas toute la société ; les institutions ne résument pas tout l’Etat de droit.

 

3. Esquisse d’un projet constitutionnel

 

Préalablement à la réalisation d’un véritable projet constitutionnel on peut tenter de répondre à trois questions essentielles : quelle démocratie directe ? quelle démocratie représentative ? quel État de droit ?

 

3.1. Quelle démocratie directe ?

 

Le peuple souverain est à la source de toute légitimité. On distingue généralement, à cet égard, la souveraineté nationale de la souveraineté populaire. La première ne prétend pas relever de la seule communauté des citoyens existante, mais aussi des générations qui se sont succédées et qui, à travers l’histoire, ont forgé un ensemble de valeurs identifiantes de la nation ainsi constituée ; elle admet donc que des représentants élus soient dépositaires de la souveraineté de la nation (et non des électeurs). La seconde se réfère au peuple, tel qu’il est dans sa réalité du moment ; elle n’admet la représentation que comme un pis-aller, pour une simple raison technique. L’article 3 de la Constitution de la V° République a résolu le problème en décidant que : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et la voie du référendum ».

 

Il reste qu’il y a un champ où l’action populaire peut s’exercer directement, sans intermédiaire, c’est celui de la démocratie dite directe. Il convient cependant de dire, avant d’évoquer cet espace, que l’intervention du peuple ne saurait faire l’objet d’une réglementation excessive. La démocratie directe c’est d’abord le plein exercice des droits et des libertés existants ; mais la simple extension des droits des travailleurs dans l’entreprise pour importante qu’elle soit et novatrice qu’elle serait ne saurait tenir lieu de projet constitutionnel. La démocratie directe c’est aussi le fortuit, l’incodifiable, l’initiative, l’épopée, le talent ; il serait vain et quelque peu totalitaire de prétendre en tout point réglementer la vie, non seulement privée mais aussi publique. Pour autant, la démocratie directe ne saurait être purement spontanée, étrangère à toute forme de régulation institutionnelle. La souveraineté nationale et la souveraineté populaire doivent pouvoir être traduites partiellement dans des règles de droit, ; celles qui existent n’épuisent pas le sujet.

 

Des progrès peuvent, en effet, être réalisés en la matière. On en donnera deux exemples. Le premier consisterait à accroître la portée du droit de pétition. Une question rédigée qui aurait réuni un certain pourcentage de signatures d’électeurs inscrits pourrait faire obligation à l’assemblée délibérante compétente pour connaître de cette question, d’en débattre et de prendre position. Cette décision pourrait ensuite, en cas d’approbation, conduire à l’élaboration des règles administratives, réglementaires ou législatives correspondantes. Le rejet du texte devrait être motivé et le débat se poursuivrait éventuellement dans l’opinion publique. Le second exemple reviendrait, sous certaines conditions, à donner l’initiative des lois au peuple. Là encore un minimum de soutiens seraient exigés sur une proposition de loi entièrement formulée. Après quoi le texte pourrait être inséré dans une procédure parlementaire et devenir une loi au terme du processus qui pourrait faire intervenir des instances déconcentrées ou décentralisées. Ce ne serait à vrai dire pas une véritable novation : la Constitution de l’An I, pourtant réputée jacobine, prévoyait déjà l’intervention des communes et des assemblées primaires des départements dans l’élaboration de la loi (2).

 

C’est cependant la question du référendum qui constitue en matière de démocratie directe la question la plus délicate. En reconnaissant à tous les citoyens le droit de concourir personnellement à l’expression de la volonté générale et à la formation de la loi, la Déclaration des droits de 1789 ouvrait la voie aux consultations référendaires et à la mise en mouvement politique du peuple. Mais on a vite pressenti les dangers du référendum et les risques qu’il pouvait faire courir à la démocratie dans les mains d’un pouvoir autoritaire relevant de la ligne de force césarienne évoquée plus haut. Olivier Duhamel le souligne : « le référendum peut être liberticide : les Bonaparte en ont apporté la preuve » (3). La Constitution de 1793 prévoyait que le peuple pouvait délibérer sur les lois proposées par le corps législatif. La Constitution de 1946 ne retenait le référendum qu’en matière constitutionnelle. La Constitution de 1958 le prévoit en deux dispositions : en matière d’organisation des pouvoirs publics, de réformes relatives à la politique économique ou sociale, de ratification des traités (Art. 11) et en matière constitutionnelle (Art. 89). Par ailleurs, la loi du 6 février 1992 a institué un « référendum communal » ; il est de faible portée.

 

Bien que les référendums sur le traité de Maastricht en 1992 et celui sur le récent projet de « traité établissant une constitution pour l’Europe », mis en échec le 29 mai 2005, aient été l’occasion de débats importants, il reste que, depuis la Libération, seulement quatre référendums sur vingt-huit ont dit « non » à ceux qui les ont organisés.

 

3.2. Quelle démocratie représentative ?

 

Outre le référendum, le peuple exerce sa souveraineté par la médiation de ses représentants. L’article 6 de da Déclaration de 1789, qui fait partie du bloc de constitutionnalité actuel, proclame que la loi est l’expression de la volonté générale, tandis que l’article 34 de la constitution dispose que la loi est votée par le Parlement. En vertu du principe de séparation des pouvoirs et pour équilibrer les fonctions normatives de l’exécutif et du législatif, les articles 34 et 37 définissent les champs respectifs de la loi et du décret. Tel est du moins le schéma théorique car, dans la réalité, c’est le Gouvernement qui a largement l’initiative du travail législatif en fixant, pour l’essentiel, l’ordre du jour du Parlement et en réservant la plus grande place à ses projets, tandis que les textes d’origine parlementaire, les propositions de lois, sont réduites à la portion congrue. Une telle pratique n’est pas conforme aux principes affichés et le préjudice est d’autant plus important que la Constitution a été modifiée en 1992 par l’introduction d’un article 88-2 disposant notamment que : « la France consent aux transferts de compétences nécessaires à l’établissement de l’union économique et monétaire européenne … », ce qui se traduit par une entrée en force du droit européen en droit interne français et limite, en conséquence, les prérogatives du Parlement national. De plus, la montée en puissance du Conseil constitutionnel à partir de 1971 en a fait un organisme politique en forme juridictionnelle qui s’est doté, au fil du temps et par voie jurisprudentielle, d’un pouvoir constituant permanent en dehors de toute source de légitimité, même si on peut considérer qu’il n’en a pas abusé et qu’il a joué parfois un rôle positif en matière de défense des libertés publiques. La représentation est donc en crise, ce qui se traduit en particulier par une hausse générale des taux d’abstentions à toutes les élections, et notamment aux élections locales qui sont pourtant celles où le citoyen est le plus proche des lieux de pouvoir et qui devraient l’intéresser davantage.

 

La situation est encore aggravée par le fait que si l’article 20 de la Constitution prévoit bien que « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation », cela dépend de la concordance ou non des majorités présidentielle et législative. Lorsqu’il y a concordance, c’est le Président de la République qui est maître de l’exécutif ; dans le cas contraire, celui de la cohabitation, c’est le Premier ministre qui a l’essentiel des compétences, même si son but est de devenir, à son tour, président, avec une majorité conforme. Cette constitution, si souvent rapetassée au cours de la dernière période, ainsi qu’il a été dit, est donc, au surplus, de caractère aléatoire, ce qui est un non-sens constitutionnel et très malsain pour la démocratie. En effet, avant les élections présidentielle et législatives, on ne sait qui du Président de la République ou du Premier ministre détiendra finalement le pouvoir exécutif selon qu’il y aura, ou non, concordance des majorités. L’instauration du quinquennat a aggravé le phénomène. Alors que Michel Debré, promoteur de la Constitution de la V° République, prétendait instaurer un « parlementarisme rationalisé » le professeur Jean-Marie Denquin, pourtant gaulliste, parle aujourd’hui de « monarchie aléatoire » (4). C’est donc le statut du Président de la République, aujourd’hui clé de voûte des institutions, qui est le point de départ de toute réforme institutionnelle conséquente.

 

Il ne saurait y avoir deux sources de légitimité concurrentes de la représentation nationale et populaire. Or, en France, pour des raisons historiques et par le jeu naturel des pouvoirs, la légitimité d’un président élu au suffrage universel l’emportera toujours sur celle que partagent plusieurs centaines de parlementaires élus localement au scrutin majoritaire. Il faut donc choisir : le Parlement ou le Président. Comment soutenir qu’est conforme à la ligne de force traditionnelle des Lumières, cette délégation massive de souveraineté que représente l’élection du Président de la République au suffrage universel ? C’est pourquoi le choix fait ici, est celui du régime parlementaire (5). Selon cette conception, le pouvoir exécutif appartient, sous la direction du Premier ministre, au Gouvernement. Responsable devant le Parlement, il détermine et conduit effectivement la politique de la nation. La légitimité émane du corps législatif, élu selon un scrutin égal, c’est-à-dire se rapprochant le plus possible de la proportionnelle. Les arguments selon lesquels cela aurait pour conséquence de faire entrer le Front national au Parlement, ou bien que la priorité est la constitution d’une majorité forte plutôt que la fidèle représentation du peuple ne sauraient y faire obstacle. C’est au débat politique et non à la technique électorale de faire les majorités et de définir la voie à suivre.

 

Le Président de la République garde cependant dans ce cadre un rôle prestigieux : il représente la France vis-à-vis de l’étranger, il est l’expression symbolique de l’unité et de l’indivisibilité de la République et le garant de la continuité des pouvoirs publics. Il n’est plus élu au suffrage universel direct, mais soit par un collège de grands électeurs soit par le Congrès du Parlement ; la durée de son mandat est dès lors secondaire, la plus longue durée, sans possibilité de renouvellement, pouvant même correspondre à la plus grande banalisation. À cet égard, le mandat de sept ans non renouvelable est sans doute la solution la plus judicieuse dans la gamme des solutions possibles. L’argument selon lequel il faudrait tenir compte de l’idée que l’on se fait de la prétendue adhésion définitive du peuple français à l’élection du Président de la République au suffrage universel n’est que l’expression d’une résignation politique, indigne de notre histoire.

 

3.3. Quel État de droit ?

 

Face à ce schéma, certains crieront au retour du régime d’assemblée. L’auteur n’ignore rien des critiques qui sont adressées à ce régime sur la base, principalement, de l’expérience de la IV° République. En réalité, l’instabilité de la IV° République n’a pas été causée par un excès de démocratie, mais au contraire par les atteintes que les manœuvres des clans politiques lui ont portées. Aucune constitution ne peut être, seule, la solution des contradictions sociales. Mais à tout prendre, il faut préférer les institutions qui les révèlent à celles qui les dissimulent. Les contradictions apparaissant clairement, les conditions sont meilleures pour leur apporter une solution efficace. C’est aussi un appel à la responsabilité des élus qui doivent alors savoir constituer des majorités d’idées quand c’est nécessaire et faire preuve de courage politique en toute circonstance, plutôt que de se résigner à l’allégeance au chef qui caractérise le régime présidentiel.

 

Toute proposition institutionnelle doit veiller à s’inscrire dans une scrupuleuse cohérence de l’État de droit. On ne développera pas ici les conditions de la cohérence interne qui reposent essentiellement sur l’équilibre délicat à établir entre le principe d’autonomie de gestion des collectivités territoriales et celui d’unité et d’indivisibilité de la République. Il conviendrait aussi de préciser les formes nouvelles de la dualité des ordres juridictionnels (administratif et judiciaire), dualité souhaitable car relevant de la distinction public-privé, classique en France. Un contrôle de constitutionalité est nécessaire. La souveraineté ne pouvant émaner que du peuple, c’est à lui ou à ses représentants qu’il revient en définitive d’assurer la conformité des lois à la Constitution ; sur les questions les plus importantes par le recours au référendum constituant en veillant à éviter toute dérive plébiscitaire ; sur des questions moins importantes par la recherche d’une compatibilité tant juridique que politique dans le cadre du Parlement puisque c’est lui qui vote la loi. Un Comité constitutionnel composé de représentants des différents groupes parlementaires auxquels s’adjoindraient des magistrats du Conseil d’État et de la Cour de cassation devrait être institué à cette fin. Il n’aurait pas le pouvoir d’empêcher la promulgation d’une loi non conforme à la Constitution, mais seulement d’identifier cette non-conformité en invitant le Parlement à la prendre en considération à l’occasion d’un nouvel examen qui conduirait soit à modifier la loi soit à provoquer l’engagement d’une procédure de révision constitutionnelle (6).

 

Une réflexion sur les institutions nationales ne peut aujourd’hui faire l’économie d’une prise en compte des institutions supranationales, elle doit veiller à leur cohérence externe. C’est possible grâce au principe de subsidiarité introduit à l’article 5 du Traité instituant la Communauté européenne à aux termes duquel : « Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient … que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire ». Certes, cette formulation laisse une trop large place à l’appréciation de l’opportunité de l’intervention communautaire et il n’y a pas lieu de faire une confiance aveugle à l’appréciation de la Cour de justice des communautés européennes. Une articulation des institutions nationales et transnationales doit cependant être recherchée sans aliénation de la souveraineté nationale. D’ailleurs, dès aujourd’hui, l’article 55 de la constitution ne dispose-t-il pas que : « Les traités régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».

 

Enfin, la vocation des institutions est aussi de concourir à la formation d’une citoyenneté finalisée par des valeurs fortes, à vocation universelle : service public, droit du sol, laïcité, responsabilité publique, dans la tradition républicaine française (7). Le traité de Maastricht décrète à l’article 17 du traité instituant la Communauté européenne : « Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas ». Des droits et garanties ont été énoncés dans les articles suivants : droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et européennes, droit de pétition, droit à la protection diplomatique et consulaire, droit de recours à un médiateur. Mais cela ne suffit pas à définir une citoyenneté de l’Union qui doit se référer à des valeurs, des moyens pour son exercice, une dynamique propre. La citoyenneté européenne est aujourd’hui une citoyenneté de faible densité, sans autonomie, de superposition. Elle recouvre, en réalité, une option implicite en faveur d’une organisation fédérale de l’Europe. En établissant une relation directe entre les Européens et l’Union, la citoyenneté européenne aboutirait à « gommer » progressivement le niveau national. Tout naturellement, la citoyenneté de l’Union appellerait ensuite une Constitution de l’Union comme on l’a vu avec la tentative heureusement avortée de traité constitutionnel européen. La citoyenneté européenne, décrétée par les traités européens, n’est pour le moment qu’un objet politique non identifié.

 

La nation est et demeure le niveau le plus pertinent d’articulation du particulier et de l’universel.

 

(1) On rappellera toutefois que le Parti communiste français avait fait cet effort en rendant public en décembre 1989, sur mon rapport, une Déclaration des libertés en tête d’un Projet constitutionnel complet.

(2) « Art. 58 – Le projet est imprimé et envoyé à toutes les communes de la Républiqu, sous ce titre : loi proposée.« 

Art. 59 – Quarante jours après l’envoi de la loi proposée, si, dans la moitié des départements, plus un, le dixième des assemblées primaires de chacun d’eux, régulièrement formées, n’a pas réclamé, le projet est accepté et devient loi. »

(3) O. Duhamel, Droit constitutionnel et politique, Seuil, 1993, p. 116.

(4) J-M. Denquin, La monarchie aléatoire, PUF, 2001.

(5) A. Le Pors, « on fait clairement le choix du régime parlementaire », L’Humanité, 10 octobre 2005.

(6) A. Le Pors, « L’enjeu du contrôle de constitutionnalité », L’Humanité , 8 avril 2006.

(7) A. Le Pors, La citoyenneté, PUF, coll. Que sais-je ?, 2002, 3° éd.

 

Réponse de Bertrand Renouvin à la réplique d’Anicet Le Pors – Royaliste n° 917, 7 janvier 2008

LIGNES DE DÉFENSE

En toute rigueur, Anicet Le Pors me pousse dans mes retranchements (1). Les siens ne sont pas éloignés si bien que nous pouvons débattre dans l’amitié et pour un commun profit.

La métaphore militaire signifie que nous sommes tous deux sur la défensive, face aux ultra-libéraux. Cette position est inconfortable, stratégiquement : nous préférerions être en mesure de concrétiser les réformes et les révolutions auxquelles nous sommes en train de réfléchir. De plus, nous sommes tous deux exposés à de lourdes ambiguïtés. Avec un minimum de mauvaise foi, nos adversaires peuvent se moquer des nostalgiques de la monarchie, du gaullisme (2) et du communisme qui rêvent et se disputent dans une feuille de chou au titre ringard. L’État ! La nation, jacobine ou non ! L’Europe de l’Atlantique à l’Oural ! Comme tout cela paraît dépassé au regard du sarkozysme parfaitement décomplexé et des graves propos des hiérarques socialistes sur la mondialisation.

Il est donc utile de préciser que notre manière de nous défendre n’est pas sans profondeur ni discernement. J’aurais dû souligner qu’Anicet Le Pors reconnaît le rôle joué par l’ancienne monarchie dans la construction de l’État national et laïque et qu’il assume cette part de notre histoire. Comme j’assume tout l’héritage positif de la Révolution française – la Déclaration de 1789, l’idée moderne de la nation – et des régimes monarchiques et républicains qui lui ont succédé – le parlementarisme, l’administration publique, les principes de 1946 – je nous vois installés sur de solides fondations historiques et partageant une commune hostilité aux Bonaparte et à leurs caricatures.

Quant à notre polémique sur la Ve République, je voudrais dissiper plusieurs ambiguïtés. Avec une pointe d’ironie, Anicet Le Pors me reproche de vénérer l’article 5 et de vouloir conserver en l’état notre Constitution. Tel n’est pas le cas. J’ai rappelé les propositions faites par la Nouvelle Action royaliste en vue de démocratiser nos institutions et je ne déifie pas l’État gaullien. Au contraire ! En royaliste conséquent, je ne suis ni religieux en politique ni partisan du pouvoir personnel mais simplement soucieux de ce qui est nécessaire au bien public.

Je souligne régulièrement les risques inhérents à l’élection du président de la République au suffrage universel et je pense que l’article 5 ne peut prendre sa force que dans un régime de monarchie royale – dont l’Espagne nous donne un exemple sur lequel Anicet Le Pors a sans doute une opinion. La réalisation d’un tel projet permettrait au Premier ministre de déterminer et de conduire la politique de la nation sans être pris dans la rivalité entre les deux têtes de l’exécutif. En somme, je propose de rehausser la fonction présidentielle en la « chargeant » de toute l’histoire nationale et en lui assignant la tâche arbitrale que les présidents élus ne peuvent pas remplir. Dès lors, le Premier ministre serait pleinement établi dans sa mission et pourrait exercer sa pleine responsabilité devant la représentation nationale.

Tel est le projet que nous avons formé, mes camarades et moi. A longue échéance, il constitue une solution novatrice. Mais nous avons aussi, comme tant d’autres citoyens, le souci des tâches immédiates. Nous défendons la fonction présidentielle telle qu’elle est parce qu’elle offre encore et malgré tout la possibilité à la personne désignée par le suffrage universel d’en tirer le meilleur. De même, avec Anicet Le Pors, nous défendons l’administration française, la sécurité sociale, le Code du travail, nos dernières entreprises publiques parce qu’il faut préserver les piliers de la société française que les ultra-libéraux s’efforcent de ruiner. Mais nous voulons l’un et l’autre rénover ce qui sera sauvé. C’est également vrai dans l’ordre institutionnel puisque mon contradicteur et ami rejette les fumisteries sur une « sixième république »…

Que le débat continue, en tous domaines, entre citoyens de différentes traditions. C’est, pour nous tous, la meilleure façon de préparer l’événement libérateur qui n’a que trop tardé.

Bertrand RENOUVIN

(1) cf. en page 4 la réplique d’Anicet Le Pors à la lettre ouverte que je lui avais adressée dans notre numéro 914.
(2) cf. en page 6 et 7 l’article de Pierre Maillard, ancien conseiller diplomatique du général de Gaulle.

Réplique à Bertrand Renouvin – Royaliste n° 917, 7 janvier 2008

Cela fait déjà longtemps que j’ai engagé avec vous un débat intéressant et fécond sur les institutions. Il en est ainsi sans doute parce que nous nous référons l’un et l’autre, comme vous le soulignez justement, à deux traditions historiques dont la confrontation a structuré la vie politique de notre pays sur plusieurs siècles. Cela peut nous conduire, cependant, afin de mieux nous faire comprendre, à forcer le trait : vous distinguez les perspectives jacobine et monarchiste, j’oppose les lignes de force démocratique et césarienne. Au risque de la caricature et de la méprise sur nos convictions respectives, ce que je voudrais relever dans cette réplique que vous me proposez. Pour ne pas occuper excessivement vos colonnes, je m’en tiendrai à trois idées.

D’abord, pour rectifier une conception historique que vous me prêtez, et plus généralement à la gauche, celle de privilégier l’événement fondateur par rapport à la continuité historique. Laissez moi vous dire, cher Bertrand Renouvin, que je n’omets jamais de faire référence à l’administration et aux bureaux de la période monarchique pour expliquer la longue tradition administrative française ; que je fais remonter l’origine de la distinction entre les ordres juridictionnels administratif et judiciaire (c’est à dire, en réalité, la distinction public-privé) au Conseil du roi de Philippe le Bel à la fin du XIII° siècle, puis à la constitution de l’an VIII ; que je considère que la monarchie, en France, a apporté une contribution à la distinction entre la cité de Dieu et la cité des hommes, par là au principe de laïcité et à la formation de la citoyenneté que la Révolution française consacrera. J’assume toute cette histoire qui donne sens aux périodes successives comme le fait, par exemple, Marcel Gauchet, ce qui nous permet de nous engager plus lucidement dans l’avenir. Cela dit, je relève que, comme moi, vous misez sur l’Événement inévitable qui sanctionnera, le moment venu, le régime sarkoziste.

Ensuite, pour souligner qu’aussi passionnant qu’il soit, le travail sur les institutions est difficile et qu’il faut avoir conscience des limites de l’exercice. Une constitution est un modèle qui ne peut se penser que de manière idéale, et par là relever du symbole dont vous voulez me priver, alors qu’il doit s’appliquer à une société imparfaite et contradictoire qui ne cesse de le remettre en cause. C’est sans doute pour cela qu’en France nous lui accordons tant d’importance : quinze constitutions en deux siècles, une bonne raison pour n’en sacraliser aucune. Je suis tout autant opposé à la « révolution gaullienne » que constituerait, selon vous, l’avènement de la V° République, qu’aux fumeuses VI° République invoquées par ceux qui ont trouvé là le moyen de dissimuler leur ignorance. Dans le même esprit, je récuse une interprétation statique de la nature de l’actuelle constitution : vous voulez en rester au « parlementarisme rationalisé » de la première phase, alors que notre ami commun, le gaulliste Jean-Marie Denquin, a identifié depuis, très pertinemment, la « monarchie aléatoire » et que je me permets d’avancer aujourd’hui, en troisième phase, l’idée d’une « dérive bonapartiste ». Je ne vous convaincrai pas que le ver était dans le fruit dès l’origine, mais reconnaissez que le fruit n’a pu empêcher le ver. Nous pouvons au moins nous mettre d’accord sur l’évolution et le diagnostic actuel, ce qui me semble être l’essentiel.

Enfin, pour circonscrire les questions déterminantes qui permettent le débat au fond. Elles sont, de mon point de vue au nombre de trois que je ne peux que résumer. Premièrement, quelle place souhaitons nous réserver au référendum dans la démocratie directe ? Je suis pour en circonscrire strictement le champ d’application à la matière constitutionnelle, contre le référendum d’initiative populaire mais pour l’initiative populaire des lois et l’extension du droit de pétition. Je partage en ce sens l’observation d’Olivier Duhamel : « Le référendum peut être liberticide, les Bonaparte en ont administré la preuve ». Deuxièmement, quel mode de scrutin pour quelle démocratie représentative ? Je suis favorable à un mode de scrutin qui permette la représentation la plus fidèle du peuple, c’est-à-dire la proportionnelle (de préférence dans une assemblée nationale unique, mais ce n’est pas le principal). C’est au débat politique de déterminer les majorités de gouvernement et non à la technique électorale. Troisièmement, quel exécutif selon quel mode de désignation ? Là est notre désaccord majeur : je suis radicalement hostile à l’élection du président de la République au suffrage universel, cause de bipolarisation et d’appauvrissement politique, et pour un gouvernement responsable devant le parlement, ce qui ne me conduit pas nécessairement à récuser l’actuel article 5 de la constitution que vous vénérez, cher Bertrand Renouvin, mais à le relativiser.

Anicet Le Pors

Interpellation – Lettre ouverte à Anicet Le Pors – Royaliste n° 914 novembre 2007

Longtemps membre du Parti communiste, ministre après la première élection de François Mitterrand, Anicet Le Pors a prononcé lors de notre Mercredi du 24 octobre, une remarquable conférence sur la dérive bonapartiste dont Nicolas Sarkozy se rend coupable (1). Lors du débat qui a suivi, la question de la réforme des institutions a fait l’objet d’une vive confrontation. Nous tentons de la résumer et de la prolonger, dans l’attente d’une réplique.


Cher Anicet Le Pors,

Sur le bonapartisme de Nicolas Sarkozy, je ne vous chercherai pas querelle. Je me méfie des comparaisons historiques et préfère m’en tenir à un mot que vous ne récuserez pas : nous sommes sous la coupe d’un autocrate qui se complaît dans le coup d’État permanent : écrasement du Premier ministre, anéantissement de la plupart des ministres, shadow cabinet élyséen (Claude Guéant et quelques autres), contrôle du Parlement et des grands médias et au total une concentration inouïe des pouvoirs entre les mains d’un homme qui est à la fois chef de l’État, chef du gouvernement, patron du parti dominant. Vous avez raison de dénoncer le mélange détonnant de populisme et d’aventurisme qui propulse sur divers terrains ce personnage fragile et dépourvu de culture historique. Son mépris du Parlement, sa négation du droit du sol multiséculaire et des principes de la fonction publique, sa haine de la magistrature, sa volonté d’imposer les recettes ultra-libérales nous conduisent l’un et l’autre à une opposition radicale. Cela signifie que nous avons beaucoup en commun. Cela ne peut nous surprendre : nous étions côte à côte dans la bataille de 2002 et nous avons célébré ensemble, sous l’égide de Jacques Nikonoff, le soixantième anniversaire de la charte du Conseil National de la Résistance (2). Mais sur les institutions, nous nous opposons résolument, point par point, selon les deux traditions antinomiques qui naissent, se forgent et s’affrontent dès le début de la Révolution française. Vous êtes l’héritier des Jacobins et vous vous référez à la Constitution inappliquée de 1793. Nous sommes les enfants de Mirabeau et des monarchiens. Deux traditions révolutionnaires, irréductibles : d’un côté ceux qui veulent le roi et la révolution, de l’autre ceux qui tentent d’instituer la révolution sans le roi – en vue de l’auto-gouvernement du peuple. La scission du parti patriote révolutionnaire s’estompe face aux deux Bonaparte, dans la Grande Guerre anti-impérialiste, dans la Résistance. Elle se durcit en 1830, après 1870, en 1958. La révolution institutionnelle réalisée par le général de Gaulle continue de nous séparer radicalement. Vous y voyez la renaissance, épouvantable, du bonapartisme. Nous y retrouvons, avec bonheur, le projet monarchien partiellement accompli : la monarchie élective encore en manque d’arbitrage royal. Vous croyez toujours, cher Anicet Le Pors, à la Volonté générale ; nous pensons qu’elle a trouvé ses limites justes et nécessaires avec le Conseil Constitutionnel et le Bloc de constitutionnalité : la vieille res publica monarchique avait ses lois fondamentales, la res publica gaullienne se fonde sur la Déclaration de 1789 et les Préambules de 1946 et 1958. Nous sommes par le bicaméralisme, pour le gouvernement responsable devant l’Assemblée nationale, qui détermine et conduit la politique de la Nation et surtout pour l’article 5, dans sa lettre et dans son esprit. Il est vrai que vous ne voulez pas d’une VIe République selon les slogans à la mode (3). Mais vous souhaitez un président élu par de grands électeurs ou par le Congrès et un régime parlementaire permettant une participation plus large et plus fréquente du peuple à l’élaboration de la loi. Je retrouve là le projet d’une gauche authentique, autrement dit résolument antimonarchique, qui n’a jamais réussi à établir un pouvoir politique stable comme l’attestent les expériences négatives de 1848-1851,1874-1940, 1946-1958. Juriste rigoureux, vous êtes, qui plus est parfaitement inscrit dans la logique du communisme français, plus républicain-jacobin que marxiste. À plusieurs reprises, vous m’avez dit que le césarisme était le vice originel de la Constitution de 1958, diaboliquement ressurgi avec Nicolas Sarkozy. Vous voulez bien reconnaître une certaine rationalité dans mes démonstrations mais vous moquez mon roi-arbitre, selon vous un rêve délirant avec le droit divin comme clé des songes. Je prétends pour ma part rester dans les limites de la simple raison politique et c’est selon celle-ci que je veux pointer, cher Anicet Le Pors, les failles de votre raisonnement. Plus que des failles, des béances que la gauche jacobine sous ses différentes expressions – radicale, socialiste, communiste – a comblées depuis 1792 de manière catastrophique : ou bien la soumission totale de l’exécutif au législatif et la confusion entre la Représentation et le Gouvernement ; ou bien l’érection d’un Maître plus ou moins déifié – le principe du gouvernement du peuple étant, dans un cas comme dans l’autre, violemment piétiné. La raison de ces solutions tout à fait déraisonnables ? J’en souligne deux, avec trop de hâte : – la gauche française, telle qu’elle se fonde en 1789, récuse la symbolique politique et, plus radicalement encore, ne croit pas à la nécessité des médiations. Elle rêve d’un régime démocratique dans lequel le peuple-nation légiférerait en direct avec ses représentants réunis dans une Assemblée unique qui gouvernerait le pays ; – la gauche française se représente l’histoire, qu’elle s’approprie indûment, comme une série de grandes journées fusionnelles – de la prise de la Bastille au 10 mai 1981. Cela signifie qu’elle rêve au retour de glorieux instants fondateurs sans trop se soucier d’instituer dans la durée. D’où la brièveté du gouvernement du Front populaire. D’où la brièveté de l’expérience socialiste (deux ans !) après l’élection de François Mitterrand. Étrangère à la science des médiations, indifférente à la temporalité politique, la gauche ne pouvait pas comprendre – nous pouvons en témoigner – la force des principes d’arbitrage et de continuité qui sont proclamés par l’article 5 de la Constitution. Elle ne s’est jamais demandée pourquoi François Mitterrand avait pu rester aussi longtemps aux affaires – non sans que les socialistes tirent grand profit de cette longue régence de la monarchie élective. Vous me rétorquerez que l’État de droit existait avant 1958 et que la IIIe République a tout de même longtemps tenu le coup. Pourtant, vous savez mieux que moi que la faiblesse des régimes antérieurs a été compensée par la force de l’État républicain – création de la monarchie, renforcée par Bonaparte puis étayée vaille que vaille jusqu’à ce le gaullisme lui donne sa cohérence. Nous défendons avec vous et bien d’autres amis notre structure étatique nationale que les ultra-libéraux veulent détruire et qu’il nous faudra reforger lorsque les adeptes de la gouvernance (François Hollande…) et les activistes sarkoziens de la revanche sociale auront été battus. Mais il me paraît illogique et dangereux de conforter le pilier administratif – la fonction publique au sens le plus large du terme – tout en préparant la destruction du pilier institutionnel. Il y a bientôt dix ans, lors d’un colloque du Cercle d’Études Charles de Gaulle (de Belgique), j’avais montré que la révolution gaullienne inscrivait les institutions dans notre histoire millénaire et qu’elle avait procédé à un réaménagement décisif des libertés, des pouvoirs et des valeurs (4). La Constitution de la Ve République est la première à reconnaître le rôle des formations politiques ; elle établit un système de médiations pour la nation (la symbolique forte du président élu au suffrage universel) et dans l’État (le président-arbitre, le Premier ministre, le parlementarisme rationalisé) et un jeu des pouvoirs qui garantit la continuité ; elle définit clairement, par rapport à l’autorité souveraine, la représentation nationale établie dans la durée et la souveraineté du peuple, permanente mais qui s’exprime de façon momentanée lors des référendums qui fixent une décision politique de longue portée. À chacun – chef de l’État, Assemblée nationale, Sénat – selon son temps. Jacques Chirac a détruit ces rythmes propres à chaque fonction en faisant voter le quinquennat et Nicolas Sarkozy tente de nous faire vivre au gré de ses pulsions. Cette rapide défense de la Ve République ne signifie pas que je suis un dévot de nos institutions. Voilà bien des années que la Nouvelle Action royaliste a inscrit à son programme des propositions qui permettrait de démocratiser la Ve République et de réorganiser l’exercice du pouvoir (5) : – respect du Préambule de 1946 – ce qui implique une nouvelle révolution économique et sociale ; – respect de l’article 5 – quant à l’arbitrage, quant à l’indépendance nationale ; – mandat présidentiel de sept ans renouvelable pour renouer avec le principe de continuité ; – interdiction pour le Premier ministre de se présenter à l’élection présidentielle qui suit la cessation de ses fonctions – afin d’éviter la classique rivalité entre les deux têtes de l’exécutif ; – élection du Sénat à la proportionnelle intégrale – pour démocratiser la représentation nationale ; – interdiction du cumul des mandats – pour favoriser le renouvellement de la classe politique… Nous n’ignorons pas les ambiguïtés de l’élection du président au suffrage universel – que l’on peut dépasser par une solution rationnelle, à la fois monarchique et royale dont l’Europe démocratique nous donne maints exemples. Partisans de la monarchie parlementaire, nous sommes persuadés comme vous que, dans l’État et pour la nation, rien ne sera rétabli ni profondément transformé sans un événement populaire décisif qui ne se produira pas sans le travail obstiné des sociétés de pensée à vocation révolutionnaire. Là encore, cher Anicet Le Pors, nous restons fidèlement monarchiens.

Bertrand RENOUVIN

(1) Anicet Le Pors a publié le résumé de sa conférence sur son blog : http://www.anicetlepors.blog.lemonde.fr, ainsi que plusieurs articles qui la complètent. (2) cf. Royaliste no 834, « Résistance : La révolution de 1944 », pp. 6 et 7. (3) cf. sa contribution « VIe République ? De l’illusion à la responsabilité » in « Quelle VIe République ? », Le Temps des cerises, 2007, prix franco : 13 €. (4) cf. Royaliste no°707, 4-17 mai 1998, pp. 6 et 7. Extraits de la contribution de B. Renouvin sur Monarchie et République selon Charles de Gaulle lors du colloque international tenu à l’Université de Louvain-la-Neuve (Belgique) le 18/04/1998, organisé par le Cercle d’Études Charles de Gaulle dont le thème était Aujourd’hui de Gaulle. (5) cf. Royaliste no°643, 15-28 mai 1995 : « Réformer les institutions ? », pp. 6 et 7.

Sommes-nous confrontés à une dérive bonapartiste ? – Nouvelle Action Royaliste 24 octobre 2007 (Schéma)

L’accession de Nicolas Sarkozy stimule par sa singularité incontestable la réflexion politique. C’est un aspect positif dans une situation générale de décomposition sociale. Invitation, d’une part à analyser les contradictions à l’œuvre, d’autre part à s’interroger sur l’héritage et l’investissement à engager.

Origine : « Dérive bonapartiste », l’Humanité du 28 août 2007.

Trois interrogations :

– En quoi consiste cette qualification ?
– Est-elle pertinente dans le contexte actuel ?
– Quelle anticipation possible de la « dérive » et quelle manière de la conjurer ?

1. Que peut-on entendre par « bonapartisme » ?

Jusqu’où est-on autorisé à pousser l’analogie ? (un minimum de caractères communs, une limite dans les similitudes : exemple du XX° siècle « prométhéen » de René Rémond).

1.1. Rappels historiques du « bonapartisme »

* Le coup d’État du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799)

– La constitution de l’an III s’était révélée impraticable : les conflits entre pouvoirs ne pouvaient être réglés par des moyens légaux. D’où l’idée montante de renforcer simultanément l’exécutif et de rendre les élections moins fréquentes, quitte à revenir au suffrage universel ; or la procédure constitutionnelle était très longue : 9 ans.

– À la recherche d’une solution plus expéditive, Sieyès (Directeur du Directoire) porte son choix sur le général Moreau (tué en Italie) puis sur Bonaparte juste revenu d’Égypte à Fréjus le 14 octobre 1799. Il pensait qu’il se retirerait sitôt le changement constitutionnel réalisé.

– Les Assemblées sont transférées de Paris à St-Cloud le 18 brumaire sous prétexte d’un complot révolutionnaire afin qu’elles votent l’abrogation de la constitution de l’An III, tandis que le commandement de l’armée de Paris est confié à Bonaparte. Des députés du Conseil des Cinq Cents se rebiffant et demandant la mise « hors la loi » de Bonaparte, Lucien (président du C des C C) suspend la séance et les deux Bonaparte font intervenir les 1200 hommes de la garde du Corps législatif qui expulsent les députés.

– Ainsi finit le Directoire et commence le Consulat avec une Commission consulaire exécutive comportant Sieyès, Ducos et Bonaparte. On doit à Sieyès : « La confiance vient d’en bas, le pouvoir vient d’en haut » et « Une constitution doit être courte et obscure », ou encore « Diviser pour empêcher le despotisme, centraliser pour éviter l’anarchie ». Dans l’élaboration de la nouvelle constitution Bonaparte joue rapidement un rôle décisif et impose l’idée d’un « Premier Consul », constitution adoptée en petit comité qui aboutit à la désignation des deux autres consuls : Cambacérès et Lebrun. Les consuls proclament : « La révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée : elle est finie ».

– Vote par inscription et non par bulletin secret : 3 011 007 oui c. 1562 non (3 à 4 millions d’abstentions). Pas de Déclaration des droits, 95 articles seulement, Le suffrage universel est rétabli mais pour élire seulement des candidats (des notabilités compétentes pour l’élection du niveau supérieur). Création des fonctionnaires et du Conseil d’État. Le Consulat conçoit les lois, le Tribunat les élabore et les propose au Corps législatif qui ne peut qu’approuver ou rejeter.

– Le Premier Consul, chef de l’État est élu comme les autres consuls par le Sénat pour 10 ans.
Un plébiscite le nomme « Consul à vie » le 10 thermidor de l’an X (2 juillet 1802) : quelque 3 500 000 oui, mais 8 374 non ; il prendra le titre d’Empereur des Français par plébiscite en 1804 avec autant de oui mais seulement 2669 non.

* Louis Napoléon Bonaparte, Président de la République en 1848, Empereur en 1852

– Émeutes à Paris le 24 février 1848, Louis-Philippe abdique, la République est proclamée, une constituante est élue et un gouvernement provisoire (Louis Blanc, Albert, Lamartine). La suppression des ateliers nationaux provoque les 3 journées de juin (3 000 morts et 5 000 blessés). Un comité de Constitution engage ses travaux en mai qui aboutiront à la constitution républicaine du 4 novembre 1848.

– Élection d’un Président de la République pour 4 ans au suffrage universel. Le droit au travail au centre des discussions. Certains députés demandent que les Bonaparte soient déclarés inéligibles alors que Louis Napoléon Bonaparte vient d’être élu dans quatre départements dont la Seine. Lamartine « Je sais bien qu’il y a des noms qui entraînent les foules comme le mirage entraîne les troupeaux. Je le sais et je le redoute plus que personne. Mais il faut laisser quelque chose à la Providence ».

– Louis Napoléon Bonaparte est élu le 10 décembre 1848 par 5 434 226 voix c. 1 900 000 à 4 concurrents. Fin octobre 1849, il renvoie ses ministres et les remplace par des personnalités prises en dehors de l’Assemblée, le conflit qui de développe entre eux tourne au bénéfice de Louis Napoléon Bonaparte. À Partir de 1850, en même temps que se développe le parti bonapartiste, il multiplie les tournées en province où il est accueilli aux cris de « Vive Napoléon ! » ou même « Vive l’Empereur ! ». Le coup d’État du 2 décembre 1851 (arrestation de députés républicains et monarchistes, 400 morts et 500 blessés à Paris) est ratifié par plébiscite les 21-22 décembre 1851 par 7 436 216 oui, 646 737 non et 36 880 nuls.

– Une nouvelle constitution est élaborée dans la précipitation. Elle est signée par le seul Président le 14 janvier 1852 ( référence pour une constitution « césarienne »). Un régime autoritaire est ainsi instauré, un an plus tard transformé en Second Empire par sénatus-consulte soumis au plébiscite le 21 novembre 1852 par 7 824 189 c. 253 145 voix et 65 126 nuls. Pendant 8 ans, le régime sera dictatorial ; Le déclin s’amorce vers 1860 ; l’Empire parlementaire est instauré par sénatus-consulte du 20 avril 1870 par plébiscite : 7 358 000 voix c. 1 572 000 non, 114 000 blancs ou nuls, 2 000 000 abstentions.

1.2. Quels sont les caractères du « bonapartisme » ?

L’histoire ne se répète pas, se garder de tout excès dans la recherche d’analogie. Néanmoins, ne pas exclure des leçons de l’histoire, utiles à l’analyse et à la définition de positionnements politiques pour aujourd’hui et demain.

* Une démarche autocratique

– B : Élection Premier Consul / Intervention militaire au Conseil des Cinq Cents et coup d’État du 18 Brumaire an VIII / Les idées de Sieyès / L’institution du Premier Consul, puis du Consul à vie, puis de l’Empereur / Autocratisme du Consulat (suppression du Tribunat en 1807) avant l’Empire.

– L-N. B : Élection Président de la République / Renvoi des ministres fin octobre 1949, remplacement par des personnalités prises à l’extérieur de l’Assemblée / Coup d’État du 2 décembre 1851 / Constitution du 14 janvier 1852 modèle de constitution césarienne (c. constitution du 24 juin 1793), élaborée dans la précipitation et signée par le seul Président le 21 décembre 1852 ;

* Une sollicitation démagogique

– B : L’auréole des victoires révolutionnaires / La campagne d’Égypte / Le rétablissement du suffrage universel aussitôt stérilisé (notabilités) / Le recours répété au plébiscite-référendaire (Olivier Duhamel : « Le référendum peut être liberticide, les Bonaparte en ont apporté la preuve »).

– L-N. B : Est passé par le suffrage universel (député, Président de la République). La constitution de la II° République (art. 52) lui permet de présenter chaque année, par un message à l’Assemblée nationale, « l’exposé de l’état général des affaires de la République », il s’en servira. Le plébiscite du 21 novembre 1852 sur le sénatus-consulte qui le fait Empereur et du 20 avril 1870 sur celui qui parlementarise l’Empire à quelques mois de son effondrement.

* Une logique aventurière

– B : La concentration du pouvoir exécutif ne garantit pas la stabilité (d° L-N. B) / Waterloo et Ste Hélène.

– L-N. B : Président de la République / Empereur autoritaire, puis parlementaire, puis Sedan et la Commune de Paris.

2. La qualification « bonapartiste » est-elle pertinente dans le contexte actuel?

2.1. Sur l’autocratisme

* La pratique des institutions de la V° République

– Son avènement sur le thème de la rupture semble répondre à une loi de nécessité après des années d’immobilisme de Chirac (rapprochement avec 1981).
– Cecilia en Libye : refus de comparaître devant la commission d’enquête condamnée par tous les constitutionnalistes (sauf Pierre Mazeaud).
– Le rôle du Secrétaire général de l’Élysée Claude Guéant.
– Contradiction avec l’article 20 de la C. : « Le gouvernement détermine et conduit … ».
– Les ministres commis, le Premier « collaborateur ».
– L’occupation de tous les postes : Assemblée nationale et Sénat, Conseil constitutionnel, CSA, etc.
– compte-rendu du sommet de Lisbonne devant l’UMP.
– L’autodéfinition de la « rupture », qui serait accentuée si le gouvernement n’était plus responsable devant le Parlement de la « détermination » de la politique de la Nation mais seulement de sa « conduite ».

* La réforme constitutionnelle (le Comité Balladur de réflexion sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la V° République)

– Un choix largement consensuel inscrit dans sa tactique d’ « ouverture ».
– Un choix prédéterminé par le discours d’Épinal du 12 juillet 2007 vers un régime présidentiel : les quatre étapes selon E. Balladur 1/ 1962 (la « forfaiture » par G. Monnerville) 2/ Quinquennat avec inversion de septembre 2000 3/ Renforcement des droits du Parlement (thème-clé, « l’essentiel de nos réflexions », Le Monde 25 septembre 2007) 4/ Suppression de la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. Après le « parlementarisme rationalisé » (quelque peu dénaturé dès 1962), la « monarchie aléatoire » initiée en 1986 (1ère cohabitation), la « dérive bonapartiste (ou « tentation autoritaire ») ne constituerait-elle pas la 3° phase de la V° République ? Quoi qu’il en soit, Bertrand Le Gendre écrit dans Le Monde du 17 octobre 2007 : « Depuis Napoléon III, le régime présidentiel est synonyme de césarisme », et il ajoute : « Nicolas Sarkozy est surtout fort, tout bien pesé, de la faiblesse du Parlement ».
– La volonté d’intervention directe devant le Parlement comme symbole de subordination du Parlement et prééminence du Président chef de l’exécutif (« Le Président détermine et le gouvernement la met en oeuvre … » ; mais dans ce cas le Président n’est responsable devant personne, sinon lors de son élection au suffrage universel). Maintien des art. 49-3 et 16. Référence du « discours du trône » prévu dans la constitution de 1791, pratiqué par Charles X le 2 mars 1830 sur le mode menaçant après la nomination d’un ministère impopulaire (le cabinet Polignac).
– L’octroi de droits nouveaux aux citoyens (exception d’illégalité devant le Conseil constitutionnel) n’est que trompe l’œil.
– Réforme recherchée (pour le moment) par la voie du Congrès.

2.2. Sur le populisme

* Le compassionnel

– Exemples divers ciblés : Les infirmières bulgares, Ingrid Bettancourt, pédophile, les récidivistes, les aliénés, les chiens dangereux, les faits divers.
– L’annonce de textes conséquents dans l’impréparation et le mépris du Parlement.
– Une hyperactivité qui empêche la réplique, le débat contradictoire, l’expression de l’opposition.

* La communication sur des thèmes appropriés

– Exemple : « travailler plus pour gagner plus », la sécurité, les immigrés.
– Le recours aux sondages d’opinion.
– L’accaparement sans précédent des médias.

2.3. Sur l’aventurisme

* Son atout et sa faiblesse : le talent

– Sa singularité par rapport à ses prédécesseurs : de Gaulle-la stature, Pompidou-la solidité, Giscard d’Estaing-l’intelligence, Mitterrand-la culture politique, Chirac-l’enracinement …

– Sarkozy-le talent : la précarité et l’évanescence du talent médiatique.

* L’absence de culture historique

– La fonction publique : les trois principes d’égalité, d’indépendance, de responsabilité. L’école française du « service public ». Le choix de la concurrence, du marché, du contrat contre la loi (le statut) et … de l’argent. La « forfaiture » (Le Monde, 26 septembre 2007) comme exemple d’autodéfinition de la réforme par blanc-seing de l’élection présidentielle. C’est un avocat d’origine.

– Le droit d’asile : Le droit du sol de l’Ancien Régime et de la Révolution française au ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement et aux tests ADN de la loi Hortefeux (L’Humanité du 19 septembre 2007). C’est un Hongrois d’origine.

3. Quelle anticipation possible ? Quelle stratégie opposer à la « dérive bonapartiste » ?

3.1. Évaluation du risque

* La décomposition sociale

– La perte des repères (État-nation, classes, espace, mœurs, idéologies)

– le rôle de l’Évènement en avenir aléatoire (c. matérialisme historique) : avènement de temps monstrueux ou de recomposition démocratique ? Son caractère aventurier peut favoriser les opportunités.

* Le développement des contradictions

– Nécessité de leur analyse au-delà de l’échec du « siècle prométhéen » : Éloge de l’échec.
– Capital-travail, national-international, sciences-obscurantismes, écosystème-développement, femmes-hommes, etc.
– Quel comportement du pouvoir : abdication ou passage en force ? La faiblesse des soutiens multinationalisés contre son tempérament aventurier qui peut le pousser rapidement à la faute.

3.2. Organisation de la réplique

* Récusation du thème de la VI° République

– L’éclectisme des tenants.
– La nécessité d’un changement essentiel : l’exemple de l’avènement des républiques précédentes.

* Reprendre le fil de notre histoire sur des questions fondamentales avant une théorisation aujourd’hui improbable

– Les grand thèmes (fondamentaux) : institutions, service public, laïcité, immigration et asile, statut du travail salarié, nation, organisation européenne et mondialisation … fédérés par « la citoyenneté » (héritage-investissement). Conjurer les dérives monstrueuses et engager la recomposition (L’Humanité du 5 octobre 2007).
– La dissymétrie gauche-droite quant à l’impératif théorique et programmatique : Front populaire, programme du CNR, programme commun.

Contre la république « bonapartiste » – PCF, Assemblée nationale 6 décembre 2007

À l’origine la question posée était : « Transformer les institutions, est-ce une condition du changement ? ».

Ma réponse est : non. Les mutations institutionnelles interviennent comme consécration de changements politiques et non l’inverse. Les institutions ne sont pas tout l’État de droit et l’État de droit n’est pas toute la société.

Il convient donc de conserver sa spécificité au débat sur les institutions et de ne pas le noyer dans des considérations humanitaires ou relatives à la démocratie en général ou à la citoyenneté qui, pour être tout aussi importantes, sont parfois utilisées pour éviter de prendre ses responsabilités sur les questions institutionnelles.

Le travail sur les institutions doit être important et permanent, car les institutions résument une conception de l’organisation des pouvoirs : césarienne comme la constitution du 14 janvier 1852, démocratique comme la constitution du 24 juin 1793. En 1989, le PCF avait adopté un Projet constitutionnel complet précédé d’une Déclaration des libertés qui faisait le point sur l’ensemble des questions institutionnelles. Les principes sur lesquels il était fondé demeurent valables, même s’il conviendrait aujourd’hui d’approfondir l’articulation des dispositions institutionnelles nationales et internationales en ayant recours, à mon avis, à une conception démocratiques de la subsidiarité dans l’esprit de ce qu’en disaient Rousseau et Robespierre.

La France est un important laboratoire institutionnel : une quinzaine de constitutions en deux siècles.

1. Comment caractériser le moment institutionnel actuel ?

* Peut-on parler de « république bonapartiste » ?

J’ai utilisé fin août l’expression de « dérive bonapartiste » dans l’Humanité avec prudence. L’approfondissement du « bonapartisme m’a montré que ce qualificatif n’est pas dépourvu de pertinence, mais appelle à en maîtriser l’usage : démarche autocratique, démagogique et aventurière (pour la justification voir ma conférence devant la Nouvelle Action Royaliste du 24 octobre 2007 sur http://www.anicetlepors.blog.lemonde.fr )

* L’analyse séquentielle d’Édouard Balladur

Dans Le Monde du 25 septembre il distingue quatre étapes vers un régime présidentiel : 1/ 1962 (élection du PR au suffrage universel) ; 2/ 2000 (instauration du quinquennat avec inversion) ; 3/ la réforme actuelle centrée sur le thème-clé du renforcement des droits du Parlement, c’est « l’essentiel de nos réflexions » déclare-t-il ; 4/ l’étape à venir qui donne sens à l’actuelle : la suppression de la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. Je pense qu’il est important d’analyser le projet de loi constitutionnel qui sera soumis prochainement au Parlement sous l’éclairage de ce processus : il n’est pas étonnant que dans la perspective d’un régime franchement présidentiel (déconnection de la responsabilité de l’exécutif devant le Parlement) la phase actuelle soit celle d’un renforcement (relatif et essentiellement formel) des prérogatives du Parlement. Une critique intrinsèque manquerait son but sans cet éclairage.

On est dont amené à caractériser trois phases dans l’évolution des institutions de la V° République : Le parlementarisme rationalisé (1958-1986)/ La monarchie aléatoire(1986-2000)/ La dérive bonapartiste (préparée par la réforme du quinquennat en 2000 et amorcée en 2007).

2. Le mot d’ordre de VI° République n’est pas pertinent

La réponse à cette évolution et aux menaces qu’elle contient est-elle l’ivocation d’une VI° République ? Non, pour les raisons suivantes :

* La vacuité de nombre de propositions de VI° République

C’est une facilité recouvrant souvent la confusion ou le vide des propositions.

* Les contenus contradictoires ôtent toute signification au thème

D’O. Besancenot à J-M. Le Pen en passant par M-G. Buffet et D. Voynet on peut espérer qu’il ne s’agit pas du même projet. Dès lors une proposition recouvrant tant de contenus différents et contradictoires est disqualifiée.

* Il s’agit d’un contresens historique

Toutes les républiques antérieures sont nées dans le drame, la fureur et le sang : I° , Révolution française le 21 septembre 1792 ; II°, émeutes de février 1848 et abdication de Louis-Philippe, constitution républicaine du 4 novembre 1848 : III°, la Commune de Paris et la République de haute lutte ; IV°, la seconde guerre mondiale ; V°, la constitution de la V° République consécutive au putsch d’Alger. Il manque aujourd’hui l’Événement. On ne doit pas parler avec tant de légèreté du changement de République.

Il faut donc se préoccuper du contenu avant du numéro, ce qui est une facilité.

3 . Les trois questions qui appellent une réponse franche et préalable

Le projet constitutionnel du PCF en 1989 était inspiré de la Constitution du 24 juin 1793, réputée « jacobine ». Or, je veux rappeler que cette constitution comportait des dispositions décentralisatrices jamais retrouvées depuis :

Art. 58 – Le projet [de loi] est imprimé et envoyé à toutes les communes sous ce titre : loi proposée.
Art. 59 – Quarante jour après l’envoi de la loi proposée, si, dans la moitié des départements, plus un, le dixième des assemblées primaires, de chacun d’eux, régulièrement formées, n’a pas réclamé, le projet est accepté et devient loi.

Sans entrer dans la complexité d’un débat juridique, trois questions sont en réalité discriminantes des positions politiques :

* Quelle place faire au référendum dans la démocratie directe ?

Je suis, pour ma part, pour un usage strictement limité au domaine constituant. O. Duhamel a écrit : « Le référendum peut être liberticide, les Bonaparte en ont apporté la preuve ».

Dans le même esprit, je suis contre le référendum d’initiative populaire, mais pour l’initiative populaire des lois et un droit de pétition élargi.

* Quel mode de scrutin pour quelle démocratie représentative ?

La démocratie représentative doit-elle avoir pour objectif la représentation fidèle des citoyens ou être l’instrument de constitution des majorités ? Je considère que la représentation doit être aussi fidèle que possible, c’est au débat politique de faire les majorités et non à la technique électorale.

D’où mon option en faveur du mode de scrutin proportionnel, qui règle par la même occasion la question de la parité femmes-hommes.

* Quel exécutif selon quel mode de désignation ?

C’est le gouvernement qui doit être responsable devant le Parlement (et non le Premier ministre, je n’utiliserai donc pas l’expression régime primoministériel).

Et surtout je suis contre l’élection du Président de la République au suffrage universel. C’est aujourd’hui la question centrale de tout positionnement politique en matière constitutionnelle. Certes, ce mode de scrutin est pratiqué dans d’autres pays sans se traduire par une évolution présidentialiste. Mais la tendance césarienne a toujours été présente en France et demeure aujourd’hui. Il faut donc que la position soit claire sur ce point.